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16/10/1997 | CJUE | N°C-184/96

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 16 octobre 1997., Commission des Communautés européennes contre République française., 16/10/1997, C-184/96


Avis juridique important

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61996C0184

Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 16 octobre 1997. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'Etat - Article 30 du traité CE. - Affaire C-184/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-06197

Conclusio

ns de l'avocat général

I - Objet de la présente procédure et contenu de la mesu...

Avis juridique important

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61996C0184

Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 16 octobre 1997. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'Etat - Article 30 du traité CE. - Affaire C-184/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-06197

Conclusions de l'avocat général

I - Objet de la présente procédure et contenu de la mesure que la Commission juge contraire à l'article 30 du traité

1 La Commission des Communautés européennes a demandé à la Cour de bien vouloir constater dans la présente procédure en vertu et aux fins de l'article 171 du traité CE (ci-après le «traité») que la République française a manqué aux obligations découlant de l'article 30 du traité pour ne pas avoir tenu compte, lors de l'adoption du décret ministériel n_ 93-999 du 9 août 1993 relatif aux préparations à base de foie gras, de l'avis circonstancié et de l'avis motivé relatifs à la reconnaissance mutuelle
émis par la Commission respectivement les 1er février 1992 et 14 octobre 1994.

2 Il est constant entre les parties à la présente procédure que, depuis le seizième siècle, l'image du foie gras a été indissociablement liée à la tradition gastronomique française. Aujourd'hui encore, la France occupe du reste une position extrêmement importante sur le marché de ce produit, assurant en moyenne près de 80 % de la production mondiale de foie gras et 95 % de sa mise en oeuvre. En outre, près de 90 % de production française de foie gras cru et de préparations à base de foie gras sont
consommés sur le marché national (1).

Ce n'est pas tout. La production, la transformation et la commercialisation du foie gras semblent encore être organisées aujourd'hui, même dans les autres pays producteurs, conformément aux usages et règles professionnels qui se sont progressivement affirmés en France et ont ensuite été codifiés par le législateur de cet État. En fait - et cela n'a rien d'étonnant -, les dénominations de vente du foie gras et des préparations à base de foie gras font l'objet d'une réglementation détaillée en France
depuis 1912. Les dénominations en langue française sont d'ailleurs largement utilisées - souvent à côté de la traduction littérale dans la langue nationale - dans d'autres États membres et aux États-Unis d'Amérique.

3 Le décret ministériel n_ 93-999, du 9 août 1993, précité (ci-après le «décret»), qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994, fixe en détail la composition et énonce quelques critères relatifs à la production des préparations suivantes à base de foie gras (voir article 2): foie gras entier, foie gras, bloc de foie gras (ces trois préparations sont à base de foie gras d'oie ou de canard), parfait de foie, médaillon ou pâté de foie, galantine de foie et mousse de foie (ces quatre dernières
préparations sont elles à base de foie gras d'oie, de foie gras de canard ou de foie gras d'oie et de canard).

Le décret précise en particulier pour chacun des produits en question le contenu minimal de foie gras (voir article 2) (2), ainsi que les ingrédients qui sont autorisés, nécessaires ou ajoutés (voir les articles 3 à 10). L'article 12 fixe le contenu maximal de saccharose (0,2 %) et d'assaisonnement (4 %) pour toutes les préparations qui font l'objet du décret; en outre, pour chacune d'entre elles, le décret détermine le pourcentage maximal de graisse de pochage et d'homogénat (3) et/ou d'eau, le
taux maximal d'humidité, ainsi que les modalités spécifiques de présentation ou d'emballage (voir les articles 3 à 8) (4). Enfin, le législateur français a prévu aux articles 9 et 10 du décret les conditions auxquelles sont soumises les éventuelles dénominations de vente qui font référence à la présence de truffes, ainsi que l'obligation d'indiquer «en gelée» pour compléter la dénomination de vente si la préparation est enrobée de gelée.

4 En vertu de l'article 1er du décret, sont interdites la détention (en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit), la commercialisation et la distribution à titre gratuit de préparations à base de foie gras non conformes aux critères de composition, de production et de présentation énoncés dans le décret, qui déterminent chacune des dénominations de vente citées ci-dessus.

5 Le décret autorise toutefois la commercialisation de produits de charcuterie dont la dénomination de vente (différente de celles définies à l'article 2) fait référence au foie gras, pour autant que le pourcentage de foie gras mis en oeuvre dans les produits en question soit d'au moins 20 %. Dans ce cas, la dénomination de vente doit être complétée par l'indication «au foie d'oie» ou «au foie de canard» (voir article 13).

II - Arguments des parties

6 De l'avis de la Commission, le décret serait contraire aux dispositions du traité en matière de libre circulation des marchandises, dans la mesure où il ne prévoit pas de reconnaissance mutuelle des préparations à base de foie gras légalement produites et commercialisées dans d'autres États membres - c'est-à-dire conformément à la législation nationale ou à des procédés loyaux de production - sous des dénominations semblables à celles réglementées par le décret.

7 La Commission considère que, même si la mesure attaquée est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés d'autres États membres, le fait de réserver des dénominations de vente génériques aux seules préparations à base de foie gras qui satisfont aux exigences de qualité et de composition fixées par le législateur français constituerait - en l'absence d'une clause de reconnaissance mutuelle - une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation.

En particulier, le décret entraînerait un désavantage concurrentiel significatif au détriment des producteurs, notamment étrangers, qui entendraient utiliser les dénominations prescrites par le législateur français pour commercialiser des produits substituables aux produits traditionnels, mais qui seraient innovants. Contraints de recourir à des dénominations de vente distinctes de celles qui se sont déjà affirmées sur le marché, ces producteurs verraient leur liberté concurrentielle limitée
significativement.

8 D'après la Commission, l'imposition de restrictions à la commercialisation en France de produits alimentaires légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres États membres ne pourrait être légitime que si elle entendait satisfaire à des exigences impératives d'intérêt public et dans la mesure où elle serait effectivement proportionnée à la poursuite de cet objectif.

9 Or, la Commission reconnaît que le décret est conforme aux exigences impératives de la protection des consommateurs français et de la loyauté des opérations commerciales sur le marché national.

Elle fait cependant observer que l'interdiction de commercialiser en France, sous l'une des dénominations de vente réglementées, des préparations à base de foie gras qui ne seraient pas conformes aux exigences de composition, de production et de présentation fixées par le décret serait tellement rigoureuse qu'elle s'appliquerait aussi - en l'absence d'une clause de reconnaissance mutuelle - à des produits étrangers qui ne s'écarteraient de la recette française que dans une mesure marginale.

La mesure en cause créerait donc dans les échanges commerciaux entre les États membres des obstacles disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis.

10 La Commission convient que la répression des fraudes commerciales constitue une finalité légitime mais elle conteste la solution adoptée par le décret pour assurer aux consommateurs la possibilité de choisir en toute connaissance de cause les produits auxquels ils attribuent des qualités particulières parce qu'ils sont fabriqués à base de matières premières déterminées ou qu'ils ont une teneur donnée d'un ingrédient caractéristique. La Commission soutient que des moyens moins restrictifs
pourraient être utilisés à cette fin. Ces moyens incluraient avant tout, d'après la jurisprudence de la Cour (5), un étiquetage approprié concernant la nature du produit vendu ou le pourcentage de matières premières utilisées: un étiquetage qui soit équivalent quant aux informations qu'il contient et à son aptitude à être compris par les consommateurs de l'État importateur, à la dénomination de vente qui fait l'objet de la réglementation.

Par ailleurs, les autorités nationales de contrôle compétentes feraient en sorte que les préparations de foie gras mises dans le commerce en France sous une des dénominations de vente prévues par le décret contiennent effectivement, pour ne donner qu'un seul exemple, les pourcentages de foie gras indiqués sur l'étiquetage. Étant donné que les responsables de la vente d'un produit substantiellement différent de celui correspondant à la dénomination en cause utilisée pourraient être poursuivis en
vertu de la loi, la reconnaissance réciproque de préparations légalement produites dans la Communauté ne susciterait donc pas de risque particulier de concurrence déloyale et de fraude au détriment des consommateurs.

11 La Commission juge par ailleurs dépourvue de fondement la thèse selon laquelle la reconnaissance réciproque des préparations légalement produites et commercialisées dans la Communauté risque de pousser à l'avenir un ou plusieurs producteurs français - auxquels continueraient de s'appliquer, de façon exclusive, les exigences technico-commerciales plus sévères fixées par le décret - à s'établir dans un autre État membre (ou à y exporter tout ou partie de leur production pour la réimporter ensuite
en France) dans l'unique but de bénéficier d'une réglementation plus permissive. Ce risque a été invoqué par le gouvernement français pour prouver le caractère proportionné du décret.

