ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
27 novembre 1997 ( *1 )
«Fonctionnaires — Agent temporaire relevant des cadres scientifique ou technique — Nomination à un emploi relevant du budget de fonctionnement — Retrait d'une décision accordant un avancement d'échelon supplémentaire pour mérites exceptionnels»
Dans l'affaire T-20/96,
Stephen Pascali, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure et Ariane Tornei, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 26 juin 1995 portant retrait de sa décision du 18 octobre 1994 accordant au requérant un avancement d'échelon supplémentaire,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
composé de MM. C. W. Bellamy, président, A. Kalogeropoulos et R. M. Moura Ramos, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 6 novembre 199618 mars 1997 et 5 juin 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du recours
1 Le titre VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») contient des dispositions particulières applicables aux fonctionnaires et, conformément à l'article 10, quatrième alinéa, du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après «RAA»), aux agents temporaires qui occupent, dans le domaine nucléaire, un emploi nécessitant des compétences scientifiques ou techniques et qui sont rémunérés sur les crédits affectés au budget de recherche et
d'investissement.
2 L'article 97, paragraphe 1, du statut, compris dans le titre VIII de celui-ci, dispose:
«Par dérogation aux dispositions de l'article 44, l'autorité investie du pouvoir de nomination peut accorder au fonctionnaire visé à l'article 92 et dans la limite du huitième de l'effectif annuel pour chaque catégorie un avancement d'échelon supplémentaire pour reconnaître des mérites exceptionnels.
Cet avancement ne peut être accordé qu'une seule fois dans chaque grade.
Cette majoration ne peut conduire à attribuer au fonctionnaire un traitement de base supérieur à celui afférent au dernier échelon de son grade.»
3 Selon l'article 32, troisième alinéa, du statut:
«L'agent temporaire dont le classement a été fixé conformément aux critères de classement arrêtés par l'institution garde l'ancienneté d'échelon qu'il a acquise en qualité d'agent temporaire lorsqu'il a été nommé fonctionnaire dans le même grade à la suite immédiate de cette période.»
4 A partir du 1er février 1985, le requérant a été détaché à la Commission par British Telecom, alors son employeur.
5 Le 1er décembre 1986, il est entré au service de la Commission en tant qu'agent temporaire de grade A 5, échelon 3, relevant du budget de recherche. Il a été affecté à la direction générale Télécommunications, marché de l'information et valorisation de la recherche (DG XIII).
6 Par décision en date du 13 mars 1990, le requérant, alors classé au grade A 5, échelon 4, s'est vu octroyer un échelon supplémentaire pour mérites exceptionnels au titre de l'exercice 1989. Le 3 août 1990, le contrat d'agent temporaire du requérant a donc été modifié pour le classer, avec effet au 1er janvier 1990, au grade A 5, échelon 5. L'ancienneté d'échelon a été fixée au 1er décembre 1988.
7 Le 19 avril 1991, le requérant a été informé de la «reclassification», par l'autorité budgétaire, de son poste qui, de poste temporaire relevant de l'article 2, sous a), du RAA, a été transformé en poste permanent rémunéré sur le budget de recherche [article 2, sous d), du RAA].
8 Le 1er octobre 1991, le contrat du requérant a été modifié et celui-ci a été classé au grade A4, échelon 3, avec effet au 1er août 1991. L'ancienneté d'échelon a été fixée au 1er juillet 1990. Ainsi qu'il ressort du dossier individuel du requérant (voir fiche T accompagnant la décision du 1er octobre 1991), l'emploi en question relevait du budget de recherche.
9 Le requérant a accédé à l'échelon 4 de son grade le 1er juillet 1992, conformément à l'article 20, dernier alinéa, du RAA.
10 A la suite du concours interne COM/T/A/92, il a été inscrit sur la liste d'aptitude, ce qui lui a été notifié le 16 octobre 1992.
