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11/07/1996 | CJUE | N°T-175/94

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance, International Procurement Services SA contre Commission des Communautés européennes., 11/07/1996, T-175/94


Avis juridique important

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61994A0175

Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre) du 11 juillet 1996. - International Procurement Services SA contre Commission des Communautés européennes. - Recours en indemnité - Marché public - Fonds européen de développement - Responsabilité non contractuelle -

Appréciation de l'origine de la marchandise. - Affaire T-175/94.
Recuei...

Avis juridique important

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61994A0175

Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre) du 11 juillet 1996. - International Procurement Services SA contre Commission des Communautés européennes. - Recours en indemnité - Marché public - Fonds européen de développement - Responsabilité non contractuelle - Appréciation de l'origine de la marchandise. - Affaire T-175/94.
Recueil de jurisprudence 1996 page II-00729

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

Accords internationaux ° Troisième convention ACP-CEE de Lomé ° Dispositions relatives à la coopération financière et technique ° Procédure de passation des marchés publics de fournitures ° Rôles respectifs de l' État ACP et de la Commission ° Compétence de l' État ACP en matière de conclusion des marchés ° Compétence de contrôle revenant à la Commission ° Doute relatif à l' origine communautaire des marchandises ° Mise en cause de la responsabilité de la Communauté à raison de la demande de preuves
formulée par la Commission ° Exclusion

(Troisième Convention ACP-CEE de Lomé du 8 décembre 1984)

Sommaire

Dans le cadre de la coopération financière et technique instituée par la troisième convention ACP-CEE, les marchés financés par le Fonds européen de développement demeurent des marchés nationaux que seuls les États ACP ont la responsabilité de préparer, négocier et conclure. Les entreprises soumissionnaires ou attributaires des marchés en cause demeurent, de leur côté, étrangères aux rapports exclusifs qui s' établissent, en la matière, entre la Commission et les États ACP.

Toutefois, la Commission a non seulement le droit, mais également le devoir, de s' assurer, avant tout versement de fonds communautaires, que les conditions auxquelles il est subordonné se trouvent effectivement réunies. A cette fin, elle a notamment le devoir de rechercher les informations nécessaires pour assurer une gestion économique des ressources du Fonds européen de développement et de refuser de viser des factures qui lui sont présentées lorsqu' elle a des raisons sérieuses de douter que les
conditions du financement communautaire ont été respectées.

L' une de ces conditions étant que les marchandises en cause soient d' origine communautaire, ce qu' il incombe à l' adjudicataire de prouver, la Commission ne saurait donc, pour avoir exigé, en présence de doutes sérieux, de l' adjudicataire qu' il produise des documents ou fournisse des informations attestant l' origine communautaire des marchandises, se voir reprocher un comportement illégal ou fautif.

Parties

Dans l' affaire T-175/94,

International Procurement Services SA, société de droit belge, établie à Bruxelles, représentée par Mes Peter De Troyer, avocat au barreau de Audenarde, et Lydie Lorang, avocat au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de cette dernière, 6, rue Heine,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Étienne Lasnet, conseiller juridique, en qualité d' agent, assisté de Me Hervé Lehman, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de réparation d' un préjudice de 14 797 706 BFR que la requérante prétend avoir subi par suite de la réduction d' un concours financier accordé à son cocontractant dans le cadre d' un projet financé par le Fonds européen de développement,

LE TRIBUNAL DE PREMI RE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. R. Schintgen, président, R. García-Valdecasas et J. Azizi, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 7 mai 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

Faits à l' origine du recours

1 Le 21 mars 1990, l' Unidade de Coordenação dos Programas de Importação (unité de coordination des programmes d' importation, ci-après "UCPI") du ministère du Commerce de la république populaire du Mozambique a lancé un appel d' offres portant sur un marché de fourniture de onze lots, dans le cadre d' un projet financé par la Communauté européenne au titre du Fonds européen de développement (ci-après "FED") (JO S 56 du 21.3.1990, p. 5). L' appel d' offres indiquait expressément que les fournitures
devaient obligatoirement être originaires d' États de la Communauté économique européenne ou d' États d' Afrique, des Caraïbes ou du Pacifique (ci-après "ACP") signataires de la troisième convention ACP-CEE, signée à Lomé le 8 décembre 1984 (JO 1986, L 86, p. 3).

