Avis juridique important
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61996A0040
Arrêt du Tribunal de première instance (première chambre) du 6 mars 1997. - Armel de Kerros et Véronique Kohn-Bergé contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Recrutement - Accès aux concours internes - Avis de concours - Conditions d'admission - Condition relative à l'ancienneté de service. - Affaires jointes T-40/96 et T-55/96.
Recueil de jurisprudence - fonction publique 1997 page IA-00047
page II-00135
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Parties
Dans les affaires jointes T-40/96 et T-55/96,
Armel de Kerros, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Grez-Doiceau (Belgique),
et
Véronique Kohn-Bergé, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Florange (France),
représentés par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure et Ariane Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
parties requérantes,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée, dans l'affaire T-40/96, par M. Julian Currall et, dans l'affaire T-55/96, par Mme Ana Maria Alves Vieira, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet, en ce qui concerne l'affaire T-40/96, l'annulation de la décision du jury du concours interne COM/T/B/96 et, en ce qui concerne l'affaire T-55/96, l'annulation de la décision du jury du concours interne COM/T/C/96, refusant toutes deux d'admettre les requérants aux épreuves des concours susvisés au motif qu'ils ne satisfont pas à la condition d'ancienneté de service de trois ans révolus sans interruption au service des Communautés européennes en qualité d'agent visé au régime
applicable aux autres agents des Communautés européennes,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
(première chambre),
composé de M. A. Saggio, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 décembre 1996,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
Faits et procédure
1 Le requérant dans l'affaire T-40/96 est entré au service de la Commission le 16 mars 1992, en tant qu'agent auxiliaire de la catégorie B, affecté au service commun Interprétation-conférences (ci-après «SCIC»). Le contrat initial a été conclu pour une durée de six mois et a fait l'objet de deux prolongations successives, jusqu'au 15 mars 1993.
2 Du 16 au 31 mars 1993, le requérant a continué à exercer les mêmes fonctions au sein du SCIC, mais en qualité d'intérimaire B supplémentaire.
3 Avec effet au 1er avril 1993, le requérant a été engagé en qualité d'agent temporaire par la Commission, classé au grade B 5 et toujours affecté au SCIC. Le contrat d'engagement a été conclu pour une durée de six mois. Ce contrat a également été prolongé successivement, pour différentes périodes, jusqu'au 31 mars 1996.
4 Le 22 août 1995, la Commission a publié l'avis de concours interne sur épreuves COM/T/B/96, à l'intention des agents temporaires de catégorie B en service, visant à la constitution d'une réserve d'assistants adjoints, assistants et assistants principaux des grades 5 à 1 de la catégorie B.
5 Le point II de l'avis de concours était libellé comme suit:
«Le concours est ouvert aux candidats qui justifient remplir les conditions suivantes:
a) être agent temporaire auprès de la Commission, classé dans l'un des grades B 5, B 4, B 3, B 2 ou B 1 à la date limite pour le dépôt des candidatures;
b) avoir, au plus tard à la date du 30 septembre 1995 inclus, au moins trois ans révolus sans interruption d'ancienneté de service auprès des Communautés européennes en qualité d'agent visé au régime applicable aux autres agents des Communautés.»
6 Le requérant s'est porté candidat au concours susvisé.
7 Par note du 18 décembre 1995, le requérant a été informé de la décision du jury du concours de ne pas l'admettre aux épreuves écrites. A la suite de l'examen du dossier du requérant, le jury avait constaté qu'il ne remplissait pas la condition d'admission requise au point II, sous b), de l'avis de concours, étant donné qu'au 30 septembre 1995 son ancienneté de service auprès des Communautés européennes en qualité d'agent visé au régime applicable aux autres agents des Communautés européennes
(ci-après «RAA») était inférieure à trois ans révolus sans interruption.