11 Par décision du 16 mai 1994 du directeur général de la direction générale Personnel et administration (DG IX), notifiée le 3 juin 1994, le requérant a été nommé, avec effet au 1er avril 1994, fonctionnaire stagiaire en qualité d'administrateur principal de grade A 4, échelon 4, l'ancienneté d'échelon prenant effet le 1er juillet 1992. Il a été affecté à un emploi à l'unité 2 «affaires budgétaires, Cour des comptes» au sein de la DG XIII.
12 II ressort du dossier individuel du requérant (voir «fiche visa F» accompagnant la décision du 16 mai 1994) que cet emploi relève du budget de fonctionnement.
13 Le requérant a accédé à l'échelon 5 de son grade le 1er juillet 1994, conformément à l'article 44 du statut.
14 Par décision non datée du directeur général de la DG XIII, notifiée le 19 août 1994, le requérant et son emploi ont été réaffectés, avec effet au 2 avril 1994, à son ancienne unité [DG XIII, direction C «développements technologiques relatifs aux applications télématiques (réseaux et services)», unité 6 «réseaux et services télématiques appliqués aux transports»].
15 Entre-temps s'est déroulée la procédure visant à l'octroi d'un avancement d'échelon supplémentaire au titre de l'année 1994. Le requérant a été proposé à un tel avancement par la DG XIII (voir document non daté, annexe 1 à la requête).
16 Le 14 juillet 1994, la Commission a adopté une décision concernant les «promotions/modifications de classement de fonctionnaires ou d'agents temporaires rémunérés sur les crédits de recherche, cadre scientifique/technique - cadre administratif». Dans la partie de la décision concernant la DG XIII figure, sous la rubrique «fonctionnaires», le nom du requérant (voir p. 15 du document déposé par la Commission à la demande du Tribunal).
17 Le 18 octobre 1994, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a adopté une décision dont l'article 1er est libellé comme suit:
«Monsieur Stephen Pascali (no personnel 59847 D), fonctionnaire de grade A 4, échelon 5, bénéficie d'un échelon supplémentaire et est classé en conséquence a l'échelon 6 dudit grade.»
18 Par décision du 27 janvier 1995, le requérant a été titularisé avec effet au 1er janvier 1995.
19 Par note du 25 janvier 1995, faisant référence à une «décision du comité de promotion du 14 juillet 1994», deux chefs d'unité de la direction A «personnel» de la DG IX ont urformé le chef d'unité du requérant que celui-ci, à la suite de sa nomination sur le budget de fonctionnement, «ne pouvait plus prétendre à bénéficier [d'un] échelon supplémentaire» et que «la situation [serait] régularisée» au moyen d'un rappel sur sa rémunération. Selon ses déclarations à l'audience le requérant a reçu cette
note le 25 janvier 1995.
20 Le 8 mars 1995, une note a été adressée au requérant par un fonctionnaire de la division 4 «rémunérations et liquidation des droits» de la direction B «droits et obligations» de la DG IX. Elle avait pour objet la «suppression de l'avancement d'échelon» et annonçait, «conformément à la mesure en question», une retenue de 72856 BFR sur la rémunération du requérant à partir du mois d'avril 1995.
21 Le conseil du requérant a alors demandé, à plusieurs reprises, que la décision portant suppression de l'avancement d'échelon lui soit communiquée.
22 Les retenues sur rémunération annoncées n'ont pas été effectuées, mais à partir du mois de mars 1995, le requérant n'a plus perçu la rémunération correspondant au grade A 4, échelon 6, mais celle correspondant au grade A 4, échelon 5. Par télécopie du 19 mai 1995, suivie d'un rappel du 30 mai 1995, il a demandé la rectification de cette «erreur». Par note du 30 mai 1995, il a été informé par le chef de la division 4 de la direction B de la DG IX que l'exécution des retenues annoncées par la note
du 8 mars 1995 avait été provisoirement suspendue
23 Par lettre du 30 mai 1995, un chef d'unité de la direction A de la DG IX a envoyé au conseil du requérant copie d'une décision de l'AIPN en date du 31 mai 1995 (sic), portant retrait de la décision du 18 octobre 1994 ayant accordé au requérant un avancement d'échelon supplémentaire et soumettant à répétition les montants versés au titre de cet échelon. La lettre exposait que le requérant avait été nommé à un emploi du budget de fonctionnement avec effet au 1er avril 1994 et ne pouvait donc plus
prétendre au bénéfice de l'application de l'article 97 du statut. Selon la décision, l'octroi d'un échelon supplémentaire n'avait donc pas de base juridique.
