La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/1996 | CJUE | N°C-335/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 4 juillet 1996., Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) contre Michel Picard., 04/07/1996, C-335/95


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 4 juillet 1996 ( *1 )

1.  Les questions préjudicielles soulevées par la cour du travail de Liège portent sur l'interprétation de la disposition inscrite à l'article 36, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 574/72, relative aux modalités d'introduction de la demande de prestations d'assurance sociale ( 1 ). Le juge de renvoi demande à la Cour de définir, par voie d'interprétation, les rapports entre la disposition précitée et les autres dispositions figurant aux paragraphes 1, 2

et 3 du même article. Il s'agit, en
substance, d'établir si la date ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 4 juillet 1996 ( *1 )

1.  Les questions préjudicielles soulevées par la cour du travail de Liège portent sur l'interprétation de la disposition inscrite à l'article 36, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 574/72, relative aux modalités d'introduction de la demande de prestations d'assurance sociale ( 1 ). Le juge de renvoi demande à la Cour de définir, par voie d'interprétation, les rapports entre la disposition précitée et les autres dispositions figurant aux paragraphes 1, 2 et 3 du même article. Il s'agit, en
substance, d'établir si la date d'introduction d'une demande de prestations auprès d'une institution compétente pour son versement doit être considérée comme la date pertinente d'introduction, également, aux fins de l'intervention éventuelle des institutions de prévoyance sociale des autres États membres compétents pour liquider, au prorata, la même prestation à l'intéressé.

Les faits

2. Les faits à l'origine de la présente affaire peuvent être résumés comme suit. M. Picard (ci-après également le « demandeur »), de nationalité française, résidant en Belgique, a introduit le 11 avril 1991, une demande de pension de vieillesse auprès de l'institution de prévoyance sociale française compétente. L'administration, ayant fait droit à cette demande, a reconnu à M. Picard le droit à une pension, à compter du 1er janvier 1992.

3. Sur indication expresse de l'administration française, M. Picard a, par ailleurs, introduit, le 11 juin 1992, par l'intermédiaire de l'administration communale de Verviers (commune dans laquelle il réside), une demande de pension auprès de l'institution belge compétente pour l'octroi de prestations de prévoyance sociale des travailleurs indépendants: l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (ci-après l'« Inasti »).

4. Cette dernière institution a rejeté, par décision du 21 décembre 1992, la demande de M. Picard visant à obtenir une pension de vieillesse anticipée. Au moment où il a introduit sa demande, le demandeur ne satisfaisait pas, en effet, aux critères prévus pour l'obtention de la pension en application du droit belge ( 2 ).

Par la suite, le 27 janvier 1993, ayant été informé du fait qu'une pension avait été octroyée à M. Picard par l'institution française compétente, l'Inasti a adopté une nouvelle décision, par laquelle, tout en refusant en vertu de la législation nationale l'octroi d'une pension de vieillesse à M. Picard, il lui a reconnu le droit à une pension proratisée et a par conséquent déterminé « dans le cadre de l'application des règlements (CEE) nos 1408/71 et 574/72 » le montant de la pension à laquelle
il a droit ( 3 ).

En même temps, la date de prise d'effet de cette prestation a été fixée au 1erjuillet 1992, date postérieure à celle prévue pour le versement de la pension par l'institution française.

5. Selon l'Inasti, l'adoption d'une date de référence différente — et c'est ici que se pose le problème d'interprétation qui fait l'objet de la présente affaire — résulte des dispositions de l'ordre juridique belge. En vertu de la législation applicable — fait en effet valoir l'Inasti —, la demande de pension doit être introduite auprès de l'autorité communale du lieu de résidence du demandeur; par ailleurs, la pension ne peut être versée avant le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel
la demande a été introduite ( 4 ). Sur la base des dispositions précitées de la loi nationale, il aurait été légitime de fixer la date de référence au 1er juillet 1992. Comme nous l'avons dit, M. Picard n'a en effet introduit la demande visant à obtenir une pension de vieillesse auprès de l'autorité communale de Verviers que le 11 juin 1992.

