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20/06/1996 | CJUE | N°C-91/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 20 juin 1996., Roger Tremblay, Harry Kestenberg et Syndicat des exploitants de lieux de loisirs (SELL) contre Commission des Communautés européennes., 20/06/1996, C-91/95


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 20 juin 1996 ( *1 )

1.  Dans la présente affaire, la Cour doit examiner un pourvoi formé contre l'arrêt rendu par le Tribunal de première instance dans l'affaire Tremblay e. a. /Commission, T-5/931 ( 1 ). Il s'agit de la décision de la Commission de ne pas donner suite à un certain nombre de plaintes contre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après la « SACEM »), qui est la société française de gestion des droits d'auteur en matièr

e musicale.

2.  Il s'avère que le principal objet du pr...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 20 juin 1996 ( *1 )

1.  Dans la présente affaire, la Cour doit examiner un pourvoi formé contre l'arrêt rendu par le Tribunal de première instance dans l'affaire Tremblay e. a. /Commission, T-5/931 ( 1 ). Il s'agit de la décision de la Commission de ne pas donner suite à un certain nombre de plaintes contre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après la « SACEM »), qui est la société française de gestion des droits d'auteur en matière musicale.

2.  Il s'avère que le principal objet du présent pourvoi est le grief tiré de la mauvaise application du principe qualifié (peut-être de manière quelque peu déroutante) de principe de subsidianté, ce qui, dans le présent contexte, signifie que le Tribunal aurait commis une erreur en maintenant (pour partie) la décision de la Commission de ne pas donner suite aux plaintes en se fondant sur le motif fourni par la Commission, à savoir que les autorités nationales seraient plus à même de traiter ces
plaintes.

Faits à l'origine du litige

3. Les plaintes adressées à la Commission remontent à 1979. Entre 1979 et 1988, la Commission a été saisie, en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité ( 2 ), de nombreuses demandes de constatation d'infractions aux articles 85 et 86 du traité CEE mettant en cause la SACEM. Ces demandes ont été introduites par des groupements d'exploitants de discothèques, parmi lesquels le Bureau
européen des médias de l'industrie musicale, ainsi que par des exploitants individuels, parmi lesquels les trois requérants dans l'affaire T-5/93, à savoir Roger Tremblay, François Lucazeau et Harry Kestenberg.

4. Dans les plaintes adressées à la Commission, les requérants faisaient, en substance, valoir:

1) que les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents États membres se partageaient le marché par la conclusion de contrats de représentation réciproque, en vertu desquels il était interdit aux sociétés de gestion de traiter directement avec les utilisateurs établis sur le territoire d'un autre État membre;

2) que le taux de redevance de 8,25% du chiffre d'affaires, imposé par la SACEM, était excessif par rapport aux taux de redevances acquittées par les discothèques dans les autres États membres et que ce taux ne servait pas à rémunérer les sociétés de gestion représentées (notamment les sociétés étrangères), mais profitait exclusivement à la SACEM, qui reversait à ses représentés des sommes dérisoires;

3) que la SACEM imposait à tout utilisateur l'obligation d'acquérir l'intégralité de son répertoire, tant français qu'étranger, et refusait de concéder l'utilisation de son seul répertoire étranger, et

4) que la SACEM appliquait les taux de redevances de manière discriminatoire, favorisant les discothèques affiliées à certains syndicats.

5. L'instruction menée par la Commission contre la SACEM a été suspendue en attendant le résultat des demandes de décisions à titre préjudiciel adressées, entre décembre 1987 et août 1988, à la Cour par la cour d'appel d'Aix-en-Provence et par la cour d'appel et le tribunal de grande instance de Poitiers: Tournier ( 3 ), d'une part, et Lucazeau e. a. ( 4 ), d'autre part. Les questions déférées dans ces affaires visaient essentiellement à savoir si le comportement faisant l'objet des plaintes
précitées constituait une infraction aux articles 85 et/ou 86. Dans ses arrêts rendus, dans les deux affaires, le 13 juillet 1989, la Cour a dit pour droit que:

« L'article 85 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il interdit toute pratique concertée entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur des États membres qui aurait pour objet ou pour effet que chaque société refuse l'accès direct à son répertoire aux utilisateurs établis dans un autre État membre. Il appartient aux juridictions nationales de déterminer si une concertation à cet effet a effectivement eu lieu entre ces sociétés de gestion.

