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15/05/1997 | CJUE | N°T-273/94

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance, N contre Commission des Communautés européennes., 15/05/1997, T-273/94


ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

15 mai 1997 ( *1 )

«Fonctionnaires — Devoir de loyauté — Suspicion d'actes contraires à la dignité de la fonction — Coopération loyale du fonctionnaire à l'enquête — Défaut — Procédure disciplinaire — Révocation»

Dans l'affaire T-273/94,

N, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par Me Xavier Magnée, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Louis Schütz, 2, rue du Fort Rheinsheim,<

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partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Gianluigi ...

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

15 mai 1997 ( *1 )

«Fonctionnaires — Devoir de loyauté — Suspicion d'actes contraires à la dignité de la fonction — Coopération loyale du fonctionnaire à l'enquête — Défaut — Procédure disciplinaire — Révocation»

Dans l'affaire T-273/94,

N, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par Me Xavier Magnée, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Louis Schütz, 2, rue du Fort Rheinsheim,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, et Mme Ana Maria Alves Vieira, membre du service juridique, assistés de Me Denis Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision de la Commission du 4 octobre 1993 portant révocation du requérant et, d'autre part, une demande d'indemnité,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 11 décembre 1996,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1 Le requérant est entré au service de la Commission le 31 janvier 1983, en qualité de fonctionnaire de grade A 4 auprès de la direction générale des transports (DG VII). En juin 1991, il a été nommé chef adjoint chargé des dossiers de la sécurité aérienne de l'unité 3 («sécurité aérienne -Contrôle du trafic aérien -Politique industrielle -Aspects sociaux») de la direction C («transports aériens») de la DG VII.

2 Avant son entrée au service de la Commission, il avait travaillé dans le même domaine en qualité de consultant au service de la société de droit grec Doxiadis associates (ci-après «Doxiadis»), notamment au Nigeria.

3 Du 26 juin au 3 juillet 1992, il a pris congé en indiquant sur sa fiche de congé qu'il se rendait en Grèce. Cependant, pendant cette même période, il s'est également rendu au Nigeria.

4 Dans une note du 6 juillet 1992, le bureau de sécurité de la Commission (ci-après «bureau de sécurité») a déclaré que, selon une source d'information digne de foi, mais désirant garder l'anonymat, le requérant, qui se trouvait au Nigeria, allait être crédité d'une forte somme d'argent -45 millions de USD -sur son compte personnel. Ce transfert était censé représenter le solde d'un contrat conclu entre le gouvernement nigérian et le requérant et concerner des travaux réalisés en 1982. Selon la même
source, il pouvait s'agir d'une filière de blanchiment d'argent.

5 Au vu des pièces qui lui étaient présentées, la Société générale de banque, établie à Bruxelles, auprès de laquelle le compte personnel du requérant était ouvert, a refusé d'exécuter le transfert sollicité.

6 A la suite des renseignements recueillis, le bureau de sécurité de la Commission a entrepris des investigations et décidé d'auditionner le requérant.

7 La Commission est entrée en contact avec les autorités nigérianes, qui ont indiqué que le contrat signé entre le requérant et le Nigeria s'inscrivait vraisemblablement dans le cadre d'une escroquerie connue sous le numéro de code «419», ayant pour objet de soutirer une somme importante à une victime potentielle à laquelle une promesse de versement d'une commission était faite si celle-ci acceptait que son compte bancaire serve au transit de fonds illégaux.

8 Le requérant a été entendu par le bureau de sécurité les 16, 22 et 29 juillet 1992.

9 Par lettre du 8 octobre 1992, la Commission a informé le requérant de sa décision d'ouvrir contre lui une procédure disciplinaire et de l'entendre conformément aux dispositions de l'article 87 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»).

10 L'audition du requérant au titre de l'article 87 du statut a eu lieu le 16 octobre 1992.

11 Le 19 octobre 1992, le requérant a adressé une note au chef de l'unité 5 («assurance maladie et accidents») de la direction B («droits et obligations») de la direction générale IX (Personnel et administration) comportant certaines observations à propos de la décision d'ouvrir contre lui une procédure disciplinaire.

12 Dans le cadre de cette procédure, la direction B de la DG IX a adressé une demande de renseignements à Doxiadis en ce qui concerne ses rapports avec le requérant. Doxiadis a répondu par lettre du 5 janvier 1993.

13 Par rapport du 24 mars 1993, le directeur général du personnel et de l'administration, agissant en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), a saisi le conseil de discipline du cas du requérant. Les griefs retenus contre le requérant consistaient en des manquements aux devoirs de loyauté et de confiance de tout fonctionnaire envers l'institution.

14 Le 6 juillet 1993, le requérant a été entendu par le conseil de discipline.

15 Le même jour, le conseil de discipline a émis un avis motivé. Après avoir examiné les informations recueillies, il a conclu qu'il «[était] d'avis que M. [N avait] manqué gravement aux devoirs de loyauté et de confiance de tout fonctionnaire envers l'institution et d'une manière susceptible de nuire gravement à sa réputation» et a recommandé à l'AIPN la rétrogradation du requérant.

16 Le 14 juillet 1993, celui-ci a adressé une note au directeur général du personnel contenant certaines observations portant sur l'avis du conseil de discipline et sur son audition par ledit conseil.

17 Les 10 septembre et 4 octobre 1993, le requérant a été entendu par l'AIPN.

18 Par décision du 4 octobre 1993, l'AIPN a écarté la recommandation du conseil de discipline et a infligé au requérant la sanction de la révocation (ci-après «décision attaquée»).

19 Cette décision retient à l'encontre du requérant le grief général tiré de ce qu'il a commis des manquements aux devoirs de loyauté et de confiance de tout fonctionnaire envers l'institution:

— en maintenant des contacts extérieurs à la Commission avec des organisations liées à des domaines relevant de ses tâches en tant que fonctionnaire, sans autorisation et sans les avoir portés à la connaissance de ses supérieurs hiérarchiques;

— en poursuivant des activités en dehors de la Commission incompatibles avec la dignité d'un fonctionnaire et susceptibles de nuire à la réputation de l'institution.

20 Suit l'énoncé des griefs particuliers.

21 Il est reproché au requérant:

— de ne pas avoir mentionné sur sa fiche de congé son séjour envisagé au Nigeria alors qu'il avait obtenu un visa à Bruxelles;

— d'avoir maintenu des contacts extérieurs à Lagos dans un domaine où il avait accès à des informations sensibles sans en avertir ses supérieurs hiérarchiques;

— d'avoir obtenu, à son initiative, un visa pour le Nigeria sur la base de faux éléments;

— d'avoir allégué devant le conseil de discipline avoir effectué des travaux, avant son entrée en fonction à la Commission, dans le cadre d'un contrat entre Doxiadis et un organisme nigérian, contrat qui n'aurait pas été exécuté en raison de sa suspension, alors que Doxiadis a confirmé par lettre du 5 janvier 1993 que ce contrat n'a jamais été suspendu et que le requérant n'avait aucun pouvoir de recevoir ou de réclamer de l'argent en son nom, la société ayant son propre représentant à Lagos
auquel un paiement éventuel aurait pu avoir été fait;

— d'avoir allégué devant le conseil de discipline que l'une des raisons de son voyage au Nigeria était de récupérer les sommes dues en vertu de ce contrat, tandis qu'il a ultérieurement nié s'être rendu au Nigeria pour récupérer ces sommes (entretien du 10 septembre 1993);

— d'avoir également nié, devant le conseil de discipline puis lors de l'entretien du 10 septembre 1993, avoir eu connaissance du contrat en question avant son retour en Europe, alors que dans ses déclarations des 29 juillet et 16 octobre 1992 il avait admis que ce contrat lui avait été remis à Lagos et qu'il avait téléphoné le lendemain à sa banque;

— d'avoir déclaré, lors de l'entretien du 10 septembre 1993, contrairement à sa déclaration du 16 juillet 1992, qu'il n'avait pas donné de cartes de visite durant ses rencontres au Nigeria, contradiction qui mettrait en doute la conclusion du conseil de discipline selon laquelle il n'avait pas été établi qu'il avait usé de sa qualité de fonctionnaire;

— d'avoir donné son nom et celui de sa banque à des personnes au Nigeria dont il n'a pas pu ou voulu révéler les noms, alors que tout de suite après sa rencontre avec ces personnes, la somme de 45 millions de USD pouvait effectivement être rendue disponible à son intention à sa banque à Bruxelles, au cas où cette dernière y aurait consenti.

