ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
28 mai 1997 ( *1 )
«Fonctionnaires — Retard dans l'établissement du rapport de notation — Recours en indemnité — Recevabilité — Faute de service — Préjudice»
Dans l'affaire T-59/96,
Jean-Louis Búrban, fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Paris, représenté par Me Jean-Pierre Spitzer, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Aloyse May, 31, Grand-rue,
partie requérante,
contre
Parlement européen, représenté par M. Yannis Pantalis, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Mes Francis Herbert et Daniel M. Tomasevic, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile au secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral subi par le requérant en raison de l'établissement tardif de ses rapports de notation pour les exercices 1991-1992 et 1993-1994,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,
greffier: M. J. Palacio Gonzalez, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 6 mars 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits et procédure
1 Le requérant, M. Búrban, est entré au service du Parlement le 16 septembre 1968, en tant qu'administrateur au service juridique. Il a été nommé au grade A 7, échelon 2.
2 Le 1er janvier 1978, il a été promu au grade A 4. En 1980, il a assumé l'intérim des fonctions de chef de la division «affaires sociales» au sein de la direction générale des études du Parlement. Le 1er mai 1982, il a obtenu une mutation à l'emploi de chef adjoint du bureau d'information pour la France du Parlement européen.
3 Son rapport de notation pour la période du 1er janvier 1989 au 1er janvier 1991 (ci-après «rapport de notation 1989-1990») a été établi le 13 décembre 1991. Dans ce rapport, il a été jugé «excellent» en ce qui concerne les connaissances nécessaires à l'exercice des fonctions, «bon» en ce qui concerne la faculté de compréhension et de jugement, la capacité d'organisation, la qualité du travail, la régularité du travail et la conscience professionnelle, et «satisfaisant» en ce qui concerne la
capacité d'initiative et de proposition et les relations humaines dans le travail. Par lettre du 27 février 1992, le requérant a saisi le secrétaire général du Parlement européen lui demandant de modifier l'appréciation portée sur lui par le notateur final. Cette procédure administrative n'a pas été suivie d'un recours contentieux.
4 A partir de 1992, il a présenté sa candidature à plusieurs emplois de grade A 3, à savoir, fin 1992, à l'emploi de chef de division au sein de la direction générale des commissions et délégations parlementaires, unité «droits de l'homme», à l'emploi de chef de la division «affaires sociales, environnement, santé, protection des consommateurs» au sein de la direction générale des études, et à l'emploi de chef de la division «coordination générale» au sein de la direction générale de l'information
et des relations publiques (respectivement emplois no 7153, no 7156 et no 7197, tous pourvus le 25 février 1993) et, en 1995, à un emploi de chef de division au sein de la direction générale de l'information et des relations publiques, antenne d'information de Strasbourg (emploi no 7602, pourvu le 25 avril 1995), et à un emploi de chef de division au sein de la direction générale des commissions et délégations parlementaires, commission institutionnelle (emploi no 7823, pourvu le 10 janvier 1996).
Ces candidatures ont toutes été rejetées.
5 Par courrier du 3 mai 1995, le requérant a informé le président du Parlement que ses rapports de notation couvrant les périodes du 1er janvier 1991 au 1er janvier 1993 (ci-après «rapport de notation 1991-1992») et du 1er janvier 1993 au 1er janvier 1995 (ci-après «rapport de notation 1993-1994») n'avaient pas été établis.
6 Il a demandé que ces rapports de notation soient établis dans les meilleurs délais et dans les formes prescrites et a sollicité réparation de son préjudice matériel et moral, qu'il a décrit dans les termes suivants:
«1. Préjudice matériel dans la mesure où je suis en droit de penser que mon ancienneté (A 4, échelon 8, depuis trois ans), mes titres (ancien chef de division par intérim dès 1980) et les qualités que vous-même avez soulignées dans votre lettre de janvier 1989 me destinaient depuis plusieurs années à une promotion. L'absence de rapport de notation faisant état de mes mérites m'a placé et me place dans une situation discriminatoire par rapport aux autres candidats à la promotion. J'estime que la
perte de salaire consécutive à cette absence de promotion cumulée sur plusieurs années s'élève à une somme non négligeable qu'il conviendra de déterminer avec l'administration responsable.
2. Préjudice moral dans la mesure où mes supérieurs hiérarchiques directs ont consciemment et constamment violé une disposition du statut non par négligence mais bien par parti pris. Je réclame l'écu symbolique en réparation de ce préjudice moral.»
7 Les projets des deux rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994 ont été signés par le premier notateur le 17 mai 1995. Dans le rapport de notation 1991-1992, le requérant a été jugé «excellent» en ce qui concerne les connaissances nécessaires à l'exercice des fonctions et la faculté de compréhension et de jugement, «très bon» en ce qui concerne la capacité d'initiative et de proposition, la qualité du travail, la conscience professionnelle et les relations humaines dans le travail, et «bon» en ce
qui concerne la capacité d'organisation et la régularité du travail. Dans le rapport de notation 1993-1994, il a été jugé «excellent» en ce qui concerne les connaissances nécessaires à l'exercice des fonctions et la faculté de compréhension et de jugement, «très bon» en ce qui concerne la capacité d'initiative et de proposition, la qualité du travail, la régularité du travail, la conscience professionnelle et les relations humaines dans le travail, et «bon» en ce qui concerne la capacité
d'organisation.
8 Saisi par le requérant, par courrier du 13 juin 1995, le comité des rapports a émis l'avis no 66/95 le 25 juillet 1995 (ci-après «avis no 66/95»), dans lequel il:
«— relève que le fonctionnaire n'a pas été noté pendant plusieurs années, ce qui apparaît comme une carence sérieuse de l'autorité administrative du secteur en cause et une violation des droits du fonctionnaire;
— constate que le notateur final a pris en considération les arguments cités par le noté mais ne les a pas traduits par une amélioration des appréciations analytiques».
