ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)
11 juillet 1997 ( *1 )
«Fonctionnaires — Arrêt du Tribunal — Demande de reclassement en grade — Exception d'irrecevabilité — Fait nouveau et substantiel — Recevabilité»
Dans l'affaire T-16/97,
Bruno Chauvin, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par Me Nicolas Lhoëst, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes Florence Clotuche et Christine Berardis-Kayser, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet l'annulation de la décision de la Commission du 18 juin 1996, rejetant la demande du requérant tendant à obtenir une révision de son classement en grade,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët et A. Potocki, juges,
greffier: M. H. Jung,
rend la présente
Ordonnance
Faits à l'origine du litige
1 Par décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») du 13 février 1995, le requérant a été nommé fonctionnaire stagiaire en qualité d'administrateur avec classement provisoire au grade A 7, échelon 1, avec effet au 1er février 1995. Le requérant a été affecté à la direction générale Agriculture (DG VI), direction «affaires internationales concernant l'agriculture», unité «Europe sauf AELE, Méditerranée, ACP, nouveaux États indépendants».
2 Par décision du 31 août 1995, 1'AIPN a fixé définitivement le classement du requérant au grade A 7, échelon 3. Il en a accusé réception le 25 septembre 1995.
3 Par décision du 29 mars 1996, prenant effet le 1er novembre 1995, l'AIPN a titularisé le requérant dans son emploi.
4 Le 5 octobre 1995, le Tribunal a rendu son arrêt dans l'affaire Alexopoulou/Commission(T-17/95, RecFP p. II-683, ci-après «arrêt Alexopoulou»).
5 Par décision du 7 février 1996 (ci-après «décision du 7 février 1996»), publiée aux Informations administratives du 27 mars 1996, la Commission a apporté une modification à sa décision du 1er septembre 1983 relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement (ci-après «décision du 1er septembre 1983»). Suite à cette modification, l'article 2, premier alinéa, de cette dernière décision doit désormais se lire comme suit:
«[L'AIPN] nomme le fonctionnaire stagiaire au grade de base de la carrière pour laquelle il est recruté.
Par exception à ce principe, 1'AIPN peut décider de nommer le fonctionnaire stagiaire au grade supérieur de la carrière, lorsque des besoins spécifiques du service exigent le recrutement d'un titulaire particulièrement qualifié ou lorsque la personne recrutée possède des qualifications exceptionnelles.»
6 Le 21 février 1996, le requérant a, au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), introduit auprès de l'AIPN une demande de révision de son classement en grade, compte tenu des critères de classement établis par l'arrêt Alexopoulou. Il a demandé à être classé au moins au grade A 6.
7 Cette demande a été rejetée par décision de la Commission du 18 juin 1996 (ci-après «décision attaquée»), au motif que la demande avait été introduite plus de trois mois après la décision de classement initial qui avait été prise à son égard.
8 Le 24 juin 1996, le requérant a introduit une réclamation contre la décision attaquée. Dans cette réclamation, il précisait: «L'objet de ma demande ne consistait pas à contester un ‘acte me faisant grief’, au sens de [l'article 90, paragraphe 2], du statut, la décision concernant mon classement au recrutement ayant été prise conformément aux critères de classement appliqués à l'époque. Je demandais à 1'AIPN de décider d'examiner mon classement au recrutement, au titre des articles 31, paragraphe
2, et 90, paragraphe 1, du statut, compte tenu de 1'[arrêt Alexopoulou] invalidant les critères de classement appliqués à la période de mon recrutement, et conformément au principe de l'égalité de traitement.»
9 La Commission n'ayant fourni aucune réponse à la réclamation, celle-ci a donc fait l'objet d'une décision implicite de rejet, intervenue le 24 octobre 1996.
Procédure et conclusions des parties
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 1997, le requérant a introduit le présent recours à l'encontre de la décision attaquée.
11 Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 10 avril 1997, la Commission a, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité.
12 Le requérant a déposé ses observations sur l'exception d'irrecevabilité le 16 juin 1997.
13 Dans sa requête, la partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— déclarer le recours recevable;
— annuler la décision attaquée;
— annuler pour autant que de besoin la décision implicite rejetant la réclamation du requérant;
— condamner la Commission aux dépens.
