ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
29 janvier 1997 ( *1 )
«Fonctionnaires — Recours en annulation — Recevabilité — Bulletins de rémunération appliquant les barèmes de certaines contributions parentales fixées par un comité interinstitutionnel paritaire — Principe d'égalité de traitement»
Dans l'affaire T-297/94,
Joëlle Vanderhaeghen, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Arlon (Belgique), représentée par Me Alain Lorang, avocat au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de ce dernier, 51, rue Albert 1er,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. Joseph Griesmar, conseiller juridique, puis par Mme Ana Maria Alves Vieira et M. Julian Currall, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet, d'une part, l'annulation de la décision implicite de rejet opposée par la Commission à la réclamation de la requérante contre son bulletin de rémunération afférent au mois de janvier 1994, pour autant que celui-ci fait apparaître que l'administration lui a appliqué les barèmes des contributions parentales en vigueur à Luxembourg pour les services de crèche qu'elle utilise en tant que fonctionnaire, et, d'autre part, la constatation de l'illégalité des barèmes fixés par le comité
des activités sociales,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),
composé de M. A. Saggio, président, M(tm) V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,
greffier: M. H. Jung,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 26 juin 1996,
rend le présent
Arrêt
Faits et procédure
1 Les services de crèche compris dans le centre polyvalent de l'enfance (ci-après «CPE») sont assurés par les institutions communautaires, à Luxembourg comme à Bruxelles, moyennant une contribution parentale retenue mensuellement sur la rémunération du fonctionnaire ou de l'agent concerné. A Luxembourg, les barèmes des contributions parentales pour ces services sont fixés par le comité des activités sociales (ci-après «CAS»), un organe interinstitutionnel paritaire, auquel participent les
représentants des institutions situées dans cette ville.
2 La requérante, fonctionnaire de la Commission, est mère d'un enfant fréquentant depuis le 15 septembre 1993 une crèche du CPE à Luxembourg.
3 Par lettres datées du 19 novembre 1992 et du 24 mai 1993, la requérante avait demandé l'admission de sa fille à une crèche du CPE. Par lettre du 10 août 1993, le chef du service des activités sociales du CPE lui a fait savoir que sa demande avait été acceptée. Il l'a également informée de ce que le montant de sa contribution parentale mensuelle pour ce service serait de 22104 BFR.
4 Cette contribution a été prélevée pour la première fois sur la rémunération de la requérante afférente au mois de janvier 1994.
5 Constatant que la contribution parentale qu'elle payait était plus élevée que celle demandée, à revenus égaux, aux fonctionnaires et agents affectés à Bruxelles, la requérante a introduit, le 18 mars 1994, conformément à l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), une réclamation contre son bulletin de rémunération du mois de janvier 1994. Estimant que la décision du CAS portant fixation des barèmes des contributions parentales
applicables à Luxembourg était illégale pour violation du principe d'égalité de traitement, la requérante a demandé à la Commission d'en tirer toutes les conséquences, «notamment lors de l'établissement de [sa] fiche de rémunération mensuelle, en [lui] appliquant, au titre de l'accueil de son enfant au CPE, un montant aligné sur celui qui [lui] serait applicable à Bruxelles».
6 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 1994, la requérante a introduit le présent recours au titre de l'article 91, paragraphe 2, du statut.
7 Après l'introduction du recours, la requérante a reçu notification, le 7 octobre 1994, d'une décision explicite de rejet adoptée par la Commission le 15 septembre 1994 en réponse à sa réclamation du 18 mars 1994.
8 La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'encontre du présent recours, enregistrée au greffe du Tribunal le 12 décembre 1994.
9 Par ordonnance du 10 juillet 1995, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé de joindre au fond l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission.
10 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui a eu lieu le 26 juin 1996.