24 Cette décision du 31 mai 1995 a été annulée et remplacée par une décision de l'AIPN du 26 juin 1995, libellée comme suit:
«Article 1
La décision du 18 octobre 1994 octroyant à Monsieur Stephen Pascali le bénéfice d'un échelon supplémentaire avec effet au 1er août 1994 est retirée.
Article 2
Les montants perçus indûment au titre de l'échelon supplémentaire depuis le 1er août 1994 ne sont pas soumis à répétition.
[...]»
25 Dans les considérants de la décision, l'AIPN a reconnu que le requérant ne pouvait pas avoir connaissance de ce que les sommes perçues n'étaient pas dues, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de faire application de l'article 85 du statut, relatif à la répétition de l'indu.
26 Le requérant a introduit une réclamation contre cette dernière décision le 27 septembre 1995.
27 Dans cette réclamation, il a formulé les observations suivantes:
— la décision d'avancement d'échelon supplémentaire, décision régulière lui ayant conféré des droits subjectifs, ne pouvait être légalement retirée;
— même si cette décision devait être considérée comme irrégulière, elle n'aurait pas été retirée dans les trois mois de son adoption, de sorte que la décision de retrait aurait été tardive;
— le retrait de la décision du 18 octobre 1994 constituait une violation du principe de la confiance légitime.
28 La réclamation a fait l'objet d'un rejet implicite. Après l'introduction du recours, la Commission a pris une décision explicite de rejet, qui ne figure toutefois pas dans le dossier de l'affaire.
Procédure
29 Le présent recours a été introduit le 7 février 1996. Le requérant n'ayant pas déposé de mémoire en réplique, la procédure écrite s'est terminée le 21 mai 1996.
30 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité le requérant à assister personnellement à l'audience. Il a demandé aux parties de répondre à l'audience à certaines questions et à produire certains documents.
31 La procédure orale s'est déroulée le 6 novembre 1996. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal. Par suite de l'empêchement de l'un des membres de la chambre, le président du Tribunal a nommé un autre juge pour compléter la chambre en application des dispositions de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure.
32 Eu égard à l'article 33, paragraphe 2, du règlement de procédure, le Tribunal, deuxième chambre, dans sa nouvelle composition, a ordonné la réouverture de la procédure orale par ordonnance du 6 février 1997, conformément à l'article 62 du règlement de procédure.
33 Lors de l'audience publique qui a lieu le 18 mars 1997, les parties se sont référées à leurs plaidoiries du 6 novembre 1996 et ont accepté que les déclarations du requérant faites à cette dernière date soient prises en considération par le Tribunal sans qu'il soit nécessaire de les réentendre.
34 Considérant qu'il y avait lieu de compléter l'instruction de l'affaire, le Tribunal (deuxième chambre), par ordonnance du 25 avril 1997, a ordonné la réouverture de la procédure orale. Les parties ont été en outre invitées à prendre position sur l'arrêt de la Cour du 17 avril 1997, de Compte/Parlement (C-90/95 P, Rec. p. I-1999), et notamment sur la question de savoir si le requérant pouvait avoir eu une confiance légitime en la légalité de la décision du 18 octobre 1994.
35 Lors de la réouverture de la procédure orale le 5 juin 1997, les parties ont été entendues en leurs observations sur ces points et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal.
Conclusions des parties
36 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— annuler la décision de la Commission du 26 juin 1995;
— condamner la Commission aux dépens.
37 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours comme non fondé;
— statuer sur les dépens comme de droit.
Sur le fond
38 A l'appui de son recours, le requérant soulève trois moyens, tirés respectivement d'une violation de l'obligation de motivation, d'une violation du principe de sécurité juridique, et d'une violation du principe de la confiance légitime.
