Avis juridique important
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61997C0143
Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 12 février 1998. - Office National des pensions (ONP) contre Francesco Conti. - Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Liège - Belgique. - Sécurité sociale - Articles 12, paragraphe 2, 46, paragraphe 3, et 46 ter du règlement (CEE) nº 1408/71 - Assurance vieillesse et décès - Règles nationales anticumul. - Affaire C-143/97.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-06365
Conclusions de l'avocat général
A - Introduction
1 La Cour a été saisie du présent renvoi préjudiciel par la cour du travail de Liège. Il a trait à l'interprétation des articles 12, paragraphe 2, 46 et 46 ter du règlement (CEE) n_ 1408/71 (1) au regard du calcul d'une pension de retraite d'ouvrier mineur majorée d'un supplément en vertu du droit belge, ainsi qu'à l'éventuelle réduction, d'un montant correspondant aux prestations de pension acquises dans d'autres États membres, de ce supplément.
2 La procédure au principal se présente pour l'essentiel comme suit: le demandeur et intimé au principal (ci-après le «demandeur»), né en Italie, a été occupé, dans le cadre de sa carrière professionnelle, d'abord dans son pays natal, puis en Allemagne en tant que travailleur salarié; il a ensuite travaillé 26 années en Belgique en tant qu'ouvrier mineur de fond.
3 Le calcul de la pension d'un ouvrier mineur est effectué sur la base d'une carrière présumée complète, de 30 ans, en vertu de l'article 3, paragraphe 2, de la loi belge du 20 juillet 1990 instaurant un âge flexible de la retraite pour les salariés et adaptant les pensions des travailleurs salariés à l'évolution du bien-être général (2).
L'article 3, paragraphe 6, premier alinéa, dispose: «Le montant de la pension de retraite du travailleur salarié qui ne totalise pas trente années civiles d'occupation habituelle et en ordre principal en qualité d'ouvrier au fond des mines ou des carrières avec exploitation souterraine, mais en compte vingt-cinq au moins, est majoré d'un supplément.»
L'article 3, paragraphe 6, deuxième alinéa, se lit comme suit: «Ce supplément est égal à la différence entre le montant de la pension de retraite qu'il aurait obtenu s'il avait été effectivement occupé habituellement et en ordre principal au fond des entreprises précitées pendant trente années civiles, et le montant global des pensions de retraite ou des prestations en tenant lieu auxquelles il peut prétendre en vertu d'un ou plusieurs régimes visés au paragraphe 1, alinéa premier, a.»
L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), vise notamment les régimes suivants: «une pension de retraite ou de survie ou de(s) prestations en tenant lieu, accordées ... en vertu d'un régime d'un pays étranger».
4 L'Office national des pensions, défendeur et appelant au principal (ci-après l'«ONP»), a accordé au demandeur, par décision administrative, une pension de retraite d'ouvrier mineur prenant cours le 1er janvier 1991, d'un montant annuel de 449 417 BFR. Cette décision précisait en outre que l'intéressé avait droit à un supplément annuel de 40 591 BFR, et ajoutait: «ce supplément sera diminué du montant des autres pensions de retraite ou prestations en tenant lieu auxquelles vous pourriez encore
prétendre en vertu d'un régime belge ou étranger...».
5 Le supplément a été réduit à zéro en raison des pensions de retraite de travailleur salarié dont le demandeur est par ailleurs bénéficiaire, l'une à charge de l'Italie depuis le 1er novembre 1989 pour un montant de 101 619 LIT par mois, l'autre à charge de l'Allemagne depuis le 1er janvier 1991 pour un montant de 3 208,80 DM par an. Le demandeur a contesté devant les tribunaux la réduction du supplément.
6 Devant les juridictions belges, le demandeur a fait valoir que l'article 3, paragraphe 6, deuxième alinéa, contient une clause de réduction dont l'application, en vertu des articles 12, paragraphe 2, et 46, paragraphe 3, du règlement n_ 1408/71, ainsi que de l'article 46 ter du même règlement, entré en vigueur le 1er juin 1992, doit être écartée lors du calcul de la rente dont il est bénéficiaire au titre de la législation belge.