6. Par décision du 18 novembre 1994, le tribunal de Verviers, saisi par M. Picard, a confirmé la décision de l'Inasti, en ce qui concerne le montant de la prestation reconnue au demandeur mais a considéré, contrairement à ce qui avait été décidé par l'institution belge, que la date de référence pour le versement du montant de la prestation sociale à M. Picard devait — en application de l'article 36, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 574/72 — être le 1er janvier 1992: date, par conséquent, à
laquelle la pension lui a été accordée par l'institution française compétente.

7. La juridiction d'appel, saisie sur ce point par l'Inasti, a déféré les questions préjudicielles suivantes à la Cour.

«1) Le paragraphe 4 de l'article 36 du règlement n° 574/72 édicte-t-il une règle générale autonome applicable indépendamment du respect des dispositions prévues aux paragraphes 1 à 3 du même article?

2) En cas de réponse négative à la première question, le travailleur salarié ou non salarié qui, sans la reconnaissance préalable du droit à une pension dans le chef de l'institution compétente d'un autre État membre (en l'espèce l'État membre de sa nationalité), ne peut pas se voir reconnaître un droit à une pension par l'institution compétente de l'État de sa résidence est-il néanmoins tenu d'introduire une demande dans l'État de résidence pour que les liquidations des prestations soient
concomitantes? »

8. Au cours de la présente procédure, des observations écrites ont été présentées par M. Picard, par l'Inasti, par la Commission et par le gouvernement français.

9. Avant d'examiner sur le fond les questions posées à la Cour, nous entendons les replacer dans le cadre plus large dans lequel il convient, à notre avis, de les considérer.

Le cadre normatif

10. M. Picard a été soumis, au cours de son activité professionnelle, aux règles de l'ordre juridique français et de l'ordre juridique belge. Puisqu'il demande la liquidation de la prestation de sécurité sociale à laquelle il a droit, c'est l'article 44 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6.), qui s'applique (« Dispositions générales concernant la liquidation des
prestations lorsque le travailleur salarié ou non salarié a été assujetti à la législation de deux ou plusieurs États membres »), dont le paragraphe 2 est rédigé comme suit:

« ... il doit être procédé aux opérations de liquidation au regard de toutes les législations auxquelles le travailleur salarié ou non salarié était assujetti dès lors qu'une demande de liquidation a été introduite par l'intéressé ... » (c'est nous qui soulignons).

11. Les dispositions du règlement n° 574/72 définissent les modalités d'application des règles figurant dans le règlement n° 1408/71.

La disposition dont l'interprétation est mise en cause — inscrite au chapitre 3 [« Invalidité, vieillesse et décès (pensions) »] — fixe des règles relatives aux pensions d'invalidité, vieillesse et décès telles que mentionnées au chapitre 3 du règlement n° 1408/71 [« Vieillesse et décès (Pensions) »] ( 5 ). L'article 36 porte précisément sur les « demandes de prestations de vieillesse, de survivants (à l'exception des prestations pour orphelins), ainsi que de prestations d'invalidité dans les
cas non visés à l'article 35 du règlement d'application ».

12. Les règles figurant dans cet article déterminent les modalités selon lesquelles la demande de prestations doit être introduite par le travailleur. En application du paragraphe 1 de l'article précité, le demandeur «est tenu d'adresser une demande à l'institution du lieu de résidence », selon les modalités prescrites par la législation en vigueur dans cet État (c'est nous qui soulignons). Si, au contraire (paragraphe 2), le demandeur réside sur le territoire d'un État membre à la législation
duquel il n'a pas été soumis, il « peut adresser sa demande à l'institution de l'État membre à la législation duquel il a été soumis en dernier lieu » ( 6 ).