22 Selon la décision, tous ces éléments laissent à croire qu'il s'est rendu complice d'une tentative de transaction frauduleuse de transfert d'une somme très importante à sa banque à Bruxelles. Le requérant n'aurait donné aucune explication crédible quant au fait qu'une somme de cette importance devait être transférée du Nigeria à sa banque ni sur ce qui s'était passé lors de ses rencontres au Nigeria. Ses déclarations successives seraient divergentes, ce qui les priverait de toute crédibilité.

23 La décision attaquée relève ensuite que ces faits constituent des activités, en dehors de la Commission, incompatibles avec la dignité d'un fonctionnaire de grade élevé et que, à tout le moins, ils sont susceptibles de nuire à la réputation de l'institution. Elle affirme que le requérant a gravement manqué aux devoirs de loyauté et de confiance que l'institution est en droit d'attendre d'un fonctionnaire de grade élevé et que des contradictions multiples et répétées sur une matière aussi grave
conduisent à constater que le requérant a rompu la confiance qui doit régner entre le fonctionnaire et son institution. Elle souligne enfin son manque de collaboration.

24 Elle observe que le directeur général du personnel et de l'administration a tenu à donner au requérant, le 4 octobre 1993, en présence de son avocat, une dernière occasion de l'éclairer sur la véracité de ses propos lors d'un entretien au cours duquel il lui a demandé en particulier à quel moment il avait dit la vérité sur les quatre points suivants:

1) les motifs de son voyage au Nigeria;

2) le ou les lieux ainsi que la ou les dates de ses entretiens téléphoniques ou personnels avec sa banque à Bruxelles;

3) le contenu des messages qu'il a adressés à cette banque;

4) la question de l'échange d'identités avec ses interlocuteurs à Lagos.

25 La décision attaquée indique que le requérant a déclaré en réponse à ces questions qu'il avait fait des déclarations complètes dans sa note du 14 juillet 1993 (la décision relève qu'il doit s'agir de sa note du 19 octobre 1992) et qu'il ne s'était jamais dédit par la suite.

26 Ce refus de l'intéressé de reconnaître des contradictions pourtant flagrantes est ensuite présenté comme soulignant l'extrême incorrection de son comportement à l'égard de l'institution.

27 En conclusion, la décision attaquée indique que l'ensemble des éléments mentionnés justifie l'adoption par l'AIPN d'une sanction disciplinaire allant au-delà de celle recommandée par le conseil de discipline dans son avis du 6 juillet 1993.

28 La décision de révocation a pris effet le 1er décembre 1993.

29 Le 27 décembre 1993, le requérant a introduit une réclamation à l'encontre de la décision attaquée. Elle a été rejetée par décision de la Commission du 2 mai 1994.

30 Le 17 juin 1994, le requérant a assigné la Société générale de banque devant le tribunal de commerce de Bruxelles, faisant valoir que la banque avait violé son devoir de discrétion et demandant réparation du préjudice qu'il avait subi à la suite de cette violation.

31 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 août 1994, le requérant a introduit le présent recours.

32 Le 15 novembre 1995, le tribunal de commerce de Bruxelles a jugé que la Société générale de banque avait commis une faute en ne respectant pas son devoir de discrétion puisqu'elle avait communiqué à un tiers des informations qu'elle détenait en sa qualité de banquier du requérant. Il a reporté l'examen de la demande en réparation, dans l'attente de la décision à intervenir dans la présente affaire. Le 2 avril 1996, la Société générale de banque a interjeté appel du jugement devant la Cour d'appel
de Bruxelles.

33 Le 1er avril 1996, le requérant a déposé copie dudit jugement au greffe du Tribunal. En outre, le 2 mai 1996, il a déposé l'acte d'appel introduit par la Société générale de banque ainsi que les conclusions présentées par lui-même dans le cadre de cette procédure.

34 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 mai 1996, la Commission a formulé des observations quant à la procédure devant la juridiction nationale. Le requérant a présenté ses propres observations le 16 juillet 1996.

35 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Lors de l'audience du 11 décembre 1996, les parties ont répondu à certaines questions orales du Tribunal.

Conclusions des parties

36 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

— annuler la décision de la Commission du 4 octobre 1993 portant révocation du requérant ainsi que la décision du 2 mai 1994 portant rejet de la réclamation de celui-ci;

— ordonner la réintégration du requérant rétroactivement au 1er décembre 1993 et condamner la Commission à lui payer sans interruption l'arriéré de son traitement, majoré d'intérêts au taux de 8 % l'an depuis les dates d'exigibilité mensuelle de chacune des échéances dudit traitement;

— condamner la Commission à payer au requérant, en réparation de son dommage moral, la somme de 3 millions de BFR, ou toute somme que le Tribunal appréciera;

— à titre subsidiaire, si la réintégration du requérant n'est pas décidée, dire pour droit que sa révocation était mal fondée et condamner en conséquence la Commission à lui payer la somme de 57443399 BFR en dédommagement de son préjudice financier et la somme de 20 millions de BFR en réparation de son dommage moral, ou toute somme que le Tribunal appréciera;

— condamner la Commission à tous les dépens.

37 Dans sa réplique, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

— donner acte au requérant de ses réserves si le Tribunal considère qu'il s'agit d'un dommage futur;

— avant dire droit, faire application de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée le 4 novembre 1950 (ci-après «CEDH»), et ordonner que la Commission dénonce la «source» des renseignements ayant prétendument documenté le dossier de la défenderesse tendant à justifier les décisions attaquées;

— autoriser le requérant à prouver par toutes voies de droit, témoignages compris, qu'il n'a donné aucune instruction à quiconque en vue de l'exécution du prétendu «contrat» litigieux et qu'il n'a pas signé celui-ci;

— désigner un expert graphologue ayant pour mission de vérifier cette écriture;

— en ce cas, réserver les dépens.

38 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

— rejeter le recours en annulation et en indemnité du requérant comme non fondé;

— statuer comme de droit sur les dépens.

Sur la demande en annulation

39 Il y a lieu d'observer que la requête est peu structurée et que les moyens invoqués par le requérant à l'appui de ses conclusions en annulation ne sont pas identifiés en tant que tels. Toutefois, la Commission a pu prendre position sur le fond, et la structuration des arguments effectuée par le juge rapporteur dans le rapport d'audience a été approuvée par les parties. Le Tribunal est donc en mesure d'exercer son contrôle.

40 Les arguments avancés par le requérant à l'appui de ses conclusions peuvent être regroupés en trois moyens tirés:

— d'une irrégularité de la procédure disciplinaire;

— d'erreurs manifestes d'appréciation des faits;

— d'une violation du principe de proportionnalité.

41 Les deuxième et troisième moyens étant liés, ils seront examinés ensemble.

Sur le moyen tiré d'une irrégularité de la procédure disciplinaire

Arguments des parties

42 Le requérant soutient que la procédure disciplinaire est irrégulière, parce qu'elle a été introduite sur la base d'une information obtenue à la suite d'une violation du secret bancaire, d'une part, et d'une violation des articles 6 et 8 de la CEDH ainsi que de certains principes généraux du droit, d'autre part.

43 Les renseignements concernant les affaires bancaires du requérant et le contrat de 1982 n'auraient pu être communiqués à la Commission que par la Société générale de banque. En agissant ainsi, la banque aurait violé le secret bancaire ainsi que l'article 8 de la CEDH, qui consacre le secret des communications et des correspondances en général. Quant à l'utilisation par la Commission de ces informations obtenues de façon illégale, elle constituerait une irrégularité ayant pour effet de vicier la
procédure.

44 Le requérant fait remarquer que le tribunal de commerce de Bruxelles a jugé que la Société générale de banque, en communiquant à la Commission des informations relatives aux affaires bancaires de son client, a commis une faute consistant en une méconnaissance de son devoir de discrétion.

45 Dans sa réplique, il ajoute que les informations très précises transmises par la «source digne de foi» et contenues dans les notes de la Commission démontrent, par leur succession, une surveillance systématique à son égard. Celle-ci ne lui aurait jamais été notifiée et, par conséquent, l'aurait privé de tout recours en justice visant au contrôle de la légalité de cette ingérence dans sa vie privée. Ce manque de notification entraînerait une violation de l'article 6 de la CEDH, qui exige que «les
contestations sur les droits et obligations de caractère civil» puissent être soumises à un tribunal indépendant et impartial. Le requérant se réfère à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 6 septembre 1978, Klass e.a. (Publications de la Cour, série A, col. 28).

46 De plus, l'article 8 de la CEDH n'autoriserait qu'une ingérence «prévue par la loi». Or, la Commission n'aurait pas établi en l'occurrence le fondement légal des indiscrétions ayant entraîné sa décision d'interroger le requérant (voir arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 2 août 1984, Malone, Publications de la Cour, série A, vol. 82, p. 6).