14 Dans son exception d'irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours comme irrecevable;
— statuer comme de droit sur les dépens.
15 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, la partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter l'exception d'irrecevabilité et, par conséquent, déclarer le recours recevable;
— condamner la Commission aux dépens.
Sur la recevabilité
16 Selon l'article 114 du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu'il y a lieu, en conséquence, de statuer sur la demande sans engager de procédure orale.
Arguments des parties
17 La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité tirée de ce que le requérant a omis d'introduire, dans le délai statutaire, une réclamation contre l'acte lui faisant grief, à savoir la décision du 31 août 1995 arrêtant son classement définitif.
18 La demande de reclassement du 21 février 1996 ne saurait, selon la Commission, justifier la réouverture d'un délai de contestation échu, permettant ensuite l'introduction d'une nouvelle réclamation (arrêt de la Cour du 14 juin 1988, Muysers et Tiilp/Cour des comptes, 161/87, Rec. p. 3037, point 11).
19 A cet égard, la Commission soutient que, ni l'arrêt Alexopoulou, ni la décision du 7 février 1996 ne constituent un fait nouveau et substantiel susceptible de rouvrir les délais statutaires expirés (arrêt de la Cour du 21 février 1974, Schots-Kortner e. a./Conseil, Commission et Parlement, 15/73 à 33/73, 52/73, 53/73, 57/73 à 109/73, 116/73, 117/73, 123/73, 132/73, 135/73 à 137/73, Rec. p. 177, ainsi que l'arrêt du Tribunal du 24 septembre 1996, Sergio/Commission, T-185/95, RecFP p. II-1215).
20 D'après la Commission, le requérant tente de contourner la jurisprudence en la matière lorsqu'il fait valoir que, par sa demande, il n'a pas entendu attaquer son classement initial, mais qu'il a seulement voulu obtenir une revalorisation de ce classement à la suite de la décision du 7 février 1996. L'affirmation du requérant serait, par ailleurs, contredite par le libellé de sa propre demande du 21 février 1996.
21 Quant à la décision du 7 février 1996, portant modification des critères applicables au classement en grade lors du recrutement, la Commission affirme, en premier lieu, qu'elle n'a pas d'effet constitutif. En effet, elle ne ferait que reprendre les critères d'application de l'article 31, paragraphe 2, du statut, tels qu'ils ont été indiqués par le Tribunal dans l'arrêt Alexopoulou.
22 En second lieu, la Commission conteste que la jurisprudence découlant des arrêts de la Cour du 6 octobre 1982, Williams/Cour des comptes (9/81, Rec. p. 3301), et du Tribunal du 6 mars 1996, Becker/Cour des comptes (T-93/94, Rec. p. II-141), soit transposable en l'espèce. D'après elle, le juge communautaire a, dans ces affaires, considéré que l'administration était tenue, sous peine de violer le principe d'égalité de traitement entre les fonctionnaires et leur droit à une égale vocation à la
carrière, d'appliquer une nouvelle règle générale de classement plus favorable, dont l'adoption résultait de l'initiative de l'administration, à des fonctionnaires dont le classement avait été arrêté avant son entrée en vigueur. Or, en l'espèce, il ne s'agirait pas, à la différence des dispositions examinées dans les affaires Becker et Williams, d'une règle qui a vocation à s'appliquer à tout fonctionnaire.
23 Enfin, la Commission observe que le délai de réclamation est d'ordre public. Par conséquent, le reproche avancé à l'encontre de la Commission, qui se serait abstenue de tenir compte de l'intérêt personnel du requérant, serait dénué de tout fondement.
24 Le requérant observe, à titre liminaire, qu'il n'attaque pas son classement initial, celui-ci ayant été adopté sur la base de dispositions non contestées à l'époque. En revanche, sa demande du 21 février 1996 aurait visé à obtenir un examen de ses qualifications et des besoins spécifiques du service en vue, le cas échéant, d'être classé à un grade autre que le grade de base de la carrière. En d'autres termes, la demande aurait uniquement porté sur l'appréciation de l'opportunité d'une éventuelle
application de l'article 31, paragraphe 2, du statut et, partant, une revalorisation de son classement en grade à la suite de la décision que la Commission a adoptée le 7 février 1996, et dont elle a fixé la prise d'effet au 5 octobre 1995.