13. L'autre disposition, figurant au paragraphe 4, a, par certains aspects, une fonction de « déclenchement de la procédure de liquidation ». Selon ce paragraphe, le fait d'introduire une demande « entraîne automatiquement », pour autant que le requérant ne demande pas à ce qu'il en aille autrement, la liquidation concomitante des prestations au titre des législations de tous les États membres en cause aux conditions desquelles il satisfait.

14. Plus précisément, l'article 36, paragraphe 4, dispose que:

«Une demande de prestations adressée à l'institution d'un État membre entraîne automatiquement la liquidation concomitante des prestations au titre des législations de tous les États membres en cause aux conditions desquelles le requérant satisfait, sauf si, conformément à l'article 44, paragraphe 2, du règlement, le requérant décide qu'il soit sursis à la liquidation des prestations de vieillesse qui seraient acquises au titre de la législation d'un ou de plusieurs États membres ».

Analyse

15. Il faut, en premier lieu, souligner que, en l'espèce, il n'y a pas discussion sur le droit du demandeur au versement de la prestation proratisée « conformément aux dispositions pertinentes de la législation communautaire en la matière ». Comme l'Inasti l'a précisé dans ses observations, M. Picard est, vis-à-vis de l'institution compétente belge, titulaire d'un droit à une prestation de sécurité sociale dont le montant est proportionnel aux périodes d'assurance accomplies sur le territoire de cet
État membre. Les questions soulevées ont, par conséquent, exclusivement trait à la détermination de la date à partir de laquelle doit débuter le versement de la prestation en cause.

16. Le problème d'interprétation se pose du fait que les modalités suivies par M. Picard, pour introduire sa demande de pension, ne relèvent d'aucune des hypothèses prévues à l'article 36, paragraphes 1 et 2. Bien que résidant en Belgique, le travailleur en cause a, d'abord, introduit sa demande, exclusivement auprès de l'institution française compétente. Il ne s'est par conséquent pas conformé à l'obligation prévue au paragraphe 1 de l'article précité avant le 11 juin 1992, date à laquelle il a
introduit une demande de pension auprès de l'autorité compétente de son lieu de résidence « selon les modalités prévues par la législation appliquée » par l'Inasti ( 7 ). Compte tenu de ces circonstances de fait, l'institution belge soutient que, puisque l'intéressé n'a pas satisfait à l'obligation imposée par les dispositions du règlement d'application, la date de référence pour le versement de la pension proratisée reconnue par l'Inasti au demandeur doit être déterminée selon les modalités
prévues par la législation nationale, sans pouvoir faire référence à la date à laquelle il a introduit la demande auprès de l'institution française compétente ( 8 ).

17. La Commission et le gouvernement français sont d'un avis différent. L'une et l'autre font valoir, en effet, que la présente affaire doit être analysée à la lumière des objectifs du règlement n° 1408/71 et des dispositions du traité, sur lesquelles elles se fondent. Il serait, pour ce motif, dépourvu de pertinence de savoir quelle est l'institution nationale à laquelle la demande de prestations de sécurité sociale est adressée pour savoir à quel moment débute la procédure de liquidation prévue
par le règlement. Nous partageons cette dernière opinion pour les raisons que nous expliquerons ci-après.

18. Les dispositions du règlement n° 574/72 visent à définir les modalités d'application des règles inscrites dans le règlement n° 1408/71. Comme ces dernières, les règles en cause doivent être également interprétées conformément aux objectifs fixés par les articles 48 et 51 du traité. L'objectif prioritaire est celui qui consiste à garantir aux travailleurs migrants le bénéfice des prestations de sécurité sociale, quel que soit le lieu de leur emploi ou de leur résidence ( 9 ).

19. Cet objectif inspire, en ce qui concerne les pensions de vieillesse, décès et invalidité, la réglementation édictée par les articles 44 à 51 du règlement n° 1408/71, qui régit les opérations de totalisation et de liquidation desdites prestations de sécurité sociale. Le critère susmentionné — de nature générale et qui fournit nécessairement une indication pour la lecture de l'ensemble de la réglementation communautaire en la matière — trouve application tant en ce qui concerne la naissance des
droits en matière de sécurité sociale que pour le calcul des prestations versées par les organismes de sécurité sociale ( 10 ).