47 Le requérant réfute l'argument de la Commission selon lequel celle-ci ne serait pas tenue d'observer une quelconque procédure de triage des informations lui parvenant. Il serait clair que la Commission est tenue par les principes généraux du droit et qu'elle est notamment obligée de respecter les droits de la défense. Dès lors, elle aurait une stricte obligation de se conformer à l'éthique autant qu'au droit et d'en déduire la mise à l'écart de toute information obtenue irrégulièrement.

48 Le requérant fait valoir que ses droits de la défense ont été violés au cours de la procédure disciplinaire.

49 Il observe que la jurisprudence a consacré le principe de respect des droits de la défense dans toute procédure, même de caractère administratif (voir arrêt de la Cour du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, Rec. p. 99), ainsi que le principe de protection du secret professionnel (voir arrêt de la Cour du 18 mai 1982, AM et S Europe/Commission, 155/79, Rec. p. 1575).

50 Il n'aurait pas été informé dès le début des «entretiens», qui constituaient des interrogatoires, de la nature des accusations qui pesaient sur lui. Au contraire, la Commission aurait redouté qu'une «fuite» ait pour effet de l'informer, alors qu'elle aurait voulu le tenir à l'écart de l'enquête.

51 La Commission, en cachant l'identité de sa «source digne de foi», aurait violé le principe général de la contradiction des débats et le principe de l'égalité des armes. Le requérant se demande pourquoi la Commission tient cachée cette «source digne de foi», alors qu'elle estime que la dénonciation était légitime. Il se demande également pourquoi la banque, si elle soupçonnait une transaction douteuse, ne l'a pas dénoncé au Parquet.

52 Il affirme que le dossier sur la base duquel la Commission fonde la décision attaquée n'est alimenté que par les indiscrétions de la «source digne de foi» anonyme et par les déclarations du requérant lui-même, alors qu'il avait le droit de ne pas témoigner contre lui-même. A ce propos, il invoque l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission (374/87, Rec. p. 3283), selon lequel le respect des droits de la défense exclut pour la Commission la possibilité d'imposer à quelqu'un, par une
demande impérieuse de renseignements, de fournir des réponses par lesquelles on serait amené à admettre l'existence d'une infraction dont la preuve incombe à la Commission.

53 Il observe également que les documents compris dans les annexes VI, XI, XIX et XX du mémoire en défense de la Commission lui ont été communiqués pour la première fois lors de la transmission de ce mémoire, ce qui pourrait expliquer les prétendues contradictions.

54 Le requérant affirme enfin que la décision de rejet de sa réclamation en date du 2 mai 1994 a été prise par le directeur général du personnel et de l'administration, c'est-à-dire par la personne même qui avait pris la décision de révocation du 4 octobre 1993. Cette décision de rejet n'aurait donc pas été arrêtée par un «tribunal indépendant et impartial» au sens de l'article 6 de la CEDH.

55 La Commission soutient en premier lieu que, quelle que soit sa source d'information, le requérant a tort de se fonder sur une quelconque obligation de secret professionnel.

56 S'agissant du jugement rendu par le tribunal de commerce de Bruxelles, il ne constituerait pas une décision définitive. En tout état de cause, le résultat d'une procédure nationale ne pourrait avoir une incidence sur la régularité d'une procédure disciplinaire devant la Commission et de la sanction infligée au terme de cette procédure.

57 La Commission conteste avoir jamais organisé une surveillance systématique des relations privées entre le requérant et sa banque. En réalité, les informations dont elle a eu connaissance lui auraient été transmises unilatéralement et spontanément par une source digne de foi mais désirant garder l'anonymat. Ce ne serait qu'après avoir pris connaissance de ces informations qu'elle aurait estimé que la gravité des éléments imposait l'ouverture d'une enquête.

58 Elle conteste également l'allégation du requérant selon laquelle la prétendue indiscrétion de la banque et l'enquête qui s'en est suivie seraient constitutives d'une atteinte au respect de la vie privée, garanti par l'article 8 de la CEDH. Elle souligne que l'article 8, paragraphe 2, de la CEDH admet des ingérences justifiées par des impératifs de la défense de l'ordre et de la prévention des infractions pénales.

59 Elle fait valoir qu'elle n'a caché aucun moyen de preuve au requérant. Au contraire, dès réception des informations, elle lui en aurait fait part et l'aurait entendu à trois reprises sur l'ensemble desdites informations, à savoir son voyage au Nigeria, l'existence d'un contrat de travaux d'infrastructure d'aéroport et l'annonce du transfert d'une somme importante d'argent sur son compte. Elle n'aurait donc pas voulu le tenir à l'écart de l'enquête. Elle aurait craint une fuite d'informations au
moment où celle-ci ne venait que de commencer et était encore strictement confidentielle. Elle aurait souhaité entendre le requérant avant de prendre une décision qui puisse être rendue publique.

60 La Commission indique qu'elle ne révèle pas sa source, parce qu'elle s'est engagée à respecter une obligation de discrétion et non, comme le prétend le requérant, parce qu'elle doit cacher une transmission fautive d'informations. A cet égard, elle invoque l'arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission (145/83, Rec. p. 3539).

61 En tout état de cause, la non-révélation de la source n'aurait pas d'influence sur la régularité de la procédure. Sur ce point, la Commission se réfère à l'arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, point 14).

62 Elle nie par ailleurs avoir amené le requérant à témoigner contre lui-même. Elle conteste d'abord la recevabilité de l'argument, car il n'a été invoqué que dans la réplique. Elle estime ensuite que la jurisprudence invoquée par le requérant à l'appui de son allégation n'est pas pertinente, étant donné qu'elle-même n'a jamais exigé du requérant qu'il témoigne contre lui-même (voir arrêt Orkem/Commission, précité).

63 Ce serait en présence d'éléments objectifs, tels que, d'une part, l'indication d'une fausse destination sur la fiche de congé du requérant, et, d'autre part, un contrat portant sur une très importante somme d'argent et relatif à la réalisation de travaux d'infrastructure d'aéroport, conclu avec les autorités nigérianes et revêtu de la signature du requérant, que le bureau de sécurité aurait entendu celui-ci à trois reprises au mois de juillet 1992. Au cours de ces entretiens, le requérant aurait
été mis en mesure de faire valoir son point de vue. Ses droits de la défense auraient ainsi été respectés et il ne lui aurait jamais été demandé à cette occasion de s'«auto-accuser».

64 En ce qui concerne la non-communication de quatre annexes, la Commission observe qu'il s'agit de notes internes (annexes VI et XI) et de comptes rendus des auditions du requérant lui-même (annexes XIX et XX). Elle fait valoir qu'elle n'était pas obligée de transmettre les notes internes au requérant (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711). Pour ce qui est des comptes rendus, elle constate qu'elle ne voit pas l'intérêt pour le requérant
de les obtenir, étant donné qu'il n'en a pas contesté la teneur. De plus, ils présentaient un caractère purement interne et ne devaient donc pas être communiqués au requérant (voir arrêt de la Cour du 29 janvier 1985, F./Commission, 228/83, Rec. p. 275, points 25 à 28).

65 Quant à l'argument selon lequel l'article 6 de la CEDH aurait été violé dans la mesure où la décision de rejet aurait été prise par la même personne que celle qui avait pris la décision de révocation, la Commission rappelle que, en tant qu'exécutif de la Communauté, elle ne saurait être qualifiée de tribunal au sens de cette disposition, c'est-à-dire de tribunal indépendant du pouvoir exécutif (voir arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78,
Rec. p. 3125, point 81).

66 De surcroît, le moyen manquerait en fait, puisque ce serait la Commission en tant que collège et non le directeur général du personnel et de l'administration qui se serait prononcée en l'espèce sur la réclamation du requérant. En effet, le directeur général du personnel et de l'administration n'aurait fait que transmettre la décision de la Commission au requérant.

Appréciation du Tribunal

— Sur les conditions d'obtention des informations à l'origine de la procédure disciplinaire

67 En l'espèce, aucun élément du dossier ne montre que la Commission a elle-même sollicité auprès de la banque des informations sur son client ou incité l'établissement, directement ou indirectement, à lui transmettre de telles informations, ni qu'elle s'est intéressée aux communications entre le requérant et sa banque dans le cadre d'une surveillance organisée.

68 Dans ces conditions, il doit être admis que les renseignements litigieux ont été communiqués à la partie défenderesse par une source d'information agissant de sa propre initiative.