2 En ce qui concerne l' un de ces lots, relatif à la fourniture de 7 400 tonnes de billettes d' acier, l' UCPI a retenu l' offre de la requérante, la société International Procurement Services, à laquelle elle a adressé, le 13 juillet 1990, une lettre de marché portant la référence LC 25/90/EEC.

3 Le montant du marché relatif à ce lot (ci-après "marché") était de 97 561 461 BFR, soit 13 320 BFR la tonne.

4 Le transport de la marchandise a débuté au cours du mois de mars 1991 et la livraison finale a eu lieu le 24 avril 1991.

5 Les 17 et 30 avril 1991, l' établissement sud-africain de la Société générale de surveillance (ci-après "SGS"), entreprise effectuant sur demande des analyses de marchandises, a délivré à Johannesburg des certificats de contrôle de la marchandise livrée, en précisant que les contrôles avaient eu lieu, au cours des mois de mars et d' avril 1991.

6 Le 20 juin 1991, l' UCPI a reçu de la société Cifel, utilisatrice finale des billettes d' acier, une missive signalant que, d' après les documents qui accompagnaient la marchandise livrée, celle-ci provenait ("proveniente da") de la société sud-africaine Iscor et avait pour destinataire ("consignatario") la société sud-africaine John Palmer Steel.

7 Le 2 juillet 1991, l' UCPI a adressé un télex à la requérante, l' informant que les documents qui accompagnaient la marchandise indiquaient les noms d' Iscor en tant que fournisseur ("supplier") et de John Palmer Steel en tant qu' acheteur ("buyer"). Elle lui demandait des clarifications à cet égard, étant donné l' absence des documents de transport.

8 Le 20 juillet 1991, la chambre de commerce de Lugano a établi, sur demande d' une société suisse désignée par la requérante comme étant son fournisseur, un certificat d' origine mentionnant les noms de la requérante, de l' UCPI (précédé du mot anglais "to") et de Cifel (précédé de l' abréviation "imp"), ainsi que le numéro de l' appel d' offres relatif au marché litigieux, et décrivant la marchandise comme étant constituée de trois lots de billettes d' acier d' un poids total de 7 324 434
kilogrammes. Ce certificat désignait l' Italie comme étant le pays d' origine.

9 Par télex du 25 juillet 1991, l' UCPI a demandé à la société RIH, distributrice des produits Iscor, de lui confirmer que les 7 400 tonnes de billettes d' acier fournies à Cifel en avril de la même année par la société John Palmer Steel avaient été fabriquées en Afrique du Sud par Iscor.

10 Le 2 août 1991, RIH a répondu qu' elle avait reçu, de la société londonienne Gover, Horowitz & Blunt, une commande de 7 400 tonnes de billettes d' acier, avec pour instruction de remettre la marchandise à l' UCPI à Maputo. Elle précisait également que le prix proposé se rapportait à des produits sud-africains.

11 Par télécopie du 20 août 1991, la défenderesse a demandé à la SGS de lui communiquer les "work certificates of tests and analysis" (certificats de tests et d' analyses des marchandises) et les "rail consignment notes" (bordereaux d' expédition ferroviaire) auxquels se référaient les certificats de contrôle établis par cette société les 17 et 30 avril 1991. Elle l' a également invitée à lui confirmer l' identité du fabricant.

12 Le même jour, la SGS a informé la défenderesse que les documents demandés avaient été transmis à son donneur d' ordre, Gover, Horowitz & Blunt. Le lendemain, elle lui a signalé que, avant de transmettre à des tiers les documents demandés, elle devait d' abord obtenir l' accord de son donneur d' ordre.

13 Le 22 août 1991, la défenderesse a adressé une télécopie à la requérante, l' invitant à se procurer d' urgence une copie des certificats de tests et d' analyses et des bordereaux d' expédition ferroviaire auprès de la société chargée de l' inspection préalable à l' expédition des marchandises. Le lendemain, la requérante a répondu qu' elle réclamerait les certificats sollicités au vendeur.