8 Par lettre du 22 décembre 1995, adressée au président du jury du concours, le requérant a demandé le réexamen de sa candidature. Il faisait valoir que son activité au service de la Commission n'avait pas connu d'interruption. Le SCIC aurait été contraint de lui proposer un contrat d'intérimaire pour la période du 16 au 31 mars 1993 uniquement pour des raisons administratives et/ou techniques, alors qu'il aurait été prévu de l'engager en tant qu'agent temporaire dès la date d'échéance de son
contrat d'agent auxiliaire. Ces affirmations étaient confirmées par une note signée par le chef de l'unité «programmation des ressources, perfectionnement professionnel, informatique» du SCIC, jointe en annexe à la lettre du requérant.
9 La décision initiale de ne pas admettre le requérant au concours a été confirmée par lettre du 22 janvier 1996. Le jury a estimé qu'il était lié par le texte de l'avis de concours, tel qu'il avait été publié, et qu'il devait s'y conformer.
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mars 1996, le requérant a introduit un recours tendant à l'annulation de la décision du jury du concours interne COM/T/B/96, adoptée après réexamen de son dossier, de ne pas l'admettre aux épreuves du concours.
11 La requérante dans l'affaire T-55/96 a été engagée par la Commission en qualité d'agent auxiliaire de la catégorie C à partir du 16 octobre 1991, pour une durée de quatre mois. Elle a été affectée à la direction générale Personnel et administration (DG IX), à Luxembourg, pour exercer les fonctions de dactylographe au secrétariat politique de l'Union syndicale-Luxembourg. Selon la requérante, elle avait déjà exercé les mêmes fonctions pendant quelques mois avant la prise d'effet de son contrat
d'agent auxiliaire, étant donné qu'elle avait été employée par Manpower SARL - Aide temporaire (ci-après «Manpower») du 11 mars au 15 octobre 1991 à la seule fin d'être mise à la disposition de la Commission.
12 La durée du contrat d'agent auxiliaire conclu avec la requérante a été prolongée jusqu'au 15 octobre 1992. Du 16 au 31 octobre 1992, la requérante a à nouveau été employée par Manpower et mise à la disposition de la Commission, tout en continuant à exercer les mêmes fonctions au sein du secrétariat politique de l'Union syndicale-Luxembourg.
13 Par lettre du 30 octobre 1992, la DG IX a proposé à la requérante un contrat d'agent temporaire pour une durée de douze mois. Par conséquent, à partir du 1er novembre 1992, la requérante a occupé le même emploi sous le couvert d'un contrat d'agent temporaire, en étant classée au grade C 5. Ce contrat a fait l'objet de plusieurs prolongations successives et était toujours en vigueur à la date d'introduction du présent recours.
14 Le 22 août 1995, la Commission a publié l'avis de concours interne sur épreuves COM/T/C/96, à l'intention des agents temporaires de catégorie C en service, visant à la constitution d'une liste de réserve. Le point II, sous b), de l'avis précisait que les candidats au concours devaient avoir, au plus tard à la date du 30 septembre 1995 inclus, au moins trois ans révolus sans interruption d'ancienneté de service auprès des Communautés européennes en qualité d'agent visé au RAA.
15 La requérante a déposé sa candidature au concours susvisé.
16 Par note du 18 décembre 1995, la requérante a été informée de la décision du jury de ne pas l'admettre aux épreuves écrites du concours, au motif qu'au 30 septembre 1995 son ancienneté de service auprès des Communautés européennes en qualité d'agent visé au RAA était inférieure à trois ans révolus sans interruption.
17 La requérante a contesté la légalité de cette décision par lettre du 12 janvier 1996, adressée par son conseil au président du jury du concours. Par lettre du 15 février 1996, le jury du concours a néanmoins confirmé sa décision de ne pas admettre la requérante aux épreuves, en soulignant qu'il était lié par le texte formel de l'avis de concours et que la fonction d'intérimaire n'est pas visée au RAA.
18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 avril 1996, la requérante a introduit un recours tendant à l'annulation de la décision du jury du concours interne COM/T/C/96 de ne pas l'admettre aux épreuves du concours.
