ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
17 décembre 1997 ( *1 )
«Fonctionnaires — Concours interne — Refus de nommer un lauréat — Détournement de pouvoir — Principe d'égalité de traitement — Obligation de motivation»
Dans l'affaire T-110/96,
Dominique-François Bareth, fonctionnaire du Comité économique et social des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par M" Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure et Ariane Tornei, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
partie requérante,
contre
Comité des régions de l'Union européenne, représenté par Me Dominique Lagasse, avocat au barreau de Bruxelles, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique de la Commission, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du Comité des régions du 20 septembre 1995, en ce qu'elle porte refus de nommer le requérant à l'un des postes vacants visés par l'avis de concours interne A/02/95 et nomination d'autres lauréats auxdits postes,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 15 mai 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige
1 Le requérant est entré en fonction auprès du Comité économique et social des Communautés européennes (ci-après «CES») en tant que fonctionnaire le 1er mai 1992.
2 Il est responsable du service «concours-carrière/formation-stages-bourses/activités sociales» de la structure organisationnelle commune au CES et au Comité des régions de l'Union européenne (ci-après «CdR»). Cette structure (ci-après «structure commune»), mise en place conformément au protocole no 16 sur le CES et sur le CdR annexé au traité sur l'Union européenne, regroupe les services logistiques des deux institutions.
3 Le 11 mai 1995, le bureau du CdR a publié un avis de vacance concernant huit postes de chef d'unité et/ou administrateur principal de grade A 5 dans différents services du secrétariat général du CdR.
4 Le 23 mai 1995, le président du CdR, considérant qu'aucun des candidats ne réunissait les conditions requises pour obtenir une promotion ou une mutation au sein de son institution, a décidé d'organiser un concours interne, sur titres et épreuves, en vertu de l'article 29, premier alinéa, sous b), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»).
5 Il s'agissait du concours A/02/95. L'avis, publié le 29 mai 1995, indiquait:
«III. CONCOURS
Le concours [...] est ouvert aux candidats qui justifient remplir les conditions suivantes:
Diplôme ou titres requis — Niveau d'expérience demandé
a) avoir accompli des études de niveau universitaire sanctionnées par un diplôme ou expérience professionnelle d'un niveau équivalent.
b) posséder une expérience professionnelle post universitaire d'au moins dix ans à la date prévue pour le dépôt des candidatures dont les trois dernières années, au moins, en rapport avec le grade et les fonctions à exercer. L'expérience acquise dans le domaine de l'administration régionale ou locale est particulièrement appréciée.
Connaissances linguistiques
Connaissance approfondie d'une des langues officielles des Communautés et bonne connaissance d'une autre de ces langues. La connaissance satisfaisante d'autres langues communautaires est souhaitée.
[...]
V. COTATION DES ÉPREUVES
L'évaluation des titres et épreuves sera cotée comme suit:
1. Titres et expérience professionnelle: 0 à 25 points
2. lre épreuve écrite: 0 à 25 points
3. 2e épreuve écrite: 0 à 15 points
4. Épreuve orale: 0 à 35 points
Seront inscrits sur la liste d'aptitude, par ordre de mérite, les candidats qui auront atteint au moins 60 % des points prévus à l'ensemble des épreuves.»
Dix-huit candidatures ont été déposées. Douze émanaient du secrétariat général du CdR et six, dont celle du requérant, de la structure commune.
6 Par lettre du 6 juillet 1995, le requérant a été informé qu'il était admis à participer au concours. Au total, quatorze candidats ont été admis, dont neuf du secrétariat général du CdR et cinq de la structure commune. Les neuf candidats du CdR étaient tous agents temporaires au sein de cet organe.
7 Les candidats ont été invités à indiquer leur préférence quant à l'emploi auquel ils souhaitaient être affectés. A l'issue des épreuves, le jury a établi une liste d'aptitude en classant les lauréats par ordre de mérite (ci-après «liste d'aptitude»). Le requérant figurait en sixième position sur cette liste.