La Commission fait observer à ce propos que, pour prévenir de tels risques de détournement de trafic commercial, il aurait suffi que les autorités françaises adoptent un texte contenant une clause de reconnaissance mutuelle, identique ou analogue à celui proposé en son temps par les services de la Commission (6) et contenant une référence aux critères de la production «constante» et d'après des procédés «traditionnels».

12 Enfin, la Commission rappelle la prétendue incompatibilité du décret avec l'article 30 du traité, tout en reconnaissant qu'une clause de reconnaissance mutuelle serait privée d'effet immédiat, eu égard à l'absence de réglementations équivalentes dans les autres États membres et au respect vraisemblable de la mesure française par les autres producteurs de la Communauté.

En demandant l'insertion d'une telle clause dans une réglementation appelée à durer, la Commission a concentré son attention sur les effets potentiels, futurs d'une telle réglementation. La clause garantirait que des préparations à base de foie gras non conformes aux conditions de composition, de production et de présentation fixées par la loi française et légalement produites et mises en vente sur le territoire d'un autre État membre sous l'une des dénominations de vente réglementées par le décret
pourraient légalement être commercialisées sous les mêmes dénominations, notamment sur le territoire français.

La Commission invoque par ailleurs la jurisprudence constante de la Cour d'après laquelle les législations nationales protégeant les consommateurs ne doivent en aucun cas servir à cristalliser des habitudes de consommation données et à stabiliser un avantage acquis par les industries nationales qui s'attachent à les satisfaire (7).

13 Le gouvernement français reconnaît de son côté - en utilisant il est vrai une formule quelque peu ambiguë - que le décret «puisse, sur certains points, constituer une mesure d'effet équivalent».

Toutefois, l'objectif de la mesure attaquée serait non pas d'imposer l'utilisation de dénominations fixées arbitrairement, mais bien d'éviter que certaines dénominations usuelles - qui sont aujourd'hui devenues dans la pratique une sorte de «marque de reconnaissance» ou de «garantie de qualité» - soient utilisées pour commercialiser des produits qui ne répondent pas aux critères objectifs de composition, de production et de présentation, auxquels correspondent traditionnellement ces dénominations
aux yeux des acheteurs.

Le décret serait donc justifié par les exigences impératives de la protection des consommateurs et de la loyauté des opérations commerciales, qui mériteraient particulièrement d'être protégées dans le cas de produits dont le prix est assez élevé. En outre, le gouvernement français estime que le décret serait proportionné à ces exigences.

14 S'agissant en particulier des dénominations «foie gras entier», «foie gras» et «bloc de foie gras» - que le décret, comme nous l'avons fait observer, réserve aux préparations contenant exclusivement du foie gras, entier ou en morceaux -, le gouvernement français affirme que la mesure en cause est pleinement compatible avec la directive 79/112/CEE concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final (ci-après la «directive») (8); en l'absence
d'harmonisation des dénominations de vente litigieuses, cette directive constituerait l'unique réglementation communautaire applicable à ces dénominations.

En fait, l'article 2, paragraphe 1, de la directive précise que «L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas:

a) être de nature à induire l'acheteur en erreur, notamment:

i) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et notamment sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention».

15 Le gouvernement français fait par ailleurs observer en termes plus généraux que les dénominations litigieuses auraient été définies en application de l'article 5, paragraphe 1, de la directive, d'après lequel «La dénomination de vente d'une denrée alimentaire est la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui lui sont applicables et, à défaut, le nom consacré par les usages de l'État membre dans lequel s'effectue la vente au consommateur final ou
une description de la denrée alimentaire et, si nécessaire, de son utilisation suffisamment précise pour permettre à l'acheteur d'en connaître la nature réelle et de la distinguer des produits avec lesquels elle pourrait être confondue».

16 Le fait que les dispositions du décret soient en outre proportionnées par rapport aux exigences impératives de la protection du consommateur et de la loyauté du commerce découlerait, de l'avis du gouvernement français, de votre jurisprudence Deserbais (9). Les dénominations litigieuses auraient en effet été fixées sur la base d'éléments objectifs dont découlent les caractéristiques essentielles des préparations à base de foie gras, à savoir la composition des produits (pour l'essentiel, leur
pourcentage de matière première) et les procédés traditionnels de production et de présentation mis en oeuvre. Il serait d'un autre côté évident qu'un produit ayant une teneur en foie gras sensiblement inférieure au minimum fixé par le législateur français ne saurait aspirer à aucune des dénominations de vente réservées sous peine d'induire les consommateurs en erreur et de porter atteinte à la loyauté des échanges commerciaux, étant donné «qu'il ne pourrait pas être considéré comme relevant des
mêmes catégories» que chacune des préparations, qui font l'objet du décret.

17 Lorsqu'il souligne que les préparations à base de foie gras sont des produits traditionnels qui ne peuvent pas être assimilés à ceux de l'alimentation courante, le gouvernement français rappelle que les dénominations de vente litigieuses, héritées d'usages très anciens communs à la majorité de la population française, constitueraient le meilleur instrument en vue d'assurer une information correcte du consommateur.

18 En revanche, l'utilisation d'un étiquetage ne mentionnant que la proportion de foie gras contenue dans chaque préparation serait insuffisante à cette fin.

Avant tout, poursuit le gouvernement français, cette solution alternative, suggérée par la Commission, ne pourrait cependant pas servir à informer adéquatement les acheteurs sur d'autres éléments dont découlent le goût spécifique et les caractéristiques essentielles des produits en cause, à savoir les procédés traditionnels de production et de présentation.

19 En deuxième lieu, s'agissant en particulier de l'éventuelle importation de préparations à base de foie gras contenant des ingrédients qui ne seraient pas conformes aux prescriptions de la recette française, l'imposition par les autorités nationales d'une dénomination de vente portant la mention supplémentaire de l'utilisation de ces ingrédients - comme le suggère la Commission - serait contraire à la jurisprudence de la Cour; elle le serait, plus précisément, chaque fois que les ingrédients qui
ne sont pas visés par le décret figureraient déjà dans la liste normale des ingrédients apposée sur le produit (10).

La Commission a donc proposé que les producteurs d'autres États membres apposent, sur une base purement volontaire, un étiquetage mentionnant la teneur limitée en foie gras et la faible quantité de cet ingrédient exprimée en pourcentage, comme le prévoit l'article 7, paragraphe 1, de la directive. Le gouvernement français soutient toutefois à ce propos que «s'en remettre au bon vouloir» des concurrents étrangers ne constituerait pas un instrument particulièrement satisfaisant de protection des
consommateurs français.

20 En troisième lieu, le gouvernement français reconnaît - s'agissant du double critère fixé par la Cour dans l'arrêt Fietje (11) - que, si l'étiquetage d'un produit d'un autre État membre non conforme au décret en indiquait avec précision non seulement la composition, mais aussi la méthode de production, cet étiquetage contiendrait effectivement «au moins les mêmes informations» que celles fournies par la dénomination applicable, réglementée par le décret.

Quoi qu'il en soit, la deuxième condition fixée par votre jurisprudence ne serait cependant pas remplie, qui veut que l'information contenue sur une telle étiquette soit aussi compréhensible pour les consommateurs français que la dénomination de vente fixée par la législation nationale. D'après le gouvernement français, le consommateur normalement averti ne connaîtrait pas avec précision la teneur minimale de foie gras contenue traditionnellement dans chaque type de préparation et encore moins la
combinaison des facteurs, liés notamment à la méthode de production, dont découlent les propriétés gustatives propres à chaque préparation. Ainsi, même une description longue et complexe de la composition et de la méthode de production sur l'étiquette du produit ne saurait remplacer les dénominations traditionnelles auxquelles les consommateurs sont depuis longtemps habitués et qui reflètent de façon synthétique les qualités précises de fabrication et de goût, dont les acheteurs ne connaissent pas
nécessairement tous les éléments déterminants.

21 En outre, contrairement à ce qu'affirme la Commission, l'application du décret aux produits importés ne serait d'aucune façon susceptible de contribuer à cristalliser les habitudes des consommateurs français de préparations à base de foie gras, de façon à stabiliser l'avantage acquis par l'industrie nationale.