20. Or, après avoir défini les principes inhérents aux dispositions des deux règlements précités, il faut rappeler que l'article 44, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 prévoit que la date de référence pour procéder aux opérations de liquidation des prestations de vieillesse acquises selon la législation d'un ou plusieurs États membres est, pour toutes les institutions compétentes concernées, la date de l'introduction «d'une demande de liquidation » de la prestation (c'est nous qui soulignons).

21. Les impératifs de cette réglementation — et le principe qui les sous-tend — nous semblent clairs. Dans la logique du règlement précité, dès lors qu'il introduit une demande de liquidation, le travailleur satisfait à l'obligation à laquelle est subordonnée la liquidation de la prestation de sécurité sociale à laquelle il a droit. En même temps naît, en retour, une obligation pour les institutions compétentes de coopérer entre elles pour procéder aux opérations de totalisation et de proratisation.

22. La lecture que nous venons de proposer trouve par ailleurs une confirmation dans le système de règles communautaires que nous avons envisagées ici. Comme le précise la disposition figurant à l'article 36, paragraphe 1, du règlement n° 574/92 (même si elle se réfère à un cas qui n'est pas assimilable à celui qui fait l'objet de la présente affaire), lorsque l'institution (non compétente du lieu de résidence) qui a reçu la demande la transmet à l'institution compétente, elle doit indiquer « la
date à laquelle la demande a été introduite » et, ajoute la disposition, «cette date est considérée comme la date d'introduction de la demande auprès de la dernière institution» (c'est nous qui soulignons).

23. Le critère de proximité prévaut, par conséquent, dans les normes édictées par le règlement sur celui de la compétence. En prévoyant l'obligation de présenter la demande auprès de l'institution du lieu de résidence (même si elle n'est pas compétente) et en imposant à cette dernière d'effectuer les actes de coopération liés à la liquidation de la prestation, on a voulu faciliter au travailleur les démarches administratives liées à l'introduction d'une demande de prestations de sécurité sociale, en
le rapprochant de sa sphère d'intérêt et en lui évitant de devoir s'adresser à l'ensemble des institutions compétentes des divers États membres dans lesquels s'est déroulée son activité professionnelle.

24. Par ailleurs, l'article 86 du règlement n° 1408/71 fait manifestement référence au même critère lorsqu'il dispose que « les demandes ... qui auraient dû être introduites, en application de la législation d'un État membre, dans un délai déterminé auprès d'une autorité ... de cet État sont recevables, si elles sont introduites dans le même délai auprès d'une autorité ... correspondante d'un autre État membre. Dans ce cas, l'autorité ... ainsi saisie transmet sans délai ces demandes ... à
l'institution ... compétente du premier État. La date à laquelle ces demandes ... ont été présentées auprès d'une autorité ... du second État membre est considérée comme L date d'introduction auprès de l'autorité ... compétente pour en connaître» (c'est nous qui soulignons).

25. Il y a davantage, par conséquent, dans le système instauré par le règlement. La disposition précitée dispose, selon nous, que, aux fins du calcul des délais pour la liquidation de la prestation, il est dépourvu de pertinence de savoir quelle est l'institution compétente auprès de laquelle la demande a été introduite. Ce qui importe est que la réglementation communautaire a retenu le principe selon lequel la date à laquelle la demande a été introduite auprès de l'institution de l'État compétent
devient également contraignante pour les institutions correspondantes des autres États membres.

26. A bien y regarder, il ne saurait en aller autrement. Le système prévu entend, d'un côté, simplifier au maximum les obligations administratives pesant sur le travailleur qui peut faire valoir des droits dans divers États membres ( 11 ); par ailleurs — et en même temps, on peut dire — il vise à renforcer les obligations de coopération entre les institutions de sécurité sociale, telles qu'elles résultent de la disposition figurant à l'article 5 du traité et expressément ‘consacrée’ dans les
règlements en cause ( 12 ).

