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25/06/1997 | CJUE | N°T-7/96

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance, Francesco Perillo contre Commission des Communautés européennes., 25/06/1997, T-7/96


Avis juridique important

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61996A0007

Arrêt du Tribunal de première instance (première chambre) du 25 juin 1997. - Francesco Perillo contre Commission des Communautés européennes. - Convention de Lomé - Fonds européen de développement - Non-paiement du marché - Responsabilité non contractuelle de la Commission.

- Affaire T-7/96.
Recueil de jurisprudence 1997 page II-01061

Sommai...

Avis juridique important

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61996A0007

Arrêt du Tribunal de première instance (première chambre) du 25 juin 1997. - Francesco Perillo contre Commission des Communautés européennes. - Convention de Lomé - Fonds européen de développement - Non-paiement du marché - Responsabilité non contractuelle de la Commission. - Affaire T-7/96.
Recueil de jurisprudence 1997 page II-01061

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

1 Accords internationaux - Quatrième convention ACP-CEE de Lomé - Dispositions relatives à la coopération financière et technique - Passation et exécution des marchés publics de fournitures - Recours en indemnité intenté contre la Commission - Compétence du Tribunal - Portée - Responsabilité de la Communauté - Conditions

(Traité CE, art. 178 et 215, alinéa 2; quatrième convention ACP-CEE de Lomé du 15 décembre 1989, art. 317)

2 Procédure - Dépens - Frais frustratoires ou vexatoires

(Règlement de procédure du Tribunal, art. 87, § 3, alinéa 2)

Sommaire

3 Lorsqu'il est saisi d'un recours en indemnité dirigé contre la Commission dans le cadre d'un marché de fournitures financé par le Fonds européen de développement, en vertu de la quatrième convention ACP-CEE, le Tribunal n'a pas compétence pour se prononcer sur les droits que l'adjudicataire peut éventuellement tirer du marché en vue d'obtenir son exécution. En revanche, rien ne fait obstacle à ce que le Tribunal contrôle le comportement de la délégation de la Commission dans l'État ACP concerné, à
la lumière des obligations, lui incombant en vertu de l'article 317 de la convention, de faciliter et d'accélérer la préparation, l'instruction et l'exécution des projets et programmes, et cela conformément aux exigences d'une bonne administration. A cet égard, et dans la mesure où la délégation a mal respecté lesdites exigences, sa faute ne conduit toutefois pas, en tant que telle, à une responsabilité de la Commission ouvrant à l'adjudicataire un droit à la réparation des dommages qu'il invoque.
En effet, la responsabilité de la Communauté suppose que le requérant prouve non seulement l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée et la réalité d'un préjudice, mais également l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et ce préjudice, le préjudice devant, en outre, découler de façon suffisamment directe du comportement reproché.

4 Lorsque la naissance d'un litige a été favorisée par le comportement de l'institution défenderesse, qui a mal respecté les exigences d'une bonne administration, on ne saurait tenir rigueur au requérant d'avoir saisi le Tribunal en vue d'apprécier ce comportement, ainsi que le préjudice qui en a éventuellement découlé. Il convient donc, dans de telles circonstances, de faire application de l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, selon lequel le Tribunal peut
condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l'autre partie les frais d'une procédure occasionnée par son propre comportement.

Parties

Dans l'affaire T-7/96,

Francesco Perillo, exerçant sous l'enseigne ITAM SIDER, demeurant à Altamura (Italie), représenté par Me Mario Spandre, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Pierre Thielen, 21, rue de Nassau,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Étienne Lasnet, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande, au titre des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CE, visant à obtenir la réparation du préjudice prétendument subi par le requérant dans le cadre d'un programme financé par le Fonds européen de développement,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(première chambre),

composé de M. A. Saggio, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 29 janvier 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

Cadre juridique et faits

1 Par décision 91/400/CECA/CEE du 25 février 1991, le Conseil et la Commission ont approuvé la quatrième convention ACP-CEE, signée à Lomé le 15 décembre 1989 (JO L 229, p. 1, ci-après «convention»). Selon l'article 222 de la convention, les interventions financées dans le cadre de la convention doivent être mises en oeuvre par les États ACP et la Communauté en étroite coopération. Cette obligation de coopération engendre, entre autres, pour les États ACP la responsabilité de préparer et de
présenter les dossiers des projets et programmes, pour la Communauté la responsabilité de prendre les décisions de financement pour les projets et programmes et, pour les États ACP et la Communauté, la responsabilité conjointe d'assurer une exécution adéquate, rapide et efficace des projets et programmes.