69 Prenant alors connaissance de l'existence d'éléments susceptibles de porter atteinte à ses intérêts, la Commission devait, en vertu des dispositions du titre VI du statut, relatif au régime disciplinaire, ouvrir une enquête afin de pouvoir, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde ou à la protection de ces intérêts.

70 La seule circonstance que les renseignements aient pu être communiqués par une banque en violation de dispositions nationales relatives à la protection du secret bancaire n'était pas de nature à l'empêcher d'ouvrir une procédure disciplinaire.

71 L'ouverture d'une telle procédure n'a pas constitué par ailleurs une violation du droit au respect de la vie privée.

72 Ce droit fondamental, énoncé également par l'article 8 de la CEDH, fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect, conformément aux traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi qu'aux instruments internationaux auxquels les États ont coopéré ou adhéré (voir arrêts de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, points 17 et 18, et du 8 avril 1992, Commission/Allemagne, C-62/90, Rec. p. I-2575,
point 23).

73 Ces principes n'apparaissent pas toutefois comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir arrêts de la Cour du 11 juillet 1989, Schräder, 265/87, Rec. p. 2237, point 15, Commission/Allemagne,
précité, point 23, du 5 octobre 1994, X/Commission, C-404/92 P, Rec. p. I-4737, point 18, et du Tribunal du 13 juillet 1995, K/Commission, T-176/94, RecFP p. II-621, point 33).

74 Or, en ouvrant une enquête puis une procédure disciplinaire à la suite d'informations susceptibles de se rapporter à des actes illégaux du requérant et, partant, à des manquements graves aux obligations résultant du statut, la Commission n'a nullement entrepris une intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance même du droit au respect de la vie privée.

75 Partant, elle n'a pas davantage privé le requérant de tout recours en justice visant au contrôle de la légalité de la prétendue violation du droit au respect de la vie privée.

76 La Commission a donc à juste titre ouvert une procédure disciplinaire.

— Sur le déroulement de la procédure disciplinaire

77 Le requérant soutient que la Commission a violé ses droits de la défense lors du déroulement de la procédure disciplinaire.

78 Il ne peut déduire une telle violation de ce que la Commission ne l'aurait pas informé, dès le début des entretiens, des accusations qui pesaient sur lui.

79 Si l'article 1er de l'annexe IX du statut, relative à la procédure disciplinaire, prévoit que le rapport par lequel le conseil de discipline est saisi doit indiquer clairement les faits reprochés, aucune autre disposition du statut n'édicte pareille obligation au stade d'entretiens préalables visant à vérifier l'exactitude de données recueillies par l'institution. En effet, à ce stade, l'institution n'est pas en mesure de formuler des accusations à l'encontre du fonctionnaire, tant que des
vérifications ne lui ont pas permis d'apprécier s'il y a lieu d'ouvrir une procédure disciplinaire.

80 Le requérant ne peut davantage soutenir que la Commission a violé le principe général du contradictoire et de l'égalité des armes en ne révélant pas l'identité de sa source d'information au cours de la procédure.

81 La Commission a une obligation de protéger l'anonymat de l'informateur dans certains cas. Il ressort en effet de la jurisprudence que l'article 214 du traité — qui oblige les membres et les agents des institutions de la Communauté à ne pas divulguer des informations qui, par leur nature même, sont couvertes par le secret professionnel — constitue un principe général qui s'applique même à des informations fournies par des personnes physiques, si ces informations sont par leur nature
confidentielles. Dans le cas d'informations fournies à titre purement volontaire, mais assorties d'une demande de confidentialité en vue de protéger l'anonymat de l'informateur, l'institution qui accepte de recevoir ces informations est tenue de respecter une telle condition (voir arrêt Adams/Commission, précité, point 34). Une procédure ouverte ensuite sur la base d'informations dont l'origine n'est pas révélée est régulière, dès lors que n'est pas affectée la possibilité, pour la personne
concernée, de faire connaître son point de vue sur la réalité ou la portée des faits ou documents communiqués ou encore sur les conclusions que la Commission en tire (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 14).

82 En l'espèce, l'informateur de la Commission a fourni des informations à titre purement volontaire et a demandé que son identité soit protégée. Il ne peut donc être reproché à la Commission de ne pas avoir révélé cette identité.

83 En outre, il ne ressort pas du dossier que la Commission, en ne révélant pas sa source d'information, a privé le requérant de ses droits de la défense. Au contraire, le requérant a été en mesure de faire connaître utilement son point de vue quant au renseignement communiqué. Il a été entendu à plusieurs reprises, a également fait connaître son point de vue par écrit et a pu se défendre contre tous les griefs formulés contre lui dans le rapport par lequel l'AIPN a saisi le conseil de discipline.

84 L'argument du requérant doit donc être rejeté.

85 Le requérant ne peut ensuite faire valoir que la Commission a violé son droit de ne pas témoigner contre lui-même.

86 En effet, sans qu'il soit nécessaire d'aborder la question de la recevabilité de cet argument, il suffit de constater que le moyen est dénué de fondement, car la Commission a seulement demandé au requérant d'éclaircir certains faits qui indiquaient que ses activités pourraient être liées à un comportement contraire au statut. En agissant ainsi, la Commission a en réalité invité le requérant à exercer ses droits de la défense. Conformément à la jurisprudence, un fonctionnaire a en effet le droit
de prendre position sur des déclarations de tiers ou des pièces utilisées pour les besoins d'une décision de l'AIPN et préjudiciables à l'intéressé (voir arrêt de la Cour du 1er octobre 1991, Vidrányi/Commission, C-283/90 P, Rec. p. I-4339, point 20). Elle n'a pas, au sens de l'arrêt Orkem/Commission, précité (point 35), imposé au requérant Yobligation de fournir des réponses par lesquelles celui-ci aurait été amené à admettre l'existence d'un manquement à ses obligations découlant du statut.

87 S'agissant de l'affirmation du requérant selon laquelle certaines annexes ne lui ont été communiquées que par la transmission du mémoire en défense, il convient de rappeler le contenu des droits de la défense en ce qui concerne la communication des documents.

88 Le caractère contradictoire d'une procédure telle que celle devant le conseil de discipline et les droits de la défense dans une telle procédure exigent que le requérant et, le cas échéant, son avocat puissent prendre connaissance de tous les éléments de fait sur lesquels la décision a été fondée, et cela en temps utile pour présenter leurs observations (voir arrêt F./Commission, précité, point 23). Cependant, à défaut d'une demande de l'intéressé, aucune obligation de l'AIPN de communiquer
l'intégralité du dossier du fonctionnaire faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne saurait être déduite du statut (voir arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, R./Commission, 255/83 et 256/83, Rec. p. 2473, point 17, et arrêt du Tribunal du 17 octobre 1991, De Compte/Parlement, T-26/89, Rec. p. II-781, point 122).

89 Il en résulte que la Commission est obligée de communiquer à la personne qui fait l'objet d'une enquête les documents qui révèlent des faits importants pour l'exercice de ses droits de la défense, mais pas forcément d'autres documents, à défaut d'une demande à cette fin (voir arrêts F./Commission, précité, point 24, et Hercules Chemicals/Commission, précité, points 51 et 52).

90 En l'espèce, le requérant invoque la non-communication de deux documents internes (annexes VI et XI au mémoire en défense) et de deux comptes rendus d'auditions du requérant par l'AIPN (annexes XIX et XX au mémoire en défense).

91 L'annexe VI comporte une note qui évoque certaines informations qui venaient de la Société générale de banque. Cette même note est annexée à la requête (annexe V). En réponse à une question posée à l'audience par le Tribunal, l'avocat du requérant a admis qu'il n'était pas exact d'affirmer que cette note avait été communiquée pour la première fois lors de la transmission du mémoire en défense. Il convient encore d'observer que l'information comprise dans cette note n'a pas servi de preuve à
l'encontre du requérant car la décision attaquée n'est pas fondée sur les circonstances y mentionnées. La non-communication de ce document n'a donc pas porté atteinte au caractère contradictoire de la procédure devant le conseil de discipline ni aux droits de la défense du requérant.

92 La note contenue à l'annexe XI revêt un caractère préparatoire. En effet, elle a été rédigée avant l'ouverture de cette procédure. Il s'agit d'une note interne dont la communication n'était pas nécessaire à la sauvegarde des droits de la défense du requérant. Par suite, la Commission n'était pas obligée de la communiquer lors de la procédure disciplinaire.