L'article 86 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une société nationale de gestion de droits d'auteur se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du marché commun impose des conditions de transaction non équitables, lorsque les redevances qu'elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres États membres, dans la mesure où la comparaison des niveaux de tarifs a été effectuée sur une base homogène. Il en serait
autrement, si la société de droits d'auteur en question était en mesure de justifier une telle différence, en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteur dans l'État membre concerné et celle dans les autres États membres. »

Dans l'arrêt Tournier, la Cour a également dit pour droit que:

« Le fait pour une société nationale de gestion de droits d'auteur en matière musicale de refuser l'accès des utilisateurs de musique enregistrée au seul répertoire étranger qu'elle représente n'a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence sur le marché commun que si l'accès à une partie du répertoire protégé pouvait entièrement sauvegarder les intérêts des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, sans pour autant augmenter les frais de la gestion des contrats et de la
surveillance de l'utilisation des œuvres musicales protégées. »

6. A la suite des arrêts rendus dans ces affaires, la Commission a continué à enquêter sur les pratiques de la SACEM, essentiellement en raison de demandes d'assistance émanant des juridictions et des autorités françaises. Bien que la Cour eût laissé aux autorités nationales et aux juridictions nationales le soin de décider si les redevances perçues par la SACEM étaient sensiblement plus élevées que celles perçues dans d'autres États membres, la Commission a considéré qu'il serait difficile pour ces
organismes nationaux d'effectuer eux-mêmes une telle comparaison, étant donné que ceux-ci n'avaient aucun pouvoir pour procéder à des investigations à l'étranger. Les résultats de l'instruction menée par la Commission ont été consignés dans un rapport daté du 7 novembre 1991. Ce rapport concernait le niveau des tarifs dans différents États membres et la prétendue discrimination en faveur de discothèques affiliées à certains syndicats.

7. Après avoir établi son rapport, la Commission a décidé d'invoquer l'article 6 du règlement no 99/63/CEE, du 25 juilllet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement no 17 du Conseil ( 5 ). L'article 6 stipule que: « Lorsque la Commission, saisie d'une demande en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement no 17, considère que les éléments qu'elle a recueillis ne justifient pas d'y donner une suite favorable, elle en indique les motifs aux
demandeurs et leur impartit un délai pour présenter par écrit leurs observations éventuelles. » Par lettre du 20 janvier 1992, la Commission a, conformément à l'article 6, écrit au Bureau européen des médias de l'industrie musicale (ci-après le « BEMIM ») pour lui indiquer qu'elle n'avait pas l'intention de donner une suite favorable à sa demande et pour lui donner l'occasion de présenter ses observations avant l'adoption de la décision définitive. (La Commission a considéré que les requérants
dans l'affaire T-5/93 ont eu connaissance de cette lettre, soit en tant que membres du BEMIM, soit par l'intermédiaire de leur avocat qui était également le conseil du BEMIM, de sorte qu'elle n'a pas estimé nécessaire de leur envoyer des communications individuelles.) Après avoir pris connaissance des observations présentées en réponse à sa lettre, la Commission a, par une nouvelle lettre (du 12 novembre 1992), notifié aux avocats agissant à la fois pour le BEMIM et pour les discothèques le rejet
définitif de leurs plaintes. En réponse à une demande quant à la signification de ce rejet, la Commission a adressé une troisième lettre (du 17 décembre 1992) aux mêmes avocats, dans laquelle elle a confirmé son intention de laisser aux juridictions nationales le soin d'examiner toutes les plaintes dont elle avait été saisie, que celles-ci concernent le niveau des tarifs ou la prétendue discrimination entre discothèques. Nous examinerons, ci-après, plus en détail les termes des deux premières
lettres, étant donné qu'une partie importante du principal moyen du pourvoi formé par les requérants concerne la mauvaise interprétation, par le Tribunal, des motifs de la décision de la Commission.