27. Si tel est le cas, il faut retenir que la date à laquelle une demande a été introduite auprès de l'institution compétente d'un État membre est, dans le système prévu par le règlement, destinée à servir de date de référence pour le déroulement des opérations de liquidation pour toutes les autres institutions appelées, chacune dans son propre domaine de compétence, à verser des prestations de sécurité sociale aux travailleurs migrants. C'est seulement si l'on procède à une telle lecture que le
principe du défaut de pertinence du lieu de l'emploi et de celui de résidence — qu'il y a lieu, comme nous l'avons indiqué, de considérer comme le critère inspirant l'ensemble de la réglementation en cause — pourra déployer le plénitude de ses effets.

28. Les principes qui s'appliquent à la présente affaire ayant été ainsi définis, il faut en déduire que l'interprétation des règles inscrites à l'article 36 du règlement n° 574/72, telle qu'elle est proposée par l'Inasti, est formaliste et a pour conséquence de faire obstacle, comme dans la présente affaire, à la possibilité pour le travailleur de bénéficier pleinement des droits qu'il a acquis, en faisant dépendre en fait le bénéfice de ce droit de l'accomplissement de formalités administratives
dans chacun des États membres dans lesquels il a exercé son activité professionnelle. Les demandes que M. Picard a dû introduire dans l'affaire en cause en constituent, du reste, un excellent exemple. Le résultat qui consiste à introduire des obstacles injustifiés au plein bénéfice des droits reconnus par le règlement n° 1408/71 est, à notre avis, contraire aux principes qui sous-tendent l'article 51 du traité.

29. Les précisions fournies par la Cour en ce qui concerne la nature des dispositions du règlement n° 574/72 s'opposent par ailleurs à ce que soit accueillie la thèse proposée par l'Inasti. Dans l'arrêt Iacobelli, la Cour a, en effet, jugé que les dispositions figurant à l'article 36 du règlement sont de nature procédurale ( 13 ). Ces dispositions ne peuvent par conséquent entraîner de modification substantielle des droits qui ont été reconnus au travailleur et garantis à la lumière des principes
précités par les règles figurant dans le règlement n° 1408/71. Dans la présente affaire, ces dispositions ne peuvent avoir une influence sur le droit, reconnu à M. Picard par l'institution compétente, au versement par l'Inasti d'une prestation proratisée, déterminée en application des règles de droit communautaire.

30. Sous cet angle, comme le relève, à juste titre, le gouvernement français dans ses observations, la règle figurant à l'article 36, paragraphe 1, selon laquelle le demandeur « est tenu » d'adresser sa demande à l'institution du lieu de résidence doit être lue comme une règle supplétive. Il s'agit d'une disposition de mise en œuvre d'un règlement mais il peut y être dérogé, dès lors que l'intéressé fait, au moyen d'une demande formulée auprès de l'institution compétente d'un autre État membre, la
demande nécessaire pour obtenir les prestations de sécurité sociale auxquelles il a droit ( 14 ). D'autant plus, faut-il ajouter, lorsque, comme en l'espèce, la demande a été introduite auprès de l'institution compétente de l'État dont le travailleur est ressortissant et dans lequel il a exercé la majeure partie de son activité professionnelle. L'article 36, paragraphe 1 — vu sa nature et l'objectif de simplification administrative qui l'a inspiré —, ne saurait avoir pour effet de faire obstacle
à la liquidation des prestations en cause ou de la faire dépendre de certaines conditions, en imposant une date différente de la date à laquelle la demande a été introduite auprès d'une autre institution compétente, pour le versement de la même prestation de sécurité sociale (en l'espèce, la pension de vieillesse) en application du règlement communautaire. La prestation est concomitante et son versement doit être garanti par la mise en oeuvre de l'obligation de coopération qui s'impose, dans
chaque cas, aux différentes institutions compétentes ( 15 ). Dans un système destiné à promouvoir la mobilité des travailleurs comme celui qui figure dans le règlement n° 1408/71, il est tout à fait suffisant qu'une seule demande soit introduite, laquelle traduit un comportement actif de l'intéressé. S'il en allait autrement, les objectifs visés par la règle figurant à l'article 44, paragraphe 2, du règlement en cause et, de manière plus générale, les principes sur lesquels se fonde la totalité
de la réglementation en cause ne seraient pas atteints.