Le gouvernement français fait valoir que les producteurs étrangers notamment demeurent entièrement libres de mettre dans le commerce sur le marché français de nouvelles préparations contenant du foie gras, pour autant qu'ils utilisent des dénominations différentes de celles réglementées par le décret et toujours sans préjudice de l'interdiction de faire référence au foie gras dans la dénomination si le pourcentage de matière première mise en oeuvre est inférieur à 20 %. En d'autres mots, les effets
du décret sur la liberté fondamentale de circulation des marchandises seraient les effets minimes autorisés par l'exigence prépondérante de protection du consommateur.

22 Enfin, s'agissant de l'absence dans le décret de la clause de reconnaissance mutuelle - qui, comme nous l'avons dit, constitue l'objet spécifique de la présente procédure de manquement -, le gouvernement français considère que les prétendus obstacles à la libre circulation des marchandises que la Commission lui reproche dans la présente affaire ne seraient non seulement pas actuels, mais même pas potentiels.

En fait, l'importation en France - marché qui, comme nous l'avons fait observer, est virtuellement réservé à la production nationale - de préparations à base de foie gras en provenance d'autres États membres (12) non seulement porterait sur des volumes marginaux, mais ne concernerait toujours que des produits conformes aux prescriptions de qualité fixées par le décret (13).

23 En conséquence, comme l'a fait observer à l'audience le représentant du gouvernement français, la position adoptée par la requérante dans la présente procédure semblerait contradictoire par rapport à l'approche qu'elle a suivie en son temps dans l'affaire de la dénomination «caviar» (14). Dans ce cas, la Commission a considéré que le terme «caviar» pouvait «être considéré comme généralement connu dans la Communauté pour désigner le produit à base d'oeufs d'esturgeon», bien que deux États membres
permettent l'utilisation de ce terme comme dénomination générique des oeufs de poissons.

D'après le gouvernement français, il faudrait donc conclure que la République française a le droit d'interdire l'utilisation des dénominations prévues par le décret sur le marché français pour des préparations dépourvues des caractéristiques essentielles correspondant à ces dénominations, et cette conclusion s'imposerait a fortiori dans le cas qui nous occupe, le recours aux dénominations en cause n'étant autorisé dans aucun autre État membre pour indiquer des produits différents (15).

24 Eu égard par ailleurs à l'absence précitée de réglementations équivalentes dans les autres États membres, l'introduction d'une clause de reconnaissance mutuelle dans le décret, comme le demande la Commission, non seulement n'apporterait aucun bénéfice en termes de libre circulation des produits en cause dans la Communauté, mais elle provoquerait même une insécurité juridique préjudiciable tant aux consommateurs qu'aux producteurs français. Le contenu de la qualification de «biens fabriqués de
façon constante et loyale, d'après des procédés traditionnels existants» dans l'État membre de fabrication ne serait pas rattaché à des paramètres concrets et objectifs. La preuve de l'application légitime de cette qualification à une préparation à base de foie gras qui ne serait pas conforme au décret provoquerait donc sans doute de graves difficultés dans la perspective d'une importation en France. Il existerait dès lors un risque immédiat et sérieux que la reconnaissance automatique de conformité
sur le territoire français bénéficie - au détriment de la loyauté des opérations commerciales - à des préparations à base de foie gras produites d'après des procédés ne relevant pas des règles de l'industrie et qui ne seraient soumis à aucun contrôle de qualité dans l'État membre d'origine.

III - Analyse juridique

25 L'analyse de la prétendue violation de l'article 30 du traité que dénonce la Commission doit, selon nous, partir de certaines prémisses qui peuvent être déduites de votre jurisprudence constante en matière de recours juridictionnel en manquement. Dans le cadre d'une procédure engagée en vertu de l'article 169 du traité, c'est à la Commission qu'il incombe de prouver l'existence du manquement dénoncé sans qu'elle puisse se baser sur aucune présomption; elle est tenue de soumettre à la Cour les
éléments nécessaires pour lui permettre de se prononcer sur ce point (16). L'existence du manquement faisant l'objet du recours doit d'ailleurs être appréciée en fonction de la situation juridique existant l'échéance du délai que la Commission a imposé à l'État membre, dans la précédente phase administrative de la procédure, pour se conformer à son avis motivé.

Il est vrai que la Cour a énoncé ce principe en se référant à l'hypothèse dans laquelle l'État membre intéressé entend se soustraire à un éventuel arrêt déclaratif de manquement en adoptant des mesures tardives, ce qui n'est pas permis, puisqu'il est interdit à la Cour - lorsqu'elle examine le bien-fondé du recours - de tenir compte des modifications éventuelles intervenues après l'échéance de ce délai (17). Le fait est toutefois que ce principe implique aussi que tous les éléments matériels du
manquement invoqué doivent exister à l'échéance du délai visé dans l'avis motivé (18).

26 La Commission vous demande de dire pour droit que le décret - bien qu'il autorise les producteurs et distributeurs de préparations contenant du foie gras non conformes aux règles nationales de qualité de les mettre dans le commerce sur le marché français - est susceptible de faire obstacle à la circulation intracommunautaire des marchandises en cause, du moins en rendant potentiellement plus onéreuses et difficiles les importations en provenance d'autres États membres.

D'après la Commission, en l'absence d'une clause de reconnaissance mutuelle des produits des autres États membres, les préparations à base de foie gras qui seraient éventuellement produites dans la Communauté selon des règles de composition et de préparation différentes de celles fixées par le décret ne pourraient être vendues en France que sous des dénominations différentes de celles réservées par la loi, lesquelles sont davantage attrayantes du point de vue commercial. Si le pourcentage de matière
première utilisée dans une préparation donnée était inférieur à 20 %, ce produit ne pourrait même être vendu sur le marché français que sous des dénominations dépourvues de références au foie gras. La mesure en cause devrait donc être qualifiée de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative aux importations (19).

27 Une double circonstance n'a toutefois pas échappé à la Commission: i) il n'existe pas de réglementation commune d'harmonisation en matière de production et de commercialisation des produits concernés et les États membres peuvent pour l'instant réglementer cette matière en limitant les effets de leur intervention à leur territoire national; ii) le décret est indistinctement applicable aux produits français et aux produits importés.

Par conséquent, au sens de votre jurisprudence «Cassis de Dijon» (20), pour pouvoir considérer que la preuve de la violation alléguée de l'article 30 du traité est établie, la Commission devrait encore prouver que les prescriptions fixées par le décret ne peuvent pas être jugées nécessaires pour répondre à des exigences impératives d'intérêt général - comme celles liées à la loyauté des opérations commerciales (21) et à la défense des consommateurs (22), invoquées en l'occurrence par le gouvernement
français -, lesquelles prévaudraient sur les exigences de la libre circulation des marchandises entre États membres.

Enfin, même si, par hypothèse, le décret apparaissait raisonnable et techniquement approprié eu égard aux exigences impératives précitées, il devrait cependant toujours être déclaré inadmissible s'il s'avérait: i) que le législateur français aurait pu - pour protéger les consommateurs contre des pratiques commerciales déloyales - recourir à d'autres mesures tout aussi efficaces mais moins restrictives de la libre circulation des marchandises (23); ii) ou que le décret est utilisé à des fins de
discriminations arbitraires ou de restrictions dissimulées du commerce entre États membres (24).

28 A l'inverse, en l'absence d'un objectif d'intérêt général susceptible de prévaloir sur les exigences de la libre circulation des marchandises, le principe - lui aussi énoncé par la Cour dans l'affaire Cassis de Dijon (25) - d'après lequel tout État membre est tenu d'autoriser l'introduction sur son territoire de biens légalement fabriqués ou mis en vente dans d'autres États membres (26), même s'ils sont produits d'après des prescriptions techniques ou qualitatives différentes de celles
applicables dans le pays d'importation (27), serait en l'espèce applicable à la République française.

C'est précisément au principe que nous venons de rappeler que se rattache, à titre de corollaire, l'obligation de reconnaissance mutuelle des règles et procédures équivalentes relatives à la production, à l'homologation, au contrôle et à la certification des marchandises (28). Ce serait donc ce principe - qualifié par une certaine doctrine (29) - d'équivalence que la Commission estime avoir été violé par les autorités françaises lorsqu'elles ont adopté le décret.

En fait, les engagements pris réciproquement par les États membres à travers leur adhésion au traité impliquent que chacun d'entre eux «manifeste sa confiance dans la capacité des autres de superviser la fabrication de marchandises, la prestation des services et la formation professionnelle des opérateurs économiques. Ainsi se dégage l'idée que l'action législative d'un État membre puisse valoir celle d'un autre, s'agissant de leurs effets protecteurs respectifs» (30).