14 Par télex du 19 septembre 1991, l' UCPI, sur suggestion de la défenderesse, a demandé à la requérante un document "bona fide" indiquant l' identité du fabricant et la route suivie par la marchandise depuis l' usine de fabrication jusqu' à l' entrepôt de Cifel. Elle signalait également que, si la requérante restait en défaut de produire ce document, elle conclurait à la violation de la clause contractuelle relative à l' origine de la marchandise.

15 Par télécopie du 6 novembre 1991, la défenderesse a chargé sa délégation au Mozambique d' informer les autorités de ce pays que la requérante n' avait pas été en mesure de prouver que la marchandise livrée avait été fabriquée dans la Communauté ou dans un pays ACP et que, dès lors, l' UCPI pouvait ou bien résilier le contrat, ou bien payer la marchandise au prix du marché de son lieu d' origine présumé.

16 En réponse à une lettre de la requérante du 24 octobre 1991, la défenderesse a déclaré, par lettre du 25 novembre 1991, qu' elle ne pouvait verser le solde qu' après en avoir reçu l' autorisation de l' UCPI, ce qui n' avait pas encore été le cas. Elle recommandait également à la requérante d' introduire une demande de paiement du solde auprès de l' UCPI au cas où elle estimerait avoir rempli toutes ses obligations.

17 Par télex du 6 décembre 1991 adressé à la requérante, l' UCPI a signalé qu' elle n' avait pas reçu le document "bona fide" demandé, qu' elle considérait en conséquence que les fournitures étaient d' origine sud-africaine et qu' elle les payerait au prix en vigueur sur ce marché.

18 Par télécopie du 11 mars 1992, la défenderesse a prié sa délégation au Mozambique d' informer les autorités locales qu' elle se ralliait, vu les documents contradictoires produits par la requérante et Cifel, à l' avis de ces autorités selon lequel il convenait de calculer le prix global du marché sur la base du prix applicable sur le marché sud-africain.

19 Par télex du 9 juin 1992, la requérante a déclaré que sa situation financière ne lui laissait pas d' autre choix que d' être d' accord avec l' UCPI. Toutefois, elle a souligné que le paiement à intervenir serait considéré comme une provision. Elle a signalé qu' elle soumettrait à l' arbitrage la question de la différence entre le prix initialement convenu et le montant calculé sur la base du prix sud-africain.

20 Le lendemain, l' UCPI a répondu à la requérante que la défenderesse n' accepterait pas de donner un ordre de paiement partiel si le solde devait être soumis à l' arbitrage et qu' elle ne procéderait au paiement qu' à la clôture du dossier. Elle a exposé que, selon elle, la requérante avait deux possibilités: soit mettre un terme au différend en concluant un accord de réduction du prix, soit engager immédiatement la procédure d' arbitrage.

21 Le 17 juillet 1992, la requérante et l' UCPI ont conclu un accord portant réception de la marchandise, réduction du prix sur la base du prix en vigueur sur le marché sud-africain, fixé à 12 000 BFR la tonne, et renonciation à la procédure d' arbitrage (ci-après "accord").

Procédure

22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 avril 1994, la requérante a formé le présent recours au titre de l' article 215, deuxième alinéa, du traité CE.

23 Le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre à laquelle l' affaire a, par conséquent, été attribuée.

24 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d' ouvrir la procédure orale sans ordonner de mesures d' instruction préalables. Dans le cadre de mesures d' organisation de la procédure, les parties ont été invitées à répondre par écrit à certaines questions avant l' audience et à déposer certains documents.

25 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l' audience publique, qui s' est déroulée le 7 mai 1996.

Conclusions des parties

26 La requérante conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

° condamner la défenderesse à lui verser 14 797 706 BFR en réparation du dommage qu' elle a subi, ou tout autre montant ° même supérieur ° à déterminer par le Tribunal ex aequo et bono ou par un expert, ce montant étant augmenté d' intérêts moratoires à fixer par le Tribunal;

° condamner la défenderesse aux dépens.

27 La défenderesse conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

° rejeter le recours;

° condamner la requérante aux dépens.

Exposé sommaire des moyens et arguments des parties

28 La requérante reproche à la Commission de n' avoir autorisé le financement du marché qu' à hauteur de 92,49 % du montant total, alors qu' elle a respecté toutes les conditions dudit marché.