93 Les deux comptes rendus concernent des auditions auxquelles le requérant et son avocat ont assisté et leur teneur n'est pas contestée par le requérant. En l'espèce, leur non-communication n'a pas, dès lors, porté atteinte au caractère contradictoire de la procédure devant le conseil de discipline ou des droits de la défense du requérant (voir arrêt F./Commission, précité, points 27 et 28).

94 En conséquence, l'affirmation du requérant selon laquelle ses droits de la défense ont été violés par la non-communication de certains documents ne peut pas être retenue.

95 Enfin, en ce qui concerne l'allégation du requérant selon laquelle la Commission n'a pas respecté son droit à un procès équitable prévu par l'article 6 de la CEDH, il suffit de relever que la procédure devant la Commission n'est pas judiciaire, mais administrative et que la Commission ne saurait être qualifiée de «tribunal» au sens de l'article 6 de la CEDH (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80, 101/80, 102/80 et 103/80, Rec. p.
1825, point 7). Un droit à un procès équitable, tel que celui visé par cette dernière disposition, ne peut en conséquence être invoqué dans le cadre d'une procédure disciplinaire (voir arrêt De Compte/Parlement, précité, point 94).

96 De surcroît, c'est à tort que le requérant prétend que la décision du 2 mai 1994 rejetant sa réclamation a été prise par la même personne que celle qui a adopté la décision du 4 octobre 1993. En réalité, la réclamation du requérant a été examinée par la Commission prise en tant que collège, le directeur général du personnel et de l'administration n'ayant fait que transmettre ensuite au requérant la décision du 2 mai 1994.

97 Il ressort de tout ce qui précède que le moyen tiré d'une irrégularité de la procédure disciplinaire doit être rejeté.

Sur les moyens tirés d'erreurs manifestes d'appréciation des faits et d'une violation du príncipe de proportionnalité

Arguments des parties

98 Le requérant fait valoir que la décision de l'AIPN du 4 octobre 1993 est fondée sur plusieurs erreurs manifestes d'appréciation.

99 Le fait qu'il se rendait en Grèce, endroit indiqué sur sa fiche de congé, ne lui aurait pas interdit de faire, pendant son congé, un autre voyage. De plus, au moment du congé, il n'aurait eu d'autre intention que de se rendre en Grèce. Ce n'est qu'arrivé dans ce pays qu'il aurait décidé d'entreprendre un voyage au Nigeria.

100 Il reconnaît avoir obtenu son visa pour le Nigeria sur la base de faux éléments. Cependant, cela s'expliquerait par le fait que le visa touristique n'existe pas au Nigeria. En outre, il n'aurait pas vu malice à utiliser un visa obtenu grâce à l'aide d'un ami et délivré à la suite d'une invitation de l'ambassade du Nigeria.

101 Le requérant explique qu'il s'est rendu au Nigeria pour deux raisons. Il souhaitait d'abord rechercher un emploi dans ce pays. En raison de problèmes rencontrés dans ses relations avec ses collègues, il aurait envisagé de démissionner de ses fonctions à la Commission et il aurait déjà cherché un emploi au Canada, à Montréal. Il aurait eu également l'intention de recouvrer une créance née en 1982 avant son entrée au service de la Commission. La décision de révocation relèverait à tort qu'il
aurait nié s'être rendu au Nigeria dans ce dernier but. En effet, il aurait déclaré y être allé pour ce motif tant au service de sécurité qu'au conseil de discipline le 6 juillet 1993 ainsi que dans une note écrite au directeur général du personnel et de l'administration (AIPN) le 14 juillet 1993.

102 Il expose qu'il a, en 1982, collaboré avec Doxiadis comme consultant au Nigeria. Ce travail aurait été accompli, mais les projets n'auraient pas abouti et sa rémunération aurait été tenue en suspens. Les indications que ladite société a données à la Commission le 5 janvier 1993, selon lesquelles le contrat n'avait jamais été suspendu et qu'il n'avait pas de créance, ne constitueraient pas une preuve certaine contre le requérant, étant donné qu'une créance serait trop souvent contestée par le
débiteur. Le requérant n'aurait pas contacté directement le représentant de Doxiadis à Lagos, afin d'éviter qu'un contact direct aboutît à la confrontation de ce représentant avec lui-même, fonctionnaire européen, comme tel tenu à une obligation de réserve.

103 Le requérant nie avoir refusé de révéler l'identité des personnes avec lesquelles il a traité au Nigeria. Il ne connaîtrait pas l'identité de celles-ci, à l'exception d'un certain M. Nelson. Il se serait contenté de connaître cette personne pour ne pas compromettre des conversations qui auraient pu être importantes pour l'avenir.

104 Il soutient qu'il a pris contact avec sa banque à Bruxelles aussitôt qu'il lui a semblé possible de se voir offrir une situation et/ou de se faire payer sa créance. Il aurait téléphoné à la Société générale de banque le 1er juillet 1992, vers 16 heures, et aurait annoncé à M. Spencer Lopez l'arrivée d'une télécopie du Nigeria décrivant une opération réalisée avec la Federal Civil Aviation Authority du Nigeria, avec une note manuscrite contenant des questions sur le mécanisme du paiement. Le
requérant soutient que la proposition, à ce moment-là, paraissait honnête. Le contrat de 1982 et la lettre d'accompagnement auraient ensuite été télécopiés à la banque par ses interlocuteurs, auxquels il aurait fait confiance. L'agence Maelbeek aurait reçu cette télécopie le 1er juillet 1992 à 23 h 33. Le 2 juillet 1992, cette agence aurait communiqué l'ensemble des documents aux services centraux de la Société générale de banque. Puis, au cours d'une communication téléphonique, le 3 juillet
1992, M. Spencer Lopez lui aurait indiqué que la banque refusait d'exécuter l'opération qui, d'après le contrat reçu, portait sur 45 millions de USD. Prenant alors connaissance de cette somme, il aurait immédiatement interrompu toute procédure de transfert et indiqué à la banque qu'il n'avait jamais signé un contrat portant sur un tel montant. Il aurait également annoncé sa visite à la banque pour le 6 juillet 1992. Au cours de cette visite, il aurait expliqué que le contrat portant sur un
transfert de 45 millions de USD était le résultat d'une manœuvre de ses interlocuteurs nigérians et qu'il ne fallait surtout pas donner suite à l'opération.

105 Il n'aurait pas eu connaissance du contrat frauduleux à Lagos avant son envoi à Bruxelles, ainsi qu'il l'aurait clairement indiqué dans ses déclarations des 22 et 29 juillet 1992. Dans la déclaration du 22 juillet, il aurait souligné que l'allure générale du contrat l'avait trompé en raison de sa présentation conforme aux usages, et dans la déclaration du 29 juillet il aurait insisté sur le caractère faux du montant figurant sur le contrat adressé à la banque. Ce dernier contrat ne lui aurait
jamais été soumis à Lagos. Il aurait toujours contesté l'authenticité de la signature apposée sous son nom sur le contrat.

106 Le requérant conteste le reproche selon lequel il aurait maintenu des contacts extérieurs à Lagos dans un domaine où il avait accès à des informations sensibles sans en avertir ses supérieurs hiérarchiques. La décision ne préciserait pas quelles informations «sensibles» auraient pu être divulguées ou l'auraient été ni quels contacts «extérieurs» auraient été maintenus dans une intention malicieuse. En outre, alors que la décision attaquée reprocherait au requérant la divulgation de secrets ou
l'intention de divulguer des secrets, le dossier de la Commission lui-même démontrerait que, selon les spécialistes financiers, il aurait été simplement victime d'une tentative d'escroquerie. Le requérant déclare n'avoir eu aucune intention de divulguer des secrets.

107 La Commission devrait admettre qu'il a été victime d'une tentative d'escroquerie à ses propres dépens, puisqu'il ressortirait du rapport du 31 juillet 1992 du bureau de sécurité de la Commission qu'il s'agissait d'un cas typique d'escroquerie dite «419».

108 Le requérant admet avoir donné des cartes de visite privées lors de ses rencontres au Nigeria. Il n'aurait cependant jamais donné des cartes professionnelles. Le reproche d'avoir usé de sa qualité de fonctionnaire ne serait donc pas fondé. Le conseil de discipline lui-même aurait estimé que ce grief n'était pas établi.

109 Le requérant ajoute qu'il n'a jamais mentionné l'institution au Nigeria. Il n'aurait rien fait pour nuire à la réputation de l'institution ou pour manquer aux devoirs de loyauté envers celle-ci. En réalité, il aurait tout mis en œuvre pour déjouer l'escroquerie dont il allait être victime.