2 A cet effet, l'article 316 de la convention prévoit que la Commission est représentée dans chaque État ACP ou groupe régional d'États ACP par un délégué. L'article 317 de la convention attribue comme tâche au délégué de faciliter et d'accélérer la préparation, l'instruction et l'exécution des projets et programmes, cela en étroite coopération avec l'ordonnateur national de l'État ACP auprès duquel il est affecté. Selon l'article 312 de la convention, l'ordonnateur national est désigné par le
gouvernement de l'État ACP concerné et représente celui-ci pour toutes les opérations financières effectuées dans le cadre de la coopération ACP-CEE, comme celles portant sur les ressources du Fonds européen de développement (ci-après «FED»).

3 En 1993, l'entreprise de droit italien ITAM SIDER, dont le requérant est titulaire, a été déclarée adjudicataire d'un marché de fournitures dans le cadre d'un programme financé par le FED. Le marché avait pour objet la fourniture de 40 000 bouteilles à gaz vides à la Société mauritanienne de gaz (Somagaz, établie à Nouakchott, Mauritanie), qui assumait ainsi le rôle de maître d'ouvrage.

4 Le marché a été signé le 27 juin 1993 et son montant a été fixé à 66 384 000 ouguiyas (montant dont il a été convenu qu'il équivalait à 457 144 écus). Le marché stipulait que, «[e]n contrepartie des paiements à effectuer par le maître d'ouvrage au titulaire dans les conditions indiquées dans le marché, le titulaire s'engage [...] à exécuter le marché conformément aux dispositions du marché», et que «[l]e maître d'ouvrage s'engage [...] à payer au titulaire, à titre de rétribution pour l'exécution
du marché, les sommes prévues au marché».

5 L'article 43 du cahier général des charges stipule qu'une partie est en défaut d'exécution du marché lorsqu'elle ne remplit pas l'une quelconque de ses obligations au titre du marché et que dans un tel cas la partie lésée a le droit de demander une indemnisation et/ou de résilier le marché. L'article 44 précise les conditions auxquelles une résiliation par le maître d'ouvrage est soumise.

6 Il n'est pas contesté entre les parties que la date limite pour l'exécution du marché était fixée au 13 septembre 1993.

7 En juillet 1993, ITAM SIDER a fourni à Somagaz une garantie bancaire de bonne exécution, couvrant 10 % du montant du marché. A la fin du même mois, ITAM SIDER a informé Somagaz qu'elle avait commencé la production des bouteilles et a annoncé que son usine serait fermée du 5 au 28 août 1993.

8 Le 22 août 1993, Somagaz a invité ITAM SIDER à envoyer sa demande de paiement d'une avance de 60 % du montant du marché, accompagnée d'une caution bancaire garantissant cette avance. ITAM SIDER a envoyé cette demande, accompagnée toutefois d'une caution bancaire qui garantissait seulement 25 % du montant du marché. Somagaz a dès lors payé à ITAM SIDER une avance correspondant à 25 % du montant du marché.

9 Le 5 octobre 1993, ITAM SIDER a envoyé vers la Mauritanie 7 007 bouteilles. Le 1er décembre 1993, elle a envoyé un deuxième lot de 24 381 bouteilles, suivi par un troisième lot de 6 779 bouteilles au 7 février 1994 et un dernier lot de 1 889 bouteilles au 14 février 1994.

10 Le 6 décembre 1993, Somagaz a reçu le premier lot et a exprimé certaines critiques sur la qualité des bouteilles. Par télécopies des 7 et 13 décembre 1993, Somagaz a informé le requérant de ces critiques. Par lettre du 14 décembre 1993, elle a également communiqué ces critiques à l'ordonnateur de la Mauritanie, auquel elle a demandé de charger un expert de se prononcer sur la qualité des bouteilles.