Conclusions des parties
11 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— déclarer le recours recevable et fondé;
— annuler la décision implicite de rejet, par la Commission, de la réclamation de la requérante;
— pour autant que la discrimination est fondée sur la décision du CAS fixant les barèmes applicables à Luxembourg, constater l'illégalité de ladite décision et la déclarer inapplicable;
— condamner la défenderesse à l'intégralité des dépens;
— ordonner la jonction de la présente affaire avec l'affaire T-7/94, Adriaenssens e. a./Commission.
12 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, la partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— déclarer le présent recours recevable en tous ses moyens ou au moins pour l'essentiel d'entre eux.
13 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— déclarer le recours irrecevable et, à titre subsidiaire, non fondé;
— statuer sur les dépens comme de droit.
14 Étant donné les conditions partiellement différentes dans lesquelles ont été introduites les deux affaires, le Tribunal n'a pas estimé opportun de joindre la présente affaire à l'affaire T-7/94.
Sur la recevabilité
15 A l'appui de son exception d'irrecevabilité, la Commission invoque, à titre principal, l'absence d'acte faisant grief au sens de l'article 91, paragraphe 1, du statut et, subsidiairement, la tardiveté du recours. Par ailleurs, la Commission conteste que la requête introductive d'instance soit conforme aux exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.
Sur le moyen, présenté à titre principal, tiré de l'absence d'acte faisant grief
Argumentation des parties
16 En premier lieu, la Commission estime que l'acte attaqué ne constitue pas une décision unilatérale, avec des effets juridiques obligatoires, modifiant la situation juridique de la requérante, mais un acte purement comptable découlant exclusivement de la manifestation de volonté de celle-ci d'accepter les barèmes en vigueur à Luxembourg, à la suite de la lettre que le chef de service des activités sociales lui a envoyée le 10 août 1993. Selon la Commission, la contribution parentale en cause, à
l'instar d'autres retenues effectuées sur les rémunérations des fonctionnaires — telles que les retenues effectuées à titre de remboursement de prêts à la construction ou de cotisations à des régimes privés d'assurances complémentaires — constitue une «cession de salaire» consentie par le fonctionnaire. La retenue litigieuse, portant sur un montant convenu entre la requérante et la crèche, s'imposerait à la Commission laquelle n'interviendrait qu'en vue de sa mise en exécution.
17 En second lieu, la Commission fait valoir que l'acte attaqué, à supposer même qu'il possède un contenu décisionnel, ne concerne en rien la position ou les droits statutaires de la requérante et ne peut, de ce fait, être qualifié d'acte faisant grief au sens de l'article 91, paragraphe 1, du statut. Elle ajoute qu'aucune disposition statutaire n'impose d'obligations aux institutions communautaires en matière de services sociaux, telles qu'une participation aux coûts du CPE. En outre, elle fait
observer que la prestation du service en question ne constitue pas un élément de la notion de rémunération au sens de l'article 62 du statut.
18 Dans ces conditions, l'acte litigieux correspondrait partiellement à la contrepartie financière d'une prestation de service à caractère extrastatutaire, fournie par la crèche à la requérante en exécution d'un accord conclu entre elles.
19 La requérante, de son côté, en vue de démontrer que l'acte litigieux est bien un acte faisant grief à contenu décisionnel, fait observer que la contribution parentale en question ne peut pas être considérée comme un prix convenu entre elle-même et la crèche, celle-ci n'ayant pas de capacité juridique et, par suite, aucun pouvoir de contracter ou d'adopter des règlements opposables à des tiers. La crèche se serait limitée à convenir avec le Parlement européen, mandaté à cet effet par le CAS, un
prix pour chaque place réservée aux enfants des fonctionnaires communautaires. Les contributions parentales pour toutes les crèches communautaires seraient fixées unilatéralement par décision du CAS. Étant donné que celui-ci n'est pas un tiers par rapport aux institutions, sa décision portant fixation des contributions parentales serait nécessairement imputable à la Commission.