19 Suite à la demande de la partie défenderesse, le président de la première chambre du Tribunal, les parties requérantes entendues, a ordonné le 4 juillet 1996 la jonction des affaires T-40/96 et T-55/96 aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt, compte tenu de la connexité de leur objet. Par lettre du 22 juillet 1996, les requérants ont déclaré renoncer au dépôt d'un mémoire en réplique. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la
procédure orale.
20 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 10 décembre 1996. Le président n'a pas prononcé la clôture de la procédure orale à la fin des débats, le Tribunal se réservant d'examiner l'opportunité de disjoindre les affaires aux fins de l'arrêt. Après examen, le Tribunal a décidé qu'il y avait lieu de maintenir la jonction des affaires aux fins de l'arrêt et de clore la procédure orale.
Conclusions des parties
21 Le requérant dans l'affaire T-40/96 conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision du jury du concours COM/T/B/96 de ne pas l'admettre aux épreuves du concours;
- condamner la partie défenderesse aux dépens.
22 La requérante dans l'affaire T-55/96 conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision du jury du concours COM/T/C/96 de ne pas l'admettre aux épreuves du concours;
- condamner la partie défenderesse aux dépens.
23 La partie défenderesse conclut, dans les deux affaires, à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme non fondé;
- statuer comme de droit sur les dépens.
Sur le fond
24 A l'appui de leurs recours, les requérants invoquent deux moyens tirés, le premier, de la violation des articles 27, premier alinéa, et 29, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), ainsi que du droit des agents temporaires de participer aux concours internes et, le second, d'une erreur manifeste d'appréciation. Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner en premier lieu le second moyen avancé par les requérants.
Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation
Argumentation des parties
25 Les requérants soutiennent que les décisions attaquées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, dans la mesure où le jury des concours respectifs a considéré qu'ils ne satisfaisaient pas à la condition d'ancienneté de trois années révolues sans interruption au service des Communautés européennes. Pendant la période de deux semaines où les deux requérants ont travaillé en qualité d'intérimaire, ils auraient continué à exercer, sous l'autorité et le contrôle de leurs supérieurs
hiérarchiques à la Commission, les fonctions qu'ils exerçaient auparavant et qu'ils ont exercées par après. Les requérants auraient dès lors été effectivement au service de la Commission pendant une période ininterrompue de plus de trois ans à la date limite pour le dépôt de leurs candidatures aux concours internes.
26 La défenderesse, tout en admettant que les requérants ont effectivement exercé les mêmes fonctions en qualité d'intérimaire, souligne que les avis de concours précisaient de manière très explicite que l'ancienneté de service requise devait avoir été acquise en qualité d'agent visé au RAA. Dans ces circonstances, la Commission estime qu'aucune erreur d'appréciation n'a été commise et que le jury de chaque concours a correctement appliqué la condition litigieuse.
Appréciation du Tribunal
27 Il y a lieu de relever, ainsi que l'a fait la partie défenderesse, que la condition d'admission dont les jurys ont fait application exigeait explicitement dans le chef des candidats aux concours une ancienneté de service ininterrompue de trois ans en qualité d'agent visé au RAA. Étant donné que les requérants ne peuvent pas justifier de trois ans de service ininterrompu en cette qualité, tous deux ayant, pendant une période de deux semaines comprise dans ces trois ans, accompli leurs tâches sous
couvert d'un statut d'intérimaire, le Tribunal constate que les jurys n'ont commis aucune erreur d'appréciation des faits lorsqu'ils ont décidé que les requérants ne satisfaisaient pas à la condition litigieuse. Ce moyen d'annulation des requérants doit dès lors être déclaré non fondé.