110 Quant à l'affirmation de l'AIPN, selon laquelle «tout laisse à croire que M. N s'est rendu complice d'une tentative de transaction frauduleuse de transfert d'une somme très importante à sa banque à Bruxelles», il soutient qu'elle n'est pas susceptible de fonder une sanction car la preuve de ce qui est avancé n'a pas été rapportée.

111 S'agissant de l'allégation de l'AIPN selon laquelle les contradictions multiples et répétées du requérant dans une matière aussi grave conduiraient à constater qu'il avait rompu la confiance qui doit régner entre un fonctionnaire et son institution, le requérant fait valoir, premièrement, que c'est la Commission qui, par ses soupçons, a délibérément cessé d'avoir confiance en lui et, deuxièmement, qu'il n'y a pas de contradictions. Il serait naturel que des nuances surgissent entre différents
procès-verbaux, étant donné le nombre de personnes ayant fait rapport dans l'affaire. Il ajoute que, en toute hypothèse, la charge de la preuve n'incombe pas à la personne accusée, laquelle, selon un principe général du droit, est présumée innocente.

112 Le requérant soutient enfin que, si une erreur de déontologie était néanmoins retenue, la décision de révocation serait totalement disproportionnée par rapport à la faute commise. Il relève que, bien que le conseil de discipline ait recommandé sa rétrogradation, l'AIPN a opté pour la révocation pour des motifs qui ne se vérifient pas en l'espèce, ni en fait ni en droit.

113 La Commission fait valoir que des éléments précis et concordants établissent les manquements très graves commis par le requérant aux devoirs de loyauté et de confiance de tout fonctionnaire envers son institution.

114 Elle soutient que l'allégation du requérant selon laquelle, d'une part, il n'aurait eu d'autre intention, au moment de remplir sa fiche de congé, que de se rendre en Grèce et, d'autre part, ce ne serait qu'arrivé en Grèce qu'il aurait entamé les dernières démarches en vue d'un voyage vers le Nigeria, est en totale contradiction avec ce qu'il a dit au cours de ses auditions.

115 Quant aux explications fournies par le requérant concernant son voyage, la Commission insiste sur le fait qu'il a présenté des versions successives du but de celui-ci. Elle relève que le fait que ce contrat porte une signature attribuée au requérant, mais dont l'authenticité est contestée par celui-ci, n'est pas un grief retenu contre lui.

116 La Commission fait valoir qu'il appartient au requérant d'établir l'existence de la créance invoquée comme motif de son voyage. Elle relève une contradiction dans les déclarations du requérant à cet égard en ce qui concerne le débiteur de cette créance. Elle fait valoir, en outre, que le fait que le requérant ait attendu dix ans pour réclamer le paiement de sa créance empêche encore d'admettre ses explications.

117 Au vu des déclarations du requérant en dates des 22 et 29 juillet 1992, elle conteste les explications de celui-ci selon lesquelles:

— il n'aurait pas donné les noms de ses interlocuteurs pour la seule raison qu'il ne les connaissait pas;

— il n'aurait pas eu connaissance du contrat frauduleux à Lagos avant son envoi à Bruxelles.

118 En ce qui concerne le reproche fait par le requérant à l'AIN de ne pas avoir indiqué dans la décision quelles informations sensibles il aurait pu divulguer ni quels contacts extérieurs il aurait entretenus dans une intention malicieuse, la Commission précise que le reproche effectivement fait au requérant est d'avoir maintenu des contacts extérieurs à Lagos dans un domaine où il avait accès à des informations sensibles, sans en avertir ses supérieurs hiérarchiques (souligné par la Commission).

119 Elle fait valoir que c'est le requérant lui-même qui a avancé que le but de son voyage était d'étudier les possibilités d'emploi dans le domaine de la construction et de la manutention des aéroports et du transport aérien au Nigeria. Ainsi, les informations sensibles mentionnées dans la décision de révocation seraient celles auxquelles il avait accès dans le cadre des fonctions qu'il occupait à la Commission.

120 Quant à l'argument du requérant selon lequel il serait établi dans le rapport du 31 juillet 1992 du bureau de sécurité qu'il avait été victime de l'escroquerie connue sous le numéro de code «419», la Commission souligne que le requérant n'a jamais donné d'explications claires et précises en ce qui concerne le motif de son voyage au Nigeria, la manière dont il a obtenu son visa et, plus particulièrement, le contrat de travaux d'infrastructure d'un aéroport envisagé avec les autorités nigérianes.
Pour cette raison, la Commission n'aurait pu retenir l'existence d'une escroquerie dite «419» que comme une hypothèse.

121 S'agissant de l'usage de cartes de visite, la Commission fait valoir que la décision attaquée se borne à souligner que le caractère contradictoire des versions du requérant met en doute son allégation selon laquelle il n'aurait pas fait usage de sa qualité de fonctionnaire dans cette affaire.

122 Enfin, la Commission souligne que c'est uniquement le manquement par le requérant à ses devoirs de loyauté et de confiance envers la Commission qui a fondé la sanction de la révocation. Au cours de la procédure disciplinaire, le requérant aurait omis de donner des explications crédibles sur certains points et ses déclarations auraient été entachées de multiples et incessantes contradictions. C'est donc cette attitude qui aurait amené la Commission à conclure qu'il avait rompu la confiance qui
doit régner entre un fonctionnaire et son institution.

123 La Commission conteste que le principe de proportionnalité ait été méconnu dans la détermination de la sanction. Elle souligne que le statut ne contient aucune règle fixant une échelle de sanctions par rapport à des infractions disciplinaires déterminées. Elle fait valoir que le choix de la sanction adéquate appartient à l'AIPN (voir arrêts de la Cour du 30 mai 1973, De Greef/Commission, 46/72, Rec. p. 543, point 45, F./Commission, précité, point 34, R./Commission, précité, points 47 et 48, et
du 5 février 1987, F./Commission, 403/85, Rec. p. 645, point 18). De plus, selon une jurisprudence constante, le contrôle de la proportionnalité de la sanction par rapport à la faute se limiterait à la censure de l'erreur manifeste (voir, par exemple, arrêt De Compte/Parlement, précité, points 220 et 222).

124 En l'espèce, l'AIPN, après avoir établi les faits reprochés au requérant, aurait conclu à l'existence de manquements graves. Étant donné les multiples contradictions du requérant et le fait qu'il aurait délibérément essayé de camoufler la réalité des faits au lieu de collaborer loyalement avec l'institution, l'AIPN aurait estimé que les liens de confiance qui devaient exister entre le fonctionnaire et l'administration étaient rompus.

Appréciation du Tribunal

125 Dans le cadre des présents moyens, doit être examinée la légalité d'une décision infligeant une sanction de révocation. Une telle décision implique nécessairement des considérations délicates de la part de l'institution, compte tenu des conséquences sérieuses et irrévocables qui en découlent. L'institution dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation et le contrôle juridictionnel se limite à une vérification de l'exactitude matérielle des faits retenus, de l'absence d'erreur manifeste
dans l'appréciation des faits et de l'absence de détournement de pouvoir.

126 L'obligation du requérant particulièrement mise en cause en l'espèce est celle prévue en ces termes par l'article 12, premier alinéa, du statut: «Le fonctionnaire doit s'abstenir de tout acte et, en particulier, de toute expression publique d'opinions qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction.»

127 Cette disposition vise à garantir que les fonctionnaires communautaires, dans leur comportement, présentent une image de dignité conforme à la conduite particulièrement correcte et respectable que l'on est en droit d'attendre des membres d'une fonction publique internationale (voir arrêt du Tribunal du 7 mars 1996, Williams/Cour des comptes, T-146/94, RecFP p. II-329, point 65).

128 Elle peut être rapprochée de l'article 11, premier alinéa, du statut, en vertu duquel le fonctionnaire doit régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, et de l'article 21, premier alinéa, du statut, aux termes duquel le fonctionnaire est tenu d'assister et de conseiller ses supérieurs.

129 Il se dégage de l'ensemble de ces dispositions une obligation de loyauté du fonctionnaire à l'égard de son institution, qui doit le conduire, d'autant plus s'il a un grade élevé, à faire preuve d'un comportement au-dessus de tout soupçon, afin que les liens de confiance existant entre cette institution et lui-même soient toujours préservés.

110 En l'espèce, le point de départ du litige est l'arrivée, à la Société générale de banque à Bruxelles, d'un contrat dont les termes indiquaient que le requérant était créancier d'une somme d'argent considérable en rémunération d'une prestation exécutée dans le domaine de la sécurité aérienne, soit dans le domaine même où il exerçait, à l'époque, les fonctions de chef adjoint auprès de la Commission. Ce contrat avait été envoyé du Nigeria, accompagné d'instructions manuscrites du requérant
lui-même. Confrontée à cette information, la Commission a constaté que le requérant s'était rendu au Nigeria sans en avertir ses supérieurs hiérarchiques et sans avoir indiqué ce pays de destination sur sa fiche de congé. Il est en outre apparu qu'il avait obtenu un visa pour le Nigeria sur la base de faux éléments.