Jusqu'à sa modification, l'article 12, paragraphe 2, du règlement disposait:
«Les clauses de réduction ... prévues par la législation d'un État membre en cas de cumul d'une prestation avec d'autres prestations de sécurité sociale ou avec d'autres revenus sont opposables au bénéficiaire, même s'il s'agit de prestations acquises au titre de la législation d'un autre État membre ou de revenus obtenus sur le territoire d'un autre État membre. Toutefois, il n'est pas fait application de cette règle lorsque l'intéressé bénéficie de prestations de même nature d'invalidité, de
vieillesse, de décès (pensions) ou de maladie professionnelle qui sont liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres, conformément aux dispositions des articles 46, 50 et 51 ou de l'article 60, paragraphe 1, sous b).»
7 Le demandeur a obtenu gain de cause en première instance. L'ONP a interjeté appel. Il a fait valoir que la réglementation belge litigieuse était une clause de calcul pure et simple de la prestation due, applicable avant que la prestation puisse «faire l'objet d'une réduction, d'une suspension ou d'une suppression».
8 La juridiction de renvoi soumet à la Cour la question préjudicielle qui suit:
«La notion de clause de réduction, dans les articles 12, paragraphe 2, 46, paragraphe 3, et 46 ter du règlement (CEE) n_ 1408/71, doit-elle être interprétée de telle sorte qu'elle vise une disposition légale d'un État membre qui, prévoyant que le montant de la pension de retraite du travailleur salarié qui ne totalise pas trente années d'occupation mais qui en compte au moins vingt-cinq est majoré d'un supplément, porte que celui-ci est égal à la différence entre le montant de la pension de retraite
que le travailleur aurait obtenu s'il avait été effectivement occupé pendant trente années et le montant global des pensions de retraite auxquelles il peut prétendre en vertu d'un régime national ou d'un régime d'un autre État membre?»
9 L'ONP et la Commission ont participé à la procédure écrite. Lors de l'audience est en outre intervenu le gouvernement suédois. Nous reviendrons dans le cadre de l'analyse sur les détails des moyens des parties.
B - Analyse
10 Il y a lieu tout d'abord de rappeler que les dispositions pertinentes du règlement n_ 1408/71 ont été modifiées avec effet au 1er juin 1992, circonstance que le demandeur - ainsi que cela ressort de l'ordonnance de renvoi - avait déjà mentionnée devant les juridictions nationales, et que la Commission elle aussi, à juste titre, a prise pour base dans son argumentation.
11 Dès lors, deux réglementations communautaires différentes sont applicables; d'une part, celle qui vaut pour la période courant du 1er janvier 1991, premier jour de l'octroi de la pension, au 31 mai 1992; d'autre part, la réglementation modifiée, entrée en vigueur le 1er juin 1992. Toutefois, il est d'ores et déjà possible de considérer que la notion de «clause de réduction» au sens de ces réglementations n'a pas subi de modification quant au fond.
12 Au cours de la procédure écrite - de même que, déjà, au principal -, l'ONP avait soutenu que la réglementation belge litigieuse constituait une clause de calcul de la prestation. Il a ajouté que le calcul du montant de la prestation intervenait nécessairement antérieurement à toute application éventuelle d'une règle de réduction. En outre, cette disposition ne pouvait pas être considérée comme une entrave à la libre circulation des travailleurs, puisque des prestations de pension belges à
d'autres titres seraient également prises en compte lors du calcul du supplément.
Enfin, lors de l'audience, le représentant de l'ONP a exposé que le supplément litigieux correspondait à la différence de montant nécessaire pour atteindre le niveau de la prestation minimale prévu par la législation belge, dont le calcul, conformément à l'article 50 du règlement n_ 1408/71, intègre les prestations de pension dues à d'autre titres dans la somme des prestations dues en vertu du chapitre du règlement relatif aux pensions (3).