25 Cela étant précisé, le requérant fait valoir, en premier lieu, qu'il a pu légitimement supposer que les critères de classement, arrêtés dans la décision du 1er septembre 1983, qui étaient en vigueur depuis près de douze années et sur lesquels 1'AIPN s'était appuyée pour fixer son classement, étaient légaux. Or, l'arrêt Alexopoulou aurait condamné une pratique illégale de la Commission, de sorte que cet arrêt ainsi que la décision du 7 février 1996 modifiant les critères de classement devraient
être considérés comme des faits nouveaux permettant d'introduire une demande de réexamen.
26 En deuxième lieu, un réexamen du classement du requérant s'imposerait afin de respecter le principe d'égalité de traitement, tel qu'il est consacré par l'article 5, paragraphe 3, du statut. Ce principe constituerait une règle supérieure de droit (arrêt du Tribunal du 15 décembre 1994, Unifruit Hellas/Commission, T-489/93, Rec. p. II-1201, point 42). A cet égard, le requérant affirme qu'il ne peut être contesté que la décision du 1er septembre 1983, excluant toute possibilité de classement à un
grade supérieur, est moins favorable que la décision du 7 février 1996, qui autorise le classement à un grade supérieur sous certaines conditions. Réserver l'application de cette dernière décision aux seuls fonctionnaires nommés après son entrée en vigueur, alors que ces fonctionnaires devraient à l'avenir exercer leurs fonctions au sein de la même institution avec les autres fonctionnaires classés sous l'empire des anciens critères moins favorables, reviendrait, selon le requérant, à enfreindre
le principe d'égalité de traitement.
27 Cette appréciation serait confirmée par l'arrêt Becker/Cour des comptes, précité, dans lequel le Tribunal a jugé que l'absence de caractère rétroactif d'un nouveau règlement ne saurait mettre obstacle à l'application immédiate des dispositions qu'il a insérées dans le statut à toutes les personnes qui entrent dans le champ d'application de celles-ci, y compris les agents temporaires nommés fonctionnaires avant l'entrée en vigueur dudit règlement (point 29 de l'arrêt). De même, dans l'affaire
Williams/Cour des comptes, précitée, la Cour aurait, à la suite de la mise en vigueur d'une décision générale comportant de nouveaux critères de classement, reconnu au fonctionnaire concerné le droit de réclamer un nouvel examen de sa situation en vue d'obtenir une adaptation de son classement (point 14 de l'arrêt).
28 Il s'ensuivrait que le requérant a droit à ce que ses qualifications soient examinées en vue d'une éventuelle application de l'article 31, paragraphe 2, du statut. Contrairement à ce que la Commission fait valoir, celle-ci ne pourrait, sous prétexte d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire quant à l'application de ladite disposition, exclure un tel réexamen.
29 Le requérant soutient, en troisième lieu, que le devoir de sollicitude, impliquant que l'administration, lorsqu'elle statue sur la situation d'un fonctionnaire, tienne compte non seulement de l'intérêt du service, mais également de celui du fonctionnaire, n'a pas été respecté en l'espèce.
30 Pour se conformer à ce devoir, la Commission aurait dû adopter une attitude analogue à celle adoptée à la suite des arrêts de la Cour du 12 juillet 1984, Angelidis/Commission (17/83, Rec. p. 2907), du 15 mai 1985, Esly/Commission (127/84, Rec. p. 1437), du 15 janvier 1985, Samara/Commission (266/83, Rec. p. 189), du 20 juin 1985, Spachis/Commission (138/84, Rec. 1939), et du Tribunal du 28 septembre 1993, Baiwir e.a./Commission (T-103/92, T-104/92 et T-105/92, Rec. p.G II-987). Le requérant
rappelle que, suite à ces affaires établissant des principes d'application générale, la Commission a décidé, dans un souci d'équité, d'étendre la portée de ces arrêts à d'autres fonctionnaires qui, tout en se trouvant dans la même situation que les requérants, n'avaient pas introduit de recours en annulation devant le juge communautaire. Il s'agirait là d'une règle de conduite que la Commission s'est imposée auparavant et dont elle ne pourrait maintenant s'écarter.