8 Le 20 septembre 1995, le bureau du CdR, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), a nommé huit lauréats aux postes vacants (ci-après «décision litigieuse»). Tous ces lauréats étaient des anciens agents temporaires du CdR. Quatre d'entre eux étaient classés avant le requérant sur la liste d'aptitude et quatre autres étaient classés après lui.
9 Par lettre du 26 septembre 1995, le requérant a demandé au secrétaire général du CdR de lui communiquer le classement des lauréats par ordre de mérite ou, à défaut, de l'informer de son rang sur la liste d'aptitude. Il lui a également demandé si d'autres lauréats classés après lui sur cette liste avaient été nommés et, dans l'affirmative, de préciser les motifs de leur nomination.
10 Le requérant n'a pas reçu de réponse à cette lettre.
11 Par note du 11 octobre 1995, le président du CdR l'a informé que l'AIPN avait décidé de ne pas le nommer à l'un des emplois vacants.
12 Par lettre du 10 novembre 1995, le requérant s'est adressé au secrétaire général du CdR dans les termes suivants:
«Le président du CdR M. B. m'a certes appris dans une lettre du 11 octobre que l'AIPN avait décidé de ne pas me retenir pour un des emplois mis au concours; toutefois, la lettre de M. B. laisse toujours sans réponse deux questions essentielles que je vous avais posées:
— l'avis de concours stipulant que le classement des lauréats doit s'effectuer par ordre de mérite, des lauréats moins bien classés que moi ont-ils été nommés?
— dans le cas où la réponse à la question précédente serait positive, quelles sont les motivations qui auraient amené l'AIPN à ne pas respecter le classement par ordre de mérite?
Comme vous le savez sans doute, des rumeurs persistantes au sein du CES, du CdR et de la structure commune font état de ce que tous les candidats à ce concours auraient été reçus, et que seuls les lauréats du CdR auraient été nommés, même si leur rang de classement était inférieur à celui des lauréats issus du CES. Je suis plutôt attristé d'en être réduit à des rumeurs pour me faire une opinion sur la façon dont mon cas a été traité, et vous serait très reconnaissant de bien vouloir me donnerune
réponse officielle, seule à même de me permettre d'introduire un recours dans le cas où il m'aurait été fait grief.»
13 Le requérant n'a obtenu aucune réponse à cette lettre.
14 Le 18 décembre 1995, il a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision litigieuse. Il faisait valoir, entre autres, que l'établissement de la liste d'aptitude n'avait d'autre but que de donner un semblant de légalité à une décision préexistante de titulariser les agents temporaires du CdR.
15 Par décision du 18 avril 1996, notifiée au requérant le 22 avril 1996, le CdR a rejeté explicitement cette réclamation.
16 Par lettre du 9 mai 1996 adressée au secrétaire général du CdR, le requérant a souligné que la liste des lauréats et son ordre de classement ne lui avaient toujours pas été communiqués.
Procédure et conclusions des parties
17 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 1996, le requérant a introduit le présent recours.
18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois, le Tribunal a invité le CdR à déposer des pièces concernant l'organisation du concours A/02/95 et à répondre à certaines questions écrites.
19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 15 mai 1997.
20 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— annuler la décision de l'AIPN de ne pas le nommer à l'un des postes vacants concernés par l'avis de concours A/02/95;
— pour autant que de besoin, annuler les décisions de nomination adoptées à l'issue dudit concours et
— condamner le CdR aux dépens.
21 Le CdR conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours comme non fondé et
— statuer comme de droit sur les dépens.
Sur le fond
22 Au vu des pièces du dossier, le Tribunal estime qu'il convient d'apprécier de façon conjointe les trois moyens invoqués par le requérant, en raison de l'interdépendance des arguments qu'il présente à l'appui de ces trois moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l'avis de concours, de la violation de l'article 27 du statut et du détournement de pouvoir. Le deuxième est tiré de la violation du principe d'égalité de traitement et le troisième est tiré de la violation de l'article 25 du
statut.
Arguments des parties
23 Le requérant conteste la légalité de la décision litigieuse, en ce qu'elle porte, d'une part, refus de le nommer à l'un des postes vacants visés par l'avis de concours interne A/02/95 et, d'autre part, nomination auxdits postes des quatre lauréats qui étaient classés après lui sur la liste d'aptitude.