Comme on le sait, l'instrument privilégié par la Commission pour permettre en pratique aux produits légalement ou loyalement fabriqués dans d'autres États membres le libre accès au marché du pays d'importation, instrument qui a été reconnu par la Cour, consiste à insérer une clause d'équivalence dans les nouveaux projets de la réglementation technique en cause (31).

29 Certains de vos arrêts postérieurs à l'arrêt Cassis de Dijon ont rappelé qu'étaient contraires au principe de proportionnalité les éventuelles réglementations nationales qui exigent que les produits importés soient littéralement et exactement conformes aux mêmes dispositions ou aux caractéristiques techniques prescrites pour les produits nationaux, même si les biens importés assurent déjà le même niveau de protection de l'exigence impérative en cause que la réglementation de l'État membre
d'importation entend assurer (32).

30 En particulier, la jurisprudence de la Cour rappelée par la Commission dans la présente procédure a défini les conditions auxquelles une réglementation technico-commerciale du type de celle en cause en l'espèce - fondée sur l'exigence impérative de protection du consommateur à l'égard de pratiques commerciales déloyales - peut légalement aboutir à interdire ou à restreindre dans l'État membre en question la vente des produits non conformes aux règles de qualité de la recette nationale alors
qu'ils sont légalement ou loyalement produits ou commercialisés dans d'autres États membres.

D'après la Cour, en l'absence d'harmonisation communautaire des législations, les mesures nationales nécessaires pour garantir la correcte dénomination des produits, évitant toute confusion dans l'esprit du consommateur et assurant la loyauté des transactions commerciales, ne sont pas contraires aux dispositions du traité sur la libre circulation des marchandises (33).

Les exigences de la libre circulation prévalent toutefois sur les exigences impératives en cause chaque fois que l'on peut considérer que le consommateur est suffisamment protégé par des exigences appropriées d'étiquetage sur la nature, les ingrédients et les caractéristiques du produit offert (34).

31 Autrement dit, il faut considérer que les marchandises dont l'importation est en cause assurent un niveau de protection équivalant à celui assuré par la dénomination réglementée par l'État d'importation lorsque les indications figurant sur l'étiquette originaire ont - de l'avis de la Cour (35) - un contenu informatif qui comporte au moins les mêmes informations et qui est aussi compréhensible pour les consommateurs de l'État d'importation (voir ci-dessus, point 10) (36).

Le principe de la «confiance mutuelle» décrit ci-dessus au point 28 implique - sur le plan de la protection du consommateur dans le secteur spécifique des produits alimentaires - que, «si la législation de l'État membre d'exportation protège aussi le consommateur sur le territoire de l'État membre d'importation (par exemple, moyennant des règles sur la composition), il n'est pas nécessaire d'appliquer des règles analogues dans l'État membre d'importation. Il suffit plutôt d'informer le consommateur
que ces règles ont été appliquées dans l'État membre d'exportation. Il n'y a de raison objective d'appliquer la législation de l'État membre d'importation que si la législation de l'État membre d'exportation n'offre pas cette protection [, tandis que l'application de règles nationales concurrentes ayant un but unique et concernant le même produit demeure interdite,] laquelle restreint ainsi la liberté de choix du consommateur plus que ce n'est nécessaire» (37).

Le principe que nous venons de décrire ne souffre qu'une exception, à savoir celle qui résulte de votre jurisprudence Deserbais précitée (38) relative aux cas d'importation à caractère frauduleux (39).

32 Enfin, la Cour a précisé que le principe d'équivalence demeure applicable même en l'absence d'une réglementation de la production et/ou de la mise dans le commerce du produit concerné dans l'État membre d'origine.

Ce sont, dans ce cas, les biens produits conformément aux usages loyalement et traditionnellement pratiqués dans le pays d'exportation qui bénéficient de la libre circulation entre États membres en l'absence d'exigences impératives supérieures d'intérêt général (40). Il n'est pas possible dans ce cas - lors de l'appréciation de la proportionnalité de la mesure étatique qui est qualifiée de restrictive par rapport à l'exigence impérative envisagée - de comparer dans l'abstrait les législations
pertinentes des États membres d'exportation et d'importation (ou plutôt les exigences matérielles auxquelles doivent répondre respectivement la production ou la commercialisation du produit en question). Il importe en revanche d'apprécier concrètement s'il y a équivalence entre les niveaux de protection dont bénéficie le consommateur à l'égard, d'une part, du produit national et, d'autre part, du produit importé (41).

33 Les principes que nous venons de rappeler sont ceux qui régissent la matière. Il n'est cependant pas nécessaire dans le cadre des présentes conclusions d'approfondir la question de savoir si le décret est proportionné aux exigences impératives de protection du consommateur et de loyauté du commerce, qui en ont inspiré l'adoption.

Nous nous limiterons en revanche à examiner l'argument avancé à titre préliminaire par le gouvernement français (voir ci-dessus le point 22). En fait, il n'y aurait de manquement en l'occurrence que s'il s'avérait que, à l'échéance du délai (qui est de deux mois à compter de la notification) fixé par la Commission dans son avis motivé du 14 octobre 1994, le décret faisait directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement obstacle aux échanges intracommunautaires. Si cette condition
n'était pas remplie, le décret ne relèverait pas du champ d'application de l'article 30 du traité; le problème de sa justification ne se poserait donc pas non plus.

34 Venons-en ainsi à cette question. Actuellement, les importations en France de préparations à base de foie gras en provenance d'autres États membres, qui portent sur des volumes marginaux, concernent en tout état de cause - comme nous l'indiquions ci-dessus au point 2 - des produits conformes aux prescriptions de qualité fixées par le décret. Autrement dit, même dans ces États membres - et même dans les pays tiers - dans lesquels existe une production de foie gras (fût-elle modeste), elle s'avère
conforme à des usages et à des règles professionnels de qualité identiques à ceux qui prévalent sur le marché français depuis des siècles. Ce n'est pas un hasard: le foie gras est un produit indissociablement lié à la tradition gastronomique française. Cette situation se reflète dans une utilisation large et répandue des mêmes dénominations de vente en langue française.

Enfin, il n'existe dans aucun autre État membre de réglementation du type de celle dictée en France par le décret sur la production et la mise dans le commerce des produits concernés. Par ailleurs, les règles de qualité françaises remontent - tout bien considéré - à une époque où la Communauté n'existait pas encore et où, dans leur «arsenal législatif», les gouvernements nationaux disposaient pour protéger les producteurs nationaux de denrées alimentaires de mesures aux effets bien plus intenses,
telles que les subventions, les restrictions directes aux importations ou les droits de douane (42). Il importe d'observer qu'aucune de ces affirmations n'est en substance contestée par la Commission qui a au contraire reconnu non seulement que le décret est privé du moindre effet restrictif actuellement, mais que, de plus, il en ira de même dans un proche avenir (voir le point 12 ci-dessus).

35 Il résulte de ce que nous avons observé jusqu'à présent que l'obligation de reconnaissance mutuelle aux fins de la commercialisation légale sur le territoire national - qui, d'après la Commission, incomberait à la République française - concernerait non pas des préparations à base de foie gras «légalement produites ou commercialisées dans d'autres États membres» (catégorie qui n'existe pas à l'heure actuelle), mais uniquement les biens de ce type produits «dans le respect des usages loyalement et
traditionnellement pratiqués» dans l'État membre d'origine.

Cette observation est du reste confirmée par le texte de la clause d'équivalence que les services de la Commission ont en son temps proposé aux autorités françaises (43).

Ainsi - compte tenu comme il se doit de la coïncidence constatée entre les usages loyalement et traditionnellement pratiqués en France et dans les autres États membres producteurs de préparations à base de foie gras - il ne s'avère pas, selon nous, que le décret produise des effets restrictifs, actuels ou potentiels, sur les importations des produits en cause.

36 Nous considérons en d'autres termes que la Commission a effectué un «saut en avant» injustifié dans son processus logique. On ne saurait accueillir l'argument de la requérante selon lequel la nécessité d'insérer une clause d'équivalence dans le décret - dont les dispositions sont probablement appelées à réglementer la matière en cause dans les années à venir - assumerait une fonction préventive. Cet argument nous semble en effet inconciliable avec l'enseignement clair de la Cour, que nous avons
rappelé à plusieurs reprises ci-dessus et d'après lequel la Cour est tenue, lorsqu'elle apprécie le bien-fondé d'un recours en manquement, de se référer à la situation juridique telle qu'elle s'est «cristallisée» à l'échéance du délai fixé par la Commission pour l'exécution, par l'État membre concerné, des mesures nécessaires pour se conformer à l'avis motivé. Ce principe s'applique également - il ne peut certainement pas y avoir de doute à cet égard - au contexte économique et de marché dont il
faut extraire les éléments sous-jacents, auxquels se réfèrent les dispositions prétendument violées.