11 Par lettre du 20 décembre 1993, l'ordonnateur de la Mauritanie a demandé au délégué de la Commission en Mauritanie de désigner un expert pour examiner la qualité des bouteilles. Le délégué a donné une suite favorable à cette demande, en chargeant un expert indépendant, de nationalité française, de venir examiner les bouteilles et de se prononcer, le cas échéant, sur la nature et l'étendue des écarts entre les caractéristiques techniques des bouteilles livrées et les spécifications techniques
requises dans le cadre du marché. A cet effet, un contrat d'études a été conclu entre la Commission et l'entreprise de consultations techniques à laquelle appartenait l'expert désigné. Le contrat a été signé le 18 février 1994 à Paris par un représentant de ladite entreprise et le 20 février 1994 à Nouakchott par le délégué de la Commission en Mauritanie.

12 Par télécopie envoyée le 20 février 1994, Somagaz a informé le requérant que l'expert désigné par la Commission commencerait ses travaux en Mauritanie le 21 février 1994, et l'a invité à y être présent. Le 24 février 1994, le requérant a répondu à Somagaz que, en raison de problèmes de réservation de vols, il ne pourrait être présent en Mauritanie que les 5 et 6 mars 1994 et a demandé que la visite de l'expert ait lieu à ces dates. Il n'a pas été donné une suite favorable à cette demande. Le 1er
mars 1994, l'expert a constaté que les bouteilles étaient à de nombreux égards non conformes aux spécifications techniques requises et que leur mise à la consommation ne pouvait être envisagée au vu des risques qu'encourraient les utilisateurs.

13 Par télécopie du 8 mars 1994, Somagaz a informé le requérant qu'elle refusait d'accepter le premier lot pour cause de non-conformité et l'a mis en demeure, sous menace de résiliation du marché, de livrer le reste des bouteilles avant le 23 mars 1994. Le 21 avril 1994, Somagaz a, par télécopie adressée au requérant, résilié le marché. Cette résiliation était motivée par la non-livraison de la quantité réclamée de bouteilles et par les défauts constatés par l'expert dans le premier lot de
bouteilles.

14 Les autres lots de bouteilles ont été bloqués, dès leur arrivée en Mauritanie et pendant une longue période, au port de Nouakchott. Ainsi, dans son rapport, l'expert a observé, dans un postscriptum, que 27 000 bouteilles étaient bloquées dans ce port depuis presque trois mois. Par télécopies des 26 juin et 7 août 1994, Somagaz a fait savoir au requérant qu'elle était disposée à recevoir les lots de bouteilles bloqués au port de Nouakchott, à condition que ce soit ITAM SIDER qui prenne en charge
leur acheminement du port vers ses installations.

15 Par télécopie du 30 juin 1994, le requérant a annoncé à Somagaz qu'il désignerait un expert en vue d'une contre-expertise du premier lot de bouteilles. Par télécopie du 17 juillet 1994, Somagaz a marqué son accord avec le principe d'une contre-expertise. Finalement, le requérant n'a pas désigné d'expert et il n'y a donc pas eu de contre-expertise.

16 Les 18 septembre et 13 décembre 1994, Somagaz a accusé réception des autres lots de bouteilles. Selon le requérant, ces bouteilles, ainsi que celles du premier lot, ont été utilisées par Somagaz.

17 Par lettre du 24 janvier 1995, le requérant a fait valoir auprès de la Commission que la résiliation du marché, communiquée par Somagaz par télécopie du 21 avril 1994, n'avait pas été faite conformément aux conditions fixées par l'article 44 du cahier général des charges.

18 Le requérant a présenté à Somagaz les factures de ses fournitures, mais celle-ci n'a, jusqu'à ce jour, pas effectué le paiement du solde du montant du marché (75 %). Selon le requérant, le directeur général de Somagaz lui aurait déclaré que, moyennant une commission de 10 %, il n'émettrait plus aucune objection au paiement des bouteilles. Le requérant affirme pouvoir prouver par témoins cette tentative de corruption.