9 Le 4 octobre 1995, le requérant a envoyé une nouvelle lettre au président du Parlement, dans laquelle il s'est référé à sa lettre du 3 mai 1995, la qualifiant de demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»). Dans sa nouvelle lettre, qualifiée de réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, il a indiqué que, les rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994 ayant été établis, la réclamation «n'[avait]
donc pas pour objet la contestation de ces rapports enfin établis mais [visait] l'absence de réponse de l'administration concernant la réparation du grave préjudice moral et matériel consécutif à cette carence».
10 Par lettre du 8 janvier 1996, le secrétaire général du Parlement a informé le requérant que, après avoir examiné les observations que ce dernier avait soumises au comité des rapports le 13 juin 1995, et après avoir pris connaissance de l'avis no 66/95 et de l'avis des supérieurs hiérarchiques du requérant, il avait décidé de modifier les appréciations contenues dans le rapport de notation 1991-1992. Ainsi, la mention «bon» a été remplacée par une mention «très bon» en ce qui concerne la capacité
d'organisation et la régularité du travail. Par une deuxième lettre du même jour, le secrétaire général a également informé le requérant qu'il avait décidé de modifier les appréciations contenues dans le rapport de notation 1993-1994. Dans ce rapport, la mention «bon» a été remplacée par une mention «très bon» en ce qui concerne la capacité d'organisation.
11 Par décision du 27 février 1996, le président du Parlement a rejeté la réclamation du 4 octobre 1995.
12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 avril 1996, le requérant a introduit le présent recours.
Conclusions des parties
13 M. Búrban, partie requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— déclarer le recours recevable;
— lui allouer des dommages-intérêts d'un montant de 100000 écus en réparation de son préjudice matériel et de 100000 écus en réparation de son préjudice moral;
— condamner le Parlement aux dépens.
14 Le Parlement, partie défenderesse, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours comme irrecevable;
— subsidiairement, le rejeter comme non fondé;
— plus subsidiairement encore, accorder au requérant une réparation ramenée à une somme fixée ex aequo et bono par le Tribunal en ce qui concerne le dommage matériel et à l'écu symbolique, ou à une autre somme fixée ex aequo et bono par le Tribunal, en ce qui concerne le dommage moral;
— condamner le requérant aux dépens.
Sur la recevabilité
Arguments des parties
15 Sans soulever formellement une exception d'irrecevabilité au sens de l'article 114 du règlement de procédure, le Parlement conteste la recevabilité du recours en ce qui concerne les conclusions tendant à la réparation du préjudice matériel, motif pris soit d'un contournement de l'irrecevabilité d'un recours en annulation, soit de l'absence de concordance entre la réclamation et le présent recours et, en ce qui concerne les conclusions tendant à la réparation du préjudice moral, en raison de
l'absence de concordance entre la réclamation et le recours.
Sur les conclusions en réparation d'un préjudice matériel
16 D'après le Parlement, le montant de 100000 écus demandé par le requérant à titre de dommages-intérêts pour préjudice matériel est vraisemblablement en rapport avec la différence entre sa rémunération actuelle et celle qu'il aurait pu escompter s'il avait accédé, dès 1990, à un grade supérieur. Cela ressortirait des termes utilisés par le requérant dans sa lettre du 3 mai 1995. Le requérant ne fournirait aucun élément qui permettrait d'interpréter cette lettre et la requête comme étant autre chose
qu'une tentative de reconstitution de carrière.
17 Faisant observer que la procédure administrative de l'article 90 du statut et la procédure judiciaire de l'article 91 du statut doivent rechercher un objectif identique, le Parlement argue que soit le recours du requérant poursuit le même objectif que sa demande et sa réclamation, c'est-à-dire un dédommagement estimé sur la base de la différence de rémunération escomptée, soit le recours poursuit un autre objectif, par exemple, un dédommagement estimé sur la base d'autres données qui n'ont pas
été expliquées au Parlement.
18 Dans la première branche de l'alternative, il n'y aurait pas d'autonomie des voies de recours. Dans ce cas, le requérant aurait dû attaquer en annulation les décisions de nomination de ses concurrents aux différentes procédures de promotion auxquelles il a participé. Les conclusions tendant à la réparation du prétendu dommage matériel devraient par conséquent être rejetées comme irrecevables, pour violation du principe de l'autonomie des voies de recours (voir arrêt de la Cour du 14 février 1989,
Bossi/Commission, 346/87, Rec. p. 303). En revanche, dans la seconde branche de l'alternative, les conclusions devraient être rejetées comme irrecevables pour absence de concordance entre la phase contentieuse et la phase précontentieuse (voir arrêt du Tribunal du 6 juin 1996, Baiwir/Commission, T-262/94, RecFP p. II-739).
19 Le requérant affirme, en ce qui concerne l'autonomie de l'action en indemnité par rapport à celle en annulation, qu'il n'a jamais demandé une quelconque reconstitution de sa carrière ni l'octroi d'une somme égale à la différence entre les traitements effectivement perçus et ceux dont il aurait pu bénéficier s'il avait été régulièrement promu. Au contraire, il aurait immédiatement pris soin de dissocier ses revendications purement indemnitaires de toute illégalité ou irrégularité entachant les
différentes procédures de promotion auxquelles il a successivement participé.
20 A l'appui de son affirmation, il invoque le fait qu'il est logiquement impossible de déterminer le salaire qui servirait de point de référence pour le calcul de l'indemnité demandée, étant donné que, en l'absence des rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994, il ne s'est pas vu discriminé une mais plusieurs fois depuis 1991. De plus, le montant de l'indemnité demandée dépasserait largement le prétendu «manque à gagner», car il refléterait des appréciations personnelles, forcément différentes
d'un simple recours en annulation, telles que la durée et l'importance des sacrifices professionnels et familiaux subis par le requérant.