28 Le Tribunal observe, en tout état de cause, que les requérants visent en fait, par ce moyen, à remettre en cause la formulation de la condition d'admission aux concours, dans la mesure où celle-ci assortit l'exigence d'une ancienneté de service de trois ans de deux exigences supplémentaires, à savoir, qu'il n'y ait pas eu d'interruption des prestations et que ces prestations aient été fournies en qualité d'agent visé au RAA. En effet, dans les deux cas d'espèce, la partie défenderesse ne conteste
pas que les requérants ont été au service effectif de la Commission pendant une période supérieure à trois ans. En revanche, elle souligne qu'il y a eu dans le cas des deux requérants une interruption des prestations en qualité d'agent visé au RAA. Bien que le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation soit dépourvu de fondement, au vu de l'argumentation développée par les parties sous ce moyen, le Tribunal en conclut que le litige opposant les requérants à la Commission porte exclusivement
sur la légalité des exigences supplémentaires visées ci-dessus. Il convient donc d'examiner le premier moyen d'annulation avancé par les requérants, tiré de la violation des principes et dispositions statutaires, à la lumière des circonstances précisées dans le cadre du second moyen.
Sur le moyen tiré de la violation des articles 27, premier alinéa, et 29, paragraphe 1, du statut, ainsi que du droit des agents temporaires de participer aux concours internes
Argumentation des parties
29 Selon les requérants, la condition d'admission aux concours internes qui impose aux candidats de justifier de trois ans d'ancienneté de service révolus sans interruption, en qualité d'agent visé au RAA, est illégale.
30 Se fondant sur l'arrêt du Tribunal du 8 novembre 1990, Bataille e.a./Parlement (T-56/89, Rec. p. II-597, ci-après «arrêt Bataille»), les requérants estiment que cette condition méconnait les dispositions impératives énoncées à l'article 27 du statut et le système de recrutement mis en place par son article 29. L'article 27, premier alinéa, du statut prévoit que le recrutement vise «à assurer à l'institution le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de
rendement et d'intégrité, recrutés sur une base géographique aussi large que possible parmi les ressortissants des États membres des Communautés». Ainsi que le Tribunal l'aurait jugé dans l'arrêt précité, l'organisation de concours internes, prévue à l'article 29, paragraphe 1, du statut, doit permettre à l'institution d'élargir le nombre des candidatures possibles afin d'atteindre l'objectif visé à l'article 27, à savoir la nomination des candidats possédant les plus hautes qualités. Or, la
condition d'admission imposant une ancienneté de service sans interruption ne constituerait pas un moyen approprié pour atteindre un tel objectif, dans la mesure où elle peut conduire à éliminer des candidats possédant les mêmes ou de meilleures qualifications que celles d'autres candidats admis à concourir.
31 Les requérants soutiennent, en outre, que la condition d'admission litigieuse constitue une violation du droit statutaire des agents temporaires à participer aux concours internes. Ce droit aurait été reconnu aux agents temporaires par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, comme le montreraient plusieurs passages de l'arrêt Bataille (en particulier, les points 40 et suivants), reproduits dans les requêtes.
32 La défenderesse, pour sa part, relève que le premier moyen des requérants, à l'encontre des décisions prises par le jury des concours en cause, constitue en fait une attaque dirigée exclusivement contre la condition d'admission selon laquelle les agents doivent justifier trois ans révolus sans interruption d'ancienneté de service auprès des Communautés européennes, en qualité d'agent visé au RAA. Les requérants ne contesteraient pas le fait qu'ils ne remplissent pas cette condition. Dans les deux
cas d'espèce, il serait constant qu'il y a eu interruption des prestations des requérants en qualité d'agent visé au RAA. De l'avis de la Commission, la question soulevée dans les présents litiges est donc de savoir si une telle condition est justifiée et conforme aux dispositions statutaires pertinentes.