37 La preuve que le décret est susceptible de faire obstacle aux importations intracommunautaires, ne serait-ce que potentiellement, aurait certainement exigé aussi que soit établie la possibilité concrète de l'existence de flux commerciaux en provenance d'autres États membres et portant sur des préparations à base de foie gras conformes soit à des règles nationales de qualité, soit à des traditions gastronomiques, différentes de celles du décret. C'est ce qui découle sans conteste des arrêts de la
Cour constatant un manquement d'État pour violation des dispositions du traité sur la libre circulation des marchandises (44).

Il faut néanmoins rappeler que, à l'heure actuelle, il n'existe pas en dehors de la France - pas plus, a fortiori, qu'en décembre 1994 à l'échéance du délai fixé dans l'avis motivé de la Commission - de mesure législative nationale sur la composition, la production et la dénomination de vente des produits concernés. Ce n'est qu'à partir du jour où un autre État membre adoptera éventuellement une telle réglementation, et pas avant, que l'on pourra parler de flux commerciaux potentiels en provenance
d'autres États membres, susceptibles d'être illégalement empêchés ou limités, au sens et aux fins de l'article 30 du traité.

38 Les observations qui précèdent s'appliquent, mutatis mutandis, aux préparations à base de foie gras qui viendraient à être produites, dans un futur éventuel, d'après des usages différents de ceux rappelés dans les dispositions du décret, mais qui seraient loyalement et traditionnellement pratiqués dans un autre État membre.

Nous nous abstenons dans les présentes conclusions de trancher l'ardue question de savoir quels sont les paramètres normatifs du caractère loyal et traditionnel d'une pratique industrielle et commerciale non réglementée (45): il suffit en l'occurrence de faire observer que c'est uniquement à compter du jour où l'on pourra dire qu'il existe dans la Communauté une production constante et loyale de préparations à base de foie gras - distincte de la production d'origine française et en concurrence avec
elle - que l'on pourra parler de courants commerciaux potentiels à l'importation sur le marché français, face auxquels le décret se présentera comme une mesure équivalente à une restriction quantitative.

Cette condition - répétons-le - n'était en revanche pas remplie en 1994, à l'échéance du délai fixé dans l'avis motivé de la Commission. La Cour a affirmé de façon répétée que, pour que des mesures adoptées par les États membres soient contraires à l'article 30 du traité, il suffit d'établir «qu'elles peuvent seulement faire obstacle `à des importations qui pourraient avoir lieu en leur absence'» (46): dans le cas d'espèce, force est de conclure, selon nous, que les importations qui pourraient être
réalisées en l'absence du décret ne différeraient pas en termes quantitatifs, même pas d'une tonne, par rapport à celles enregistrées alors que cette mesure est en vigueur.

Dans le cas qui nous occupe, la réglementation technico-commerciale en cause ne tente pas d'imposer aux consommateurs français - sur la base d'une notion subjective et arbitraire du concept de qualité - la recette nationale des préparations à base de foie gras, en l'élevant au rang de recette communautaire, au détriment de préparations différentes en raison de leur composition ou de leur méthode de production, diffusées et appréciées dans d'autres États membres. En réalité, la notion communautaire
«généralement connue» des produits en question semble coïncider et s'épuiser avec la notion française, et il s'avère que les habitudes de consommation des préparations à base de foie gras dans les États membres se sont «cristallisées» bien longtemps avant l'adoption du décret. La preuve en est que l'opérateur qui importait en France des préparations à base de foie gras en provenance d'autres États membres n'était pas confronté en décembre 1994, pas plus qu'il ne l'est aujourd'hui, au problème de
devoir adapter la dénomination de vente et/ou l'étiquetage avec lesquels le produit est commercialisé dans l'État membre de production.

On ne saurait donc prétendre que l'absence de clause de reconnaissance mutuelle dans le décret soit contraire au droit communautaire.

39 Nous n'entendons pas proposer dans les présentes conclusions la réintroduction, en matière de recours en manquement d'État, d'une règle de minimis, que la Cour a déjà eu l'occasion de rejeter (47).

Il importe en revanche de reconnaître l'existence d'une ligne distinctive - qui n'est sans doute pas encore clairement définie mais n'est pas contestable en principe - entre le fait d'intenter le recours en vertu de l'article 169 du traité aux fins de la contestation (autorisée) d'une mesure étatique actuellement susceptible de produire des effets restrictifs potentiels, et aux fins de la contestation (interdite) d'une mesure étatique qui ne peut exercer de tels effets qu'à l'avenir, à condition
éventuellement que la situation juridique et le contexte économique sous-jacent en viennent à se modifier par rapport à ceux existant à l'échéance du délai visé dans l'avis motivé.

40 Sur la base des éléments qui précèdent, nous estimons que la République française n'a pas manqué aux obligations qui découlent de l'article 30 du traité.IV - ConclusionsA la lumière des observations exposées ci-dessus, nous proposons à la Cour de:- rejeter le recours et - condamner la Commission aux dépens.

(1) - D'après les chiffres fournis par le gouvernement français et relatifs à l'année 1995, les seuls États membres dans lesquels la consommation de foie gras a atteint un niveau significatif seraient - à part la France (avec près de 12 500 tonnes) - l'Espagne, la Belgique et l'Allemagne (qui ont consommé respectivement environ 250, 150 et 100 tonnes de ce produit).

(2) - Au sens du décret, le foie gras entier, le foie gras et le bloc de foie gras sont composés exclusivement de foie gras et d'assaisonnement; par ailleurs, le contenu minimal de foie gras du parfait de foie est de 75 % et celui du médaillon ou pâté de foie, de la galantine de foie et de la mousse de foie est de 50 %. Il faut noter que le calcul du pourcentage de foie gras ne tient pas compte de certains ingrédients (par exemple la graisse de pochage - qui est définie comme étant «la graisse
exsudée du foie gras lors de sa transformation» - et les parures dans le cas des parfaits de foie, des galantines de foie et des mousses).

(3) - L'homogénat est défini comme étant «l'ensemble constitué par la partie du foie gras qui n'a pas gardé la texture de morceau après agglomération des morceaux et les fragments de masse inférieure à 20 grammes».

(4) - Par exemple, le nombre maximal de morceaux de lobe (de masse non inférieure à 20 grammes) dans le cas du foie gras entier préemballé d'une masse nette non supérieure à 250 grammes (voir l'article 3) et la masse totale minimale des morceaux (de masse non inférieure à 10 grammes) lorsque leur présence est indiquée sur l'étiquette d'un bloc de foie gras (voir l'article 5).

(5) - La Commission rappelle en particulier votre arrêt du 16 décembre 1980, Fietje (27/80, Rec. p. 3839).

(6) - D'après ce que révèle le dossier relatif à la présente procédure, le texte de la clause suggérée par la Commission était le suivant: «Les préparations à base de foie gras fabriquées de façon constante et loyale, selon des procédés traditionnels existants dans d'autres États membres de la CEE, peuvent être commercialisées sur le territoire français».

(7) - Voir, parmi de nombreux autres, l'arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne (178/84, Rec. p. 1227, point 32).

(8) - Directive du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L 33, p. 1), telle qu'elle a été modifiée par la suite.

(9) - Voir l'arrêt du 22 septembre 1988 (286/86, Rec. p. 4907). Dans cet arrêt, la Cour a examiné le problème de l'existence de limites au pouvoir d'un État membre de faire obstacle, par des dispositions restrictives en matière de dénomination de vente d'un produit donné (en l'espèce, en subordonnant l'utilisation de la dénomination «Edam» au respect d'un pourcentage minimal de 40 % de matières grasses), à l'importation des produits du même type - même lorsque l'information du consommateur était
assurée à l'égard de ces produits - lorsque le produit présenté en dehors de l'État membre d'origine sous la dénomination réservée «s'écarte tellement, du point de vue de sa composition ou de sa fabrication, des marchandises généralement connues sous cette même dénomination dans la Communauté qu'il ne saurait être considéré comme relevant de la même catégorie»: id., point 13 (ce problème n'a toutefois pas dû être résolu dans les circonstances de l'affaire principale qui concernait l'importation en
France d'un fromage contenant 34 % de matières grasses). Voir aussi l'arrêt (de peu) antérieur du 14 juillet 1988, Smanor (298/87, Rec. p. 4489, points 21 à 25), dans lequel la Cour a renvoyé au juge national le soin de trancher la question de savoir si les caractéristiques différentes (en particulier, en ce qui concerne le nombre de bactéries lactiques vivantes) des yaourts surgelés légalement produits et mis dans le commerce dans d'autres États membres par rapport aux exigences de qualité fixées
par la réglementation française en matière de yaourts frais étaient tellement importantes qu'elles justifiaient pour les premiers une dénomination distincte des dénominations réservées de «yaourt» ou «yoghourt» en cas d'importation en France.