20 En vue de démontrer, ensuite, que l'acte litigieux porte atteinte aux droits qu'elle tire du statut, la requérante relève qu'un tel acte concerne des services sociaux directement liés à l'exercice des fonctions du personnel des institutions communautaires et assimilables à une prestation en nature comprise dans la rémunération. Elle invoque dans ce contexte l'arrêt de la Cour du 4 juin 1992, Bötel (C-360/90, Rec. p. I-3589, point 12).
Appréciation du Tribunal
21 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la notion de «rémunération» au sens de l'article 119 du traité CE «comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu'ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier, que ce soit en vertu d'un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire» (voir l'arrêt Bötel, précité, point 12). Il ressort de cette définition, laquelle est
l'expression d'un principe général qui ne trouve pas uniquement application dans le cadre de l'article 119 du traité mais qu'il convient également de prendre en considération lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue des droits de l'ensemble des travailleurs, que la notion de «rémunération» doit être entendue dans un sens large. Par conséquent, le Tribunal estime qu'il y a lieu d'interpréter l'article 62 du statut à la lumière de cette jurisprudence. Il s'ensuit que, bien que sa mise en place
n'ait pas été imposée aux institutions par le statut, le service social en question, du fait qu'il est directement lié à l'exercice des fonctions du personnel des institutions communautaires et que son existence correspond à une exigence du principe de l'égalité des chances entre travailleurs masculins et féminins, est assimilable à une prestation en nature comprise dans la notion statutaire de «rémunération».
22 Il y a lieu également de préciser que, compte tenu de la nature particulière du CAS, qui constitue un organe interinstitutionnel paritaire n'ayant pas une existence statutaire autonome et ne pouvant, en tant que tel, être attrait devant le juge communautaire, ainsi que le Tribunal l'a précisé dans son arrêt du 22 septembre 1994, Carrer e.a./Cour de justice (T-495/93, RecFP p. II-651, point 22), le Tribunal ne saurait contrôler la légalité de ses actes sur la base de l'article 91 du statut que
pour autant qu'ils aient été entérinés par l'institution défenderesse. Il convient donc de considérer que les conclusions de la requérante, visant à ce que le Tribunal constate l'illégalité de la «décision» du CAS portant fixation des barèmes applicables à Luxembourg, doivent être interprétées comme ayant exclusivement pour objet la décision de la Commission qui a entériné les barèmes litigieux et les a appliqués à la requérante.
23 En outre, il résulte d'une jurisprudence constante qu'un fonctionnaire peut, dans le cadre de la voie de recours instituée par l'article 91 du statut et dans le cas d'un acte de caractère général destiné à être mis en œuvre au moyen d'une série de décisions individuelles, invoquer l'illégalité de cet acte pour attaquer la décision individuelle qui le concerne (voir arrêt de la Cour du 10 décembre 1987, Del Plato e.a./Commission, 181/86 à 184/86, Rec. p. 4991, point 9, et arrêt du Tribunal du 6
juin 1996, Baiwir/Commission, T-262/94, RecFP p. II-739, point 33). Il résulte en particulier de la jurisprudence que le bulletin de rémunération établi par une institution et délivré au fonctionnaire constitue un acte faisant grief et susceptible de faire l'objet d'une réclamation et éventuellement d'un recours; la circonstance que l'institution concernée ne fait qu'appliquer les règlements en vigueur est sans pertinence à cet égard (arrêt de la Cour du 19 janvier 1984, Andersen e.a./Parlement,
262/80, Rec. p. 195, point 6).
24 En l'espèce, il résulte de ce qui précède que le bulletin de rémunération attaqué par la requérante doit être qualifié d'acte faisant grief au sens de l'article 91, paragraphe 1, du statut, en ce qu'il fait apparaître que l'administration lui a appliqué pour la première fois les barèmes des contributions parentales litigieuses fixés par le CAS et entérinés par la Commission.