29 Selon la requérante, la défenderesse a agi illégalement en ce que, premièrement, elle n' a pas empêché la consommation de la marchandise par Cifel avant même sa réception par le cocontractant de la requérante et le transfert de propriété, que, deuxièmement, elle a joué un rôle actif en demandant des certificats de tests et d' analyses et des bordereaux d' expédition ferroviaire, dont la production n' était pas exigée par le contrat, ainsi qu' un document "bona fide", dont la nature n' a jamais
été précisée, et que, troisièmement, elle a, de façon injustifiée, considéré que les conditions de financement n' étaient pas remplies, sans accorder aucun crédit au certificat d' origine établi par la chambre de commerce de Bruxelles.

30 Sur ce dernier point, elle soutient qu' un certificat d' origine établit à suffisance l' origine d' une marchandise, car les chambres de commerce ne délivrent de tels certificats que sur présentation de justificatifs. A la différence des documents présentés par Cifel, qui ont renforcé le doute de la défenderesse quant à l' origine de la marchandise livrée, le certificat d' origine, remis en original authentifié, décrirait soigneusement la marchandise qui en est l' objet. Par contre, les documents
remis par Cifel seraient des photocopies peu lisibles et non authentifiées de certificats relatifs à un test de coulée d' un acier couramment consommé au Mozambique. Ces documents, établis huit mois après la livraison, ne permettraient pas de conclure qu' ils se rapportaient à l' acier utilisé pour la marchandise livrée.

31 La requérante soutient avoir subi un préjudice correspondant à la différence entre le montant initial du marché et le montant qu' elle a effectivement reçu (9 668 253 BFR), majorée des frais financiers (5 129 453 BFR) qu' elle affirme avoir dû exposer par suite du refus de la défenderesse de payer l' intégralité du prix initialement convenu, soit un total de 14 797 706 BFR.

32 Le dommage trouverait sa cause dans le fait que la défenderesse a considéré que les conditions de financement du marché n' étaient pas totalement remplies et qu' il y avait lieu de calculer le montant à payer sur la base des prix en vigueur sur le marché sud-africain.

33 Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour selon laquelle les marchés financés au titre du FED sont des marchés nationaux auxquels la Commission est étrangère, la défenderesse en déduit que le recours est incohérent en ce qu' il a pour objet de l' attraire en responsabilité extracontractuelle, alors que la requérante lui reproche d' avoir unilatéralement modifié les conditions du contrat.

34 Elle considère, par ailleurs, qu' aucune des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité extracontractuelle n' est remplie.

35 Elle soutient qu' elle n' a pas agi illégalement. Elle aurait nourri à juste titre des doutes sérieux quant à l' origine communautaire de la marchandise livrée, en raison, d' une part, du contenu de la lettre de Cifel reçue le 20 juin 1991 par l' UCPI et du télex adressé le 2 août 1991 par RIH et, d' autre part, ainsi qu' elle l' a exposé à l' audience, du fait que les certificats de contrôle établis par la SGS visaient des contrôles exécutés en Afrique du Sud. A cet égard, la défenderesse aurait
alors adressé de nombreuses demandes à la requérante afin qu' elle fournît des documents prouvant de manière non ambiguë l' origine communautaire de la marchandise livrée. La défenderesse constate que la requérante n' a cependant pas produit de tels documents ni le rapport d' inspection préalable à l' embarquement visé à l' article IX.5 du cahier des prescriptions spéciales. Or, c' est à elle qu' il appartiendrait d' apporter la preuve de l' origine communautaire de la marchandise.

36 Elle met en doute la crédibilité du certificat d' origine produit par la requérante, car il a été établi par la chambre de commerce de Bruxelles plusieurs mois après la livraison des marchandises litigieuses, sur la base d' un certificat délivré par la chambre de commerce de Lugano, qui n' était pas en mesure de procéder à d' éventuels contrôles sur place en Italie.

37 Enfin, elle souligne que la requérante a été incapable de la renseigner sur l' itinéraire de la marchandise litigieuse, et même sur le nom du navire transporteur, et de produire les documents justificatifs sur la base desquels les certificats d' origine auraient été établis, alors qu' il lui aurait été facile d' au moins dissiper les doutes quant à l' existence de relations contractuelles avec les sociétés sud-africaines Iscor et John Palmer Steel.