19 En 1995, ITAM SIDER est devenue insolvable à l'égard de ses créanciers italiens, qui ont demandé sa mise en faillite. L'entreprise n'a pas été déclarée en faillite, mais ses effectifs ont été fortement réduits. Plusieurs banques ont, en outre, révoqué les crédits dont disposait le requérant auprès d'elles. Somagaz a voulu récupérer l'avance correspondant à 25 % du montant du marché, mais cela s'est avéré impossible étant donné que la garantie bancaire couvrant ce montant avait expiré le 31
décembre 1993. En revanche, Somagaz a pu récupérer la garantie de bonne exécution représentant 10 % du montant du marché.

Procédure et conclusions des parties

20 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 janvier 1996, le requérant a introduit le présent recours.

21 Afin de prouver son allégation selon laquelle Somagaz a utilisé les bouteilles qu'il lui a livrées, le requérant a joint au mémoire en réplique le transcript d'une conversation téléphonique qu'il a eue avec le directeur général de Somagaz et qu'il a enregistrée sur cassette.

22 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les parties ont toutefois été invitées à répondre par écrit à certaines questions avant l'audience.

23 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 29 janvier 1997.

24 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- condamner la défenderesse à payer une indemnisation de 838 776 écus, sous réserve d'augmentation ou de diminution en cours d'instance;

- condamner la défenderesse aux intérêts calculés sur les montants dûs à dater du 14 avril 1994;

- condamner la défenderesse aux dépens;

- déclarer le jugement exécutoire par provision nonobstant tout recours.

25 La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner le requérant aux dépens.

En droit

Arguments des parties

26 Le requérant met en cause le comportement de la délégation de la Commission en Mauritanie, en ce que celle-ci aurait prêté main forte à Somagaz et se serait abstenue d'instruire impartialement le dossier en cause. Dans la mesure où il a concrètement étayé cette accusation dans ses mémoires et lors de la procédure orale, le requérant a reproché à la délégation de ne pas avoir informé les services de la Commission de la mauvaise foi de Somagaz ainsi que de la tentative de corruption de la part du
directeur de celle-ci, d'avoir organisé un simulacre d'expertise, de ne pas avoir garanti le caractère contradictoire et la qualité de l'expertise et, enfin, de ne pas avoir remarqué l'irrégularité procédurale entachant la résiliation du marché.

27 En ce qui concerne notamment l'organisation de l'expertise, le requérant rappelle qu'il a été convoqué par télécopie du 20 février 1994 à l'expertise qui devait commencer le 21 février 1994. Il souligne que, de cette façon, l'expertise était nécessairement privée de tout caractère contradictoire, puisque, en raison des délais d'obtention de visa et de réservation de transport aérien pour la Mauritanie, il lui était impossible d'être à Nouakchott le 21 février 1994. Selon le requérant, cette
méconnaissance est imputable à la délégation de la Commission, puisque c'est elle qui a désigné l'expert et qui a arrêté tous les arrangements avec celui-ci.

28 Le requérant a précisé en cours d'instance qu'il évalue le préjudice causé par ces comportements à 838 776 écus. Ce montant se décomposerait comme suit: 338 775 écus (à savoir les 75 % non encore payés du montant du marché), à titre de réparation du préjudice lié au non-paiement de ses factures, 500 000 écus à titre de réparation du préjudice économique et financier allant au-delà de ce non-paiement et constitué par les frais liés aux voyages qu'il a effectués en Mauritanie dans le cadre du
marché et par les préjudices structuraux subis par ITAM SIDER, et un écu provisionnel, à titre de réparation des autres dommages que ceux précisés ci-dessus. Quant au poste de 500 000 écus, le requérant a précisé que le non-paiement de ses factures a entraîné pour lui un manque inattendu de disponibilités financières et a ainsi causé son état d'insolvabilité, la perte des crédits bancaires dont il disposait et la mise en chômage de 15 des 21 employés spécialisés d'ITAM SIDER.

29 Le requérant ajoute qu'aucune faute ne lui est imputable. Premièrement, les retards dans l'exécution du marché seraient imputables, pour une partie, aux promesses répétées mais toujours reportées de Somagaz de visiter l'usine d'ITAM SIDER afin d'inspecter la production des bouteilles et, pour une autre partie, à une série de grèves des transporteurs italiens durant la période de l'envoi des bouteilles. Le requérant estime que les annonces de visite de Somagaz équivalent à une prorogation tacite
de la date limite d'exécution et fait remarquer que les grèves sont qualifiées de cas de force majeure par l'article 46 du cahier général des charges. Deuxièmement, les bouteilles livrées seraient de bonne qualité. Il en serait ainsi tant des bouteilles du premier lot, dont la qualité a été critiquée mais qui ont néanmoins été utilisées par Somagaz, que de celles des autres lots, qui ont également été utilisées et dont la qualité n'a même pas été critiquée.