33 A cet égard, la défenderesse expose que la condition litigieuse doit être appréciée dans le contexte dans lequel elle s'insère, qui est celui des concours dits «de titularisation». L'objectif de ces concours internes serait de permettre le recrutement en tant que fonctionnaires de personnes qui ont déjà un certain niveau de compétences, reconnu aux fins de leur engagement en tant qu'agent visé au RAA, ainsi qu'une certaine expérience de l'institution, acquise pendant le temps passé en cette
qualité. L'organisation de ce type de concours permettrait donc la progression vers un statut permanent des personnes qui, possédant les qualités requises par l'article 27, premier alinéa, du statut, ont démontré leur vocation à être recrutées lors de l'exercice de fonctions sous couvert d'un statut temporaire.
34 La Commission ne conteste pas qu'un concours interne, tout autant qu'un concours externe, doit poursuivre le but énoncé à l'article 27, premier alinéa, du statut, à savoir celui de permettre la nomination de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités. Elle soutient, néanmoins, que l'organisation de concours internes non seulement satisfait aux besoins de recrutement et aux exigences de cette disposition et de l'article 29, paragraphe 1, du statut, mais permet en même temps la
régularisation de la situation de personnes ayant un lien particulier avec l'institution pendant une période déterminée.
35 Dans son analyse, la Commission part de la prémisse que les concours internes sont prévus par l'article 29, paragraphe 1, du statut, en termes qui pourraient même suggérer qu'ils sont prioritaires par rapport aux concours externes. Étant donné que les concours internes concernent une population plus réduite que celle visée par les avis de concours externes, la Commission ne saurait être critiquée du seul fait que, lors de l'organisation d'un concours interne, elle s'adresse à un groupe restreint.
36 La défenderesse estime que ce raisonnement s'applique également aux conditions spécifiques requises pour concourir, lesquelles ont pour conséquence, et même pour objectif, de limiter le champ des candidats possibles. Ces conditions ne sauraient être considérées comme contraires au statut que si elles excluaient des candidats sur une base non objective, constitutive d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation. La Commission ne partage donc pas l'avis des requérants, selon lequel
la condition d'admission litigieuse limiterait indûment le nombre des candidats, du seul fait qu'un tel critère peut conduire à exclure un candidat possédant les mêmes ou, éventuellement, de meilleures qualifications que celles d'autres candidats admis à concourir.
37 La Commission rappelle ensuite que, dans le cas d'un concours comme ceux de l'espèce, visant à la constitution d'une réserve de recrutement, le caractère objectif d'une condition d'admission ne peut pas être apprécié par rapport aux exigences de l'emploi à pourvoir. En règle générale, les conditions requises pour être admis à participer à ce type de concours seraient moins précises que celles qu'on trouve dans les avis de concours visant au pourvoi d'emplois spécifiques ou dans les avis de
vacance d'emploi.
38 La Commission considère, enfin, que la condition relative aux trois ans d'ancienneté sans interruption se justifie par le souci de procéder par ordre chronologique et de régulariser d'abord la situation des agents visés au RAA qui ont le plus longtemps été dans une situation temporaire. Selon la défenderesse, la situation des personnes ayant connu une interruption de leur ancienneté de service en qualité d'agent visé au RAA requiert moins prioritairement l'attention que celle des personnes
arrivant à la fin d'une période de plusieurs années de service continu, étant donné qu'elles ont pu redevenir agents visés au RAA pour une nouvelle période. Cette approche répondrait par conséquent à un souci de bonne administration, en assurant un traitement par ordre chronologique dans un système permettant la régularisation de situations temporaires.