31. Il résulte des considérations ci-dessus exposées que la réponse à donner à la première question soulevée par le juge de renvoi est que la règle figurant à l'article 36, paragraphe 4, du règlement n° 574/72 est une règle de nature procédurale autonome par rapport à celle qui figure dans les trois premiers paragraphes du même article. Cette règle — en relation directe avec la disposition inscrite à l'article 44, paragraphe 2 du règlement n° 1408/71, relative aux conditions nécessaires pour
déterminer le point de départ de l'opération de liquidation des prestations — doit être lue en ce sens que la date à laquelle la demande de prestations de sécurité sociale a été introduite auprès de l'institution compétente doit être considérée comme la date à laquelle elle a été introduite par toutes les institutions compétentes concernées par l'opération de liquidation de la prestation en cause, en application de la législation que ces institutions appliquent.

32. Puisqu'il a été ainsi répondu à la première question, la seconde question proposée par le juge de renvoi est sans objet.

Conclusion

La disposition figurant à l'article 36, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, édicté une règle autonome par
rapport à celle qui figure aux trois premiers paragraphes de ce même article et doit être lue, dans le contexte des règles prévues par l'article 44, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, en ce qui concerne les effets de la demande destinée à obtenir la liquidation des prestations. Au sens de la disposition inscrite dans le règlement d'application, la date à
laquelle le travailleur concerné introduit une demande de liquidation auprès d'une institution de prévoyance sociale, compétente pour le versement d'une prestation de sécurité sociale, est la date que toutes les autres institutions compétentes pour traiter cette demande doivent considérer comme constituant la date d'introduction de la demande, au sens de la législation applicable.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue originale: l'italien.

( 1 ) Règlement du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 86).

( 2 ) Dans l'ordre juridique belge, le droit à la pension de vieillesse ne prend naissance qu'à l'âge de 65 ans accomplis — à moins que ne soient réunies les conditions pour obtenir une pension anticipée (ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque M. Picard n'a pas travaillé comme travailleur indépenant en Belgique pendant cinq années civiles). En France, au contraire, le droit à pension prend naissance à l'âge de 60 ans accomplis. C'est probablement pourquoi M. Picard — né le 24 décembre 1931 et,
par conséquent, ayant à peine atteint les 60 ans au moment des faits de l'affaire — s'est adressé, en premier lieu, à l'institution française compétente.

( 3 ) Cette citation est extraite des observations présentées par l'Inasti au cours de la présente procédure (p. 2). Les références aux règlements communautaires figurent, par ailleurs, dans la même décision de l'Inasti du 27 janvier 1993. En ce qui concerne la détermination du montant effectif de la prestation de sécurité sociale, il convient de souligner que M. Picard a travaillé en Belgique entre le 1er janvier 1981 et le 30 juin 1982 ainsi qu'entre le 1er janvier 1985 et le 31 mars 1988. Le
montant de la pension belge auquel il a droit, a été, par conséquent, calculé en rapportant ces périodes à l'ensemble de la carrière professionnelle effectuée en France et en Belgique.

( 4 ) La réglementation relative à la date à partir de laquelle doit être versée une pension figure à l'article 3, paragraphe 3, de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967, portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants; la disposition qui prévoit que les demandes de pension doivent être introduites auprès du bourgmestre de la commune de résidence est l'article 120, paragraphe 1, de l'arrêté royal du 22 décembre 1967, portant règlement général
relatif à fa pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants. Pour le texte complet de la réglementation nationale pertinente, voir la section II du rapport du juge rapporteur (« la réglementation nationale »).