133 Dans un tel contexte, il y a lieu d'admettre que les activités du requérant au Nigeria, quelle qu'ait été leur nature exacte, ont légitimement conduit la Commission à se demander si l'intéressé n'avait pas commis des actes non conformes à la dignité de sa fonction au sein de la Commission, actes dont la gravité était susceptible de nuire considérablement à celle-ci. Elles ont donc logiquement conduit l'institution à interroger le requérant.

132 Celui-ci ne saurait se prévaloir des principes généraux du droit, et en particulier d'une présomption d'innocence, pour justifier un défaut de coopération. En effet, puisqu'il était le seul à posséder des informations en rapport avec une opération dont il se prétendait victime, il lui incombait, non pas d'établir son innocence, mais de coopérer loyalement avec la Commission. Il devait ainsi communiquer sans délai à la Commission, sans les dissimuler ou les altérer, toutes les informations à sa
disposition, afin de permettre à l'institution d'éclaircir elle-même les circonstances de fait au moyen de toute mesure d'investigation utile.

133 Or, force est de constater que, au lieu d'expliquer les événements qui s'étaient réellement produits au Nigeria, le requérant a donné des versions contradictoires rendant incertaine la réalité de ses assertions.

134 Compte tenu du caractère flagrant de certaines contradictions révélées par le dossier, le requérant ne peut être admis à soutenir qu'il ne s'est agi que de nuances entre différents procès-verbaux, liées au nombre des personnes ayant fait rapport dans l'affaire.

135 Le requérant a d'abord fourni des indications contradictoires quant à sa destination au cours de son congé. Sur sa fiche de congé, il n'a visé que la Grèce. Pourtant, le16 octobre 1992, il a déclaré avoir obtenu son visa auprès de l'ambassade du Nigeria à Bruxelles, soit avant son départ, et, le 6 juillet 1993, il a même reconnu devant le conseil de discipline n'avoir indiqué que la Grèce sur sa fiche de congé alors qu'il voulait se rendre également au Nigeria. Au demeurant, il y a lieu
d'observer que, même au stade du présent recours, le requérant n'a pas hésité à verser à nouveau dans la contradiction en affirmant dans sa requête que, au moment de prendre congé, il avait pour seule intention de se rendre en Grèce et qu'il a décidé d'entreprendre son voyage au Nigeria après son arrivée en Grèce.

136 Le requérant a par ailleurs fourni des indications contradictoires en ce qui concerne le motif de son voyage au Nigeria. Le 16 juillet 1992, il a déclaré avoir répondu favorablement à une invitation d'une société travaillant pour le gouvernement du Nigeria, qui désirait lui montrer une installation de télécommunication. Le 22 juillet 1992, il a déclaré ne pas exclure que le contrat adressé à sa banque, que le bureau de sécurité lui présentait, entrât dans un processus de régularisation d'actes
conclus avant son entrée au service de la Commission. Le 16 octobre 1992, puis devant le conseil de discipline, il a affirmé que le but de son voyage était, d'une part, de recouvrer une partie de montants dus en exécution d'un contrat antérieur à son entrée en fonction à la Commission et, d'autre part, d'étudier les possibilités d'emploi au Nigeria. Cependant, le 10 septembre 1993, il a nié être allé dans ce pays pour recouvrer une créance. A nouveau, le 4 octobre 1993, il a soutenu qu'il
s'était rendu au Nigeria pour tenter de récupérer une somme d'environ 15000 USD due en vertu d'un contrat antérieur et pour obtenir des contrats pour l'avenir. En toute hypothèse, il a reconnu le 16 octobre 1992 qu'il avait obtenu un visa sur la base d'un faux motif, à savoir la réparation d'un système de contrôle d'un aéroport, alors qu'il n'avait aucune connaissance ou expérience pour effectuer la réparation en cause. Il a confirmé cette déclaration dans une note écrite du 19 octobre 1992,
puis devant le conseil de discipline.

137 Le requérant a également présenté des versions successives contradictoires quant à la créance invoquée comme but du voyage litigieux. Il a déclaré au conseil de discipline qu'il avait l'intention de recouvrer des sommes dont lui-même et Doxiadis étaient créanciers. Cette dernière société a cependant indiqué, par lettre du 5 janvier 1993 adressée à la Commission, que, si le requérant avait travaillé pour elle en qualité de consultant «free-lance» à la réalisation d'un projet au Nigeria, le
contrat relatif à ce projet n'avait jamais été suspendu, que ni sa forme ni son contenu ne présentaient la moindre similitude avec ceux du contrat communiqué par la Commission et que Doxiadis n'avait jamais conclu un contrat avec la Federal Civil Aviation Authority du Nigeria, cocontractant du requérant indiqué sur le contrat adressé à la banque. De plus, le requérant n'aurait disposé d'aucun pouvoir à l'effet de recevoir ou de réclamer de l'argent en son nom. Or, en réponse, le requérant a
prétendu que cette allégation de Doxiadis ne constituait pas une preuve certaine contre lui, dans la mesure où une créance est trop souvent contestée par le débiteur. Ainsi, au lieu de répliquer aux affirmations de Doxiadis, il a invoqué subitement l'existence d'une créance à l'encontre de cette société elle-même. En tout état de cause, il ne produit aucun contrat qu'il aurait effectivement conclu en 1982 avec un cocontractant établi au Nigeria, en vertu duquel des sommes auraient été encore
dues dix ans plus tard et qui aurait effectivement fait l'objet d'une «remise à jour» en 1992. Enfin, étant souligné que le 29 juillet 1992, après réflexion, le requérant n'a contesté que le montant du contrat envoyé à la banque ainsi que sa signature, mais non l'identité du cocontractant, l'intéressé n'a pas expliqué comment il aurait pu obtenir l'extinction de sa créance alléguée à l'égard de Doxiadis, au moyen de l'exécution d'un contrat conclu par lui-même avec la Federal Civil Aviation
Authority du Nigeria qui, n'entretenant pas de relations d'affaires avec Doxiadis, ne pouvait en être la débitrice.

138 Le requérant s'est ensuite contredit en ce qui concerne les événements survenus au Nigeria. Lors de l'entretien du 16 juillet 1992, il a prétendu qu'il n'avait signé ni conclu aucun contrat, qu'il n'avait donné à personne son numéro bancaire et qu'il n'avait prescrit aucun ordre relatif à un mouvement de capitaux. En revanche, lors de l'entretien du 29 juillet 1992, il a admis que ses interlocuteurs au Nigeria lui avaient effectivement remis le contrat dont le bureau de sécurité de la Commission
lui avait remis une copie le 22 juillet 1992, mais dont il contestait à présent le montant et la signature figurant sous son nom. Devant le conseil de discipline, il a au contraire soutenu qu'il n'avait pas vu le contrat avant son expédition à la banque. En toute hypothèse, il ne conteste pas que la note manuscrite qui accompagnait ce contrat était authentique et que, à tout le moins, il a communiqué les coordonnées de sa banque à Bruxelles à ses interlocuteurs qui, selon lui, ont expédié les
documents en cause par télécopie.

139 Le requérant a encore procédé par voie d'affirmations contradictoires en ce qui concerne ses contacts avec ses interlocuteurs. Le compte rendu de l'entretien du 22 juillet 1992 indique que «M. N a préféré taire le nom de ses interlocuteurs au Nigeria afin que ces derniers ne soient pas importunés par une quelconque enquête», affirmation qui impliquait qu'il connaissait leurs identités. Or, les 16 octobre 1992, 10 septembre et 4 octobre 1993, ainsi que dans le cadre du présent recours, il a
affirmé qu'il ne connaissait pas l'identité de ses interlocuteurs, à l'exception d'un certain M. Nelson. A cet égard, ayant présenté celui-ci, dans sa note écrite du 19 octobre 1992, comme étant le représentant d'une société Sola Mustang Nigeria Ltd, il n'a pas expliqué dans quelle mesure et pourquoi cette personne pouvait juridiquement contribuer à l'extinction d'une créance étrangère à la société qu'il représentait.