21 Celui-ci ne se plaindrait pas de sa non-promotion en tant que telle, mais de l'établissement tardif de ses rapports de notation qui, à plusieurs reprises, aurait eu pour effet de ne pas lui permettre de concurrencer sur un pied d'égalité et d'objectivité ceux qui ont été finalement promus. Dans le cadre d'un recours en annulation d'une procédure de nomination, la Cour aurait reconnu que «[l]a faute qu'aurait commise l'autorité investie du pouvoir de nomination en élaborant tardivement le rapport
de notation [du requérant] [...] constitue une cause de préjudice distincte de celle que constitue la faute qu'aurait commise cette même autorité en nommant [un autre candidat] dans des conditions irrégulières» (voir arrêt de la Cour du 17 décembre 1992, Moritz/Commission, C-68/91 P, Rec. p. 1-6849, point 35).
22 En ce qui concerne la concordance entre la demande et la réclamation, d'une part, et le recours, d'autre part, le requérant soutient qu'une distinction notionnelle et fonctionnelle doit être établie entre la cause, l'objet, les chefs de contestation reposant sur cette cause, les arguments et moyens qui la sous-tendent et enfin les conclusions des procédures précontentieuse et contentieuse. A cet égard, il aurait d'abord précisé dans sa lettre du 3 mai 1995 les violations dont il aurait été
victime, c'est-à-dire le non-établissement pendant plusieurs années de ses rapports de notation, lequel aurait constitué la cause de sa demande. Il aurait ensuite développé l'objet de sa démarche, à savoir une demande d'indemnisation de son préjudice matériel et moral. Ces éléments seraient repris dans sa lettre du 4 octobre 1995 et réitérés et développés dans sa requête. Il s'ensuivrait que la concordance de la cause et de l'objet existe, puisque le requérant n'a modifié ni l'origine ni
l'objectif de son recours par rapport à ceux déjà développés dans la demande et dans la réclamation. Pour ce qui est du montant de l'indemnité demandée, le requérant fait valoir qu'il est un élément subsidiaire par rapport à l'objectif énoncé d'une réparation de son préjudice.
Sur les conclusions en réparation d'un préjudice moral
23 Le Parlement fait observer que, selon la jurisprudence, les demandes présentées aux stades précontentieux et contentieux doivent avoir le même objet et la même cause et reposer sur les mêmes chefs de contestation (voir arrêts de la Cour du 23 janvier 1986, Rasmussen/Commission, 173/84, Rec. p. 197, du 7 mai 1986, Rihoux e.a./Commission, 52/85, Rec. p. 1555, et du Tribunal du 8 mars 1990, Schwedler/Parlement, T-41/89, Rec. p. II-79, du 26 septembre 1990, F./Commission, T-122/89, Rec. p. II-517, du
11 juillet 1991, von Hoessle/Cour des comptes, T-19/90, Rec. p. II-615, et Baiwir/Commission, précité). Or, en l'espèce, les demandes n'auraient pas le même objet, car dans sa demande adressée au Parlement, le requérant demandait, au titre de son dommage moral, un dédommagement égal à l'écu symbolique, tandis que dans son recours devant le Tribunal, il demande un dédommagement égal à 100000 écus.
24 Reprenant son argumentation relative à son préjudice matériel (voir point 22 ci-dessus), le requérant soutient que la concordance entre les procédures précontentieuse et contentieuse, pour ce qui est de la cause et de l'objet poursuivi, existe également en ce qui concerne la demande de réparation du préjudice moral.
Appréciation du Tribunal
25 Selon une jurisprudence constante, les articles 90 et 91 du statut ne faisant aucune distinction entre le recours en annulation et le recours en indemnité en ce qui concerne la procédure tant administrative que contentieuse, il est loisible à l'intéressé, en raison de l'autonomie des différentes voies de droit, de choisir soit l'une, soit l'autre, soit les deux conjointement, à condition de saisir le Tribunal dans le délai de trois mois après le rejet de sa réclamation (voir arrêts de la Cour du
22 octobre 1975, Meyer-Burckhardt/Commission, 9/75, Rec. p. 1171, points 10 et 11, et du Tribunal du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T-27/90, Rec. p. II-35, point 36).
26 Une exception a été posée au principe de l'autonomie des voies de recours, lorsque l'action en indemnité comporte un lien étroit avec l'action en annulation (voir arrêt de la Cour du 12 décembre 1967, Collignon/Commission, 4/67, Rec. p. 469, 480, et arrêt Latham/Commission, précité, point 37). A cet égard, la Cour a jugé que, si une partie peut agir par le moyen d'une action en responsabilité sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l'annulation de l'acte illégal qui lui cause préjudice,
elle ne saurait tourner par ce biais l'irrecevabilité d'une demande visant la même illégalité et tendant aux mêmes fins pécuniaires (voir arrêt de la Cour du 15 décembre 1966, Schreckenberg/Commission, 59/65, Rec. p. 785, 797).
27 Il s'ensuit qu'il n'y a pas d'autonomie entre les recours lorsqu'un recours en indemnité a pour seul objet la réparation d'un préjudice matériel, tel que la perte des revenus supplémentaires que l'intéressé aurait perçus s'il avait été nommé aux emplois auxquels il avait postulé, préjudice qui n'aurait pas été subi si, par ailleurs, un recours en annulation, introduit en temps utile, avait prospéré. Ainsi, un intéressé qui a omis d'attaquer les actes lui faisant grief en introduisant, en temps
utile, un recours en annulation, ne saurait réparer cette omission et, dans un certain sens, se ménager de nouveaux délais de recours, par le biais d'une demande en indemnité (voir arrêts du Tribunal du 13 juillet 1993, Moat/Commission, T-20/92, Rec. p. II-799, point 46, et Latham/Commission, précité, point 38).
28 En l'espèce, il ressort de l'ensemble de l'argumentation du requérant que celui-ci ne se prévaut pas, à l'appui de son recours en indemnité, de l'existence d'un préjudice matériel consistant dans le fait de ne pas avoir été nommé aux emplois auxquels il avait postulé, mais de l'existence d'un préjudice moral consistant dans le fait d'avoir vu ses chances d'être nommé à un emploi supérieur altérées par l'établissement tardif de ses rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994 ainsi que dans le fait
de s'être trouvé, en raison de l'absence de ces rapports, dans un état d'incertitude et d'inquiétude quant à son avenir professionnel.
