ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)
5 février 1997 ( *1 )
«Fonctionnaires — Recours en indemnité — Exception d'irrecevabilité»
Dans l'affaire T-49/96,
H, ancienne fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représentée initialement par Mes Pierre-Paul van Gehuchten et Jacques Sambon, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Louis Schütz, 2, rue du fort Rheinsheim,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande de réparation des préjudices matériel et moral prétendument subis par la requérante,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët et A. Potocki, juges,
greffier: M. H. Jung,
rend la présente
Ordonnance
1 Par décision du 17 mars 1993 du médecin-conseil de la Commission, la requérante a été mise en congé de maladie, en vertu de l'article 59, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»).
2 Le 13 septembre 1994, une commission d'invalidité, saisie par la Commission en vertu de l'article 59, paragraphe 3, du statut, a conclu que la requérante était atteinte d'une invalidité permanente considérée comme totale, la mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière, et que, pour ce motif, celle-ci était tenue de suspendre son service à la Commission. Par conséquent, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a, par décision
du 27 septembre 1994, mis la requérante à la retraite avec effet au 1er octobre 1994.
3 Le 10 janvier 1995, la requérante a accusé réception de la décision de l'AIPN.
4 Entre-temps, le bureau de sécurité de la Commission avait, à partir du 13 avril 1994, pris des dispositions pour interdire à la requérante l'accès aux bâtiments de la Commission. Par lettre du 6 juin 1994, le directeur général de la direction générale du personnel et de l'administration lui avait fait savoir que l'accès aux immeubles de la Commission, à l'exception de ceux abritant le service médical et les services à caractère social, lui était interdit. Il avait invité la requérante à prendre un
rendez-vous avec les services de la Commission afin de récupérer les affaires personnelles contenues dans son bureau.
5 La requérante était convenue avec les services de la Commission qu'elle récupérerait ses affaires personnelles le 25 janvier 1995. Or, ce jour-là, il est apparu que l'ensemble des affaires personnelles de la requérante avait disparu de son bureau. Par lettre du 2 février 1995, la Commission a reconnu que celles-ci avaient été jetées.
6 Le 6 avril 1995, la requérante a introduit une demande visant à obtenir un dédommagement de 500000 BFR pour les préjudices matériel et moral qu'elle estimait avoir subi du fait de la disparition de ses affaires personnelles.
7 Par lettre du 12 juin 1995, la Commission a décidé de verser à la requérante 50000 BFR, en réparation de la perte des objets dont le prix était indiqué sur la liste figurant dans sa lettre du 6 avril 1996, ainsi que de 100000 BFR, en réparation de la perte des autres documents et de ses archives personnelles, soit une somme de 150000 BFR au total.
8 La requérante a introduit, le 11 septembre 1995, une réclamation à l'encontre de cette décision au motif que l'indemnisation accordée par la Commission était inadéquate.
9 Le 11 janvier 1996, une décision implicite de rejet de la réclamation de la requérante est intervenue.
Procédure et conclusions des parties
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 avril 1996, la requérante a introduit le présent recours.
11 Par acte séparé, déposé le 12 juin 1996 au greffe du Tribunal, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité, sur le fondement de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure.
12 Par lettres des 16 septembre et 1er octobre 1996, les avocats de la requérante ont fait savoir au Tribunal qu'ils n'interviendraient plus en qualité de conseils. Par la suite, la requérante n'a pas déposé d'observations sur l'exception d'irrecevabilité.
13 Dans sa requête, la partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— déclarer le recours recevable et fondé;
— en conséquence, constater que l'indemnisation proposée par la Commission ne peut suffire à remplir la requérante de ses droits et condamner la Commission aux dommages et intérêts détaillés par la requérante dans sa réclamation du 11 septembre 1995;
— condamner la Commission aux entiers dépens.
14 Dans son exception d'irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours comme manifestement irrecevable;
— condamner la requérante à l'intégralité des dépens eu égard à la nature vexatoire du présent contentieux.
Sur la recevabilité
15 Selon l'article 114 du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu'il y a lieu, en conséquence, de statuer sur la demande sans engager de procédure orale.
Arguments des parties
16 La Commission fait valoir que la requête ne satisfait pas aux exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire devrait contenir des éléments de nature à permettre d'identifier le comportement que la requérante reproche à l'institution, les raisons pour lesquelles elle estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu'elle prétend avoir subi ainsi que le
caractère et l'étendue de ce préjudice (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990 Automec/Commission. T-64/89. Rec. d. II-367, point 73).
17 Or, la requérante se contenterait d'invoquer le «caractère inadéquat du forfait indemnitaire proposé par la Commission», sans démontrer les raisons pour lesquelles le dédommagement de 150000 BFR, montant d'ailleurs non négligeable, serait inadéquat ni, a fortiori, établir clairement qu'elle a subi un préjudice s'élevant à 500000 BFR, montant sollicité dans sa demande du 6 avril 1995.