Sur le moyen tiré de la violation de l'avis de concours interne A/02/95, de la violation de l'article 27 du statut et du détournement de pouvoir
24 Le requérant souligne, premièrement, que, au moment de l'ouverture du concours A/02/95, tous les postes à pourvoir étaient déjà occupés par les agents temporaires du CdR qui ont posé leur candidature audit concours.
25 Deuxièmement, l'AIPN aurait violé l'avis de concours A/02/95 et la procédure de sélection des candidats. En effet, elle se serait illégalement écartée de la liste d'aptitude en utilisant, comme critère de sélection, les préférences exprimées par les candidats pour les postes à pourvoir. Or, ces préférences ne constitueraient qu'un élément d'information à l'attention du jury pour le déroulement de l'épreuve orale.
26 Troisièmement, le concours A/02/95 et la procédure de sélection des candidats seraient entachés d'un détournement de pouvoir. Le concours aurait été organisé dans l'unique but de titulariser les agents temporaires du CdR et non de recruter, parmi les lauréats, ceux qui présentaient les plus hautes qualifications.
27 Quatrièmement, en violation des conditions prévues par l'avis de concours, le jury aurait invité certains candidats exerçant leurs fonctions au secrétariat général du CdR à produire, après la date limite pour le dépôt des candidatures, des pièces complémentaires afin de régulariser leur dossier de candidature.
28 Le CdR soutient, premièrement, que le jury du concours a valablement pu transmettre à l'AIPN les préférences exprimées par les candidats pour les postes à pourvoir. D'une part, une partie des épreuves a pris en compte ces préférences. D'autre part, l'obligation impartie au jury par l'article 5, sixième alinéa, de l'annexe III du statut d'établir un rapport motivé, joint à la liste d'aptitude envoyée à l'AIPN, a pour objet de permettre à celle-ci de faire un usage judicieux de sa liberté de choix,
ce qui suppose qu'elle soit informée tant des critères généraux retenus par le jury que de l'application que celui-ci en a faite aux candidats inscrits sur la liste d'aptitude (arrêt de la Cour du 13 juillet 1989, Caturla-Poch et de la Fuente Pascual/Parlement, 361/87 et 362/87, Rec. p. 2471, point 24).
29 L'AIPN n'aurait pas utilisé ces préférences comme critère de sélection mais aurait simplement voulu tenir compte, dans la mesure du possible, des aspirations des lauréats sans pour autant se considérer liée par celles-ci. Or, cette volonté serait parfaitement compatible avec le but de pourvoir aux vacances d'emplois dans une institution en assurant la sélection des candidats possédant les meilleures aptitudes pour les emplois à pourvoir.
30 Deuxièmement, l'AIPN ne serait pas liée par la liste d'aptitude. Elle disposerait d'un large pouvoir d'appréciation en vertu duquel elle pourrait, dans l'intérêt du service, préférer un autre candidat figurant sur la liste d'aptitude (arrêts de la Cour du 28 juin 1972, Brasseur/Parlement, 88/71, Rec. p. 499, point 17, et du 18 décembre 1986, Kotsonis/Conseil, 246/84, Rec. p. 3989, point 9).
31 Troisièmement, l'AIPN aurait attaché une importance particulière à l'expérience ou à la formation professionnelle des lauréats dans le but de doter le CdR, récemment créé, d'une structure administrative efficace. Or, il ressortirait de la liste d'aptitude que les quatre lauréats qui ont été nommés, tout en étant classés après le requérant, présentaient des titres et une expérience professionnelle supérieurs aux siens.
32 Quatrièmement, le fait qu'aucun des lauréats issus de la structure commune n'ait été nommé ne suffirait pas à établir que l'AIPN a utilisé ses pouvoirs dans un autre but que celui de nommer les candidats les plus aptes à exercer les fonctions des postes à pourvoir. Au contraire, elle aurait nommé, sur la base de la liste d'aptitude, les lauréats qui présentaient la meilleure expérience professionnelle. A cet égard, elle aurait même refusé de nommer une lauréate qui était agent temporaire au
secrétariat du CdR et placée avant le requérant sur la liste d'aptitude.