29 L'argument du Parlement tiré d'une violation de l'autonomie des voies de recours doit par conséquent être rejeté.
30 Il convient également de rejeter l'argument du Parlement tiré de l'absence de concordance entre, d'une part, la demande et la réclamation et, d'autre part, le recours.
31 A cet égard, selon la jurisprudence, les conclusions présentées devant le Tribunal ne peuvent avoir que le même objet que celles exposées dans la réclamation et ne contenir que des chefs de contestation reposant sur la même cause que ceux invoqués dans la réclamation, afin que l'AIPN soit en mesure de connaître de façon suffisamment précise les critiques que les intéressés formulent à l'encontre de la décision contestée (voir arrêt de la Cour du 14 mars 1989, Del Amo Martinez/Parlement, 133/88,
Rec. p. 689, points 9 et 10).
32 Or, il n'est pas contesté que, dans sa demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut, le requérant a sollicité la réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi à cause de l'établissement tardif de ses rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994 et que, dans sa réclamation, il a précisé que celle-ci visait l'absence de réponse de l'administration à sa demande de réparation de ce préjudice.
33 Quant au montant de l'indemnité demandée, il y a lieu de rappeler que l'objet de la procédure précontentieuse est d'aboutir à un règlement amiable du litige en permettant à l'AIPN de connaître de façon suffisamment précise les critiques formulées par les intéressés (voir arrêt du Tribunal du 29 mars 1990, Alexandrakis/Commission, T-57/89, Rec. p. II-143, point 8). Or, il résulte du point précédent que, en l'espèce, la procédure précontentieuse a permis à l'AIPN de connaître de façon suffisamment
précise les critiques formulées par le requérant. En outre, étant donné que l'AIPN a rejeté la demande d'une indemnité d'un écu symbolique, elle aurait a fortiori rejeté une demande d'un montant supérieur, de sorte qu'un règlement amiable du différend n'aurait de toute façon pas pu intervenir à ce stade. Dès lors, bien que le montant demandé devant le juge communautaire soit supérieur à celui demandé dans le cadre de la procédure précontentieuse, il y a lieu de déclarer recevables les conclusions
en réparation du préjudice moral.
34 Il s'ensuit que le recours est recevable.
Sur le fond
Sur l'existence d'une faute de service
Arguments des parties
35 Le requérant rappelle d'abord que l'obligation de l'administration d'établir pour chaque fonctionnaire un rapport de notation au moins tous les deux ans est prévue par l'article 43 du statut. Il fait observer que le troisième considérant du préambule des nouvelles dispositions générales d'exécution relatives à l'application de l'article 43 du statut et de l'article 15 du régime applicable aux autres agents (ci-après «RAA») (rapports de notation), adoptées le 7 juillet 1994 (ci-après «nouvelles
dispositions générales»), confirme «l'importance pour les carrières des fonctionnaires et agents d'une appréciation exacte et harmonisée de leurs mérites» dans les rapports de notation. L'établissement des rapports de notation serait d'autant plus important que, selon l'article 45 du statut, paragraphe 1, premier alinéa, in fine, ces rapports sont destinés à servir de justificatifs pour l'attribution des promotions. L'importance pratique des rapports de notation aurait été reconnue par la Cour et
le Tribunal (voir arrêts de la Cour du 3 juillet 1980, Grassi/Conseil, 6/79 et 97/79, Rec. p. 2141, et Moritz/Commission, précité, et du Tribunal du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T-63/89, Rec. p. II-19, point 27, du 3 mars 1993, Vela Palacios/CES, T-25/92, Rec. p. II-201, et du 16 décembre 1993, Moat/Commission, T-58/92, Rec. p. II-1443, point 59). La Cour en aurait tiré la conclusion que le rapport de notation «doit être établi obligatoirement pour la bonne administration et la
rationalisation des services de la Communauté et pour sauvegarder les intérêts des fonctionnaires[, qu'il] constitue un élément indispensable d'appréciation chaque fois que la carrière du fonctionnaire est prise en considération par le pouvoir hiérarchique» et que «l'un des devoirs impérieux de l'administration est donc de veiller à la rédaction périodique de ce rapport aux dates imposées par le statut» (voir arrêts de la Cour du 14 juillet 1977, Geist/Commission, 61/76, Rec. p. 1419, points 44
et 45, et du 5 mai 1983, Ditterich/Commission, 207/81, Rec. p. 1359, points 24 et 25). Elle aurait précisé que l'administration dispose d'un délai raisonnable pour établir le rapport de notation et que «tout dépassement de ce délai doit être justifié par l'existence de circonstances particulières» (voir arrêt Ditterich/Commission, précité, point 25).
36 Le requérant fait ensuite observer que l'article 4 des nouvelles dispositions générales précise que «[d]ans un délai d'un mois à l'issue de la période de référence [de deux ans], le premier notateur établit le projet de notation [...] Le rapport de notation est transmis au notateur final qui dispose d'un mois pour l'avaliser ou le modifier».
37 En l'espèce, le Parlement aurait violé le principe de l'établissement régulier et périodique des rapports de notation. En effet, les supérieurs hiérarchiques directs du requérant l'auraient privé de ses rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994, rapports qui n'auraient été établis qu'au début du mois de juin 1995, à la suite de la demande du requérant du 3 mai 1995, avec un retard d'environ 36 mois pour le premier rapport et de 8 mois pour le deuxième. La gravité de cette violation aurait été
reconnue par le comité des rapports dans son avis no 66/95.
38 Le requérant souligne qu'un retard survenu dans l'établissement d'un rapport de notation ne saurait être imputé à l'attitude de l'intéressé uniquement en raison d'une inertie de celui-ci. Au contraire, devraient être exigés des actes positifs ou des omissions ayant contribué à l'allongement d'une procédure déjà en cours. Or, de tels actes ou omissions ne pourraient être relevés en l'espèce.