(10) - Voir l'arrêt du 26 octobre 1995, Commission/Allemagne (C-51/94, Rec. p. I-3599), dans lequel vous avez affirmé qu'est contraire à l'article 30 du traité l'imposition par un État membre - à titre de condition de mise dans le commerce sur son territoire de certains produits alimentaires contenant un ingrédient non conforme aux préceptes d'une recette nationale - d'une obligation de compléter la dénomination de vente par une mention indiquant l'utilisation de cet ingrédient, même s'il figure
déjà dans la liste des ingrédients prescrits par l'article 6 de la directive.

(11) - Voir ci-dessus note 5 et la partie du texte y afférente.

(12) - D'après les chiffres fournis par le gouvernement français, les principaux autres pays producteurs de foie gras sont la Hongrie, la Bulgarie, la Pologne et Israël. Au sein de la Communauté, seuls deux pays réalisent une production significative de foie gras, à savoir l'Espagne (165 tonnes l'an) et la Belgique (environ 60 tonnes l'an), et sont tous deux des pays importateurs nets.

(13) - Ce n'est pas un hasard, souligne le gouvernement français, si même l'Espagne - seul État membre à avoir émis un avis circonstancié -, qui avait initialement contesté le bien-fondé du projet de loi français ensuite devenu le décret, a finalement reconnu que «la nécessité d'une clause de reconnaissance mutuelle n'était pas évidente».

(14) - Dans ce cas, la Commission a conclu que les États membres d'importation ont le droit d'interdire sur leur territoire l'utilisation de cette dénomination pour des produits, comme les oeufs de lump, qui ne présentent pas la caractéristique essentielle, généralement connue dans la Communauté, d'être constitués exclusivement d'oeufs d'esturgeon: voir la communication interprétative de la Commission concernant les dénominations de vente des denrées alimentaires (JO 1991, C 270, p. 2, en
particulier p. 4).

(15) - Le gouvernement français juge à cet égard inacceptable le critère distinctif proposé par la Commission entre le cas présent et celui du caviar («[le caviar] est un produit vendu quasi exclusivement à l'état brut, [tandis que] le foie gras nécessite toujours un stade de préparation supplémentaire avant d'être vendu au consommateur final»). Le gouvernement français fait observer que, non seulement, l'opération de salage des oeufs d'esturgeon - qui en modifie les propriétés chimiques, gustatives
et nutritives - constitue en fait une véritable transformation du produit, mais qu'elle ne comprend pas en outre comment la Commission peut introduire une différence de traitement juridique pour le foie gras fondée sur l'état physico-chimique du produit au moment de la vente et non sur ses caractéristiques substantielles.

(16) - Voir, parmi de nombreux autres, les arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas (97/81, Rec. p. 1819, point 6); du 25 avril 1989, Commission/Italie (141/87, Rec. p. 943, point 15); du 27 avril 1993, Commission/Grèce (C-375/90, Rec. p. I-2055, point 33), et du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne (C-61/94, Rec. p. I-3989, point 61). Par ailleurs, si la Commission fournit des éléments suffisants établissant la prétendue violation du droit communautaire, il faut considérer que les faits
qu'elle a allégués sont prouvés, à moins que l'État membre concerné soit en mesure de contester les informations présentées et leurs conséquences de façon substantielle et détaillée (voir l'arrêt du 22 septembre 1988, Commission/Grèce, 272/86, Rec. p. 4875, point 21).

(17) - Voir, parmi de nombreux autres, les arrêts du 27 novembre 1990, Commission/Grèce (C-200/88, Rec. p. I-4299, point 13), et du 3 juillet 1997, Commission/France (C-60/96, Rec. p. I-3827, point 15).

(18) - Voir l'arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne, précité à la note 16, point 42. Rejetant l'argument du gouvernement allemand d'après lequel l'existence du manquement faisant l'objet du recours devait être appréciée à la lumière d'un règlement entré en vigueur quelques mois après l'échéance du délai attribué dans l'avis motivé de la Commission, la Cour a rappelé que, «dans le cadre d'un tel recours [introduit en vertu de l'article 169], l'existence d'un manquement doit être appréciée
au regard de la législation communautaire en vigueur au terme du délai» précité.

(19) - D'après votre jurisprudence constante, la notion de mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives inclut «toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire» (voir l'arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5). Aux fins de l'interdiction de l'article 30 du traité, la condition que ces mesures soient de nature à affecter sensiblement les
échanges intracommunautaires ne constitue pas une hypothèse nécessaire (voir l'arrêt du 13 mars 1984, Prantl, 16/83, Rec. p. 1299, point 20).

(20) - Voir l'arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon» (120/78, Rec. p. 649, point 8). Votre arrêt ultérieur du 26 juin 1980, Gilli et Andres (788/79, Rec. p. 2071, point 6), a précisé que l'admissibilité d'éventuels obstacles aux échanges intracommunautaires découlant de disparités entre les réglementations nationales en matière de vente de produits est subordonnée à l'absence de caractère discriminatoire de la règle nationale au détriment des produits importés. Voir aussi les
arrêts du 17 juin 1981, Commission/Irlande (113/80, Rec. p. 1625, point 10), et du 20 avril 1983, Schutzverband gegen Unwesen in der Wirtschaft (59/82, Rec. p. 1217, point 11).

(21) - Voir les arrêts du 11 mai 1989, Wurmser et Norlaine (25/88, Rec. p. 1105), et du 13 octobre 1993, CMC Motorradcenter (C-93/92, Rec. p. I-5009).

(22) - Voir les arrêts du 2 mars 1982, Beele (6/81, Rec. p. 707), et du 22 juin 1982, Robertson e.a. (220/81, Rec. p. 2349).

(23) - Voir, parmi de nombreux autres, les arrêts du 10 novembre 1982, Rau (261/81, Rec. p. 3961, point 12), et du 16 mai 1989, Buet et EBS (382/87, Rec. p. 1235, point 11).

(24) - Voir, parmi de nombreux autres, l'arrêt Prantl, précité à la note 19 (points 21 et 24). Voir notamment sur l'interprétation de la condition énoncée dans le texte, dans le cadre de l'article 36 du traité, les arrêts Dassonville, précité à la note 19, point 7; du 14 décembre 1979, Henn et Darby (34/79, Rec. p. 3795, points 20 et 21); du 15 juillet 1982, Commission/Royaume-Uni (40/82, Rec. p. 2793, points 36 à 40); du 27 mars 1984, Commission/Italie (50/83, Rec. p. 1633, points 6 à 9); du 11
mars 1986, Conegate (121/85, Rec. p. 1007, points 15 et 16), et du 30 novembre 1993, Deutsche Renault (C-317/91, Rec. p. I-6227, points 18 à 28).

(25) - Arrêt précité à la note 20, points 14 et 15.

(26) - Bien que l'arrêt Cassis de Dijon et votre jurisprudence ultérieure se réfèrent textuellement aux biens légalement produits et mis en vente dans un État membre autre que l'État d'importation, le principe d'équivalence doit être entendu correctement comme ayant pour objet l'obligation d'autoriser les marchandises légalement produites ou commercialisées dans un autre État communautaire. C'est ce qu'a explicitement reconnu la Cour (voir par exemple l'arrêt Schutzverband gegen Unwesen in der
Wirtschaft, précité à la note 20, point 12, et l'arrêt du 13 juillet 1994, Commission/Allemagne, C-131/93, Rec. p. I-3303, point 10). A l'inverse, demeureraient en dehors du champ d'application de ce principe: i) les produits originaires de pays tiers (voir Barents, R.: «The image of the Consumer in the Case Law of the European Court», Eur. Food L. Rev., 1990, p. 6, en particulier p. 11, note 23), ii) les produits non conformes aux normes techniques de l'État membre d'origine, qui n'y sont pas
commercialisés et sont conformes aux normes de l'État membre d'importation (voir Mattera Ricigliano, A.: «La libre circulation des produits alimentaires à l'intérieur de la Communauté et la mise en oeuvre du principe de la reconnaissance mutuelle», Eur. Food L. Rev. 1990, p. 72, en particulier p. 77), ainsi que iii) les produits fabriqués dans un État membre autre que l'État d'exportation directe, qui sont conformes aux prescriptions techniques en vigueur dans le premier mais non à celles
applicables dans ce dernier (voir Oliver, P.: Free Movement of Goods in the European Community, Londres, 1996, 3e éd., p. 117).