Appréciation du Tribunal
39 Il convient de rappeler d'emblée que dans l'arrêt Bataille, invoqué par les requérants, le Tribunal a constaté que le statut confère un large pouvoir d'appréciation aux institutions en matière d'organisation de concours (voir point 42). Ce pouvoir d'appréciation trouve notamment à s'exercer lorsque, conformément aux articles 4 et 29 du statut, l'institution décide de pourvoir aux vacances d'emploi par la voie de l'organisation d'un concours interne. Il s'exerce également lorsque, conformément à
l'article 1er de l'annexe III du statut, l'AIPN arrête l'avis de concours et précise les différentes spécifications prévues par cette disposition, parmi lesquelles les conditions d'admission. Il convient de relever, en outre, ainsi que le Tribunal l'a fait au point 41 de l'arrêt susvisé, que les agents temporaires ont, en principe, en vertu du statut, le droit de participer aux concours internes de leur institution. Il résulte de ces deux constatations que, si une institution ne peut pas priver de
manière générale ses agents temporaires, ou une catégorie d'entre eux, du droit de se présenter aux concours internes qu'elle organise, elle peut, néanmoins, établir pour chaque concours les conditions d'admission qu'elle estime correspondre aux besoins des postes à pourvoir. Dès lors, un droit absolu des agents temporaires de participer à tout concours interne organisé par leur institution ne saurait être reconnu.
40 Toutefois, ainsi que l'ont souligné les requérants, l'exercice du pouvoir d'appréciation qui appartient aux institutions en matière d'organisation de concours, en particulier en ce qui concerne la fixation des conditions d'admission, doit être compatible avec les dispositions impératives des articles 27, premier alinéa, et 29, paragraphe 1, du statut. En effet, «c'est de manière impérative que l'article 27, premier alinéa, définit le but de tout recrutement et que l'article 29, paragraphe 1, fixe
le cadre des procédures à suivre en vue de pourvoir aux vacances d'emploi» (voir point 48 de l'arrêt Bataille).
41 Dans cet arrêt, le Tribunal a conclu que le critère d'admission contesté en l'espèce, qui privait en définitive une catégorie d'agents temporaires du Parlement européen du droit de se présenter aux concours internes, méconnaissait les dispositions statutaires susvisées. Il a relevé qu'il s'agissait d'une simple circonstance factuelle relative aux modalités de leur engagement, circonstance qui n'était pas nécessairement liée à la possession de certains titres ou qualifications. Ce critère
conduisait à exclure des candidats disposant des mêmes ou, éventuellement, de meilleures qualifications que celles d'autres candidats admis à concourir, ne permettant pas d'atteindre l'objectif visé à l'article 27 du statut, à savoir le recrutement de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités (voir points 45, 47 et 48 de l'arrêt Bataille).
42 Il convient également de rappeler que, dans son arrêt du 28 mars 1996, Noonan/Commission (T-60/92, RecFP p. II-443), le Tribunal a eu l'occasion d'examiner la conformité avec l'article 27, premier alinéa, du statut d'une condition d'admission à un concours général, organisé par la Commission en vue de la constitution d'une liste de réserve de recrutement de dactylographes. Au point 43 du même arrêt, le Tribunal a précisé les termes dans lesquels il y a lieu de concilier l'article 27 du statut
avec l'exercice du large pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité investie du pouvoir de nomination pour déterminer les conditions d'un concours:
«En effet, le choix que ménage ce pouvoir doit toujours être opéré en fonction des exigences liées aux emplois à pourvoir et, plus généralement, de l'intérêt du service.»
Étant donné que, dans cette affaire, la Commission n'avait pas établi l'existence d'un quelconque lien entre la condition contestée et ces exigences et intérêts, le Tribunal a considéré illégale la condition excluant la participation de candidats titulaires de diplômes universitaires donnant accès aux concours de niveau A et LA.
43 Dans les présentes affaires, le Tribunal constate que la condition litigieuse, tendant à exclure la participation aux concours internes des agents temporaires ne pouvant pas faire valoir une ancienneté de service de trois ans révolus sans interruption en qualité d'agent visé au RAA, n'est pas dictée par des exigences liées aux postes à pourvoir. La Commission n'a d'ailleurs même pas invoqué de telles exigences, ayant reconnu que, dans des concours comme ceux de l'espèce, qui visent à constituer
une liste de réserve, les conditions d'admission se limitent à exiger dans le chef des candidats des aptitudes de caractère général.
44 Il convient, par conséquent, d'examiner si la condition litigieuse, telle qu'elle est formulée, peut être justifiée par rapport à l'intérêt du service poursuivi par la Commission.