39 Quant au rapport de notation 1993-1994, il ajoute que, conformément à la jurisprudence, en l'absence de circonstances exceptionnelles justifiant un retard, l'administration aurait dû établir ledit rapport aussi rapidement que possible. Selon lui, le retard constaté devrait être mis en rapport avec celui survenu dans l'établissement du rapport de notation 1991-1992.
40 Le requérant soutient que ses supérieurs hiérarchiques n'étaient donc pas en droit de compenser le défaut de ces rapports par d'autres éléments ou renseignements susceptibles de procurer aux différents comités de promotion des informations complétant les éléments concernant les mérites du requérant. En tout état de cause, ils n'auraient essayé qu'une ou deux fois, par téléphone, de recueillir de telles informations, et seulement pour vérifier ses connaissances linguistiques.
41 Le Parlement fait valoir que, si un retard dans la remise d'un rapport de notation a été enregistré dans le cas du requérant, ce retard ne concerne que le rapport de notation 1991-1992. Toutefois, le requérant n'aurait pas fait preuve d'une diligence normale dans la défense de ses droits. Il n'aurait notamment pas cherché à prendre connaissance de son dossier personnel et il ne se serait adressé au Parlement qu'en mai 1995 pour obtenir l'établissement de son rapport de notation. Le Parlement
aurait réagi aussitôt et le lui aurait fourni rapidement.
42 Quant au rapport de notation 1993-1994, le Parlement affirme qu'il a été fourni au requérant en 1995, soit dans un délai normal. La responsabilité de l'administration ne pourrait être engagée que lorsque le rapport de notation est établi avec un retard substantiel, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce (voir arrêts de la Cour du 10 juin 1987, Vincent/Parlement, 7/86, Rec. p. 2473, et du Tribunal du 16 décembre 1993, Moat/Commission, précité). Le Parlement précise que les nouvelles dispositions
générales prévoient un délai de deux mois à compter de la fin de l'année de référence et que dans son arrêt du 19 septembre 1996, Allo/Commission (T-386/94, RecFP p. II-1161), le Tribunal a jugé qu'un retard de quatre mois n'avait rien d'excessif.
43 En outre, le requérant aurait participé à des procédures visant à une promotion au grade A3. Or, ce serait pour les promotions jusqu'au grade A 4/LA 4, dont l'attribution s'effectue par exercice annuel sur la base des listes des fonctionnaires susceptibles d'être promus, préparées lors des délibérations des comités de promotion, que le calendrier de l'établissement des rapports de notation prendrait une importance particulière.
Appréciation du Tribunal
44 L'article 43 du statut prescrit la rédaction, au moins tous les deux ans, d'un rapport de notation sur la compétence, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire. Ce document doit être établi obligatoirement pour la bonne administration et la rationalisation des services de la Communauté et pour sauvegarder les intérêts des fonctionnaires. L'un des devoirs impérieux de l'administration est donc de veiller à la rédaction périodique de ce rapport aux dates imposées par le
statut et à son établissement régulier (voir, notamment, arrêt de la Cour du 18 décembre 1980, Gratreau/Commission, 156/79 et 51/80, Rec. p. 3943, point 15, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 1990, Moritz/Commission, T-29/89, Rec. p. II-787, point 21). L'administration dispose à cet effet d'un délai raisonnable et tout dépassement de ce délai doit être justifié par l'existence de circonstances particulières (voir arrêt Ditterich/Commission, précité, point 25).
45 Cependant, d'une façon générale, et notamment dans le cadre de la procédure d'élaboration du rapport de notation, un devoir de loyauté et de coopération incombe à tout fonctionnaire vis-à-vis de l'autorité dont il relève (voir arrêt de la Cour du 14 décembre 1966, Alfieri/Parlement, 3/66, Rec. p. 633, 650). Ainsi, un fonctionnaire ne saurait se plaindre du retard apporté dans l'élaboration de son rapport de notation lorsque ce retard lui est imputable, à tout le moins partiellement, ou lorsqu'il
y a concouru de façon notable (voir arrêt du 13 décembre 1990, Moritz/Commission, précité, point 22).
46 En l'espèce, un retard est survenu dans l'établissement par le premier notateur des projets des rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994.
47 A l'époque où le premier de ces deux rapports aurait dû être établi, étaient en vigueur les dispositions générales d'exécution relatives à l'application de l'article 43 du statut et de l'article 15 du RAA (rapports de notation) adoptées par le Parlement le 9 juillet 1987. Elles ne fixaient aucun délai pour l'établissement des rapports de notation. Par ailleurs, il ne résulte pas des documents transmis par le Parlement sur l'invitation du Tribunal et des réponses des parties aux questions de
celui-ci lors de l'audience que, à l'époque, une autre règle liant le Parlement existait à cet égard, applicable au rapport de notation 1991-1992. Dans ces circonstances, et eu égard aux règles appliquées par d'autres institutions à l'époque, un délai ne dépassant pas cinq mois, à partir de la fin de la période de référence, pour l'établissement du projet de rapport de notation doit être considéré comme raisonnable. En considération d'un tel délai, le projet de rapport de notation 1991-1992,
signé par le premier notateur le 17 mai 1995, a été établi avec un retard d'environ deux ans.
48 Le second rapport a été signé par le premier notateur à la même date que le précédent, soit avec un retard de près de quatre mois par rapport au délai de un mois prévu par l'article 4 des nouvelles dispositions générales du 7 juillet 1994, règles que le Parlement s'est imposées à lui-même et qui, par le renvoi dans leur article 1er à l'article 43 du statut, sont applicables à tous les fonctionnaires, à l'exception de ceux des grades A 1 et A 2, et donc également au requérant. A cet égard, il y a
lieu d'observer que l'argument du Parlement selon lequel la responsabilité de l'administration ne peut être engagée que lorsque le rapport de notation est établi avec un retard substantiel ne concerne pas la question de savoir si le Parlement a commis une faute de service. L'appréciation de l'importance du retard intervient en réalité lors de l'examen de la question du préjudice subi (voir arrêt Allo/Commission, précité, point 78). L'argument sera donc examiné dans le cadre de l'examen de cette
dernière question.