(27) - Voir aussi la communication de la Commission sur les conséquences de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 20 février 1979 dans l'affaire 120/78 (Cassis de Dijon) (JO 1980, C 256, p. 2).

(28) - Voir Mattera Ricigliano, précité à la note 26, p. 81.

(29) - Voir Bernel, A.: Le principe d'équivalence ou de «reconnaissance mutuelle» en droit communautaire, Zurich, 1996, p. 136, et les ouvrages qui y sont cités aux notes 471 et 472. Le principe en question est qualifié «du pays d'origine» par Barents, précité à la note 26, p. 12. Quant au fondement de ce principe, voir note 30 ci-dessous et la partie du texte y afférente.

(30) - Voir Bernel, précité à la note 29, p. 110. Pour une référence au principe de la «confiance mutuelle», voir l'arrêt Wurmser et Norlaine, précité à la note 21, point 18. D'après la Commission, «l'acceptation [du principe de la liberté d'accès au marché de tout État membre de tout produit légalement fabriqué et mis en vente dans un autre État membre] implique que les États membres, lors de l'élaboration de réglementations [concernant la composition, la désignation, la présentation et le
conditionnement des produits ou qui prescrivent le respect de certaines dispositions techniques] susceptibles d'avoir une incidence sur le bon fonctionnement de la libre circulation des marchandises, ne sauraient se situer dans une perspective exclusivement nationale et ne tenir compte que d'exigences propres aux seuls produits nationaux. Le bon fonctionnement du marché commun exige que chaque État membre tienne compte également des exigences légitimes des autres États membres» (voir communication
précitée à la note 27, p. 2).

(31) - Voir Mattera Ricigliano, A.: Il mercato unico europeo. Norme e funzionamento, Turin, 1990, p. 155.

(32) - Voir, parmi de nombreux autres, les arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France (188/84, Rec. p. 419, point 16), et du 7 mars 1989, Schumacher (215/87, Rec. p. 617, points 19 à 22).

(33) - Voir les arrêts du 26 octobre 1995, Commission/Allemagne, précité à la note 10, point 31, et du 23 février 1988, Commission/France (216/84, Rec. p. 793, point 11).

(34) - Voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Cassis de Dijon, précité à la note 20, point 13, relatif à l'interdiction de commercialiser en Allemagne des boissons alcoolisées (comme la liqueur de cassis produite en France) ayant un degré alcoométrique inférieur au minimum fixé pour la catégorie en cause; Gilli et Andres, précité à la note 20, point 7, et du 9 décembre 1981, Commission/Italie (193/80, Rec. p. 3019, point 27), relatifs à l'interdiction de commercialiser en Italie des produits
contenant de l'acide acétique ne provenant pas de la fermentation acétique du vin, tel que le vinaigre de pommes produit en Allemagne; Fietje, précité à la note 5, point 12, relatif à l'extension de l'interdiction de vendre certaines boissons alcoolisées sous une dénomination autre que celle de «likeur» prescrite par la législation nationale pour les boissons du même type, à des produits importés d'autres États membres, interdiction se traduisant par la nécessité de modifier l'étiquette avec
laquelle les produits en cause étaient légalement commercialisés dans l'État membre d'exportation; Rau, précité à la note 23, point 17, relatif à l'interdiction de commercialiser en Belgique de la margarine ou des graisses alimentaires lorsque le produit ou son emballage extérieur n'a pas la forme cubique; du 11 juillet 1984, Commission/Italie (51/83, Rec. p. 2793, point 15), relatif à l'interdiction d'importer des produits de confiserie contenant une quantité de gélatine animale supérieure à 1 %;
du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, précité à la note 7, point 35, relatif à l'interdiction de commercialiser sous la dénomination «bier» des bières fabriquées en partie au moyen de matières premières (telles que le riz et le maïs) différentes de celles prescrites par la loi fiscale allemande sur la bière; du 23 février 1988, Commission/France, précité à la note 33, points 9 et 11, et du 11 mai 1989, Commission/Allemagne (76/86, Rec. p. 1021, points 15 à 18), relatifs à des interdictions
d'importer des produits succédanés du lait en poudre ou concentré sous quelque dénomination de vente que ce soit; du 14 juillet 1988, 3 Glocken et Kritzinger (407/85, Rec. p. 4233, point 16), relatif à l'interdiction de commercialiser en Italie des pâtes obtenues à partir de blé tendre ou d'un mélange de blé tendre et de blé dur; du 26 octobre 1995, Commission/Allemagne, précité à la note 10, points 33 et 37, relatif à l'obligation de compléter la dénomination de vente de la sauce béarnaise et de la
sauce hollandaise préparées à base de graisse végétale et celle de certains produits de pâtisserie contenant un additif par une indication supplémentaire de la substance en cause.

(35) - Dans toutes les procédures en manquement introduites par la Commission dans la matière en cause, la Cour a immanquablement conclu que le consommateur était suffisamment informé par l'étiquette informative apposée sur le produit importé. Pour un examen minutieux des limites de la préférence montrée par la Cour pour l'étiquetage par rapport aux normes de qualité et au fait de réserver des dénominations de vente, en tant qu'instrument proportionné d'information des consommateurs, voir von
Heydebrand und der Lasa, H.-C.: «Free Movement of Foodstuffs, Consumer Protection and Food Standards in the European Community: Has the Court of Justice Got It Wrong?», Eur. L. Rev., 1991, p. 391, en particulier p. 406 à 413. Contra, dans un sens élogieux, voir Wils, W.-G.: «Free Movement of Goods and Quality Regulation of Foodstuffs», Eur. Food L. Rev., 1990, p. 92, et Clark, H.L.: «The Free Movement of Goods and Regulation for Public Health and Consumer Protection in the EEC: The West German `Beer
Purity' Case», Va. J. Int'l L., vol. 28, 1988, p. 753. Barents invite d'ailleurs à ne pas identifier le fondement de la jurisprudence en cause dans la présumée déférence de la Cour pour l'image réglementaire du «consommateur informé» (voir op. cit., note 26). Voir cependant l'arrêt du 26 octobre 1995, Commission/Allemagne, précité à la note 10, points 34 et 36, dans lequel la Cour - en rejetant l'argument du gouvernement allemand d'après lequel les exigences litigieuses relatives à l'étiquetage et
au confectionnement des produits en cause étaient nécessaires pour assurer la correcte information des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales - a affirmé que «les consommateurs, dont la décision d'acheter est déterminée par la composition des produits en cause, lisent d'abord la liste des ingrédients dont la mention est obligatoire ... même si, dans certains cas, les consommateurs peuvent être induits en erreur, ce risque demeure minime...». Voir aussi Weatherhill, S.: «The
evolution of European consumer law and policy: From well informed consumer to confident consumer?», dans Schriftenreihe des Vereinigten Instituts für Europäisches Wirtschafts- und Verbraucherrecht (sous la direction de Micklitz H.-W.), vol. 1, Rechtseinheit oder Rechtsvielfalt in Europa? Baden-Baden, 1996, p. 423, en particulier p. 430. Weatherhill fait toutefois observer qu'il ressort de la législation secondaire communautaire récente protégeant les intérêts économiques du consommateur (comme celle
relative à la publicité mensongère, aux contrats négociés en dehors des locaux commerciaux, aux voyages et circuits touristiques «tout compris», au crédit à la consommation et aux clauses contractuelles abusives) une nouvelle notion communautaire de consommateur, celle du «consommateur confiant», qui - n'étant plus un simple bénéficiaire passif de la liberté du commerce et bénéficiaire incident de l'harmonisation réglementaire - est encouragé à conclure des opérations commerciales transfrontalières,
se sentant protégé à l'égard du fonctionnement du marché par un noyau minimal de règles de protection. Weatherhill espère que cette nouvelle conception réglementaire pourra au plus vite influencer la pratique décisionnelle de la Cour: id., p. 457 à 465.