31 Enfin, le requérant conteste l'affirmation de la Commission selon laquelle l'arrêt Alexopoulou n'aurait pas de caractère «constitutif». En effet, l'arrêt établirait, pour la première fois, les critères d'application générale en matière de classement à un grade autre que le grade de base, critères qui ne figuraient nulle part dans l'article 31, paragraphe 2, du statut.
Appréciation du Tribunal
32 Selon une jurisprudence constante, les délais de réclamation et de recours fixés par les articles 90 et 91 du statut sont d'ordre public et ne sont pas à la disposition des parties et du juge, ayant été institués en vue d'assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques (arrêt de la Cour du 23 janvier 1997, Coen, C-246/95, Rec. p. I-403, point 21, et arrêt du Tribunal du 23 avril 1996, Mancini/Commission, T-113/95, RecFP p. II-543, point 20). Les éventuelles exceptions ou dérogations à
ces délais doivent être interprétées de manière restrictive (ordonnance du Tribunal du 15 décembre 1995, Progoulis/Commission, T-131/95, RecFP p. II-907, point 36).
33 Il est constant que le requérant n'a pas, dans le délai de trois mois prévu par l'article 90, paragraphe 2, du statut, introduit une réclamation dirigée contre la décision de l'AIPN du 31 août 1995 portant sur son classement lors du recrutement. Par conséquent, le classement en grade du requérant est devenu définitif à partir de l'expiration du délai de réclamation, soit le 25 décembre 1995, le requérant ayant accusé réception, le 25 septembre 1995, de la décision de l'AIPN (voir ci-dessus point
2).
34 Le Tribunal rappelle que, ainsi que le juge communautaire l'a déjà jugé, un fonctionnaire ne saurait remettre en question les conditions de son recrutement initial après que celui-ci est devenu définitif (arrêt de la Cour du 1er décembre 1983, Blomefield/Commission, 190/82, Rec. p. 3981, point 10; ordonnance Progoulis/Commission, précitée, point 38).
35 Le Tribunal considère que la demande du requérant du 21 février 1996 vise précisément à remettre en question les conditions de son recrutement initial, notamment son classement en grade. En effet, il ressort du libellé de ladite demande que le requérant était d'avis que «conformément à la jurisprudence créée par 1'[arrêt Alexopoulou], la Commission aurait dû examiner [sa] nomination au titre de l'article 31, paragraphe 2, du statut». Le requérant a conclu en sollicitant qu'il lui soit «attribué,
sur la base de l'article 31, paragraphe 2, du statut, un nouveau classement, à la date de [son] entrée en service, au grade A 6 [...]».
36 A supposer même que la demande du 21 février 1996 doive être interprétée de manière limitative, ainsi que l'a proposé le requérant (voir ci-dessus points 8 et 24), c'est-à-dire comme visant uniquement à obtenir une appréciation de ses qualifications en vue d'une application éventuelle de l'article 31, paragraphe 2, du statut, il n'en reste pas moins que cette demande est susceptible de mettre indirectement en cause la décision de l'AIPN du 31 août 1995, laquelle est devenue définitive.
37 Or, il résulte d'une jurisprudence constante que, si aux termes de l'article 90, paragraphe 1, du statut tout fonctionnaire peut demander à l'AIPN de prendre à son égard une décision, cette faculté ne permet cependant pas au fonctionnaire d'écarter les délais prévus par les articles 90 et 91 pour l'introduction d'une réclamation et d'un recours, en mettant indirectement en cause, par le biais d'une demande, une décision antérieure qui n'avait pas été contestée dans les délais. Seule l'existence
de faits nouveaux substantiels peut justifier la présentation d'une demande tendant au réexamen d'une telle décision (arrêts Esly/Commission, précité, point 10, et Muysers et Tulp/Cour des comptes, précité, point 11).
38 A ce stade de raisonnement, il y a donc lieu d'examiner la question de savoir, si soit l'arrêt Alexopoulou, soit la décision du 7 février 1996 peuvent constituer un fait nouveau et substantiel permettant d'introduire, après l'expiration du délai de réclamation, une demande de reclassement.