13 Au cours de l'audience, le gouvernement suédois a pour l'essentiel soutenu le point de vue selon lequel la disposition belge pertinente ne saurait être qualifiée de clause de réduction au sens du règlement n_ 1408/71, mais devait être considérée comme une clause de calcul pure et simple. Il a ajouté que, même si la Cour devait toutefois considérer les dispositions relatives à la détermination du montant du supplément comme une clause de réduction, les articles 12, paragraphe 2, 46, paragraphe 3,
et 46 ter du règlement ne devraient pas trouver application, car cela aurait des répercussions négatives.
14 La Commission soutient en revanche qu'il y a lieu de considérer la disposition belge en cause comme une clause de réduction au sens du règlement. Cela conduirait, en vertu du règlement n_ 1408/71, tant dans sa version antérieure au 1er juin 1992 que dans celle qui a suivi, à l'obligation de ne pas prendre en compte, lors du calcul du supplément, les prestations de pension dues en vertu des régimes d'autres États membres.
Pour justifier son point de vue, la Commission invoque la jurisprudence de la Cour (4) et explicite la différence d'approche entre normes anticumul externes et internes. Selon elle, on est en présence, dans la présente affaire, d'une règle anticumul externe, dont l'application doit être écartée lors du calcul d'une prestation due en vertu de la réglementation d'un État membre.
La situation juridique en vertu du règlement n_ 1408/71 dans sa version en vigueur jusqu'au 31 mai 1992
15 Les dispositions pertinentes du règlement n_ 1408/71 dans sa version en vigueur jusqu'au 31 mai 1992 sont l'article 12, paragraphe 2, dans la version précitée, et l'article 46, paragraphe 3, qui se lit comme suit: «[l]'intéressé a droit, dans la limite du plus élevé des montants théoriques de prestations calculées selon les dispositions du paragraphe 2, sous a), à la somme des prestations calculées conformément aux dispositions des paragraphes 1 et 2.
Pour autant que le montant visé à l'alinéa précédent soit dépassé, chaque institution qui applique le paragraphe 1 corrige sa prestation d'un montant correspondant au rapport entre le montant de la prestation considérée et la somme des prestations déterminées selon les dispositions du paragraphe 1.»
16 La Cour a rendu l'arrêt Romano (5) au cours de la période de validité de ces dispositions. Il s'agissait dans cette affaire préjudicielle de savoir si les dispositions belges alors en vigueur relatives à la prise en compte ou à la non-prise en compte, lors du calcul d'une pension de retraite d'ouvrier mineur, d'années d'occupation fictives devaient être qualifiées de clause de réduction au sens de l'article 12, paragraphe 2. Dans certaines circonstances (6), des ouvriers de la branche d'industrie
concernée se sont vu reconnaître une période d'occupation fictive à concurrence d'une carrière complète - calculée sur la base de 30 années d'occupation. Ces années fictives ont en règle générale fait l'objet, lors du calcul du montant de la pension des travailleurs migrants, d'une réduction correspondant aux années d'occupation effective accomplies dans un autre État membre.
17 La juridiction nationale saisie de ce litige avait demandé à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur la question de savoir si les dispositions belges en cause constituaient des règles anticumul au sens du règlement n_ 1408/71, avec les conséquences pour le calcul du montant de la pension y attachées.
18 Dans son arrêt du 4 juin 1985, la Cour a répondu comme suit:
«Une norme nationale qui réduit les années supplémentaires d'occupation fictive dont pourrait bénéficier le travailleur, en fonction du nombre d'années pour lequel le travailleur peut prétendre à une pension dans un autre État membre, constitue une clause de réduction au sens de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71 ... dont l'application est écartée en vertu de la dernière phrase de ce texte, lors du calcul du montant de la pension au titre de l'article 46, paragraphe 1, de ce
règlement» (7).
19 La question qui se pose dans ce contexte, dans la présente affaire, est celle de savoir si cette appréciation peut valoir de manière comparable pour les dispositions belges modifiées, déterminantes pour la période allant du 1er juin 1991 au 31 mai 1992.