38 Se référant aux arrêts de la Cour du 10 juillet 1984, STS/Commission (126/83, Rec. p. 2769), et du 10 juillet 1985, CMC e.a./Commission (118/83, Rec. p. 2325), la défenderesse estime qu' elle était fondée à rechercher si les conditions de financement, notamment celle relative à l' origine de la marchandise, étaient réunies, en sollicitant des informations complémentaires sur l' origine de celle-ci afin de dissiper les doutes résultant du caractère contradictoire des documents qui étaient en sa
possession.

39 La défenderesse conteste que la requérante ait subi un quelconque dommage. La différence entre le prix initial du marché et le montant effectivement reçu ne serait que le résultat de l' accord portant réduction du prix de la marchandise et renonciation à soumettre le litige à l' arbitrage, accord librement conclu par la requérante et l' UCPI le 17 juillet 1992. Par ailleurs, la défenderesse nie un quelconque préjudice lié à des frais financiers, car elle a versé, dans les délais, le solde dû à la
suite de cet accord.

40 La défenderesse conteste également l' existence d' un lien de causalité entre le comportement illégal et le dommage allégué. La différence entre le prix initial et le prix final ne résulterait pas tant de son comportement que de l' accord conclu le 17 juillet 1992 entre l' UCPI et la requérante. Les frais financiers litigieux ne lui seraient pas davantage imputables, puisqu' elle était tenue, en vertu de l' article 8.2 de la lettre de marché, d' attendre l' autorisation de payer donnée par l'
UCPI. La responsabilité de cette partie du dommage incomberait à la requérante, qui aurait tergiversé en 1991 et en 1992 au lieu d' apporter la preuve de l' origine communautaire de la marchandise.

41 Dans sa réplique, la requérante affirme que l' accord qu' elle a conclu avec l' UCPI le 17 juillet 1992 n' a d' effet qu' entre les parties et est étranger à un éventuel recours en responsabilité extracontractuelle. Elle souligne que c' est la défenderesse qui a suggéré de prendre pour base le prix sud-africain. En ce qui la concerne, la conclusion de cet accord aurait été dictée par un besoin de liquidités et son choix se serait ramené en réalité à accepter une réduction du prix ou à ne pas être
payée du tout dans l' immédiat.

42 Selon la défenderesse, soit la requérante a conclu librement l' accord portant réduction du prix de la marchandise, de sorte qu' elle ne saurait prétendre avoir subi un dommage, soit elle a signé cet accord sous la contrainte et il lui appartenait alors de remettre celui-ci en cause, ce qu' elle n' a pas fait.

Appréciation du Tribunal

43 Le Tribunal rappelle d' abord que, selon une jurisprudence établie, les marchés financés par le FED demeurent des marchés nationaux que seuls les États ACP ont la responsabilité de préparer, négocier et conclure. Les entreprises soumissionnaires ou attributaires des marchés en cause demeurent, de leur côté, étrangères aux rapports exclusifs qui s' établissent, en la matière, entre la Commission et les États ACP (arrêts de la Cour STS/Commission, précité, point 18, CMC e.a./Commission, précité,
point 28, et du 14 janvier 1993, Italsolar/Commission, C-257/90, Rec. p. I-9, point 22; arrêt du Tribunal du 16 novembre 1994, San Marco/Commission, T-451/93, Rec. p. II-1061, point 42).

44 Il rappelle ensuite que la responsabilité de la Communauté suppose que la requérante prouve l' illégalité du comportement reproché à l' institution concernée, la réalité du dommage et l' existence d' un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmuehle e.a./Conseil et Commission, 197/80, 198/80, 199/80, 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 18, et Italsolar/Commission, précité, point 33; arrêts du
Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-0000, point 80).