39 L'arrêt Alexopoulou ne constitue pas un tel fait nouveau.
40 A cet égard, il convient de rappeler que, par cet arrêt, le Tribunal a notamment jugé que, si l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à l'AIPN par l'article 31, paragraphe 2, du statut peut être réglementé par des directives internes, comme la décision du 1er septembre 1983, celles-ci ne sauraient légalement, en aucun cas, poser des règles qui dérogent aux dispositions du statut.
41 Dans l'affaire Alexopoulou, il a été constaté que la Commission avait fondé la décision litigieuse sur la décision du 1er septembre 1983, par laquelle l'institution avait entièrement renoncé au pouvoir d'appréciation conféré par l'article 31, paragraphe 2, du statut. Or, le Tribunal a considéré que la décision du 1er septembre 1983 enfreignait le statut dans la mesure où elle ne permettait pas à l'AIPN de nommer un fonctionnaire à un grade supérieur de sa carrière. Par conséquent, le Tribunal a
annulé la décision litigieuse pour autant qu'elle avait pour objet le classement de la requérante en grade, cette décision étant entachée d'une erreur de droit dans la mesure où la Commission avait refusé une nomination au grade supérieur au motif que la décision du 1er septembre 1983 en excluait la possibilité.
42 Il y a lieu de souligner que le Tribunal n'a pas annulé la décision du 1er septembre 1983, bien qu'il ait jugé inapplicables certaines de ses dispositions dans le cas concret dont il avait à connaître. Dans ces circonstances, l'arrêt Alexopoulou ne saurait être invoqué par des parties qui ont omis de faire usage, en temps utile, des possibilités de recours qui leur sont offertes par le statut (arrêt Schots-Kortner e.a./Conseil, Commission et Parlement, précité, point 38).
43 En effet, les effets juridiques d'un arrêt annulant un acte ne se rapportent, outre aux parties, qu'aux personnes concernées directement par l'acte annulé lui-même, et un arrêt n'est susceptible de constituer un fait nouveau qu'à l'égard de ces personnes (voir les arrêts de la Cour du 17 juin 1965, Müller/Conseils de la CEE, CEEA et CECA, 43/64, Rec. p. 499, 515, du 15 décembre 1966, Mosthaf/Commission de la CEEA, 34/65, Rec. p. 753, 768, et du 8 mars 1988, Brown/Cour de justice, 125/87, Rec. p.
1619, point 13, et l'ordonnance Progoulis/Commission, précitée, point 41).
44 En l'espèce, le requérant ne prétend pas avoir été concerné directement par l'acte annulé par l'arrêt Alexopoulou. Celui-ci ne saurait, dès lors, être considéré comme un fait nouveau substantiel susceptible de rouvrir le délai de réclamation au profit du requérant.
45 De surcroît, dans le cadre d'un recours en révision d'un arrêt de la Cour, celle-ci a considéré qu'un arrêt, rendu entre-temps par le Tribunal et comportant une appréciation juridique sur des faits qui pouvaient éventuellement être qualifiés de nouveaux, ne saurait en aucun cas constituer lui-même un fait nouveau (arrêt de la Cour du 19 mars 1991, Ferrandi/Commission, C-403/85 rév, Rec. p. I-1215, point 13). Il s'ensuit que l'appréciation portée par l'arrêt Alexopoulou sur la légalité de la
décision du 1er septembre 1983 ne saurait, elle, être qualifiée de fait nouveau. Rien n'empêchait les fonctionnaires de contester leur classement en grade à l'époque de leur recrutement, en faisant valoir que les dispositions sur lesquelles se fondait la décision de classement étaient illégales.
46 Quant à la décision du 7 février 1996 portant modification de la décision générale du 1er septembre 1993, le Tribunal considère que, par sa nature même et sa portée juridique, elle ne saurait, non plus, constituer un fait nouveau. Ladite décision n'avait pas pour objet ni pour effet de remettre en cause des décisions administratives devenues définitives avant son entrée en vigueur (voir, dans le même sens, les arrêts Brown/Cour de justice, précité, point 14, et Schots-Kortner e.a./Commission,
précité, point 39).
47 La jurisprudence résultant des arrêts Williams/Cour des comptes et Becker/Cour des comptes, précités, n'est pas transposable en l'espèce.