20 L'ONP est d'avis que le mode de calcul introduit par la loi du 20 janvier 1990 est fondamentalement différent de celui qui est à la base du renvoi ayant donné lieu à l'arrêt Romano, en sorte que la réponse alors apportée par la Cour ne préjuge pas de l'appréciation de la situation juridique valant à présent.
21 La Commission en revanche estime que la situation juridique nationale valant à l'époque de l'affaire Romano est en substance identique à celle qui est applicable dans la procédure au principal.
22 Force est de constater que la réglementation belge relative à la pension des ouvriers mineurs - tant dans sa version à la base de l'affaire Romano que dans celle qui est actuellement en vigueur - prévoit des avantages particuliers pour les salariés de cette branche d'occupation. Ces avantages résident d'une part dans le fait que la carrière est considérée comme complète après 30 années de travail, c'est-à-dire au terme d'une durée bien moindre qu'en règle générale. D'autre part, cette
réglementation, prévue pour ce groupe de personnes, se caractérise par le fait que, au terme d'une période d'occupation effective d'au moins 25 années, la prestation de pension payable est légalement revalorisée au niveau d'une prestation complète. Cela vaut pour les deux situations juridiques à la base de notre réflexion. Seule diffère la technique de la revalorisation. Alors que, sous l'empire de l'ancien droit, les périodes à prendre en compte étaient complétées par l'attribution de périodes
fictives, le nouveau droit positif octroie un supplément, la pension de référence reposant sur une durée d'occupation de 30 années.
23 Les prestations de pension auxquelles il peut être prétendu à d'autres titres sont soustraites du montant constitué par la différence entre les pensions acquises lors de durées d'occupation effectivement accomplies et la prestation complète. Cela vaut sous l'empire des deux réglementations, à savoir, selon la technique de revalorisation de la prestation au niveau d'une prestation complète utilisée, soit par le biais de la réduction des périodes fictives prises en compte dans un premier temps,
soit par le biais de la réduction du montant calculé du supplément. Dans la mesure où la revalorisation, jusqu'au niveau d'une prestation complète, pour un groupe de salariés particuliers - peu importent les raisons -, des prestations de rente acquises par cotisation aménage un régime plus favorable dérogatoire aux règles générales, la situation juridique antérieure et celle qui a suivi sont comparables. Dans ce cadre, les prestations de rente auxquelles il peut être prétendu à d'autres titres sont
également comparables. Sous l'emprise des deux réglementations, les prestations prévues par les législations nationales, de même que les prestations dues en vertu des systèmes étrangers, doivent entrer en ligne de compte (8).
24 La Cour a qualifié la disposition anticumul «externe» contenue dans l'ancienne clause anticumul (nationale) de «clause de réduction» au sens de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71. En raison de sa structure et de son objet comparables, la nouvelle réglementation devrait recevoir la même qualification.
25 Cette vision devrait s'imposer d'autant plus que les périodes à prendre en compte lors de la liquidation de la rente font par principe l'objet d'autres dispositions (9). Toutefois, s'il y avait lieu de considérer la prise en compte ou la réduction de périodes fictives comme une clause de réduction au sens de la réglementation, cela devrait à plus forte raison être le cas pour l'octroi de paiements supplémentaires ou leur réduction. Ainsi, il est question dans les dispositions pertinentes de
«cumul de prestations» (10) et de «liquidation des prestations» (11).
26 Si, donc, l'on considère la réduction du supplément d'un montant correspondant aux prestations dues par les systèmes étrangers comme une clause de réduction au sens du règlement n_ 1408/71, l'application de cette clause peut être écartée, en vertu des dispositions expresses de l'article 12, paragraphe 2, dernière phrase, lors du calcul du montant de la pension au titre de l'article 46 du règlement. Cette conception vaut en tout état de cause sur la base du règlement n_ 1408/71 dans sa version en
vigueur jusqu'à fin mai 1992.