45 La défenderesse soutient que l'organisation de concours internes dits «de titularisation» est un important instrument de sa politique interne de gestion du personnel, permettant la progression vers un statut permanent des agents dont les qualités ont pu être appréciées pendant leurs prestations sous un régime temporaire. L'intérêt du service consisterait alors, selon la Commission, en la régularisation des situations temporaires. Cela serait aussi bien conforme à l'article 29, paragraphe 1, du
statut, qui paraît reconnaître la priorité des concours internes par rapport aux concours externes, que compatible avec l'article 27, premier alinéa, étant acquis que les agents temporaires possèdent les plus hautes qualités requises par cette disposition du statut.
46 A cet égard, le Tribunal relève que le statut ouvre, en principe, la possibilité de titulariser les agents temporaires d'une institution par la voie d'un concours interne (voir arrêt Bataille, point 47). L'intérêt du service poursuivi par la Commission apparaît donc comme légitime, sous réserve du respect de l'ensemble des dispositions statutaires régissant l'accès à la fonction publique européenne.
47 Il ressort de ce qui précède que la condition litigieuse, pour autant qu'elle stipule que les candidats se présentant à un concours interne dit «de titularisation» doivent justifier d'une ancienneté de service de trois ans, constitue un moyen approprié pour poursuivre l'intérêt du service mis en avant par la Commission. En effet, le Tribunal observe que la condition d'admission relative à une ancienneté de service minimale est conforme à l'intérêt de l'institution de donner une chance de
titularisation aux agents qui ont démontré la mériter par leurs prestations sous le couvert d'un statut temporaire. Il y a lieu également de reconnaître que, en exigeant une période minimale de trois ans, la Commission s'est tenue dans les limites d'un exercice raisonnable de son pouvoir d'appréciation. Par ailleurs, l'argumentation développée par les requérants à l'appui de leur second moyen d'annulation, ainsi que leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l'audience,
révèlent qu'ils ne contestent pas la légalité d'une condition d'admission qui exclurait la participation aux concours internes des candidats n'ayant pas accompli trois ans au service de la Commission.
48 La question essentielle soulevée par les présentes affaires porte donc sur la légalité des exigences supplémentaires contenues dans la formulation de la condition litigieuse. En vertu de ces exigences, il ne suffit pas aux agents temporaires de remplir la condition relative à une ancienneté de service d'au moins trois ans. Pour être admis à concourir, ils doivent encore montrer que pendant cette période de trois ans ils ont été au service de la Commission sans interruption. Ils doivent également
prouver qu'ils ont fourni leurs prestations, tout au long de cette période, en qualité d'agent visée au RAA. Le Tribunal constate que le résultat de l'application de la condition litigieuse est d'écarter des concours internes les agents temporaires qui, pouvant justifier d'une ancienneté de service égale ou supérieure aux trois ans requis, se sont vu proposer par la Commission de continuer à son service, pendant une période plus ou moins courte, sous le couvert d'un contrat non visé au RAA.
49 Pour justifier les exigences supplémentaires qui, selon les déclarations de la partie défenderesse à l'audience, ont été récemment introduites dans les avis de concours internes dits «de titularisation», la Commission invoque la nécessité de procéder par ordre chronologique. Elle estime qu'il n'est que de bon sens que d'organiser des concours qui s'adressent à ceux qui ont le plus longtemps été dans une situation temporaire et que les agents ayant connu une interruption de leur statut relevant du
RAA requièrent moins prioritairement l'attention, étant donné qu'ils ont pu recommencer leur carrière en qualité d'agent visé au RAA.