140 Enfin, en déclarant devant le conseil de discipline avoir été victime d'une tentative d'escroquerie (affirmation reprise dans le mémoire en réplique, p. 12: «Le requérant a de toute évidence été victime d'une tentative d'escroquerie [...]»), le requérant a présenté une explication des événements elle-même empreinte de contradiction. En effet, une escroquerie suppose un appauvrissement de la victime, provoqué par l'auteur de l'infraction. Or, le requérant n'a pas précisé en l'espèce dans quelle
mesure cette condition aurait été remplie puisque, censé recouvrer une ancienne créance de l'ordre de 15000 à 30000 USD selon ses affirmations successives, il allait voir son compte crédité de 45 millions de USD. Plus précisément, il n'a pas indiqué quelle contribution prélevée sur son propre patrimoine on lui aurait demandée, qui aurait constitué ensuite, par définition, le produit de l'escroquerie alléguée. Il ne précise pas davantage quel gain on lui aurait fait espérer et à quelle opération,
légale ou illégale, on lui aurait demandé de participer en contrepartie de ce gain. De surcroît, il n'a pas expliqué à la Commission la raison pour laquelle il a successivement déclaré, le 22 juillet 1992, qu'il souhaitait que ses interlocuteurs ne soient pas importunés par une quelconque enquête, puis, le 29 juillet 1992, qu'il ne désirait pas porter plainte en justice contre eux afin de ne pas perturber ses contacts au Nigeria, comme s'il estimait que les auteurs d'une tentative d'escroquerie
devaient échapper à toute poursuite et pouvaient constituer à l'avenir des références utiles dans la recherche d'un emploi, voire même devenir ses cocontractants.

141 Il ressort donc du dossier que le requérant n'a pas fait un effort sérieux afin de permettre à la Commission d'éclaircir la situation de fait à l'origine de l'enquête, mais a au contraire aggravé les interrogations légitimes de l'institution à laquelle il appartenait en lui présentant des explications insuffisantes, variables dans le temps et contradictoires.

142 Dans ces conditions, lorsque l'AIPN relève dans la décision attaquée que «[...] tout laisse à croire que M. N s'est rendu complice d'une tentative de transaction frauduleuse de transfert d'une somme très importante vers sa banque à Bruxelles», son affirmation correspond à une évaluation globale des faits.

143 Ainsi, c'est à tort que le requérant met l'accent sur la question de savoir si la preuve de cette affirmation considérée isolément a été rapportée. En effet, l'AIPN n'a fait qu'envisager une hypothèse tenue pour plausible au regard des circonstances de l'espèce et, surtout, du manque de coopération loyale du requérant qui avait définitivement cristallisé un état de suspicion légitime.

144 Il se déduit en toute hypothèse des déclarations du requérant que celui-ci, comme l'a retenu ajuste titre la Commission, a maintenu des contacts dans un pays tiers dans un domaine où, en sa qualité de fonctionnaire communautaire, il disposait d'informations sensibles, sans en avertir ses supérieurs hiérarchiques.

145 Au vu de tout ce qui précède, il ne peut être soutenu que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en concluant que le requérant a manqué gravement à ses obligations statutaires.

146 Le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits à l'origine de la sanction doit donc être rejeté.

147 La réalité des faits qui fondent le grief à l'encontre du fonctionnaire étant établie, le choix de la sanction adéquate appartenait à l'AIPN, et le juge communautaire ne saurait censurer le choix de cette sanction sauf en cas d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir (voir arrêts de la Cour De Greef/Commission, précité, point 45, et du 29 janvier 1985, F./Commission, précité, point 34, et arrêts du Tribunal De Compte/Parlement, précité, points 220 et 222, et du 26 janvier 1995,
D/Commission, T-549/93, RecFP p. II-43, point 96).

148 En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet de conclure que la sanction infligée était manifestement disproportionnée par rapport aux manquements retenus ou que la Commission aurait usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés.

149 En conséquence, le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité doit également être rejeté.

150 Il découle de tout ce qui précède que la demande en annulation doit être rejetée.

151 Partant, il n'y a pas lieu d'examiner les autres conclusions au fond présentées dans la requête en ce qui concerne les questions de réintégration et d'arriéré de traitement (voir point 36 ci-dessus) ni celles aux fins de mesures d'instruction et d'organisation de la procédure présentées dans la réplique (voir point 37 ci-dessus). En effet, ces conclusions soit sont sans objet, soit ne sont pas pertinentes.

Sur la demande en indemnité

Arguments des parties

152 Le requérant demande à être indemnisé de son préjudice matériel et/ou moral.

153 Dans l'hypothèse où il serait réintégré auprès de la Commission, il sollicite une indemnité de 3 millions de BFR en réparation du préjudice moral subi du fait de la sanction de révocation.

154 A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la réintégration ne serait pas ordonnée, il demande que la révocation soit jugée mal fondée et sollicite une indemnité de 57443399 BFR au titre de son préjudice financier et de 20 millions de BFR au titre de son préjudice moral.

155 Son préjudice moral serait provoqué par le fait que la Commission l'aurait déshonoré, notamment en présumant qu'il était le complice d'une tentative de fraude internationale, ce qui aurait eu pour conséquences la perte de la considération d'amis importants, une interdiction d'accès aux bâtiments des Communautés européennes et une privation de vie sociale et professionnelle.

156 La Commission conteste la demande d'indemnité présentée à titre principal, tout d'abord parce que la décision de révocation prise par l'AIPN est régulière et fondée.

157 Elle met même en question la recevabilité de cette demande, étant donné que le requérant n'a pas respecté la procédure précontentieuse organisée par le statut en n'introduisant pas une demande d'indemnité auprès de l'AIPN conformément à l'article 90, paragraphe 1, du statut.

158 La Commission conteste également la demande d'indemnité présentée à titre subsidiaire. Elle s'interroge sur la portée de cette demande puisque, dans l'hypothèse où la décision attaquée serait annulée, les intérêts du requérant seraient protégés par l'obligation de la Commission de prendre des mesures d'exécution de l'arrêt du Tribunal, en application de l'article 176 du traité CE. Elle ajoute que, en toute hypothèse, le dommage ne serait pas encore né et actuel.

Appréciation du Tribunal

159 Selon une jurisprudence constante, lorsqu'il existe un lien direct entre un recours en annulation et une action en indemnité, cette dernière est recevable en tant qu'accessoire au recours en annulation, sans devoir être précédée d'une demande émanant de l'intéressé et invitant l'AIPN à réparer les préjudices prétendument subis ainsi que d'une réclamation dans laquelle le réclamant conteste le bien-fondé du rejet implicite ou explicite de sa demande (voir, par exemple, ordonnance du Tribunal du 6
février 1992, Castelletti e.a./Commission, T-29/91, Rec. p. II-77, point 29). Cependant, les conclusions tendant à la réparation du préjudice matériel ou moral doivent être rejetées dans la mesure où elles présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation qui ont, elles-mêmes, été rejetées soit comme irrecevables, soit comme non fondées (voir, par exemple, arrêts du Tribunal du 5 février 1997, Ibarra Gil/Commission, T-207/95, RecFP p. II-54, point 88, et Petit-Laurent/Commission,
T-211/95, RecFP p. II-80, point 88).

160 En l'espèce, il existe un lien étroit entre le recours en indemnité et le recours en annulation. Dans ces circonstances, le recours en indemnité est recevable nonobstant l'absence de demande et de réclamation préalables, mais il doit être rejeté au fond, dans la mesure où l'examen des moyens présentés au soutien des conclusions en annulation n'a révélé aucune illégalité commise par la Commission et donc aucune faute de nature à engager sa responsabilité.

161 Par ailleurs, même si l'on considérait qu'il n'existe pas un lien étroit entre chaque partie de la demande en indemnité et le recours en annulation, cette partie de la demande devrait être rejetée comme irrecevable, car, ayant été présentée pour la première fois dans la requête, elle n'a pas été précédée d'une procédure précontentieuse régulière (voir, par exemple, ordonnance du Tribunal du 28 janvier 1993, Piette de Stachelski/Commission, T-53/92, Rec. p. II-35, point 18).

162 Le recours doit en conséquence être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

163 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à ce que le Tribunal statue sur les dépens comme de droit, chacune des parties supportera ses
propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

  1) Le recours est rejeté.

  2) Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Lenaerts

Lindh

Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mai 1997.
 
Le greffier

H. Jung

Le président

K. Lenaerts

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( *1 ) Langue de procédure: le français.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : T-273/94
Date de la décision : 15/05/1997
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Devoir de loyauté - Suspicion d'actes contraires à la dignité de la fonction - Coopération loyale du fonctionnaire à l'enquête - Défaut - Procédure disciplinaire - Révocation.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : N
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1997:71

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