48 En effet, il convient de relever, d'une part, que la Commission, par la décision du 7 février 1996, s'est bornée à apporter une modification nécessaire à la décision du 1er septembre 1983, afin de se conformer à l'arrêt Alexopoulou. L'article 2, premier alinéa, de cette décision, tel que modifié, contient une réserve conforme à l'article 31, paragraphe 2, du statut et à la jurisprudence en la matière, à savoir qu'une décision interne qui régit l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par
ladite disposition doit laisser ouverte la possibilité de nommer une personne au grade supérieur de la carrière (voir, notamment, l'arrêt Alexopoulou, points 21 et 24).
49 D'autre part, il importe de souligner que, comme la Commission l'a fait valoir à juste titre, l'article 31, paragraphe 2, du statut ne contient pas, à la différence des dispositions examinées dans les affaires Becker/Cour des comptes et Williams/Cour des comptes, précitées, une règle qui a vocation à s'appliquer à tout fonctionnaire. Au contraire, l'article 31, paragraphe 2, confère un pouvoir discrétionnaire à l'AIPN de nommer — à titre exceptionnel — un fonctionnaire nouvellement recruté au
grade supérieur de sa carrière. De plus, le Tribunal rappelle qu'il résulte de l'arrêt Alexopoulou que l'AIPN n'est pas, en règle générale, tenue d'examiner dans chaque cas s'il y a lieu d'appliquer l'article 31, paragraphe 2, du statut ni de motiver une décision de ne pas faire usage de ladite disposition (point 20 de l'arrêt).
50 Étant donné que la faculté dont dispose l'administration de nommer un fonctionnaire nouvellement recruté au grade supérieur des carrières de base et des carrières intermédiaires doit être comprise comme une exception aux règles générales de classement (arrêt de la Cour du 21 janvier 1987, Powell/Commission, 219/84, Rec. p. 339, et arrêt Alexopoulou, point 20), le Tribunal considère que l'adoption de la décision du 7 février 1996 n'est pas de nature à faire grief au requérant et donc susceptible
de constituer un fait nouveau à son égard (voir, a contrario, arrêt Williams/Cour des comptes, précité, point 14).
51 Compte tenu des considérations qui précèdent, et notamment du caractère dérogatoire de l'article 31, paragraphe 2, du statut, le Tribunal considère que le fait que la Commission ait rejeté une demande de reclassement en grade, introduite après l'expiration du délai de réclamation, ne saurait, contrairement à l'avis du requérant, constituer une violation du principe d'égalité de traitement.
52 S'agissant de l'argument du requérant selon lequel la Commission aurait manqué aux obligations lui incombant en vertu du devoir de sollicitude, il suffit de rappeler que ce devoir ne saurait en aucun cas conduire l'administration à donner à une disposition communautaire une interprétation qui va à l'encontre des termes précis de celle-ci (arrêt Becker/Cour des comptes, précité, point 36, avec référence à la jurisprudence). En l'espèce, l'article 31, paragraphe 2, du statut doit être interprété en
ce sens qu'il ne s'applique qu'exceptionnellement lors du recrutement d'un fonctionnaire (voir ci-dessus point 49). Dès lors, le Tribunal considère que la Commission n'a pas manqué à ses obligations en refusant de réexaminer le classement en grade du requérant. La jurisprudence invoquée par le requérant à l'appui de sa thèse (voir ci-dessus point 30) est d'ailleurs dépourvue de pertinence, puisque les règles établies dans ces arrêts ont, contrairement à l'article 31, paragraphe 2, du statut,
vocation à s'appliquer à tous les fonctionnaires.
53 Le requérant n'étant pas en mesure d'avancer de faits nouveaux permettant de rouvrir les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut, il y a lieu de constater qu'il est forclos à attaquer la décision du 31 août 1995, fixant son classement en grade, qui est devenue définitive le 25 décembre 1995 (voir-ci-dessus point 33).
54 Le présent recours ayant pour objet de mettre indirectement en cause cette décision de classement, il convient, dès lors, de le rejeter comme irrecevable.
Sur les dépens
55 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En l'espèce, chaque partie supportera donc ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
ordonne:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Chaque partie supportera ses propres dépens.
Fait à Luxembourg, le 11 juillet 1997.
Le greffier
H. Jung
Le président
B. Vesterdorf
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( *1 ) Langue de procédure: le français.