(36) - En fait, la notion de «niveau de protection équivalent» suppose que les règles nationales parallèles poursuivent le même objectif mais pas nécessairement qu'il y ait identité entre les moyens ou techniques choisis par les différents États membres pour poursuivre les exigences matérielles qu'ils visent respectivement (voir Bernel, précité à la note 29, p. 39 et 109). Voir aussi l'arrêt du 15 septembre 1994, Houtwipper (C-293/93, Rec. p. I-4249), d'après lequel l'article 30 du traité ne
s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale concernant les normes de garantie des métaux précieux qui interdit la mise en vente d'ouvrages privés de poinçons, indiquant le titre (c'est-à-dire la quantité de métal précieux pur utilisée) conforme aux exigences de ladite réglementation, apposés par un organe indépendant lorsque: i) ces ouvrages n'ont pas fait l'objet, conformément à la législation de l'État membre d'exportation, d'un poinçonnage ayant un contenu informatif équivalant à
celui des poinçons prescrits par la réglementation de l'État membre d'importation, et compréhensibles pour le consommateur de cet État ou ii) lorsque ces ouvrages ont été poinçonnés dans l'État membre d'exportation par un organe non indépendant.

(37) - Voir Barents, précité à la note 26, p. 12 (traduction libre).

(38) - Voir note 9 et la partie du texte y afférente.

(39) - Il ne semble d'ailleurs pas aisé de tirer de votre jurisprudence sur ce point (voir la note 9 ci-dessus et la partie du texte y afférente) des critères sûrs et objectifs pour déterminer si un produit alimentaire dont l'importation est en cause s'écarte tellement, du point de vue de sa composition ou de son procédé de fabrication, des marchandises généralement connues sous ces mêmes dénominations dans la Communauté qu'il ne saurait être considéré comme relevant de la même catégorie (voir
Duncan, G., MacGowan N., «Does Community law allow Member States to restrict the use of certain trade descriptions to products which contain a certain proportion of their characteristic ingredients?», Irish J. Eur. L., 1994, p. 65, en particulier p. 68).

(40) - Voir les arrêts Prantl, précité à la note 19, points 27 à 30, et du 26 novembre 1985, Miro (182/84, Rec. p. 3731, points 24 à 27).

(41) - Il a été observé que l'appréciation comparative des niveaux de protection assurée respectivement par deux réglementations nationales, qui porte sur une série de facteurs particuliers au cas d'espèce ainsi que sur le contexte socio-économique des États membres concernés, constitue dans certains cas une opération qui est loin d'être aisée (voir Bernel, précité à la note 29, p. 143; Oliver, précité à la note 26, p. 116). Cette difficulté se trouve selon nous accrue dans les cas où - comme celui
qui fait l'objet de la présente procédure - les termes de comparaison sont les mêmes produits fabriqués loyalement et traditionnellement dans l'État membre d'exportation. Dans ce cas, on peut de surcroît être confronté au problème de la fiabilité des contrôles déjà effectués dans l'État membre d'origine et de la compatibilité avec le droit communautaire de leur éventuelle répétition dans l'État membre de destination (voir Bernel, précité à la note 29, p. 37 à 42).

(42) - Voir Heydebrand und der Lasa, précité à la note 35, p. 392.

(43) - Voir ci-dessus à la note 6 et la partie du texte y afférente.

(44) - Abstraction faite en l'occurrence des précédents dans lesquels la Cour a jugé que la mesure étatique faisant l'objet du litige n'était pas indistinctement applicable ou avait des effets restrictifs actuels sur les importations, voir, parmi de nombreux autres, les arrêts du 9 décembre 1981, Commission/Italie, précité à la note 34, points 20 à 26 (constatation des effets restrictifs potentiels du fait de réserver au vinaigre de vin la dénomination de vente «vinaigre» et de l'interdiction de
commercialiser en Italie des vinaigres d'origine agricole, différents de ceux obtenus par la fermentation acétique du vin, qui faisaient l'objet d'une production et d'une consommation importantes dans différents États membres); du 11 juillet 1984, Commission/Italie, précité à la note 34 (point 18: constatation des effets restrictifs potentiels de la limitation de la commercialisation en Italie des produits de confiserie contenant une quantité de gélatine animale supérieure à 1 %, légalement
fabriqués et mis dans le commerce dans d'autres États membres); du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (179/85, Rec. p. 3879, point 8: constatation des effets restrictifs potentiels de l'interdiction de mettre dans le commerce sur le marché allemand des boissons comme le pétillant de raisins en bouteilles traditionnelles de type champenois, c'est-à-dire en utilisant le conditionnement dans lequel le pétillant était traditionnellement produit et vendu en France depuis 1956); du 12 mars 1987,
Commission/Grèce (176/84, Rec. p. 1193, points 26 et 32: constatation des effets restrictifs potentiels de la loi fiscale sur la bière et du code alimentaire grec sur les importations de bières légalement fabriquées dans d'autres États membres: i) à partir de matières premières autres que le malt d'orge ou ii) moyennant l'utilisation d'enzymes ou iii) contenant des additifs autorisés dans l'État membre de fabrication); du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, précité à la note 7 (points 29 et 40:
constatation des effets restrictifs potentiels de la «loi de pureté» applicable à la bière allemande sur les importations de bières légalement fabriquées dans d'autres États membres: i) à partir de matières premières autres que le malt d'orge (et en particulier le riz et le maïs) ou ii) contenant des additifs autorisés dans l'État membre de fabrication); du 11 octobre 1990, Commission/Italie (C-210/89, Rec. p. I-3697, point 9: constatation des effets restrictifs potentiels de l'interdiction de
commercialiser en Italie des fromages ayant un taux de matières grasses inférieur au minimum légal, sur les importations de produits provenant d'autres États membres - tels que la France - dans lesquels ils étaient légalement fabriqués et mis dans le commerce). Nous observons que, et ce n'est pas un hasard, dans une bonne partie des cas que nous venons de rappeler, la Commission a «mis en marche» la procédure de manquement sur dénonciation des opérateurs économiques concernés ou d'autres États
membres.

(45) - Il n'apparaît pas tout à fait rationnel d'étendre le champ de l'obligation de reconnaissance mutuelle entre États membres du plan de l'action réglementaire respective à celui de la tradition - laquelle est une notion privée de valeur intrinsèque en termes de qualité, qui implique, par définition, l'absence de contrôles dans le pays d'origine (voir Heydebrand und der Lasa, précité à la note 35, p. 409 et 410). En fait, on ne peut sans doute expliquer de façon plausible les arrêts de la Cour en
la matière qu'à la lumière du contexte de fait de chaque espèce, dont on peut déduire que l'accent mis sur le caractère traditionnel du produit importé était, dans chaque cas, destiné essentiellement à rejeter l'argument - plus ou moins développé du bout des lèvres par les autorités de l'État d'importation - que le produit en question était précisément fabriqué afin de mettre dans le commerce dans l'État membre importateur un produit de qualité inférieure et à prix réduit, attrayant pour les
consommateurs de ce marché, en tirant avantage de l'absence de réglementation technico-commerciale dans l'État membre d'origine (voir Brouwer, O., «Free movement of foodstuffs and quality requirements: Has the Commission got it wrong?», Common Mkt. L. Rev., 1988, p. 237, en particulier p. 253, note 39). De son côté, l'avocat général M. Slynn a observé dans l'affaire 179/85, précitée à la note 44, p. 3892 et 3893) que, «si le critère de `l'usage loyalement et traditionnellement pratiqué' peut être
adéquat dans une affaire comme l'affaire `Prantl', dans laquelle se posait la question de l'indication indirecte d'origine, il ne nous semble pas qu'il soit nécessaire de s'y conformer en toutes circonstances. Si tel était le cas, cela entraverait le développement et la commercialisation de nouveaux produits». De surcroît, comme le gouvernement français l'a fait observer dans la présente procédure, le critère de l'équivalence des produits traditionnels est tellement vague qu'il s'avère inconciliable
avec l'exigence fondamentale de sécurité juridique. Ni la Cour ni la Commission n'ont encore expliqué «en quelles quantités et pendant combien de temps un produit doit être fabriqué et commercialisé avant de pouvoir remplir cette condition» (voir Brouwer, cit., p. 254; Oliver, précité à la note 26, p. 241).

(46) - Voir, parmi de nombreux autres, l'arrêt du 20 février 1975, Commission/Allemagne (12/74, Rec. p. 181, point 14), et du 16 décembre 1986, Commission/Grèce (124/85, Rec. p. 3935, point 7); c'est nous qui mettons en italique.

(47) - Voir les arrêts du 21 mars 1991, Commission/Italie (C-209/89, Rec. p. I-1575, point 6), et du 17 novembre 1992, Commission/Grèce (C-105/91, Rec. p. I-5871, point 20).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-184/96
Date de la décision : 16/10/1997
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'Etat - Article 30 du traité CE.

Libre circulation des marchandises

Mesures d'effet équivalent

Restrictions quantitatives


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : La Pergola
Rapporteur ?: Murray

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:495

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