Sur le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation
Arguments des parties
39 Le requérant soutient qu'il existe une contradiction entre les motifs de la première décision de retrait du 31 mai 1995 et ceux de la décision attaquée. Il ajoute que ces deux décisions n'ont été soumises à l'AIPN que pour justifier a posteriori la décision de celle-ci du 8 mars 1995 visant à faire procéder à une retenue sur sa rémunération, et qu'elles ne fournissent pas les indications nécessaires pour en apprécier le bien-fondé.
40 La référence, dans les considérants de la décision attaquée, à l'article 97 du statut serait incompréhensible, 1'AIPN n'ayant pas retiré la décision du 14 juillet 1994 qui, selon le requérant, lui aurait accordé, en tant qu'agent temporaire, un avancement d'échelon supplémentaire. Le requérant aurait donc dû conserver le bénéfice de cet échelon supplémentaire lors de sa nomination en tant que fonctionnaire stagiaire, conformément à l'article 32, troisième alinéa, du statut.
41 Enfin, le rejet implicite de la réclamation l'aurait empêché de connaître la «motivation réelle» de la décision attaquée.
42 La Commission soutient que les considérants et dispositions de la décision attaquée ne sont pas équivoques et expliquent les motifs du retrait de la décision du 18 octobre 1994. Selon elle, la référence à l'article 97 du statut était justifiée, dès lors que cette disposition constitue la base juridique d'un avancement d'échelon supplémentaire pour mérites exceptionnels. Elle ajoute que le requérant avait eu des contacts réitérés avec les services administratifs avant l'adoption de la décision
litigieuse, de sorte qu'il connaissait le contexte dans lequel celle-ci avait été adoptée. Le rejet implicite de la réclamation serait donc sans incidence en l'espèce, puisque la décision elle-même aurait été motivée.
Appréciation du Tribunal
43 Bien que le premier moyen n'ait pas été soulevé dans la réclamation du requérant, le Tribunal, selon une jurisprudence constante, peut examiner d'office si l'obligation de motivation a été respectée (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Grynberg et Hall/Commission, T-534/93, RecFP p. 1I-595, point 59).
44 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence également constante, l'obligation de motiver une décision a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d'un vice permettant d'en contester la légalité (arrêt de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22). Il est satisfait à
cette obligation lorsque l'acte litigieux est intervenu dans un contexte connu du fonctionnaire concerné en lui permettant de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du Tribunal du 16 décembre 1993, Turner/Commission, T-80/92, Rec. p. 1I-1465, point 62).
45 En l'espèce, il convient de constater que les prises de position successives des services de la Commission et de l'AIPN ne sont pas sans contradictions.
46 Toutefois, la lettre du 30 mai 1995 et la décision attaquée elle-même énoncent avec une clarté suffisante les raisons qui sont à la base de cette décision, à savoir:
— le fait que le requérant, après sa nomination en tant que fonctionnaire à un emploi du budget de fonctionnement, n'appartenait plus aux cadres scientifique ou technique rémunérés sur ies crédits du budget de recherche, de sorte qu'il n'y avait plus de base juridique pour la décision retirée;
— l'appréciation selon laquelle le requérant ne pouvait pas savoir que les sommes versées sur la base de la décision retirée ne lui étaient pas dues, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de procéder à leur répétition.
47 Dans la mesure où, après avoir reçu les notes des 25 janvier et 8 mars 1995, le requérant connaissait déjà le contexte litigieux, ces éléments de motivation'lui permettaient de vérifier le bien-fondé de la décision. Ils permettent également au Tribunal de contrôler la légalité de celle-ci.
48 II s'ensuit que le premier moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation n'est pas fondé et doit, par conséquent, être rejeté.