Sur le moyen, présenté à titre subsidiaire, tiré de la violation de l'article 90, paragraphe 2, du statut
Argumentation des parties
25 La Commission estime que, à supposer même que l'acte attaqué puisse être considéré comme un acte faisant grief au sens de l'article 91, paragraphe 1, du statut, la requérante aurait dû introduire sa réclamation précontentieuse dans les trois mois suivant la date à laquelle le montant de la contribution parentale en question était devenu certain. Le fait que cette contribution n'est devenue exigible qu'à la date à laquelle a été opérée la première retenue sur la rémunération de la requérante
n'aurait pas de pertinence en l'espèce.
26 La requérante fait observer que la lettre l'informant du montant de sa contribution parentale n'est pas un acte lui faisant grief dès lors qu'il s'agit d'une simple lettre d'information. Ladite contribution parentale n'étant devenue exigible et certaine qu'à la date à laquelle le montant correspondant a été prélevé sur sa rémunération, c'est seulement à partir de ce moment qu'elle se serait trouvée en mesure d'introduire une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut.
Appréciation du Tribunal
27 Le Tribunal a déjà jugé (voir ci-dessus point 24) que l'acte faisant grief à la requérante est le bulletin de rémunération afférent au mois de janvier 1994, en ce qu'il fait apparaître que l'administration lui a appliqué pour la première fois les barèmes des contributions parentales litigieuses, tels que fixés par le CAS.
28 Par sa réclamation du 18 mars 1994, formée en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du statut, la requérante a contesté ce bulletin de rémunération. La réclamation a donc été introduite dans le délai de trois mois prévu par cette disposition. Le présent recours, ayant été introduit le 30 septembre 1994, soit dans les trois mois suivant le rejet implicite de la réclamation, doit être déclaré recevable au regard de l'article 91, paragraphe 3, du statut.
Sur la conformité de la requête avec les exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure
Argumentation des parties
29 Dans son mémoire en défense, la Commission met également en cause la compatibilité de la requête introductive d'instance dans le présent recours avec les exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. L'exposé des moyens invoqués par la requérante au soutien de son recours ne serait pas suffisamment clair et précis pour permettre à la Commission de préparer sa défense et au Tribunal d'exercer son contrôle.
30 La requérante, pour sa part, fait valoir que ces objections doivent être considérées comme tardives et donc irrecevables puisque la Commission ne les a pas soulevées, comme elle aurait dû le faire, dans le cadre de l'exception d'irrecevabilité. La requérante estime que le caractère succinct, mais suffisamment clair et précis, de son exposé n'est que le reflet d'un souci d'économie de procédure se justifiant d'autant plus que les mêmes moyens ont été développés dans une affaire pendante devant le
Tribunal à laquelle elle renvoie et avec laquelle elle demande la jonction de la présente affaire.
Appréciation du Tribunal
31 Il y a lieu de constater que le caractère succinct de la requête, qui contient un exposé sommaire des moyens invoqués, n'a pas empêché la Commission de présenter utilement sa défense et que le Tribunal se trouve en mesure d'exercer son contrôle sur l'acte attaqué. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer la requête introductive d'instance comme satisfaisant aux exigences de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.
Sur le fond
32 A l'appui de son recours la requérante invoque en substance deux moyens. Le premier est tiré de la violation du principe de l'égalité de traitement. Le second est tiré d'un manque de transparence dans la gestion des services du CPE.
33 Un troisième «moyen» avancé par la requérante, relatif à l'alignement des barèmes pratiqués à Luxembourg sur ceux, plus favorables, en vigueur à Bruxelles, est susceptible d'être rattaché au premier moyen, susmentionné. En effet, le Tribunal considère que ce prétendu troisième moyen, compte tenu de l'argumentation qui l'étaye, se confond avec le grief tiré de la violation du principe de l'égalité de traitement, dans la mesure où la requérante reproche en réalité à la Commission de ne pas avoir
agi au sein du CAS de façon à éliminer la discrimination contestée, en proposant l'alignement des barèmes en vigueur à Luxembourg sur ceux pratiqués à Bruxelles et en s'opposant à la solution inverse.