33 S'agissant des demandes de pièces complémentaires, certains candidats auraient omis d'indiquer, dans leur formulaire de candidature, les références précises à leurs titres et périodes de travail. Le jury les aurait invité à produire ces pièces et aurait régularisé leur dossier dans le seul but de procéder à un examen équitable des candidatures. Cette démarche n'aurait pas eu pour effet d'avantager certains candidats. Tel ne pourrait être le cas que si les candidats susvisés avaient été admis à
participer au concours alors que, au moment du dépôt de leur candidature, ils ne satisfaisaient pas aux conditions posées par l'avis de concours.
Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité de traitement
34 Le requérant estime que, lors de la nomination des lauréats, l'AIPN a réservé un traitement manifestement discriminatoire à ceux qui exerçaient leurs fonctions auprès de la structure commune. En effet, tous les lauréats qui ont été nommés aux postes à pourvoir occupaient déjà ces postes en qualité d'agents temporaires. Aucun des candidats travaillant dans la structure commune n'aurait été nommé. A cet égard, le requérant se prévaut de certaines critiques émises dans la presse syndicale et par le
Parlement européen à propos de la politique de recrutement du CdR.
35 Le CdR soutient qu'il est normal que la majorité des lauréats nommés soient des agents temporaires à son service. Le concours A/02/95 constituait un concours interne au CdR et visait à doter cet organe d'une structure administrative efficace.
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 25 du statut
36 Le requérant estime que la décision litigieuse est entachée d'une insuffisance de motivation. L'article 25 du statut imposerait à l'AIPN de motiver toute décision faisant grief. Cette obligation aurait pour but de permettre au Tribunal d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d'un vice permettant d'en contester la légalité (arrêt du Tribunal du 16 décembre 1993,
Turner/Commission, T-80/92, Rec. p. II-1465, point 62).
37 En l'espèce, la motivation de la décision litigieuse aurait dû être d'autant plus précise que l'AIPN se serait écartée de l'ordre de classement des lauréats figurant sur la liste d'aptitude. Or, le requérant n'aurait jamais reçu de réponse aux questions posées dans ses lettres des 26 septembre 1995 et 10 novembre 1995. En outre, la décision du 18 avril 1996 se référerait simplement à l'intérêt du service. En conséquence, le requérant n'aurait pas été en mesure de vérifier si la décision
litigieuse était fondée et le Tribunal ne saurait exercer son contrôle juridictionnel sur ladite décision.
38 Le CdR soutient que l'AIPN n'est pas tenue de motiver ses décisions de nomination à l'égard des lauréats qui n'ont pas été nommés ni de leur communiquer la liste d'aptitude. Il suffirait que le rejet de la réclamation soit motivé.
Appréciation du Tribunal
39 Le Tribunal constate, en premier lieu, que le requérant s'est soucié du sort que l'AIPN réserverait aux résultats du concours interne A/02/95 dès le moment où il a été informé de son inscription sur la liste d'aptitude et où la nomination des lauréats aux postes vacants figurait à l'ordre du jour de l'une des réunions de l'AIPN.
40 En effet, par sa lettre du 26 septembre 1995, il a invité le secrétaire général du CdR à lui communiquer le classement des lauréats du concours ou, à tout le moins, à l'informer de son rang sur la liste d'aptitude. Il lui a également demandé si, lors de sa réunion du 20 septembre 1995, l'AIPN avait pris une décision concernant sa nomination et, dans l'hypothèse où il n'aurait pas été nommé, «si d'autres lauréats figurant sur la liste d'aptitude à un rang de classement inférieur au [sien] avaient
été nommés». Dans un tel cas, il exigeait que le secrétaire général lui précisât les motifs de la nomination des lauréats susvisés.