Sur les deuxième et troisième moyens, tirés, respectivement, d'une violation du principe de sécurité juridique et d'une violation du principe de la confiance légitime
Arguments des parties
49 Le deuxième moyen comporte trois branches.
50 Par la première, le requérant fait valoir qu'un acte légal qui a conféré des droits subjectifs ne peut pas être retiré. Il estime que la décision retirée du 18 octobre 1994 était régulière, dans la mesure où elle avait été adoptée en application de l'article 32, troisième alinéa, du statut et avait pour objet de lui octroyer, en tant que fonctionnaire, le même échelon que celui qui lui avait été attribué antérieurement en tant qu'agent temporaire. Or, l'échelon supplémentaire lui aurait été
accordé, en tant qu'agent temporaire, par une décision de 1'AIPN du 14 juillet 1994, laquelle n'aurait pas été retirée.
51 Par la deuxième branche du moyen, le requérant soutient que, même si la décision du 18 octobre avait été irrégulière, elle ne pouvait plus être retirée huit mois après son adoption. A l'appui de sa thèse, il invoque les droits français et belge, selon lesquels un acte irrégulier ayant conféré des droits subjectifs ne peut être retiré que pendant le délai de recours. En outre, il fait valoir que le retrait de la décision du 18 octobre 1994 n'est pas intervenu dans un délai raisonnable, ce qui
serait contraire au principe de sécurité juridique.
52 Par la troisième branche du moyen, le requérant invoque le principe de proportionnalité. Il se réfère à une jurisprudence de la Cour et du Tribunal, concernant notamment les procédures de concours, selon laquelle les intérêts et la confiance légitime des tiers peuvent s'opposer à l'annulation globale d'un acte entaché d'irrégularités, lorsqu'il existe d'autres possibilités pour protéger les droits des victimes de l'illégalité. Il en résulterait que le retrait d'un acte illégal ne saurait
intervenir que pour autant que cela serait strictement nécessaire et dans le respect des intérêts des bénéficiaires de la mesure illégale.
53 Enfin, il fait valoir que le retard avec lequel sa nomination en tant que fonctionnaire lui a été notifiée est à l'origine des décisions litigieuses, de sorte que la Commission ne saurait invoquer sa propre conduite regrettable pour s'exonérer de ses responsabilités.
54 Le troisième moyen est tiré d'une violation du principe de la confiance légitime. Le requérant soutient que l'AIPN ne pouvait ignorer, lorsqu'elle lui a accordé, le 14 juillet 1994, un avancement d'échelon supplémentaire, qu'il avait déjà été nommé fonctionnaire stagiaire. Cette décision aurait donc fait naître dans son chef des espérances fondées, de sorte qu'il pourrait se prévaloir de la protection de sa confiance légitime.
55 Dans sa réponse à la question écrite posée par le Tribunal sur le point de savoir s'il avait pu placer une confiance légitime dans la décision du 18 octobre 1994, le requérant fait valoir que, lorsqu'il a eu connaissance de cette décision le 18 novembre 1994, il a pu se fier à son apparence de légalité et prétendre à son maintien. D'après lui, la Commission a admis dans la décision attaquée du 26 juin 1995 qu'il pouvait avoir une confiance légitime dans la légalité de l'acte retiré, dans la
mesure où elle a admis qu'il ne pouvait pas savoir que les sommes perçues ne lui étaient pas dues.
56 Selon les déclarations du requérant à l'audience du 5 juin 1997, la décision du 18 octobre 1994 n'était qu'une décision confirmative de la décision susvisée du 14 juillet 1994.
57 La Commission, s'agissant du deuxième moyen, tiré d'une violation du principe de sécurité juridique, soutient que l'acte retiré était dépourvu de base juridique, étant donné que le requérant, à la suite de sa nomination comme fonctionnaire stagiaire relevant du budget de fonctionnement, n'appartenait plus aux cadres scientifique ou technique. Selon elle, la décision attaquée n'était donc entachée d'aucune erreur de droit, de sorte que les règles concernant le retrait des actes administratifs
illégaux seraient applicables en l'espèce.