49 En ce qui concerne les deux rapports de notation, le Parlement ne saurait prétendre que le requérant, en ne demandant pas leur établissement avant le 3 mai 1995, aurait concouru aux retards litigieux. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence citée ci-dessus aux points 44 et 45, la rédaction du rapport de notation aux dates imposées par le statut est un des devoirs impérieux de l'administration, et ce n'est que lorsque le retard dans l'établissement du rapport lui est imputable, à tout le moins
partiellement, ou lorsqu'il y a concouru de façon notable, qu'un fonctionnaire ne peut pas se prévaloir de ce retard. Or, le Parlement n'a pas apporté le moindre élément de preuve de nature à démontrer que tel serait le cas. Par ailleurs, lors de l'audience, le conseil du Parlement a affirmé formellement ne pas faire sienne la thèse selon laquelle le fonctionnaire n'aurait pas droit à un rapport de notation établi dans les délais.
50 En l'absence de circonstances particulières justifiant les retards constatés, le Parlement a donc commis une faute de service de nature à engager sa responsabilité (voir arrêt du Tribunal du 17 mars 1993, Moat/Commission, T-13/92, Rec. p. II-287, points 32 et 34).
Sur l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre celui-ci et la faute de service
Arguments des parties
— Sur l'existence d'un préjudice matériel et d'un lien de causalité
51 Le requérant affirme qu'il a subi un préjudice matériel par le fait que le déroulement régulier et attendu de sa carrière a été empêché dans le passé. En outre, sa carrière se trouverait définitivement retardée aujourd'hui et compromise pour l'avenir, notamment par rapport à ses perspectives initiales de promotion. Selon la jurisprudence, il y aurait lieu de tenir compte aussi bien du retardement considérable de sa carrière que de l'importante restriction de ses chances de revendiquer avec succès
un emploi auquel il aurait une vocation immédiate (voir arrêts de la Cour du 5 juin 1980, Oberthür/Commission, 24/79, Rec. p. 1743, point 15, et du Tribunal du 10 juillet 1992, Barbi/Commission, T-68/91, Rec. p. II-2127, point 46). A cet égard, ses chances seraient aujourd'hui compromises en raison de son âge et surtout des contraintes administratives actuelles découlant de la récente adhésion à l'Union européenne de trois nouveaux États membres.
52 N'étant plus en mesure de revendiquer la différence entre son traitement actuel et la rémunération à laquelle il aurait eu droit s'il avait été normalement et régulièrement promu, et ne pouvant pas non plus s'attendre à une rémunération plus élevée à l'avenir, le requérant évalue son préjudice matériel à 100000 écus.
53 S'agissant du lien de causalité, il fait observer que, selon la jurisprudence, le fonctionnaire concerné doit établir que «le défaut de son rapport de notation a eu une incidence décisive sur l'absence de sa promotion» (arrêt du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T-63/89, précité, point 33). Il en déduit que le lien de causalité doit avoir existé au moment où 1'AIPN a pris les décisions relatives au pourvoi des emplois auxquels il s'était porté candidat (voir arrêt de la Cour du 6 février 1986,
Castille/Commission, 173/82, 157/83 et 186/84, Rec. p. 497, point 35).
54 Il fait remarquer qu'il a été régulièrement noté pour la période 1989-1990, alors que, pour les périodes consécutives 1991-1992 et 1993-1994, il n'a pu disposer de ses rapports de notation qu'au début du mois de juin 1995.
55 Il estime que, au regard de ses mérites, de ses titres, ainsi que de son ancienneté, il possédait des aptitudes supérieures et une expérience approfondie appropriée aux différents emplois de grade A 3 auxquels il s'est porté candidat, notamment à celui de chef de la division «affaires sociales, environnement, santé, protection des consommateurs» de la direction générale des études, qu'il avait déjà occupé par intérim dès 1980 et auquel il aurait eu une vocation immédiate.
56 Or, au lieu de disposer des rapports de notation permettant de donner une image fidèle et surtout mise à jour des mérites et du rendement administratif du requérant, 1'AIPN n'aurait disposé au moment de l'examen comparatif des mérites des candidats que du rapport injustement péjoratif couvrant la période 1989-1990. Le requérant renvoie à une comparaison entre ce dernier rapport et les rapports de notation finalement établis pour les exercices 1991-1992 et 1993-1994, qui auraient remplacé les
mentions du premier rapport par des appréciations valorisantes et qui, après les améliorations apportées par le secrétaire général du Parlement, auraient même reconnu au requérant des mérites comparables à la moyenne très supérieure.
57 Aucun des services, comités ou supérieurs hiérarchiques qui se sont successivement occupés des promotions concernées n'aurait recueilli ses observations ni organisé des entretiens personnels avec lui, afin d'obtenir les appréciations favorables qu'ils auraient pu normalement trouver dans les rapports de notation en cause. Le Parlement ne fournirait pas la moindre preuve de demandes d'informations complémentaires. A cet égard, quelques rares conversations téléphoniques ne sauraient suffire pour
combler les lacunes causées par l'absence de rapports de notation. Par ailleurs, le requérant n'aurait pas été candidat à un emploi linguistique. Par conséquent, il serait parfaitement établi que ce n'est que le défaut de ses rapports de notation au moment de l'attribution des promotions qui a empêché le déroulement régulier et attendu de sa carrière.
58 En ce qui concerne le dommage invoqué, le Parlement affirme que, même si le requérant avait été le meilleur des candidats dans l'une des procédures auxquelles il a participé, rien ne prouve qu'il aurait obtenu une promotion dès 1991. Eu égard au pouvoir d'appréciation de 1'AIPN en matière de promotion et au fait que le requérant n'aurait apporté aucun élément de preuve pertinent à cet égard, ses allégations resteraient abstraites et hypothétiques.