La situation juridique en vertu du règlement dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 1992
27 La modification des dispositions pertinentes du règlement a eu lieu aux fins de sa consolidation, en prenant en compte et en systématisant la jurisprudence de la Cour rendue jusqu'à cette date (12). Les dispositions pertinentes du règlement n_ 1408/71 dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 1992 se lisent comme suit:
Article 12, paragraphe 2: «A moins qu'il n'en soit disposé autrement dans le présent règlement, les clauses de réduction ... prévues par la législation d'un État membre en cas de cumul d'une prestation avec d'autres prestations de sécurité sociale ou avec d'autres revenus de toute nature sont opposables au bénéficiaire, même s'il s'agit de prestations acquises au titre de la législation d'un autre État membre ou de revenus obtenus sur le territoire d'un autre État membre» (13).
28 On remarque immédiatement que la deuxième phrase de l'article 12, paragraphe 2, qui restreignait le principe général énoncé dans la première phrase et excluait la réduction lorsque l'intéressé bénéficiait de prestations de même nature d'invalidité, de vieillesse, de décès ou de maladie professionnelle, liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres, a été supprimée. En lieu et place, la formule «à moins qu'il n'en soit disposé autrement dans le présent règlement» fait son
apparition dans le texte. Ces autres dispositions, telles que celles, notamment, figurant aux articles 46 bis à 46 quater du règlement, reprennent et explicitent l'esprit du passage supprimé de l'article 12. Les dispositions spéciales relatives au cumul de prestations figurant au chapitre 3 du règlement trouvent donc application.
29 L'article 46 a été repris de fond en comble. La disposition communautaire anticumul de l'article 46, paragraphe 3, de l'ancienne version a été éliminée. A présent, l'article 46, paragraphe 3, dispose:
«L'intéressé a droit, de la part de l'institution compétente de chaque État membre en question, au montant le plus élevé calculé conformément aux paragraphes 1 et 2, sans préjudice, le cas échéant, de l'application de l'ensemble des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation au titre de laquelle cette prestation est due.
Si tel est le cas, la comparaison à effectuer porte sur les montants déterminés après l'application desdites clauses.»
30 Un nouvel article 46 ter relatif aux «dispositions particulières applicables en cas de cumul de prestations de même nature dues en vertu de la législation de deux ou plusieurs États membres» a été inséré dans le règlement. Il dispose:
«1) Les clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation d'un État membre ne sont pas applicables à une prestation calculée conformément à l'article 46, paragraphe 2.
2) Les clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation d'un État membre s'appliquent à une prestation calculée conformément à l'article 46, paragraphe 1, point a), i), uniquement à la condition qu'il s'agisse:
a) d'une prestation dont le montant est indépendant de la durée des périodes d'assurance ou de résidence accomplies et qui se trouve visée à l'annexe IV, partie D,
ou
b) d'une prestation dont le montant est déterminé en fonction d'une période fictive...».
31 Il se pose à présent la question de savoir si la modification de la situation juridique commande une autre appréciation en droit communautaire de la clause de réduction nationale.
32 Dans la mesure où les prestations de rente octroyées par des systèmes étrangers doivent venir en déduction lors de la liquidation des prestations de rente en vertu de la législation nationale, on est en présence d'une règle anticumul externe. La modification du règlement n_ 1408/71 n'a en tout état de cause pas privé la disposition nationale de sa caractéristique de clause de réduction. Le fait qu'elle est insérée dans une disposition anticumul interne, qui, conformément à l'article 46,
paragraphe 3, peut trouver application lors du calcul tant d'une prestation autonome au sens de l'article 46, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n_ 1408/71 que d'une prestation proratisée en vertu du droit communautaire au sens de l'article 46, paragraphe 2, du règlement, ne change rien non plus à sa nature de disposition anticumul externe.
33 Il y a donc lieu de considérer que la disposition nationale litigieuse est une clause de réduction au sens du règlement n_ 1408/71. Il s'ensuit qu'elle trouve application en vertu des règles établies dans le règlement.