34 En outre, dans la mesure où la requérante viserait — comme le soutient la Commission, qui interprète ce «moyen» non comme un moyen d'annulation mais comme une «revendication» concernant les conséquences à tirer d'un arrêt qui annulerait l'acte attaqué — à ce que le Tribunal ordonne à cette institution de procéder à l'alignement des barèmes applicables à Luxembourg sur ceux pratiqués à Bruxelles, il conviendrait de déclarer irrecevable une telle demande. En effet, il est de jurisprudence constante
que le juge communautaire n'a pas compétence pour adresser à l'administration des injonctions dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l'article 91 du statut (voir les arrêts du Tribunal du 17 octobre 1990, Hettrich e.a./Commission, T-134/89, Rec. p. II-565, point 22, et du 9 février 1994, Latham/Commission, T-82/91, RecFP p. II-61, point 29).
35 En ce qui concerne le moyen tiré d'un manque de transparence dans la gestion des services du CPE, la Commission fait observer qu'il n'a pas été soulevé au stade précontentieux et que, de ce fait, il est irrecevable.
36 La requérante, tout en admettant que ce dernier moyen n'a pas été soulevé au stade précontentieux, s'en remet au Tribunal pour apprécier s'il y a lieu d'appliquer dans ce contexte une jurisprudence constante selon laquelle la réclamation administrative n'a pas pour objet de lier de façon rigoureuse et définitive la phase contentieuse éventuelle, du moment que les demandes présentées à ce dernier stade ne modifient ni la cause ni l'objet de la réclamation.
37 A cet égard, le Tribunal rappelle qu'il suffit, en tout état de cause, pour qu'un moyen soit recevable, qu'il ait été mentionné d'une manière implicite dans la réclamation, comme tel est le cas en l'espèce. Puisque la procédure précontentieuse a un caractère informel et que les intéressés agissent en général à ce stade sans le concours d'un avocat, l'administration ne doit pas interpréter les réclamations de façon restrictive mais doit au contraire les examiner dans un esprit d'ouverture (voir,
notamment, l'arrêt du Tribunal du 7 mai 1991, Jongen/Commission, T-18/90, Rec. p. II-187, point 22).
Sur le moyen tiré de la violation du prìncipe de l'égalité de traitement
Argumentation des parties
38 La requérante, renvoyant en substance aux arguments qui ont été exposés dans la requête introductive d'instance dans l'affaire Adriaenssens e.a./Commission, T-7/94, rappelle que, en l'espèce, la violation du principe de l'égalité de traitement résulte du fait que, bien que Luxembourg et Bruxelles soient des villes auxquelles s'applique le même coefficient correcteur, le personnel affecté à Luxembourg supporte 45 % des frais afférents au service de crèche en question, alors que celui qui est
affecté à Bruxelles n'en supporte que 20 %. Elle relève que des considérations liées aux différences de conditions de marché et de concurrence ne sauraient être invoquées en l'espèce.
39 Au soutien de sa position, la requérante cite une note adressée au CAS par le directeur général du personnel, du budget et des finances du Parlement européen. Selon cette note, les écarts de prix entre les CPE de Bruxelles et de Luxembourg sont considérables et ne se justifient ni à la lumière des différences entre la qualité ou la quantité des services rendus à Bruxelles et à Luxembourg, ni à celle d'éventuelles diversités de prix de revient ou de situations de marché en Belgique et au
Luxembourg. Les fonctionnaires des Communautés seraient donc traités de façon inégale selon leur lieu d'affectation.