41 Pareillement, lorsque le président du CdR l'a informé, le 11 octobre 1995, que l'AIPN avait décidé de ne pas le nommer à l'un des huit postes vacants visés par l'avis de concours, le requérant a de nouveau demandé, dans sa lettre du lettre du 10 novembre 1995, au secrétaire général du CdR de lui indiquer si des lauréats classés après lui avaient été nommés et, dans l'affirmative, de préciser les motifs qui auraient conduit l'AIPN à s'écarter du classement de la liste d'aptitude. En outre, le
requérant relevait que «des rumeurs persistantes au sein du CES, du CdR et de la structure commune f[aisaient] état de ce que tous les candidats à ce concours auraient été reçus, et que seuls les lauréats du CdR auraient été nommés, même si leur rang de classement était inférieur à celui des lauréats issus du CES».
42 Enfin, alors même que sa réclamation avait été rejetée, le requérant a adressé, le 9 mai 1996, une nouvelle lettre au secrétaire général du CdR afin de souligner que la liste des lauréats et son ordre de classement ne lui avaient toujours pas été communiqués.
43 En second lieu, il est constant que les huit lauréats nommés par l'AIPN occupaient déjà les postes à pourvoir en tant qu'agents temporaires avant que le bureau du CdR ne publie l'avis de vacance concernant ces postes.
44 En troisième lieu, le Tribunal note que l'AIPN admet avoir attaché une importance particulière à l'expérience ou à la formation professionnelle des lauréats au moment de les nommer. La décision du 18 avril 1996 a précisé que le requérant n'avait pas été nommé au motif que d'autres lauréats avaient une formation professionnelle plus appropriée et/ou une expérience professionnelle plus importante que les siennes. Or, le Tribunal constate que, en vertu de l'avis de concours A/02/95, les points
attribués pour les titres et l'expérience professionnelle des candidats ne pouvaient dépasser 25 sur un résultat total de 100 points. En conséquence, ces notes ne pouvaient valablement constituer un élément prépondérant lors de la nomination des lauréats. Il en ressort, en outre, que le jury aurait déjà dû tenir compte des titres et de l'expérience professionnelle lors de l'adoption de la liste d'aptitude.
45 Le Tribunal considère que les éléments précités sont de nature à influencer l'étendue de l'obligation de motivation à laquelle le CdR était soumis en l'espèce.
46 En effet, selon une jurisprudence constante, l'obligation de motiver une décision faisant grief a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d'un vice permettant d'en contester la légalité (voir arrêt de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22). L'obligation de motivation prescrite par
l'article 25, deuxième alinéa, du statut ne constitue que la reprise de l'obligation générale édictée à l'article 190 du traité CE. En outre, cette obligation constitue un principe essentiel du droit communautaire auquel il ne saurait être dérogé qu'en raison de considérations impérieuses (voir arrêt du Tribunal du 20 mars 1991, Pérez-Minguez Casariego/Commission, T-1/90, Rec. p. II-143, point 73). Dans le cadre de la fonction publique communautaire et, en particulier, des procédures de
recrutement prévues par l'article 27 du statut, le but de l'obligation de motivation est, notamment, de donner aux candidats l'assurance que ces procédures sont menées sans favoritisme, sur la base de critères objectifs et impartiaux définis de manière équitable.
47 Or, force est de constater que la motivation présentée par le CdR pour justifier la dérogation au classement de la liste d'aptitude est particulièrement succincte et evasive. La note du 11 octobre 1995 se limite à indiquer que, «après avoir procédé à l'examen comparatif des mérites et de l'expérience professionnelle des candidats inscrits sur la liste d'aptitude du concours interne CdR/02/95», l'AIPN a décidé de ne pas retenir la candidature du requérant. Pareillement, la décision du 18 avril
1996 précise simplement:
«[...] l'AIPN peut ne pas respecter l'ordre précis du classement des lauréats d'un concours à condition qu'elle ait des raisons tenant à l'intérêt du service pour nommer au poste déclaré vacant un autre candidat que celui classé premier.
C'est justement pour ces raisons que l'AIPN ne vous a pas nommé, non pas que vous ayez démérité mais, compte tenu de la spécificité des postes vacants, parce qu'il s'agissait de personnes ayant une formation professionnelle plus appropriée au poste et/ou une expérience professionnelle plus importante que la vôtre.»