30 La défenderesse rappelle qu'elle ne peut assurer le financement de fournitures par le FED que si les conditions contractuelles sont respectées par le fournisseur concerné. Or, les fournitures livrées par le requérant n'auraient pas pu bénéficier d'un financement du FED étant donné que Somagaz les a refusées, et cela sur la base d'une expertise impartiale. La défenderesse estime que, dans ces circonstances, le non-paiement des factures et les autres préjudices qui en ont éventuellement découlé ne
sont en aucun cas imputables à la délégation de la Commission.

31 La défenderesse souligne, en outre, que le requérant n'a nullement réfuté les conclusions de l'expert. A cet égard, elle fait remarquer que le requérant ne critique pas les nombreuses constatations techniques faites dans l'expertise et qu'il a abandonné son projet de faire procéder à une contre-expertise.

32 Quant à la mauvaise foi, voire même l'intention corruptrice dont le requérant accuse le directeur général de Somagaz et dont le délégué de la Commission se serait fait complice, la défenderesse fait remarquer qu'aucun élément de preuve n'a été apporté à cet égard. Il en serait de même en ce qui concerne l'allégation du requérant selon laquelle les bouteilles ont été utilisées par Somagaz.

33 La défenderesse souligne, de manière tout à fait subsidiaire par rapport à ses arguments portant sur la légalité de son comportement, que l'entreprise du requérant a fait elle-même preuve de négligence, en retardant l'exécution du marché, sans même demander une prorogation de la date limite d'exécution. Elle souligne également qu'ITAM SIDER aurait pu limiter le dommage en reprenant le premier lot de bouteilles non accepté par Somagaz et en s'abstenant de livrer des bouteilles après la résiliation
du marché par Somagaz.

34 Finalement, la défenderesse expose que les difficultés financières d'ITAM SIDER existaient bien avant la fourniture des bouteilles, comme l'illustrerait le fait qu'ITAM SIDER n'est pas parvenue à obtenir une garantie bancaire couvrant 60 % du montant du marché. Elle en conclut que l'éventuelle mise en faillite d'ITAM SIDER ne saurait être mise en rapport avec le non-paiement des fournitures.

Appréciation du Tribunal

35 Le Tribunal relève, liminairement, qu'il n'a pas compétence pour se prononcer sur les droits que le requérant peut éventuellement tirer du marché concerné en vue d'obtenir le paiement des factures se référant à l'exécution de celui-ci. Cette question ainsi que toutes les autres questions relevant de l'exécution du contrat entre le requérant et Somagaz doivent être tranchées selon les voies prévues par l'article 48 du cahier général des charges, soit par la voie d'un règlement à l'amiable, par
conciliation ou par arbitrage. Il ressort, par ailleurs, de l'article 178 et de l'article 215, deuxième alinéa, du traité que la compétence du Tribunal en matière de recours en indemnité y est limitée aux questions de responsabilité non contractuelle.

36 Il n'y a pas lieu dès lors d'examiner dans quelle mesure le requérant et Somagaz ont respecté les termes du marché. En particulier, les questions portant sur le respect des délais de livraison, sur la conformité des bouteilles aux spécifications techniques du marché, sur la réception et l'utilisation des bouteilles ainsi que sur la régularité de la résiliation sortent de la compétence du Tribunal. Pour la même raison, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les offres de preuve présentées par le
requérant, telles que l'enregistrement d'une conversation téléphonique entre lui-même et le directeur général de Somagaz (voir ci-dessus point 21).

37 En revanche, rien ne fait obstacle à ce que le Tribunal contrôle le comportement de la délégation de la Commission, à la lumière des obligations de celle-ci, et se prononce sur la responsabilité non contractuelle de la Commission qui pourrait éventuellement en découler (arrêt de la Cour du 10 juillet 1985, CMC/Commission, 118/83, Rec. p. 2325, point 31; arrêt du Tribunal du 16 novembre 1994, San Marco/Commission, T-451/93, Rec. p. II-1061, points 42, 43 et 86).