59 S'agissant notamment de l'emploi de chef de la division «affaires sociales, environnement, santé, protection des consommateurs» de la direction générale des études, le Parlement fait observer que le requérant a présenté sa candidature à cet emploi en 1992 et que celui-ci a été pourvu le 25 février 1993. Comme le rapport de notation 1991-1992 n'aurait pu être escompté avant cette date, il n'aurait pas pu être utilisé dans l'appréciation des mérites du requérant pour pourvoir ledit emploi. Dès
lors, l'absence de ce rapport n'aurait pas eu d'incidence sur la décision de ne pas promouvoir le requérant et son allégation devrait, par conséquent, être rejetée comme non fondée (voir arrêt Allo/Commission, précité).
60 Pour ce qui est du lien de causalité, le Parlement affirme que les notes meilleures contenues dans les rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994 peuvent être dues au simple fait que le requérant a amélioré sa manière de travailler à partir de 1990. Ce serait en effet à partir de ce moment qu'il aurait résolument cherché à obtenir une promotion. Les comités de promotion compétents dans les procédures de promotion auxquelles le requérant a participé auraient donc pu se référer ajuste titre au
rapport de notation 1989-1990.
61 De plus, lors de ces procédures, les informations comprises dans le rapport de notation 1989-1990 auraient été complétées par d'autres voies, notamment, en ce qui concerne les connaissances linguistiques du requérant, au moyen de conversations téléphoniques. A cet égard, 1'AIPN aurait le droit d'apprécier la valeur d'un candidat au moyen d'autres éléments que le seul rapport de notation (voir arrêt Vela Palacios/CES, précité). Le Parlement souligne que tous les postes d'administration générale au
sein des institutions, et en particulier les postes de communication tels que celui de chef de l'antenne du Parlement à Strasbourg, demandent des connaissances linguistiques. En outre, une candidature ne serait pas appréciée seulement sur la base de rapports de notation, mais également sur la base de facteurs dont l'AIPN peut être en possession sans devoir se référer au dernier rapport de notation, tels que l'ancienneté du fonctionnaire, son âge et ses titres universitaires (voir arrêts de la
Cour du 14 juillet 1983, Øhrgaard et Delvaux/Commission, 9/82, Rec. p. 2379, et du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23). Ainsi, même en l'absence du rapport de notation 1991-1992, les aptitudes du requérant aurait pu être correctement appréciées lors de sa participation aux différentes procédures de promotion concernées.
62 Par conséquent, le requérant n'aurait pas établi que le contenu du rapport de notation 1989-1990 et le moment auquel le rapport de notation 1991-1992 a été disponible ont eu une «incidence décisive» sur le déroulement des procédures auxquelles il a participé (voir arrêt de la Cour du 15 mars 1989, Bevan/Commission, 140/87, Rec. p. 701, publication sommaire).
— Sur l'existence d'un préjudice moral et d'un lien de causalité
53 Le requérant fait observer qu' il est de jurisprudence constante que «le retard survenu dans l'établissement des rapports de notation est de nature, en lui-même, à porter préjudice au fonctionnaire du seul fait que le déroulement de sa carrière peut être affecté par le défaut d'un tel rapport à un moment où des décisions le concernant doivent être prises» (voir arrêt Castille/Commission, précité, point 36, et arrêt du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T-63/89, précité, points 32 et 33) et que
«un fonctionnaire qui ne possède qu'un dossier individuel irrégulier et incomplet subit de ce fait un préjudice moral tenant à l'état d'incertitude et d'inquiétude dans lequel il se trouve quant à son avenir professionnel» (voir arrêts Geist/Commission et Bevan/Commission, précités, et arrêt du Tribunal du 8 novembre 1990, Barbi/Commission, T-73/89, Rec. p. II-619, et du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T-63/89, précité, point 37). En l'espèce, les incertitudes et inquiétudes seraient
aggravées par la circonstance que le rapport de notation 1989-1990, dont le requérant était contraint d'accompagner ses dossiers de candidature, portait des appréciations contraires à la réalité, ainsi que cela aurait été reconnu a posteriori par les rapports de notation en cause. De même, il aurait été pendant plusieurs années dans une situation de stress quasi permanente, liée à l'absence d'un véritable plan de carrière, elle-même due à l'absence d'un élément substantiel pour son avancement
normal. L'absence de promotion et la stagnation subséquente de sa carrière auraient également provoqué une atteinte grave à son image vis-à-vis des tiers, car il aurait un rôle de représentation du Parlement inhérent à la nature même de ses fonctions. Enfin, le retardement prolongé de sa carrière, aggravé par une forte pression professionnelle, aurait irrémédiablement nui à sa situation familiale, laquelle serait à présent irrévocablement détruite.
64 Pour ces raisons, le requérant évalue à 100000 écus le montant de son préjudice moral.
65 Le Parlement voit mal comment le requérant peut prétendre avoir été dans un état d'incertitude. Les rapports de notation 1989-1990 et 1993-1994 n'auraient fait l'objet d'aucun recours et ils auraient été établis dans les délais impartis. Quant au rapport de notation 1991-1992, le requérant ne s'en serait inquiété qu'à partir de 1995.
66 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'absence d'une promotion aurait nui à l'image du requérant vis-à-vis de tiers, le Parlement affirme qu'elle n'est justifiée par aucun élément de preuve.
Appréciation du Tribunal
67 Comme cela ressort du point 28 ci-dessus, le recours doit être interprété en ce sens qu'il a pour objet une demande de réparation du préjudice moral consistant dans le fait que le requérant a vu ses chances d'être nommé à un emploi supérieur altérées par l'établissement tardif de ses rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994, ainsi que dans le fait que, en raison de cet établissement tardif, il s'est trouvé dans un état d'incertitude et d'inquiétude quant à son avenir professionnel.
68 En premier lieu, il résulte d'une jurisprudence constante que le retard survenu dans l'établissement des rapports de notation est de nature, en lui-même, à porter préjudice au fonctionnaire du seul fait que le déroulement de sa carrière peut être affecté par le défaut d'un tel rapport à un moment où des décisions le concernant doivent être prises.