40 La Commission, pour sa part, souligne tout d'abord que la fixation des barèmes des contributions parentales pour les crèches communautaires dans les différents lieux d'affectation du personnel implique la prise en considération de plusieurs éléments conditionnant l'existence et le fonctionnement même des services en question. Le premier serait l'écart entre les prix de marché pratiqués par les crèches luxembourgeoises — de l'ordre de 33000 à 36000 BFR par enfant par mois en moyenne — et ceux
pratiqués à Bruxelles — de l'ordre de 14000 à 15000 BFR. Le deuxième serait la différence entre les coûts de fonctionnement globaux des crèches communautaires de Luxembourg et de Bruxelles. Le troisième élément serait le principe, établi par l'autorité budgétaire, exigeant la prise en charge par les parents de 20 % du coût total des frais de fonctionnement du CPE, ce qui impliquerait, dans un certain délai, une augmentation sensible des contributions parentales exigées à Bruxelles. Eu égard à la
différence substantielle des conditions de marché dans les deux lieux d'affectation, il n'y aurait aucune violation du principe d'égalité, lequel, selon une jurisprudence constante, n'impose pas le traitement identique de situations objectivement différentes.
41 Par ailleurs, la Commission demande au Tribunal de ne pas prendre en considération la note adressée au CAS, citée par la requérante, eu égard à la nature strictement interne de ce document.
Appréciation du Tribunal
42 Le Tribunal constate tout d'abord l'existence d'un écart substantiel entre la contribution parentale qui a été demandée à la requérante à Luxembourg et celle qu'elle aurait payé, à la même date, si elle avait confié son enfant à l'une des crèches communautaires situées à Bruxelles. En effet, selon les calculs qui ont été présentés par la Commission elle-même, si la requérante avait été affectée à Bruxelles, elle aurait payé, selon le nouveau barème entré en vigueur le 1er janvier 1994, 15000 BFR
de contribution mensuelle, tandis que, à Luxembourg, la Commission a exigé d'elle 22104 BFR, qui ont été retenus sur sa rémunération de janvier 1994.
43 En outre, la Commission a admis, aux points 38 et 39 de son mémoire en défense, que le pourcentage des dépenses de fonctionnement des crèches supporté par les parents est actuellement de près de 45 % à Luxembourg, alors qu'il est toujours inférieur à 20 % à Bruxelles.
44 Au vu de ces données, il incombe à la Commission de démontrer que l'inégalité qui affecte ainsi la situation du personnel au service des institutions dans les deux lieux d'affectation se justifie par des circonstances objectives, de sorte qu'elle n'enfreint pas le principe de l'égalité de traitement.
45 A cet égard, il y a lieu d'examiner les éléments conditionnant l'existence et le fonctionnement des services de crèche communautaires qui, d'après la Commission, devaient être pris en considération lors de la fixation des barèmes des contributions parentales.
46 En ce qui concerne la prétendue différence entre les coûts de fonctionnement globaux des crèches communautaires à Luxembourg et à Bruxelles, le Tribunal constate que la Commission n'a pas avancé d'éléments de nature à étayer son argumentation. L'examen des données chiffrées présentées par la Commission (tant les tableaux reproduits à la page 17 du mémoire en défense que les tableaux 2a et 2b annexés au même mémoire) révèle que les coûts de fonctionnement dans les deux lieux d'affectation, bien
qu'ils fassent l'objet d'une ventilation différente, sont en substance similaires.
47 Quant à l'écart entre les prix de marché pratiqués par les services de crèche à Luxembourg et à Bruxelles, la Commission a expliqué que les prix inférieurs pratiqués à Bruxelles conditionnent le montant maximal des contributions parentales pouvant être exigé des fonctionnaires et agents affectés dans cette ville. En effet, si les contributions parentales devant être supportées par les fonctionnaires et agents affectés à Bruxelles devaient dépasser nettement les prix couramment pratiqués par les
autres crèches dans cette ville, il est probable que beaucoup de parents choisiraient de ne plus utiliser les services de crèche communautaires. A cet égard, le Tribunal estime que les mécanismes de marché qui caractérisent la situation à Bruxelles ne sauraient justifier, au vu de l'ensemble des éléments constants du dossier, l'écart substantiel existant entre les contributions parentales exigées dans les deux lieux d'affectation. En outre, la décision de procéder à l'alignement progressif, de
1995 à 1998, des barèmes des contributions parentales applicables à Bruxelles sur ceux plus élevés en vigueur à Luxembourg ne fait que confirmer que la Commission a surestimé le rôle des mécanismes de marché propres à Bruxelles.