50 Cette justification ne saurait être retenue.
51 Tout d'abord, il y a lieu de souligner qu'une telle justification, de toute évidence, ne trouve son fondement que dans les difficultés d'ordre pratique rencontrées par la Commission lors de l'organisation des concours internes dits «de titularisation», compte tenu du nombre élevé d'agents temporaires qui satisferaient à une simple condition de trois ans d'ancienneté de service et qui souhaiteraient participer à ces concours. Certes, le traitement chronologique des situations des agents
temporaires permet à l'institution de gérer plus facilement les procédures de concours et la nomination des lauréats aux emplois vacants, ce qui correspond au souci de bonne administration que la Commission a fait valoir. Le Tribunal rappelle, néanmoins, que des restrictions à la base de recrutement ne sauraient être compatibles avec l'article 27, premier alinéa, du statut, que si elles découlent d'exigences liées aux emplois à pourvoir ou de l'intérêt du service. De plus, il résulte des termes
mêmes de cette disposition du statut que le but de restreindre la base de recrutement, c'est-à-dire de limiter le nombre de personnes pouvant participer à chaque concours, ne peut pas constituer en soi un intérêt légitime de l'institution.
52 Ensuite, le Tribunal constate que la formulation de la condition litigieuse est en contradiction avec l'intérêt du service que la Commission a déclaré poursuivre par l'organisation de concours comme ceux de l'espèce. En effet, la défenderesse a expliqué qu'elle organisait des concours internes dits «de titularisation» en vue de permettre la progression vers un statut permanent des agents ayant démontré leur vocation à être titularisés, ce qui serait indiqué par la durée de leurs prestations sous
le couvert d'un statut temporaire. Or, les exigences supplémentaires contenues dans la condition litigieuse ne constituent pas un moyen approprié pour assurer la participation aux concours des agents temporaires qui ont été le plus longtemps dans une situation provisoire. Au contraire, le Tribunal a relevé qu'elles peuvent exclure certains agents faisant valoir une ancienneté de service supérieure à celle d'autres agents admis à concourir. Dans ces conditions, force est de constater que la condition
litigieuse, telle qu'elle est formulée, ne permet pas à la Commission de réaliser les objectifs qu'elle s'est fixés.
53 Enfin, il convient d'écarter l'argumentation de la Commission tendant à établir que, en imposant ces exigences supplémentaires, elle ne vise pas à priver, de manière définitive, certains agents temporaires du droit de participer aux concours internes. Selon la défenderesse, les agents exclus d'un concours en raison de l'interruption de leurs prestations en qualité d'agent visé au RAA trouveront dans l'avenir d'autres occasions de participer aux concours internes organisés par l'institution.
Toutefois, le Tribunal considère que cette possibilité hypothétique n'est pas de nature à limiter les conséquences de la contradiction décelée ci-dessus, entre l'intérêt du service et la condition d'admission contestée dans les présentes affaires. D'une part, l'hypothèse envisagée par la Commission ne se vérifie pas en tout état de cause dans les cas des deux requérants. Ceux-ci ont déclaré à l'audience avoir perdu entre-temps la qualité d'agent temporaire, laquelle constitue elle-même une condition
d'admission aux concours internes. D'autre part, le fait que certains agents exclus en vertu de la condition litigieuse puissent se présenter à de futurs concours ne suffit pas à rendre compatible avec le statut une condition qui, n'étant pas dictée par l'intérêt du service, restreint le droit des agents temporaires de participer aux concours internes (voir, dans ce sens, arrêt Bataille, point 49).
54 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le premier moyen des requérants est bien fondé et que les décisions des jurys des concours COM/T/B/96 et COM/T/C/96, refusant d'admettre les requérants aux épreuves des concours respectifs, doivent être annulées.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
55 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu, au vu des conclusions des requérants, de la condamner aux dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL
(première chambre)
déclare et arrête:
1) La décision du jury du concours interne COM/T/B/96 refusant d'admettre M. Armel de Kerros aux épreuves de ce concours est annulée.
2) La décision du jury du concours interne COM/T/C/96 refusant d'admettre Mme Véronique Kohn-Bergé aux épreuves de ce concours est annulée.
3) La Commission est condamnée aux dépens.