58 S'agissant du délai dans lequel le retrait d'une décision illégale pourrait légalement intervenir, la Commission fait valoir que la règle du droit belge invoquée par le requérant est inapplicable en droit communautaire, selon lequel le retrait d'un acte illégal doit être effectué dans un «délai raisonnable». Le caractère raisonnable du délai devrait être apprécié en fonction des circonstances du cas d'espèce, ce qui impliquerait une mise en balance, d'une part, de l'intérêt public et du respect
de la légalité et, d'autre part, du principe de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. A cet égard, il faudrait prendre en considération une série de circonstances. En premier lieu, la Commission se réfère au fait que le requérant, représentant du personnel au sein du comité de promotion, pouvait connaître, dès le 1er avril 1994, le changement de sa situation administrative. Elle se réfère en outre aux contacts que le requérant a eus avec l'administration après que l'erreur
le concernant eut été détectée. Enfin, elle soutient que la situation financière du requérant n'a nullement été affectée par la décision attaquée, étant donné qu'elle n'a pas procédé à la répétition des sommes versées au titre de l'avancement d'échelon supplémentaire indûment accordé. La Commission est d'avis que, pour ces raisons, il n'y a pas violation du principe de sécurité juridique.
59 Quant à la violation du principe de la confiance légitime, la Commission fait valoir qu'elle ne peut pas être invoquée en l'absence d'assurances précises fournies par l'administration et que de telles assurances font défaut en l'espèce. En tout état de cause, des assurances contraires aux dispositions statutaires ne pourraient engendrer dans le chef des intéressés une confiance légitime. Or, dans la mesure où le requérant ne pouvait plus bénéficier d'un avancement d'échelon supplémentaire après
son engagement comme fonctionnaire stagiaire relevant du budget de fonctionnement, la décision qui lui avait octroyé un tel échelon était contraire aux dispositions statutaires et ne pouvait donc créer dans son chef une confiance légitime.
60 A l'audience du 5 juin 1997, la Commission a fait valoir que la confiance légitime du requérant ne devrait être appréciée ni par rapport à la décision du 18 octobre 1994 ni par rapport à la décision de retrait du 26 juin 1995, mais par rapport à celle du 16 mai 1994 qui l'a nommé fonctionnaire stagiaire. Or, à la date de notification de cette dernière décision, le 3 juin 1994, l'intéressé n'aurait pu ignorer que, en tant que fonctionnaire, il ne relevait plus du budget de recherche, mais du
budget de fonctionnement. Dès lors, il n'aurait pu se fier à l'apparence de légalité de la décision du 18 octobre 1994 et prétendre à son maintien. Par conséquent, en l'absence d'une confiance légitime du requérant, il n'aurait existé aucun obstacle à un retrait de cette décision dans un délai raisonnable.
Appréciation du Tribunal
61 II ressort, en premier lieu, des arguments du requérant que, selon lui, la décision retirée du 18 octobre 1994, en tant que décision régulière lui ayant conféré des droits subjectifs, ne pouvait pas être retirée. Il en ressort, en second lieu, que, même si la décision retirée était irrégulière, la Commission n'a pas respecté les conditions dans lesquelles, selon la jurisprudence en la matière, le retrait d'un acte doit s'effectuer, à savoir dans le respect des principes de sécurité juridique, de
protection de la confiance légitime et du principe de proportionnalité.
62 II convient donc d'examiner, tout d'abord, la légalité de la décision du 18 octobre 1994.
63 Cette décision a été arrêtée sur la base de l'article 97, paragraphes 1 et 3, du statut, qui ne concerne que les fonctionnaires et agents temporaires rémunérés sur les crédits affectés au budget de recherche et d'investissement.
64 II est constant que, jusqu'au 31 mars 1994, le requérant remplissait cette dernière condition. Ensuite, en vertu de la décision du 16 mai 1994, prenant effet le 1er avril 1994, il a été nommé fonctionnaire stagiaire en qualité d'administrateur principal de grade A 4, échelon 4, et a été affecté à un emploi à l'unité 2, au sein de la DG XIII. La «fiche visa» afférente à cette décision, contenue dans le dossier individuel du requérant, fait apparaître le changement de budget de rattachement
intervenu à cette occasion, le requérant étant rémunéré sur les crédits du budget de fonctionnement à partir du 1er avril 1994.