48 La Commission a également invoqué l'exigence, émanant de l'autorité budgétaire, relative à la prise en charge par les parents de 20 % du coût total des frais de fonctionnement du CPE. Or, cette obligation budgétaire a été de toute évidence mise en œuvre de manière très différente dans les deux lieux d'affectation. Alors qu'à Bruxelles l'obtention d'un tel résultat a entraîné une augmentation sensible des contributions parentales, étalée sur une période de trois ans, le pourcentage des frais
supporté par les parents à Luxembourg dépasse déjà 40 %. Il s'ensuit que, malgré l'importance que la Commission se doit d'attacher aux contraintes imposées par l'autorité budgétaire, ces contraintes n'expliquent pas, par elles-mêmes, l'écart substantiel existant à l'époque des faits entre le taux de couverture des dépenses de fonctionnement à la charge des parents dans les deux lieux d'affectation.
49 Indépendamment de l'exactitude des considérations d'ordre économique avancées par la Commission, il y a lieu de souligner que l'existence d'un service de crèche adapté aux besoins spécifiques des fonctionnaires et agents des Communautés européennes constitue un aspect essentiel d'une politique visant à assurer l'égalité des chances entre travailleurs masculins et féminins. Le Tribunal a déjà relevé que les avantages procurés au personnel des institutions par le fonctionnement de ce service social
sont assimilables à une prestation en nature, comprise dans la notion statutaire de «rémunération» (voir ci-dessus point 21). Dans ces conditions, les choix de la Commission en ce qui concerne la mise en œuvre, à l'égard de l'ensemble de son personnel, des barèmes des contributions parentales fixés par le CAS doivent nécessairement être conformes aux exigences du principe de l'égalité de traitement. La portée de ce principe fondamental du droit de la fonction publique européenne tend justement à
interdire les disparités excessives et injustifiées dans le traitement du personnel au service des Communautés, même si, s'agissant d'un service assimilable à une prestation en nature, elle n'impose pas un alignement automatique, dans tous les lieux d'affectation, des barèmes des contributions parentales. Or, le Tribunal constate que, parmi les éléments que la partie défenderesse déclare avoir pris en considération, aucune place n'a été faite à l'application du principe de l'égalité de
traitement.
50 Dans la mesure où la Commission n'a pas intégré les exigences découlant du principe de l'égalité de traitement dans sa décision qui entérine les barèmes des contributions parentales fixés pour Luxembourg par le CAS, il y a lieu de reconnaître le bien-fondé du moyen tiré par la requérante de la violation de ce principe.
51 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la décision de la Commission, acte général dont la légalité peut être contrôlée par le Tribunal (voir ci-dessus point 22), est illégale et que, dès lors, il y a lieu d'annuler partiellement le bulletin de rémunération de la requérante afférent au mois de janvier 1994, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen tiré d'un manque de transparence dans la gestion des services de crèche en question.
Sur les dépens
52 Conformément à l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu, au vu des conclusions de la requérante, de la condamner à supporter l'ensemble des dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête:
1) Le bulletin de rémunération de la requérante afférent au mois de janvier 1994 est annulé, pour autant qu'il fait apparaître une retenue effectuée à titre de contribution parentale au service de crèche du centre polyvalent de l'enfance à Luxembourg, calculée sur la base des barèmes appliqués par la Commission à Luxembourg.
2) La Commission supportera l'ensemble des dépens.
Saggio
Tiili
Moura Ramos
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 janvier 1997.
Le greffier
H. Jung
Le président
A. Saggio
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( *1 ) Langue de procédure: le français.