69 En l'espèce, entre le moment auquel le projet de rapport de notation 1991-1992 aurait dû être établi, soit au cours du mois de mai 1993 (voir point 47 ci-dessus), et la date à laquelle il a effectivement été établi, soit le 17 mai 1995, le requérant n'a présenté sa candidature qu'à l'emploi no 7602 (chef de division, direction générale de l'information et des relations publiques, antenne d'information de Strasbourg). Cet emploi a été pourvu le 25 avril 1995. Lors de l'examen de la candidature du
requérant, ni le comité consultatif ni 1'AIPN n'ont donc eu connaissance du rapport de notation 1991-1992. Il s'ensuit que l'examen de la candidature du requérant a été affecté par l'absence dudit rapport de notation.
70 A ce propos, il convient de remarquer que les mentions et appréciations finalement insérées dans le rapport de notation 1991-1992 sont, par rapport à celles contenues dans le rapport de notation 1989-1990, nettement plus favorables au requérant. Le Parlement ne saurait soutenir que les informations comprises dans le rapport de notation 1989-1990 ont été complétées par d'autres éléments susceptibles de renseigner le comité consultatif et 1'AIPN sur les mérites du requérant pendant la période
concernée. Des appels téléphoniques portant sur les connaissances linguistiques du requérant ne sauraient suffire à cet égard.
71 Il en découle que le retard survenu dans l'établissement du rapport a porté préjudice au requérant, puisque le déroulement de sa carrière a pu être affecté par le défaut de ce rapport à un moment où une décision le concernant a été prise. Le Parlement n'a pu établir que les personnes appelées à prendre de telles décisions avaient pu avoir connaissance d'éléments équivalents au rapport de notation 1991-1992 et il n'a invoqué aucune circonstance particulière permettant de justifier un tel retard,
auquel le fonctionnaire n'a quant à lui nullement contribué.
72 En second lieu, selon la jurisprudence, un fonctionnaire qui ne possède qu'un dossier individuel irrégulier et incomplet subit de ce fait un préjudice moral tenant à l'état d'incertitude et d'inquiétude dans lequel il se trouve quant à son avenir professionnel (voir, notamment, arrêt du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T-63/89, précité, point 37).
73 A cet égard, le rapport de notation a pour fonction première d'assurer à l'administration une information périodique aussi complète que possible sur les conditions d'accomplissement de leur service par ses fonctionnaires (voir même arrêt, point 27). Le rapport doit être établi obligatoirement pour la bonne administration et la rationalisation des services de la Communauté et pour sauvegarder les intérêts des fonctionnaires. Il constitue un élément indispensable d'appréciation chaque fois que la
carrière du fonctionnaire est prise en considération par le pouvoir hiérarchique (voir arrêt Ditterich/Commission, précité, point 24) et son établissement périodique a pour objet de permettre une vue d'ensemble du développement de la carrière d'un fonctionnaire.
74 L'établissement régulier et périodique de ses rapports de notation est donc d'une importance fondamentale pour le fonctionnaire. Dès lors, force est de constater que l'absence de son rapport de notation 1991-1992 pendant environ deux ans a entraîné dans le chef du requérant un état d'incertitude et d'inquiétude quant à son avenir professionnel et que l'intéressé a, également de ce fait, subi un préjudice moral.
75 S'agissant du projet du rapport de notation 1993-1994, il a été établi avec un retard de près de quatre mois (voir point 48 ci-dessus). Bien que le requérant n'ait déposé aucun acte de candidature pendant la période de référence concernée et que le retard ne soit pas à ce point excessif qu'il aurait pu entraîner un état d'incertitude ou d'inquiétude dans le chef du requérant (voir arrêt Allo/Commission, précité, point 78), ledit retard vient s'ajouter à celui survenu dans l'établissement du
rapport 1991-1992 et aggrave ainsi l'état d'incertitude et d'inquiétude dans lequel se trouvait le requérant à cause du retard dans l'établissement du premier rapport.
76 En outre, le préjudice subi par un fonctionnaire en raison de l'établissement tardif de ses rapports de notation n'est pas nécessairement limité au seul état d'incertitude et d'inquiétude dans lequel il se trouve. Lorsque, comme en l'espèce, le retard survenu est tel que les mêmes notateurs sont contraints d'établir simultanément des rapports de notation portant sur des périodes successives, la valeur de ces rapports est sérieusement mise en question par la difficulté de porter une appréciation
distincte sur chaque période de référence concernée. Dans une telle situation, le fonctionnaire subit un préjudice supplémentaire, résultant de l'absence d'appréciations successives portées sur l'évolution de l'accomplissement de ses fonctions pendant sa carrière au service des Communautés.
77 Il résulte de tout ce qui précède que, en établissant avec retard les rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994, le Parlement a commis une faute de service ouvrant un droit à la réparation du préjudice moral subi par le requérant.
78 Dans l'évaluation du dommage, il y a lieu de tenir compte du fait que le retard dans l'établissement du rapport de notation 1991-1992 est considérable, qu'à ce retard vient s'ajouter le retard dans l'établissement du rapport de notation 1993-1994, et que ce n'est qu'après l'introduction par le requérant d'une demande en ce sens que ces deux rapports ont été établis. Il y a également lieu de tenir compte de la grande différence entre, d'une part, les appréciations contenues dans le rapport de
notation 1989-1990 et, d'autre part, celles finalement contenues dans les rapports de notation 1991-1992 et 1993-1994, ainsi que de l'importance de l'emploi no 7602.
79 Au vu de ces éléments d'appréciation, il y a lieu d'évaluer à 200000 BFR le préjudice subi par le requérant.
Sur les dépens
80 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En l'espèce, le Parlement a succombé en ses moyens et le requérant a conclu à la condamnation du Parlement aux dépens. La partie défenderesse supportera donc ceux-ci.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
1) Le Parlement est condamné à verser au requérant un montant de 200000 BFR à titre de dommages-intérêts.
2) Le Parlement supportera l'ensemble des dépens.
Lenaerts
Lindh
Cooke
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 mai 1997.
Le greffier
H. Jung
Le président
K. Lenaerts
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( *1 ) Langue de procédure: le français.