65 L'article 97 du statut a donc cessé d'être applicable au requérant à compter de cette date.
66 La situation ancienne du requérant n'a pas été rétablie par la décision non datée du directeur général de la DG XIII, notifiée le 19 août 1994, selon laquelle, dans l'intérêt du service, l'affectation du requérant et de son emploi a été «modifiée» avec effet au 2 avril 1994, l'intéressé étant affecté à son ancienne unité de la DG XIII (voir ci-dessus point 14). En effet, il résulte clairement des termes de cette décision qu'il s'agissait d'une décision de réaffectation du fonctionnaire, mesure
qui, par définition, suppose un déplacement du fonctionnaire avec son emploi et exclut donc un changement de celui-ci.
67 Si cette décision a certes modifié l'affectation du requérant, c'est-à-dire ses fonctions au sein de la DG XIII, dont la détermination relève de la compétence interne de l'institution en matière d'organisation des services (voir arrêt du Tribunal du 6 juillet 1993, Rasmussen/Commission, T-32/92, Rec. p. 1I-765, point 39, et arrêt de la Cour du 9 août 1994, Rasmussen/Commission, C-398/93 P, Rec. p. I-4043, point 14), elle n'a pas eu d'incidence sur son emploi même, tel que prévu par le budget.
68 Cette conclusion n'est pas contredite par la décision du 14 juillet 1994, concernant les «promotions/modifications de classement de fonctionnaires ou d'agents temporaires rémunérés sur les crédits de recherche, cadre scientifique/technique -cadre administratif (voir ci-dessus point 16). Cette décision avait pour objet des promotions et des modifications de classement des fonctionnaires et des agents temporaires rémunérés sur les crédits de recherche et n'emportait aucun transfert des
fonctionnaires d'un budget à un autre. Par conséquent, elle n'a pas non plus rétabli la situation ancienne du requérant, l'indication du nom de celui-ci dans l'annexe de ladite décision n'étant due qu'à une erreur administrative des services de la Commission.
69 Pour rectifier cette erreur, il n'était pas nécessaire de modifier formellement la décision générale. Étant donné que cette décision était suivie par la décision individuelle du 18 octobre 1994, il suffisait de retirer celle-ci.
70 II résulte de ce qui précède que la décision du 18 octobre 1994, accordant au requérant un avancement d'échelon supplémentaire (grade A 4, échelon 6) était dépourvue de base juridique et, partant, illégale.
71 Par conséquent, il y a lieu d'examiner si la Commission a respecté en l'espèce les conditions de retrait d'un acte administratif illégal.
72 A cet égard, selon une jurisprudence constante, s'il faut reconnaître à toute institution communautaire constatant que l'acte qu'elle vient d'adopter est entaché d'une illégalité le droit de le retirer dans un délai raisonnable avec effet rétroactif, ce droit peut se trouver limité par la nécessité de respecter la confiance légitime du bénéficiaire de l'acte qui a pu se fier à la légalité de celui-ci (arrêts de la Cour du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission, 14/81, Rec. p. 749, points 10 à 12, du
26 février 1987, Consorzio Cooperative d'Abruzzo/Commission, 15/85, Rec. p. 1005, points 12 à 17, du 20 juin 1991, Cargill/Commission, C-248/89, Rec. p. I-2987, point 20, et Cargill, C-365/89, Rec. p. I-3045, point 18).
73 Dans son arrêt de Compte/Parlement, précité, la Cour a jugé (point 39) que, une fois acquise, la confiance légitime en la légalité d'un acte administratif ne saurait par la suite être entamée, à moins qu'un intérêt d'ordre public ne prime l'intérêt du bénéficiaire au maintien d'une situation qu'il pouvait tenir pour stable. Elle a, par ailleurs, précisé (points 36 et 38) que la confiance légitime en l'acte retiré est acquise lorsque son destinataire pouvait se fier à l'apparence de sa légalité,
le moment déterminant quant à l'appréciation de l'acquisition d'une telle confiance légitime étant la date de la notification de l'acte.