34 L'article 12, paragraphe 2, établit le principe de l'opposabilité des dispositions anticumul nationales, même externes, «à moins qu'il n'en soit disposé autrement dans le présent règlement». Toutefois, de telles dispositions résultent des règles spéciales relatives aux rentes figurant au chapitre 3 du règlement. Les règles générales valables dans ce cadre relatives «aux clauses de réduction, de suspension ou de suppression applicables aux prestations d'invalidité, de vieillesse ou de survivants
en vertu des législations des États membres» figurent à l'article 46 bis du règlement.
35 L'article 46 bis, paragraphe 3, sous a), dispose:
«il n'est tenu compte des prestations acquises au titre de la législation d'un autre État membre ou des autres revenus acquis dans un autre État membre que si la législation du premier État membre prévoit la prise en compte des prestations ou des revenus acquis à l'étranger.»
36 La réglementation applicable en cas de cumul de prestations de même nature dues en vertu de la législation de deux ou plusieurs États membres, qui prime la disposition citée ci-dessus, est contenue à l'article 46 ter. Dans la présente affaire, les prestations de rente du royaume de Belgique, de la République italienne et de la République fédérale d'Allemagne constituent incontestablement des «prestations de même nature», que l'article 46 bis, paragraphe 1, définit comme étant des «prestations
d'invalidité, de vieillesse et de survivants calculées ou servies sur la base des périodes d'assurance et/ou de résidence accomplies par une même personne». L'article 46 ter, paragraphe 1, exclut totalement l'application, aux prestations proratisées calculées conformément à l'article 46, paragraphe 2, des clauses de réduction prévues par la législation d'un État membre.
37 La Commission part du principe que cette disposition est applicable à la présente affaire et fonde là-dessus le résultat qu'elle défend, à savoir l'inopposabilité des clauses de réduction prévues par la législation des États membres.
38 Dans le présent contexte, nous nous situerions toutefois dans le cadre du calcul d'une prestation autonome au titre de l'article 46, paragraphe 1, sous a), i), car les 26 années d'occupation prises en compte par l'institution de l'État membre ont été accomplies sous le seul empire de la législation belge. Sur la base de cette prémisse, l'article 46 ter, paragraphe 2, qui prévoit que les clauses de réduction, de suspension ou de suppression ne s'appliquent qu'à certaines conditions très précises,
trouverait application. Ces conditions sont, d'une part, l'indépendance de la durée des périodes d'assurance ou de résidence accomplies et, d'autre part, le fait qu'elles se trouvent visées à l'annexe IV, partie D, du règlement. Ces deux conditions ne sont pas remplies dans la présente affaire, de sorte que l'application de la clause de réduction litigieuse doit être écartée.
39 On parviendrait alors à un résultat identique à celui que défend la Commission, de sorte que, en définitive, il n'est pas nécessaire, dans la présente affaire, de déterminer si le litige au principal relève de l'article 46 ter, paragraphe 1, ou de l'article 46 ter, paragraphe 2.
40 Le résultat semble également équitable. Certes, il est concevable, en pure théorie, qu'un travailleur migrant soit le cas échéant placé, lors du calcul de la pension de rente en vertu de la législation belge, dans une situation quelque peu plus favorable qu'un salarié ayant accompli sa carrière professionnelle sous le seul empire du régime belge. Il ne s'agit toutefois pas d'un traitement de faveur, car un travailleur migrant de nationalité belge échapperait lui aussi, en vertu des dispositions
communautaires, aux clauses de réduction prévues par la législation des États membres. En outre, le calcul de la prestation en vertu de la législation belge constitue une tape dans le calcul selon les dispositions communautaires de la rente dont bénéficie un travailleur migrant. Il ne s'agit pas dans la présente affaire de déterminer le résultat final issu de l'application de toutes les étapes du calcul conformément au système complexe établi au chapitre 3 du règlement.