48 S'il est vrai que, lorsqu'elle procède à la nomination d'un lauréat, l'AIPN dispose de la faculté de s'écarter de l'ordre des candidats figurant sur la liste d'aptitude établie par le jury d'un concours (arrêts de la Cour, Kotsonis/Conseil, précité, point 9, et du 20 février 1992, Parlement/Hanning, C-345/90 P, Rec. p. I-949, point 28), le Tribunal estime, cependant, que l'utilisation de cette faculté ne saurait être justifiée par une motivation aussi succincte et evasive que celle contenue dans
les note du 11 octobre 1995 et décision du 18 avril 1996. En effet, il résulte de la jurisprudence que, lorsque l'AIPN s'écarte de l'ordre de classement de la liste d'aptitude établie au terme d'un concours, elle ne peut le faire que pour des raisons sérieuses, en justifiant sa décision de manière claire et complète (arrêts Kotsonis/Conseil, précité, point 9, et Parlement/Hanning, précité, point 28). Or, en l'espèce, la motivation des note et décision susvisées ne respecte pas ces exigences et ne
permet pas au Tribunal de vérifier s'il existait des raisons sérieuses justifiant la nomination des quatre lauréats classés après le requérant sur la liste d'aptitude.
49 En outre, le Tribunal estime que la motivation présentée par le CdR n'est pas de nature à dissiper le doute suscité par le faisceau d'indices venant étayer l'argumentation du requérant relative à l'existence d'un détournement de pouvoir et d'une inégalité de traitement entre les lauréats du concours interne A/02/95. En effet, pour dissiper tout doute de cette nature, le CdR aurait dû indiquer, par référence à des éléments concrets, objectifs et pertinents concernant leur formation et leur
expérience professionnelles, les raisons pour lesquelles les quatre lauréats classés après le requérant sur la liste d'aptitude et nommés aux postes vacants présentaient effectivement une formation et/ou une expérience supérieures à la sienne. A cet égard, il y a lieu de souligner que le fait que ces lauréats occupaient déjà les postes à pourvoir en tant qu'agents temporaires ne saurait, en aucun cas, constituer, en soi, une motivation suffisante.
50 Dans ces conditions, le Tribunal estime que le CdR n'a pas satisfait à l'obligation de motiver la décision litigieuse, en ce qu'elle porte, d'une part, refus de nommer le requérant à l'un des postes vacants visés par l'avis de concours interne A/02/95 et, d'autre part, nomination auxdits postes des quatre lauréats qui étaient classés après lui sur la liste d'aptitude. Le Tribunal relève, par ailleurs, que, malgré les opportunités qui lui ont été offertes, le CdR n'a pas été en mesure de combler —
ni dans sa réponse aux questions écrites ni lors de l'audience - l'insuffisance de motivation de la décision litigieuse. Il n'a fourni aucun élément concret, objectif et pertinent concernant la formation et l'expérience professionnelles des quatre lauréats susvisés qui auraient pu justifier la décision litigieuse.
51 II résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours est fondé.
52 Il s'ensuit que la décision du CdR du 20 septembre 1995, en ce qu'elle porte, d'une part, refus de nommer le requérant à l'un des postes vacants visés par l'avis de concours interne A/02/95 et, d'autre part, nomination auxdits postes des lauréats qui étaient classés après le requérant sur la liste d'aptitude, doit être annulée.
Sur les dépens
53 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le CdR ayant succombé en ses moyens et le requérant ayant conclu à la condamnation du CdR aux dépens, il y a lieu de condamner celui-ci à supporter les dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
1) La décision du Comité des régions du 20 septembre 1995, en ce qu'elle porte refus de nommer le requérant à l'un des postes vacants visés par l'avis de concours interne A/02/95, est annulée.
2) La décision du Comité des régions du 20 septembre 1995, en ce qu'elle porte nomination à certains postes vacants visés par l'avis de concours interne A/02/95 des lauréats qui sont classés après le requérant sur la liste d'aptitude, est annulée.
3) Le Comité des régions est condamné aux dépens.
Lenaerts
Lindh
Cooke
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 décembre 1997.
Le greffier
H. Jung
Le président
P. Lindh
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( *1 ) Langue de procédure: le français.