74 Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la décision retirée avait constaté l'existence d'une maladie professionnelle dans le chef de l'intéressé, au sens de l'article 73 du statut. Par conséquent, l'intéressé pouvait prétendre se fier à l'apparence de légalité de la décision retirée et, ainsi, avoir acquis une confiance légitime dans le maintien de celle-ci, sans que l'on pût lui reprocher de ne pas avoir examiné si l'administration avait fait une exacte application de l'article 73 du
statut, effectivement applicable dans son cas.
75 En revanche, dans la présente affaire, la décision retirée était fondée sur une disposition, l'article 97 du statut, qui n'était plus applicable au requérant. Elle était donc dépourvue de base légale (voir ci-dessus points 60, 61, 62 et 67).
76 Dans ces conditions, le requérant ne peut pas être considéré comme ayant acquis une confiance légitime dans l'octroi d'un échelon supplémentaire par la décision du 18 octobre 1994.
77 En conséquence, l'administration était en droit de retirer cet acte, à condition d'agir dans un délai raisonnable (voir ci-dessus point 69).
78 A cet égard, il résulte de la jurisprudence qu'un délai d'un peu plus de deux mois doit être considéré comme raisonnable (arrêt Alpha Steel/Commission, précité, point 12), alors qu'un délai de plus de deux ans doit être considéré comme excessif (arrêt Consorzio Cooperative d'Abruzzo/Commission, précité, points 15 et 16).
79 En l'espèce, deux mois et une semaine se sont écoulés entre le 18 novembre 1994, date de la notification de la décision du 18 octobre 1994, et le 25 janvier 1995, date à laquelle le requérant a été informé que l'administration considérait ladite décision comme illégale (voir ci-dessus point 19). La période postérieure au 25 janvier 1995, qui a expiré le 26 juin 1995 par l'adoption de la décision attaquée, ne saurait être prise en compte pour l'appréciation du caractère raisonnable du délai total
écoulé entre la notification de l'acte retiré et l'adoption de l'acte de retrait. En effet, cette période a été consacrée à l'examen, d'une part, du bien-fondé de l'opposition manifestée par le fonctionnaire et son conseil quant au principe d'une décision de retrait et, d'autre part, de la question de savoir si un retrait devait entraîner, à la charge du fonctionnaire, une obligation de répétition des sommes déjà perçues, en application de l'article 85 du statut.
80 Dans ces circonstances, le délai dans lequel l'institution défenderesse a agi pour retirer la décision du 18 octobre 1994 doit être considéré comme raisonnable.
81 II convient d'ajouter que, dans la mesure où la décision attaquée n'a pas exigé du requérant la restitution des montants indûment perçus, mais a uniquement retiré le bénéfice d'un échelon supplémentaire pour l'avenir, le requérant ne saurait davantage faire valoir que, ce faisant, l'AIPN a commis une violation du principe de sécurité juridique et du principe de proportionnalité.
82 II s'ensuit que les deuxième et troisième moyens du requérant ne sont pas fondés et doivent, par conséquent, être rejetés.
83 II résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
84 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, conformément à l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci, sans préjudice des dispositions de l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, en vertu duquel le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à
l'autre partie les frais qu'elle lui a fait exposer et qui sont jugés frustratoires ou vexatoires.
85 II y a lieu de faire application de cette dernière disposition en l'espèce en condamnant la Commission à supporter, outre ses propres dépens, tous les dépens du requérant. La Commission a en effet été à l'origine du présent litige en accordant par erreur au requérant, sans base juridique appropriée, un avancement d'échelon supplémentaire, puis en adoptant des positions successives non exemptes de contradictions.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux du requérant.
Bellamy
Kalogeropoulos
Moura Ramos
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 novembre 1997.
Le greffier
H. Jung
Le président
A. Kalogeropoulos
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( *1 ) Langue de procédure: le français.