41 Il est certain que le législateur communautaire, en retravaillant le règlement n_ 1408/71, par le biais notamment du règlement (CEE) n_ 1248/92 (14), a voulu créer un cadre clairement défini pour l'application des règles anticumul nationales lors du calcul des rentes en vertu des règles communautaires, et que, dans ce cadre, il a adopté l'article 46 ter, pertinent dans la présente affaire. Ainsi, il respecte expressément la continuité de la jurisprudence de la Cour.
42 Les réflexions sous-jacentes à la modification du règlement n_ 1408/71 figurent dans les considérants du règlement n_ 1248/92. Le quinzième considérant se lit comme suit: «suivant une jurisprudence constante de la Cour de justice, le Conseil n'est pas compétent pour édicter des règles imposant une limitation de cumul de deux ou plusieurs pensions acquises dans différents États membres par une diminution du montant d'une pension acquise en vertu de la seule législation nationale ... selon la Cour
de justice, cette compétence appartient au législateur national, tant entendu qu'il appartient au législateur communautaire de fixer les limites dans lesquelles les clauses nationales de réduction, de suspension ou de suppression peuvent être appliquées...» (15).
Les seizième et dix-septième considérants poursuivent ainsi: «pour protéger les travailleurs migrants et leurs survivants contre une application trop rigoureuse des clauses nationales de réduction, de suspension ou de suppression, il est nécessaire d'insérer une disposition dans le règlement conditionnant strictement l'application de ces clauses;
... pour les mêmes raisons, il convient d'insérer une disposition ... ne permettant, en cas de cumul de prestations de même nature, une application de ces clauses qu'à certains types de prestations et dans des cas spécifiques» (16).
Le dix-huitième considérant dispose enfin: «il y a lieu d'inscrire en annexe IV, partie D, les types de prestations auxquelles lesdites clauses peuvent s'appliquer en cas de cumul de prestations de même nature».
43 Les dispositions adoptées dans ce cadre par le législateur communautaire sont impératives.
44 Il y a lieu enfin d'examiner l'argumentation que l'ONP a fait valoir au cours de l'audience, selon laquelle l'article 50 du règlement serait applicable.
45 L'article 50 réglemente l'«attribution d'un complément lorsque la somme des prestations dues au titre des législations des différents États membres n'atteint pas le minimum prévu par la législation de celui de ces États sur le territoire duquel réside le bénéficiaire».
La disposition se lit comme suit: «Le bénéficiaire de prestations auquel le présent chapitre a été appliqué ne peut, dans l'État sur le territoire duquel il réside et au titre de la législation duquel une prestation lui est due, percevoir un montant de prestations inférieur à celui de la prestation minimale fixée par ladite législation pour une période d'assurance ou de résidence égale à l'ensemble des périodes prises en compte pour la liquidation conformément aux dispositions des articles
précédents. L'institution compétente de cet État lui verse éventuellement, pendant toute la durée de sa résidence sur le territoire de cet État, un complément égal à la différence entre la somme des prestations dues en vertu du présent chapitre et le montant de la prestation minimale.»
46 L'ONP invoque l'arrêt Browning (17) pour justifier que le supplément destiné aux ouvriers mineurs prévu par la législation nationale est un complément au sens de l'article 50, en conséquence de quoi les prestations dues par les systèmes d'autres États membres doivent nécessairement être incluses dans le calcul du supplément.
47 Il n'est pas possible de suivre le raisonnement de l'ONP, et ce pour plusieurs raisons. D'une part, il ne s'agit pas d'une «prestation minimale» au sens de la réglementation. L'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Browning définit une telle prestation minimale comme une «garantie spécifique ayant pour objet d'assurer aux bénéficiaires de prestations de sécurité sociale un revenu minimal dépassant le niveau des prestations auquel ils pourraient prétendre en fonction du seul état de leurs
périodes d'affiliation et de leurs cotisations». Le supplément litigieux prévu par la législation belge a au contraire pour effet de placer, dans des conditions strictement définies, en majorant la rente acquise au niveau d'une prestation complète, un groupe déterminé de personnes dans une situation plus favorable. Cette prestation ne dépend précisément pas de la durée d'affiliation effective.