45 Il rappelle enfin que la Commission a non seulement le droit, mais également le devoir de s' assurer, avant tout versement de fonds communautaires, que les conditions de tels versements se trouvent effectivement réunies (arrêt CMC/Commission, précité, point 44). A cette fin, elle a notamment le devoir de rechercher les informations nécessaires pour assurer une gestion économique des ressources du FED (même arrêt, point 47, et arrêt du 25 mai 1993, SGEEM et Etroy/BEI, C-370/89, Rec. p. I-2583,
point 31) et de refuser de viser des factures qui lui sont présentées lorsqu' elle a des raisons sérieuses de douter que les conditions de financement communautaire ont été respectées (arrêt San Marco/Commission, précité, point 50).

46 C' est à la lumière de ces éléments qu' il convient d' examiner si la défenderesse s' est rendue coupable d' un comportement illégal ou fautif.

47 En l' espèce, il incombait à la défenderesse de s' assurer, notamment, du respect de la condition de financement qui imposait que la marchandise livrée fût originaire de la Communauté ou d' un État ACP.

48 La requérante ne peut pas faire grief à la défenderesse de ne pas avoir empêché la consommation de la marchandise avant sa réception et le transfert de propriété. En effet, les marchés financés par le FED étant des marchés nationaux auxquels sont seulement parties l' État ACP et l' entrepreneur, il n' appartenait aucunement à la défenderesse de s' immiscer dans ces questions, qui sont d' ordre purement contractuel.

49 La requérante ne peut pas non plus faire grief à la défenderesse d' avoir, malgré l' existence d' un certificat d' origine de la chambre de commerce de Bruxelles attestant l' origine italienne et donc communautaire de la marchandise, douté que celle-ci remplît les conditions d' origine exigées. En effet, il résulte d' un télex adressé par Cifel à l' UCPI que les documents qui accompagnaient la marchandise livrée mentionnaient qu' elle provenait d' une société sud-africaine. Par ailleurs, la
requérante n' a pas contesté que les documents d' inspection de la marchandise n' avaient pas été fournis préalablement à son expédition et faisaient état de contrôles effectués par une société sud-africaine. En outre, c' est d' Afrique du Sud que la marchandise est parvenue au Mozambique. Or, la République sud-africaine n' a pas signé la troisième convention de Lomé.

50 La preuve de l' origine de la marchandise livrée incombant à l' adjudicataire, la défenderesse était, eu égard aux éléments qui précèdent, parfaitement en droit d' exiger des documents ou des informations supplémentaires susceptibles de confirmer le certificat d' origine. Force est de constater que la requérante n' a pas apporté d' éléments permettant d' établir de façon indubitable l' origine communautaire de la marchandise livrée. Elle n' a même pas pu fournir les documents justificatifs sur la
base desquels la chambre de commerce de Lugano avait établi son certificat d' origine, sur lequel la chambre de commerce de Bruxelles s' était à son tour fondée pour délivrer le sien. En réponse à une demande écrite du Tribunal, la requérante s' est bornée à produire une copie incomplète d' un crédit documentaire ne contenant aucune information sur l' origine de la marchandise faisant l' objet de la transaction, une lettre non datée d' une société italienne de transport certifiant que la requérante
est connue comme exportateur, destinataire, donneur d' ordre ou garant d' opérations relatives à des marchandises, d' acier notamment, transportées par MM. Jadroplov entre l' automne de 1989 et l' été de 1991, ainsi que des extraits de registres Lloyd' s relatifs à des bateaux portant le nom Africa apparaissant sur le permis d' exportation. La requérante ne saurait en aucun cas tirer argument de l' imprécision de la notion de "document 'bona fide' ", dès lors qu' elle n' a produit aucun élément
corroborant son certificat d' origine. Le Tribunal estime par ailleurs qu' elle a été abondamment informée sur la preuve qu' il lui incombait d' apporter (voir ci-dessus points 13 et 14).

51 Il s' ensuit que la défenderesse a pu à juste titre conclure que la condition de financement relative à l' origine de la marchandise n' était pas remplie en l' espèce.

52 La requérante est enfin mal fondée à reprocher à la défenderesse d' avoir joué un rôle actif en sollicitant des documents dont la production n' était pas exigée par le contrat. En effet, la défenderesse s' est limitée à informer les autorités mozambicaines de sa position et des possibilités qui leur étaient offertes. Ce faisant, elle n' a nullement porté atteinte à la souveraineté de la république populaire du Mozambique. Il ressort d' ailleurs de la lettre qu' elle a adressée à la requérante le
25 novembre 1991 (voir ci-dessus point 16) et de la télécopie qu' elle a envoyée à sa délégation au Mozambique (voir ci-dessus point 18) que le gouvernement mozambicain est resté maître de ses décisions.