18 La Commission observe, par ailleurs, que la requérante n'a pas invoqué l'existence de circonstances particulières justifiant l'omission de chiffrer le préjudice qu'elle prétend avoir subi (ordonnances du Tribunal du 1er juillet 1994, Osório/Commission, T-505/93, RecFP p. II-581, et du 25 octobre 1994, M/Commission, T-180/94, RecFP p. II-663).
19 Enfin, selon la Commission, le renvoi à la réclamation du 11 septembre 1995 ne saurait suffire à pallier un défaut d'établissement et de preuve, dans la requête, du préjudice prétendument subi (ordonnances du Tribunal du 24 mars 1993, Benzler/Commission, T-72/92, Rec. p. II-347, et du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T-85/92, Rec. p. II-523). A supposer même qu'un tel renvoi soit possible, il n'en resterait pas moins que la requérante n'a pas établi de façon non équivoque la réalité d'un dommage
dont le montant serait de 500000 BFR.
20 La requérante n'a pas présenté d'observations sur l'exception d'irrecevabilité.
Appréciation du Tribunal
21 Il convient, à titre liminaire, de rappeler que la requérante tend, par le présent recours, à obtenir pour les préjudices matériel et moral allégués une indemnisation supplémentaire par rapport à celle que la Commission lui a accordée dans sa décision du 12 juin 1995. Il ressort de cette dernière décision que la Commission a entendu indemniser tant le préjudice matériel que le préjudice moral prétendument subis par la requérante. En effet, afin de compenser la perte de ses documents et de ses
archives personnelles, outre celle des objets dont le prix avait été indiqué dans sa lettre du 6 avril 1996 (voir ci-dessus point 7), la Commission lui a accordé, à titre ex æquo et bono, une indemnisation d'un montant de 100000 BFR, comprenant donc également une indemnisation pour préjudice moral.
22 Le Tribunal rappelle que, en vertu de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations à l'appui (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387/94,
Rec. p. II-961, point 106; ordonnance du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T-56/92, Rec. p. II-1267, point 21).
23 Pour satisfaire aux exigences découlant de cette disposition, une requête visant a la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d'identifier le comportement que la requérante reproche à l'institution, les raisons pour lesquelles elle estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu'elle prétend avoir subi ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice (voir, en dernier lieu, l'ordonnance du Tribunal
du 21 novembre 1996, Syndicat des producteurs de viande bovine de la coordination rurale e.a./Commission, T-53/96, Rec, point 22). Une simple demande tendant à obtenir une indemnité quelconque manque, selon la jurisprudence, de la précision nécessaire et doit, par conséquent, être considérée irrecevable (ordonnance Osório/Commission, précitée, point 33).
24 Le Tribunal considère, au regard de cette jurisprudence, que, même en tenant compte de l'argumentation contenue dans la réclamation, la requête manque de la précision nécessaire quant à l'étendue des prétendus préjudices matériel et moral.
25 En ce qui concerne le préjudice matériel allégué, outre celui ressortant de l'énumération figurant dans la réclamation, il convient de relever qu'il n'est chiffré d'une façon approximative ou compréhensible ni dans la requête ni dans la réclamation. Dès lors, les conclusions visant à ce que la Commission soit condamnée «aux dommages et intérêts détaillés par la requérante dans sa réclamation du 11 septembre 1995» sont dépourvues de sens.
26 Bien que le Tribunal ait admis, dans des circonstances particulières, qu'il n'est pas indispensable de préciser, dans la requête, l'étendue exacte du préjudice et de chiffrer le montant de la réparation demandée (ordonnance du Tribunal du 15 février 1995, Moat/Commission, T-112/94, RecFP p. II-135, point 37), la requérante n'a toutefois pas établi, en l'espèce, l'existence de telles circonstances. Il n'incombe d'ailleurs pas au Tribunal de tenter de rechercher, dans les mémoires et les annexes,
les moyens et arguments susceptibles de justifier le manque de précision quant à l'étendue du préjudice matériel dans la requête (voir, dans le même sens, l'ordonnance De Hoe/Commission, précitée, point 22).
27 De plus, étant donné que la requérante s'est contentée d'alléguer, en termes généraux, l'existence d'un préjudice moral, sans en préciser l'étendue et la consistance comme le requiert l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure (voir, à cet égard, l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, X/Commission, T-130/95, Rec, point 85), il y a lieu de constater que le Tribunal n'est pas, sur la base de la requête, en mesure d'examiner si la requérante est fondée à soutenir que
l'indemnité que lui a accordée la Commission à hauteur de 150000 BFR est effectivement inadéquate.
28 Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
29 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.
30 Vu les circonstances de l'espèce, le Tribunal ne considère pas, contrairement à l'avis de la Commission, qu'il y a lieu d'appliquer l'article 87, paragraphe 3, deuxième phrase, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
ordonne:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Chaque partie supportera ses propres dépens.
Fait à Luxembourg, le 5 février 1997.
Le greffier
H. Jung
Le président
B. Vesterdorf
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( *1 ) Langue de procédure: le français.