ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
23 septembre 1997 ( *1 )
«Fonctionnaires — Congé annuel — Délai de route — Lieu d'origine hors d'Europe — Égalité de traitement»
Dans l'affaire T-172/96,
Yannick Chevalier-Belanoue, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Bruxelles, représenté par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure, Véronique Leclercq et Ariane Tornei, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
partie requérante,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Diego Canga Fano et Aidan Patrick Feeney, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,
partie défenderesse,
ayant pour objet l'annulation de la décision du Conseil du 29 janvier 1996 refusant de majorer le congé annuel du requérant d'un délai de route supplémentaire,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),
composé de M. A. Saggio, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 2 juillet 1997,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique et faits
1 L'article 7 de l'annexe V du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») accorde aux fonctionnaires le droit à une majoration de la durée de leur congé annuel d'un délai de route. Ce délai de route est fixé en fonction du lieu du congé, qui est, selon le quatrième alinéa dudit article, le lieu d'origine.
2 Le deuxième alinéa de l'article susmentionné prévoit, pour le voyage annuel en avion que peuvent se faire rembourser, conformément à l'article 8, paragraphe 2, second alinéa, de l'annexe VII du statut, les fonctionnaires dont les lieux d'affectation et d'origine se trouvent en Europe, lorsqu'ils sont situés à une distance en chemin de fer supérieur à 500 kilomètres ou dans les cas où l'itinéraire usuel comporte la traversée d'une mer, un délai de route d'une journée si la distance est inférieure
ou égale à 900 kilomètres, et de deux journées si la distance est supérieure à 900 kilomètres. Le troisième alinéa du même article ajoute que, à titre exceptionnel et sur demande du fonctionnaire intéressé, un délai de route supplémentaire peut être accordé, notamment dans le cas où le voyage aller-retour ne peut pas être effectué dans le délai initialement accordé.
3 Pour les fonctionnaires dont le lieu d'affectation et/ou le lieu d'origine se trouvent en dehors de l'Europe, le cinquième alinéa du même article dispose que le délai de route doit être fixé par décision spéciale, compte tenu des nécessités.
4 Le requérant est fonctionnaire au secrétariat général du Conseil de l'Union européenne. Par conséquent, son lieu d'affectation est Bruxelles. Son lieu d'origine a été fixé à Washington, DC (États-Unis d'Amérique).
5 Par décision du 9 mars 1995, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a fixé le délai de route du requérant à deux journées, tout en ajoutant que, si le requérant démontrait que le voyage aller-retour entre son lieu d'affectation et son lieu d'origine ne pouvait pas être effectué dans le délai accordé, un «délai de route supplémentaire adéquat» lui serait accordé.
6 En disposant ainsi, la décision du 9 mars 1995 a appliqué au requérant une directive interne du secrétariat général du Conseil adoptée le 21 décembre 1994, qui accorde un délai de route de deux journées, c'est-à-dire de 48 heures, aux fonctionnaires dont le lieu d'origine se trouve hors d'Europe, sous réserve d'un délai de route supplémentaire pour ceux qui démontrent que le voyage aller-retour ne peut être effectué en deux journées.
7 Par lettre du 23 mars 1995 adressée au directeur du personnel et de l'administration, le requérant a demandé un délai de route supplémentaire, au motif que le voyage de Bruxelles à Washington dure, tous transferts compris, onze à douze heures, que le voyage de Washington à Bruxelles s'effectue pendant la nuit, que le décalage horaire entre les deux lieux est de six heures, et que, en conclusion, le voyage Bruxelles-Washington-Bruxelles s'étale obligatoirement sur trois jours.
8 Par note du 11 avril 1995, le directeur du personnel et de l'administration a répondu que la règle selon laquelle un délai de route supplémentaire peut être demandé ne s'applique qu'après avoir effectué le voyage annuel, et il a, dès lors, invité le requérant à fournir, à l'occasion de la demande de remboursement des frais de son prochain voyage annuel, les éléments pouvant justifier l'octroi d'un délai de route supplémentaire.
9 Par lettre du 13 décembre 1995, le requérant a réitéré sa demande, cette fois-ci après avoir effectué son voyage annuel, et il a précisé que, en raison des trois journées de voyage et de la période de récupération s'y ajoutant, il entendait bénéficier d'un délai de route supplémentaire de deux journées.
10 Par note du 29 janvier 1996, le directeur du personnel et de l'administration a rejeté la demande, au motif que la durée du voyage aller-retour ne dépassait manifestement pas le délai de deux journées accordé.
11 Le 30 avril 1996, le requérant a introduit une réclamation, qui a fait l'objet d'une décision explicite de rejet notifiée au requérant le 25 juillet 1996.
Procédure et conclusions des parties
12 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 octobre 1996, le requérant a introduit le présent recours.
13 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 2 juillet 1997.
14 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— annuler la décision du Conseil du 29 janvier 1996, refusant de majorer son congé annuel d'un délai de route supplémentaire;
— condamner le défendeur aux dépens.
15 Le défendeur conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours;
— condamner le requérant aux dépens.
En droit
Sur le moyen unique, tiré d'une violation de l'article 7, cinquième alinéa, de l'annexe V du statut et du principe de l'égalité de traitement
Arguments des parties
16 Le requérant expose que le but du délai de route est de permettre aux fonctionnaires de bénéficier d'un congé annuel à leur lieu d'origine d'une même durée, quelle que soit la distance entre le lieu d'affectation et le lieu d'origine.