48 La mention faite par le représentant de l'ONP aux conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn ne modifie pas non plus notre manière de voir. Certes, il est vrai que l'avocat général a exposé que: «La prestation minimale n'est pas nécessairement exprimée dans la législation en termes d'un certain montant. Il peut s'agir d'un montant susceptible d'être calculé par référence à une formule.» Toutefois, si l'on replace cette citation dans son contexte, force est de constater que l'avocat général
continue en ces termes: «Toutefois, elle ne peut pas être soumise à d'autres conditions que celles que nous avons indiquées», sachant qu'il décrit ces conditions comme étant l'«accomplissement d'une période d'assurance» (18).
49 En conséquence, il n'y a pas lieu de considérer la réglementation belge sur les rentes applicable aux ouvriers mineurs comme octroyant une «prestation minimale».
50 L'article 50 du règlement n_ 1408/71 n'est pas d'application pour une autre raison également. Il présuppose nécessairement la liquidation en vertu des règles communautaires des prestations de rente au sens de l'article 46, paragraphe 2, du règlement (19). Comme nous l'avons déjà exposé en considération de l'article 46 ter, la présente affaire a toutefois trait au calcul d'une prestation autonome sur la seule base des périodes d'occupation accomplies dans le cadre du système belge.
C - Conclusion
51 Les réflexions exposées ci-dessus nous mènent à apporter une réponse affirmative à la question préjudicielle soumise à la Cour. Nous proposons donc à la Cour de répondre comme suit:
«La notion de clause de réduction, dans les articles 12, paragraphe 2, 46, paragraphe 3, et 46 ter du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, doit être interprétée de telle sorte qu'elle vise une disposition légale d'un État membre qui, prévoyant que le montant de la pension de retraite du
travailleur salarié qui ne totalise pas 30 années d'occupation mais en compte au moins 25 est majoré d'un supplément, porte que celui-ci est égal à la différence entre le montant de la pension de retraite que le travailleur aurait obtenu s'il avait été effectivement occupé pendant 30 années et le montant global des pensions de retraite auxquelles il peut prétendre en vertu d'un régime national ou d'un régime d'un autre État membre.»
(1) - Règlement du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version consolidée figurant au JO 1992, C 325, p. 1; voir également le règlement n_ 1408/71 dans la version du règlement (CEE) n_ 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6).
(2) - Moniteur belge du 15 août 1990.
(3) - Voir le chapitre 3: «Vieillesse et décès (pensions)».
(4) - Arrêts du 4 juin 1985, Romano (58/84, Rec. p. 1679); du 11 juin 1992, Di Crescenzo et Casagrande (C-90/91 et C-91/91, Rec. p. I-3851), et du 21 octobre 1975, Petroni (24/75, Rec. p. 1149).
(5) - Précité, note 4.
(6) - Pour davantage de détails, voir l'arrêt Romano (précité, note 4).
(7) - Arrêt Romano (précité, note 4).
(8) - Voir l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la loi du 20 juillet 1990, et l'article 10, paragraphe 2, point 1, de l'arrêté royal n_ 50 du 24 octobre 1967 dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 1981.
(9) - Voir l'article 45 du règlement n_ 1408/71.
(10) - Voir l'article 12, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71.
(11) - Voir le titre de l'article 46 du règlement n_ 1408/71.
(12) - Voir par exemple l'arrêt Petroni, précité, note 4.
(13) - Souligné par nous.
(14) - Règlement du Conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement n_ 1408/71 et le règlement (CEE) n_ 574/72 fixant les modalités d'application du règlement n_ 1408/71 (JO L 136, p. 7).
(15) - Souligné par nous.
(16) - Souligné par nous.
(17) - Arrêt du 17 décembre 1981 (22/81, Rec. p. 3357).
(18) - Conclusions dans l'affaire Browning (précitée, note 17, Rec. p. 3372, 3378).
(19) - Voir le libellé de l'article 50: «... période d'assurance ou de résidence égale à l'ensemble des périodes...» (souligné par nous); voir également les articles 46, paragraphe 2, et 45 du règlement.