( 5 ) Il s'agit des règles figurant aux articles 44 à 51 du règlement précité. En ce qui concerne les pensions d'invalidité, ces dispositions leur sont applicables conformément au renvoi figurant à l'article 40, paragraphe 1, du règlement précité.

( 6 ) Enfin, au paragraphe 3 est prévue une autre possibilité qui s'applique lorsque le travailleur réside dans le territoire d'un État qui n'est pas un État membre. Dans ce cas, il « est tenu d'adresser une demande à l'institution compétente de celui des États membres à la législation duquel l'intéressé ... a été soumis en dernier lieu » (c'est nous qui soulignons).

( 7 ) Par ailleurs, M. Picard, ayant été soumis à la législation belge au cours de son activité professionnelle, ne saurait se prévaloir de la faculté accordée par l'article 36, paragraphe 2.

( 8 ) D'autre part, selon l'Inasti, la disposition inscrite à l'article 36, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 574/72, loin de constituer une règle autonome, se limiterait à déterminer les effets d'une demande de prestations introduite selon les modalités prévues aux paragraphes 1, 2 et 3 dudit article.

( 9 ) Voir le cinquième considérant du règlement n° 1408/71.

( 10 ) Voir le sixième considérant du règlement n° 1408/71.

( 11 ) Arrêts du 9 mars 1976, Balsamo (108/75, Rec. p. 375, point 9), et du 9 novembre 1977, Warry (41/77, Rec. p. 2085, point 28).

( 12 ) Voir l'arrêt du 11 juin 1991, Athanasopoulos c. a. (C-251/89, Rec. p. I-2797, point 57). Voir également les dispositions figurant à l'article 84 du règlement n° 1408/71 (« coopération des autorités compétentes » et notamment aux paragraphes 1, 2 et 3.

( 13 ) Arrêt du 3 février 1993 (C-275/91, p. I-523, point 13).

( 14 ) Il faut souligner, par ailleurs, le fait, qui corrobore l'interprétation que nous venons de présenter, que les règles en cause ne prévoient pas de mesures pénalisant le travailleur qui ne se serait pas tenu aux modalités d'introduction de la demande qu'impose l'article 36, paragraphes 1, 2 et 3.

( 15 ) La conclusion ne saurait être différente dans le cas —envisagé par le juge de renvoi dans sa seconde question — dans lequel le droit du travailleur est reconnu par l'institution d'un État membre à la condition exclusive qu'il existe une pension versée par une institution d'un autre Etat membre. Le « rapport » logique qui sous-tend la naissance du droit dans le chef du travailleur, en ce qui concerne la première institution, a pour conséquence, en effet — également en vue d'éviter des lacunes
injustifiées dans le traitement qu'il reçoit en matière de sécurité sociale —, d'aboutir à ce que la concomitance des prestations soit considérée comme nécessaire. Ce n'est pas tout. Dans une telle affaire, il semble nécessaire, également ici à la lumière des nécessités évidentes de simplification administrative, de permettre au travailleur de s'adresser directement à l'institution compétente pour le versement de la prestation « principale » qui conditionne le versement éventuel des prestations par
les institutions compétentes des autres États membres.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-335/95
Date de la décision : 04/07/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Liège - Belgique.

Sécurité sociale des travailleurs migrants - Assurance vieillesse et décès - Prestations - Liquidation concomitante des pensions au titre des législations de deux Etats membres - Automaticité de la liquidation dès l'introduction d'une demande auprès de l'institution compétente d'un des Etats membres - Obligation d'introduire, pour obtenir la liquidation concomitante des pensions, une demande auprès de l'institution de l'Etat de résidence.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti)
Défendeurs : Michel Picard.

Composition du Tribunal
Avocat général : La Pergola
Rapporteur ?: Moitinho de Almeida

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:279

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award