17 En s'abstenant de tenir compte de la durée effective et des conditions du voyage, ainsi que des besoins de récupération résultant du décalage horaire, le défendeur aurait méconnu tant le libellé de l'article 7, cinquième alinéa, de l'annexe V du statut, que le principe de l'égalité de traitement dans le contexte duquel celui-ci doit être lu. Plus particulièrement, il aurait désavantagé le requérant par rapport aux fonctionnaires dont le lieu d'origine se situe en Europe et qui ne doivent donc ni
surmonter un décalage horaire ni survoler une distance aussi longue que ceux dont le lieu d'origine est situé hors d'Europe. De plus, le requérant aurait été désavantagé par rapport aux fonctionnaires qui voyagent aux États-Unis dans le cadre d'une mission professionnelle et qui reçoivent justement un jour de congé pour récupérer du voyage et du décalage horaire. A ce dernier égard, le requérant cite la réglementation du Conseil en matière de mission professionnelle individuelle.
18 Le défendeur souligne, d'abord, que les mêmes délais de route sont octroyés aux fonctionnaires dont le lieu d'origine est en Europe et qui effectuent leur voyage annuel en avion et à ceux dont le lieu d'origine est hors d'Europe.
19 Ensuite, le défendeur soutient qu'aucune circonstance ne justifie l'octroi d'un délai de route supplémentaire au requérant. Il fait observer, à cet égard, qu'un vol de Bruxelles à Washington dure neuf heures, qu'un vol de Washington à Bruxelles dure sept heures et demie, que la durée totale du voyage aller-retour est donc de seize heures et demie et que, par conséquent, le requérant peut aisément effectuer son voyage annuel dans le délai de 48 heures qui lui est accordé à cet effet.
20 Enfin, le défendeur estime que le requérant ne saurait comparer sa situation avec celle des fonctionnaires qui se déplacent aux États-Unis dans le cadre d'une mission. Il souligne que, dans le cas de ces derniers, l'octroi d'un jour de repos pour récupérer des effets du décalage horaire est nécessaire dans l'intérêt du service et qu'une telle nécessité n'est manifestement pas présente dans le cas où un voyage vers les États-Unis s'inscrit dans le cadre du congé annuel.
Appréciation du Tribunal
21 Selon une jurisprudence constante, il y a violation du principe de l'égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes dont les situations factuelle et juridique ne présentent pas de différences essentielles se voient appliquer un traitement différent ou lorsque des situations qui sont différentes sont traitées de manière identique (voir, par exemple, les arrêts du Tribunal du 7 février 1991, Tagaras/Cour de justice, T-18/89 et T-24/89, Rec. p. II-53, point 68, et du 14 avril 1994,
A/Commission, T-10/93, Rec. p. II-179, point 42).
22 Force est de constater que la situation du requérant présente une différence essentielle par rapport à celle des fonctionnaires qui entreprennent un voyage aller-retour aux États-Unis dans le cadre d'une mission professionnelle. En effet, dans le cas des fonctionnaires qui effectuent le voyage dans le cadre d'une mission professionnelle, la récupération de la fatigue du voyage, et notamment du décalage horaire, peut s'imposer dans l'intérêt immédiat du service, et peut donc justifier l'octroi
d'un délai de repos. En revanche, l'octroi d'un délai de repos aux fonctionnaires qui effectuent le même voyage dans le cadre du congé annuel n'aurait manifestement pas les mêmes bénéfices pour le service.
23 Le Tribunal estime que le requérant n'a pas non plus été traité d'une façon discriminatoire par rapport aux fonctionnaires dont le lieu d'origine est situé en Europe et distant de plus de 900 kilomètres de leur lieu d'affectation, et qui choisissent l'avion comme moyen de transport pour leur voyage annuel. A cet égard, il convient de constater, d'une part, que, en accordant deux journées de délai de route au requérant, le défendeur a traité la situation du requérant de manière identique à celle
de ces autres fonctionnaires et, d'autre part, que la situation du requérant ne présente pas une différence pertinente par rapport à la situation desdits fonctionnaires. En effet, s'il est vrai que le voyage annuel du requérant exige plusieurs heures de vol de plus que le voyage annuel des fonctionnaires dont le lieu d'origine est situé en Europe, il n'en reste pas moins que, tant pour lui que pour ces derniers, le voyage annuel, en ce compris une première récupération de la fatigue causée par
celui-ci, peut facilement s'effectuer dans le délai de route accordé, qui comporte 48 heures.
24 II ressort des considérations qui précèdent que, en accordant un délai de route de deux journées au requérant, le défendeur n'a pas méconnu le principe de l'égalité de traitement. Il ressort également des éléments exposés, et notamment du fait que le voyage annuel aller-retour du requérant peut facilement s'accomplir dans le délai de 48 heures accordé, que le défendeur a tenu suffisamment compte des nécessités du requérant. Il y a lieu d'ajouter, à cet égard, que le requérant n'a apporté aucun
élément de nature à démontrer que son voyage annuel, qui était à l'origine de la procédure précontentieuse et du présent recours, a été soumis à des retards ou à d'autres circonstances qui auraient eu comme conséquence que ce voyage ne pouvait pas être effectué dans le délai accordé.
25 II en résulte que le défendeur n'a méconnu ni l'article 7, cinquième alinéa, de l'annexe V du statut ni le principe de l'égalité de traitement dans le respect duquel ladite disposition du statut doit être appliquée. Par conséquent, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
26 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en ses moyens et le défendeur ayant conclu à ce que le requérant soit condamné aux dépens, chacune des parties supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) Chaque partie supportera ses propres dépens.
Saggio
Tiili
Moura Ramos
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 1997.
Le greffier
H. Jung
Le président
A. Saggio
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure: le français.