38 A cet égard, le Tribunal estime nécessaire d'examiner si la délégation de la Commission en Mauritanie a bien respecté ses obligations lors de l'organisation de l'expertise. Il convient de constater, à ce sujet, que c'est la délégation qui a choisi l'expert, qui a défini sa mission et conclu le contrat d'études avec lui et qui a signé ce contrat le 20 février 1994. Comme il a été indiqué ci-dessus, ces interventions répondaient à une demande formulée le 20 décembre 1993 par l'ordonnateur de la
Mauritanie. Elles s'inscrivaient ainsi dans l'obligation de la délégation de «[maintenir] des contacts étroits et continus avec l'ordonnateur national en vue d'analyser et de résoudre les problèmes spécifiques rencontrés lors de la mise en oeuvre de la coopération pour le financement du développement», prescrite par l'article 317, sous m), de la quatrième convention ACP-CEE, qui était en vigueur à l'époque des faits. Comme toute tâche attribuée par la réglementation communautaire aux institutions,
la délégation de la Commission était tenue d'exécuter cette obligation conformément aux exigences d'une bonne administration.

39 Dans ce cadre juridique, et eu égard au fait que la délégation a établi les contacts préparatoires avec l'expert et a contribué à l'organisation de l'expertise jusqu'au 20 février 1994 inclus, le Tribunal considère que la délégation a su ou, en tout cas, a dû savoir que l'expert arriverait en Mauritanie et y commencerait ses travaux immédiatement après la signature du contrat d'études, à savoir le 21 février 1994. Sachant également que le requérant demeurait en Italie et avait nécessairement
besoin de plusieurs jours pour se rendre en Mauritanie, la délégation de la Commission était en mesure de savoir que le requérant ne pourrait être présent lors du déroulement de l'expertise. Or, il est permis de considérer que la délégation de la Commission était en mesure de trouver un arrangement avec l'expert afin que celui-ci ne commence pas ses travaux immédiatement après la signature du contrat d'études, permettant ainsi au requérant d'être, dans la même mesure que Somagaz, présent lors du
déroulement de l'expertise.

40 Il s'ensuit que, s'il n'a pas pour autant été démontré que la délégation de la Commission a voulu organiser un simulacre d'expertise ou a voulu prendre partie pour Somagaz, elle a néanmoins, en ne veillant pas lors de l'organisation de l'expertise à ce que le requérant ait la possibilité d'être présent lors du déroulement de celle-ci, mal respecté les exigences d'une bonne administration qui lui incombaient.

41 Toutefois, la faute ainsi constatée ne conduit pas, en tant que telle, à une responsabilité de la Commission ouvrant au requérant un droit à la réparation des dommages qu'il invoque. A cet égard, le Tribunal rappelle que la responsabilité de la Communauté suppose que le requérant prouve non seulement l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée et la réalité d'un préjudice, mais également l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et ce préjudice (arrêts de la
Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmuehle e.a./Conseil et Commission, 197/80, 198/80, 199/80, 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 18, et du 14 janvier 1993, Italsolar/Commission, C-257/90, Rec. p. I-9, point 33; arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 80). En outre, selon une jurisprudence constante, le préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché
(arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier frères e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21; arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T-175/94, Rec. p. II-729, point 55).

42 Or, il ressort sans équivoque du dossier que le premier chef de préjudice invoqué par le requérant résulte, de par sa nature, du refus de Somagaz de payer le solde du marché et que les autres chefs de préjudice invoqués par le requérant se rattachent également à ce non-paiement. Le Tribunal observe, à cet égard, que l'influence exercée par la faute, ci-dessus constatée, de la délégation de la Commission sur la décision de Somagaz de ne pas payer le solde du marché est, tout au plus, indirecte et
incertaine. En effet, s'il est vrai que, en l'absence de la faute qu'a commise la délégation, le requérant aurait pu être présent lors du déroulement de l'expertise, il n'est toutefois pas certain que l'expert aurait conclu différemment. Le Tribunal constate, par ailleurs, que le requérant n'a, ni dans ses mémoires ni pendant la procédure orale, contesté de manière précise le contenu même des constatations techniques faites par l'expert et des nombreuses non-conformités aux spécifications techniques
du marché que celui-ci a rapportées, et qu'il a abandonné son projet initial de faire procéder à une contre-expertise (voir ci-dessus point 15).