53 Par conséquent, la requérante n' a pas démontré que la défenderesse s' est rendue coupable d' une intervention illégale ou fautive dans les relations entre la république populaire du Mozambique et la requérante.

54 Il s' ensuit que la requérante n' a pas établi l' existence d' un quelconque comportement illégal ou fautif de la part de la défenderesse.

55 De surcroît, il est de jurisprudence constante que le préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché (arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier frères e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21; voir aussi en ce qui concerne l' article 40 du traité CECA, qui, libellé de façon analogue, est transposable en l' espèce: arrêt de la Cour du 30 janvier 1992, Finsider e.a./Commission, C-363/88 et C-364/88, Rec. p.
I-359, point 25, et la jurisprudence citée).

56 Or, il résulte des pièces du dossier et des débats menés devant le Tribunal que le préjudice dont se plaint la requérante résulte, en première ligne, des deux facteurs suivants: d' une part, du refus qui a été finalement opposé par la république populaire du Mozambique de payer l' intégralité du prix convenu; d' autre part, de l' accord du 17 juillet 1992 qui s' en est suivi, portant réduction du prix initialement convenu et renonciation à l' arbitrage.

57 A cet égard, le Tribunal observe que, même si la défenderesse a pu influencer indirectement le comportement du gouvernement mozambicain en lui suggérant de conclure l' accord précité, il n' en reste pas moins que la requérante n' a pas démontré qu' elle-même ou son cocontractant l' avait conclu sous la contrainte. Par ailleurs, plutôt que de conclure cet accord, la requérante aurait pu, comme l' UCPI le lui a suggéré (voir ci-dessus point 20), recourir à la procédure d' arbitrage pour régler le
différend. Que la requérante ait choisi de ne pas engager une telle procédure parce qu' elle avait un besoin urgent de liquidités ne saurait avoir pour conséquence que le préjudice soit imputable à la défenderesse, celle-ci étant totalement étrangère au mobile allégué.

58 Au surplus, il importe de rappeler qu' il a été jugé que, dans le cas où un différend contractuel entre l' État adjudicateur d' un marché financé par le FED et l' adjudicataire n' a pas été réglé préalablement, à l' amiable ou par le recours à l' arbitrage, l' adjudicataire se trouve dans l' incapacité d' établir que le comportement de la Commission lui a causé un préjudice distinct du préjudice dont il lui appartient de poursuivre la réparation à l' encontre de l' État adjudicateur, selon les
voies appropriées (arrêt de la Cour du 19 septembre 1985, Murri frères/Commission, 33/82, Rec. p. 2759, point 38).

59 En l' espèce, la requérante demande la réparation d' un dommage correspondant précisément à la réduction de prix qu' elle a concédée à l' UCPI dans le cadre de l' accord qu' elle a conclu avec cette dernière le 17 juillet 1992, majorée de frais financiers qu' elle a dû exposer par suite de cet accord. Faute d' avoir remis en cause, selon les voies de droit appropriées, cet accord et le refus du gouvernement mozambicain de payer la totalité du prix initialement convenu, la requérante se trouve
dans l' incapacité d' établir que le comportement de la défenderesse lui aurait causé un préjudice distinct du préjudice dont il lui appartenait de poursuivre la réparation à l' encontre de cet État.

60 Pour ce motif également, elle n' a pas non plus établi l' existence d' un lien de causalité entre le comportement reproché à la défenderesse et le préjudice allégué.

61 Il résulte de ce qui précède qu' il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

62 Selon l' article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions et la défenderesse ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de condamner la première à supporter l' ensemble des dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : T-175/94
Date de la décision : 11/07/1996
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Recours en indemnité - Marché public - Fonds européen de développement - Responsabilité non contractuelle - Appréciation de l'origine de la marchandise.

Relations extérieures

Marchés publics de l'Union européenne

Fonds européen de développement (FED)


Parties
Demandeurs : International Procurement Services SA
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1996:102

Source

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