43 De surcroît, il est loin d'être sûr que, même dans le cas d'une expertise favorable au requérant, Somagaz aurait payé le solde du marché. A cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de sa télécopie du 21 avril 1994, Somagaz a résilié le marché non seulement eu égard aux résultats de l'expertise portant sur les bouteilles du premier lot, mais également eu égard au retard survenu dans la livraison des bouteilles autres que celles du premier lot.

44 L'existence d'un lien suffisamment direct entre la gestion, par la délégation de la Commission, du dossier en cause et le non-paiement du solde du marché est d'autant plus difficile à constater du fait que la délégation n'a pas été contactée pour viser des factures et n'a pas été informée par le requérant que des factures avaient été présentées aux autorités mauritaniennes compétentes. Cela a été confirmé par la défenderesse en réponse à une question du Tribunal lors de l'audience et n'a pas été
contredit par le requérant. Il n'est par ailleurs pas certain que des factures aient été effectivement présentées aux autorités mauritaniennes, puisque, en réponse à une question du Tribunal à cet égard, le requérant s'est borné à affirmer qu'il avait présenté des factures au maître d'ouvrage. Cette réponse, loin de démontrer que la délégation de la Commission est responsable du non-paiement du solde du marché, soulève plutôt des doutes sur le respect, par le requérant lui-même, des modalités de
paiement, notamment de celles qui étaient prévues à l'article 22 de l'extrait des clauses générales et certaines conditions particulières des appels à la concurrence concernant les marchés de fournitures financés par le FED (partie B), qui faisaient partie intégrante du marché.

45 Au surplus, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, dans le cas où un différend contractuel entre le titulaire et le maître d'ouvrage d'un marché financé par le FED n'a pas été réglé préalablement, à l'amiable, ou par le recours à une conciliation ou à un arbitrage, le titulaire se trouve dans l'incapacité d'établir que le comportement de la Commission lui a causé un préjudice distinct du préjudice dont il lui appartient de poursuivre la réparation à l'encontre du maître
d'ouvrage, selon les voies susmentionnées (arrêt de la Cour du 19 septembre 1985, Murri frères/Commission, 33/82, Rec. p. 2759, point 38; arrêt International Procurement Services/Commission, précité, point 58). Or, il est constant que le requérant n'a, jusqu'à ce jour, pas remis en cause, selon les voies de droit appropriées, le refus de Somagaz de lui payer le solde du marché.

46 Étant donné qu'un lien de causalité entre le comportement de la défenderesse et le préjudice invoqué par le requérant n'a pu être établi, le recours doit être rejeté.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

47 Selon l'article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l'autre partie les frais d'une procédure occasionnée par son propre comportement (voir, mutatis mutandis, l'arrêt de la Cour du 27 janvier 1983, List/Commission, 263/81, Rec. p. 103, points 30 et 31, et l'arrêt du Tribunal du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336/94, Rec. p. II-0000, points 38 et 39).

48 En l'espèce, le requérant a succombé dans sa demande. Il convient toutefois de tenir compte, pour le règlement des dépens, du comportement de la défenderesse, qui, en organisant une expertise sans veiller à ce que le requérant puisse être présent lors du déroulement de celle-ci, a mal respecté les exigences d'une bonne administration.

49 Dans de telles circonstances, on ne saurait tenir rigueur au requérant d'avoir saisi le Tribunal en vue d'apprécier ce comportement, ainsi que le préjudice qui en a éventuellement découlé. Il y a lieu de constater que la naissance du litige a été ainsi favorisée par le comportement de la défenderesse. Partant, il y a lieu de condamner la Commission à supporter l'ensemble des dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL

(première chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission supportera l'ensemble des dépens.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : T-7/96
Date de la décision : 25/06/1997
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Convention de Lomé - Fonds européen de développement - Non-paiement du marché - Responsabilité non contractuelle de la Commission.

Fonds européen de développement (FED)

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : Francesco Perillo
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1997:94

Source

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