8. Dans sa lettre du 20 janvier 1992, la Commission a fait valoir qu'elle avait poussé la comparaison aussi loin que possible, compte tenu des moyens disponibles, et qu'une comparaison plus approfondie, tenant compte d'éléments régionaux ou locaux, nécessiterait des moyens administratifs considérables, sans pour autant garantir un résultat en rapport avec les efforts à engager. Dans cette lettre, la Commission a également indiqué que l'enquête ne permettait pas d'établir que les conditions de
l'application de l'article 86 étaient remplies en ce qui concerne le niveau des tarifs pratiqués par la SACEM à cette époque. Elle a estimé que, dans ces conditions, et eu égard notamment à la circonstance que les effets de l'abus allégué n'étaient ressentis pour l'essentiel que sur le territoire d'un seul État membre, voire une partie de ce territoire, l'intérêt communautaire commandait que la question soit traitée non pas par la Commission, mais, le cas échéant, par les autorités françaises, en
vertu des principes de subsidiante et de décentralisation.

9. A la dernière page de la lettre, sous le titre « Conclusions », la Commission a, en application de l'article 6 du règlement de la Commission no 99/63, déclaré qu'elle ne pouvait pas donner une suite favorable à la plainte, eu égard aux principes de subsidiarité et de décentralisation et compte tenu du défaut d'intérêt communautaire résultant de l'effet essentiellement national des pratiques dénoncées dans la plainte et du fait que plusieurs juridictions françaises en étaient déjà saisies.

10. Dans sa deuxième lettre, la Commission a précisé qu'elle n'entendait pas donner suite aux plaintes pour les raisons déjà exposées dans sa lettre du 20 janvier 1992 et que, sans réitérer ces raisons, elle se limitait aux arguments avancés par les requérants dans leurs observations. La Commission a, en résumé, fait les observations suivantes:

1) Les observations des requérants n'ont pas infirmé sa constatation que le centre de gravité de l'infraction alléguée se situait en France et que ses effets dans les autres États membres ne pouvaient être que très limités, que, par conséquent, cette affaire ne présentait pas une importance particulière pour le fonctionnement du marché commun et que dès lors l'intérêt communautaire commandait que les plaintes soient traitées par les autorités et juridictions nationales, plutôt que par la
Commission. Elle s'est, à cet égard, référée à l'arrêt rendu par le Tribunal le 18 septembre 1992 (c'est-à-dire après sa première lettre) dans l'affaire Automec/Commission ( 6 ) (ci-après « Automec II »).

2) L'arrêt rendu par le Tribunal de première instance dans l'affaire Automec II avait, au point 88, établi que la Commission pouvait rejeter une plainte au motif que les juridictions nationales étaient déjà saisies en la matière.

3) L'application du principe de « subsidiante » n'impliquait pas l'abandon de toute action de la part des autorités publiques, mais seulement la décision quant au point de savoir qui, de la Commission et de l'autorité nationale compétente en matière de concurrence, était le mieux en mesure de connaître du dossier. Étant donné que le centre de gravité des infractions alléguées se situait en France et qu'une autorité nationale compétente en matière de concurrence était, grâce au travail de la
Commission, en possession des informations nécessaires pour entreprendre la comparaison exigée par la Cour, il incombait à l'autorité nationale de poursuivre l'action publique s'il y avait lieu de le faire. En outre, de nombreuses juridictions françaises étaient déjà saisies de plaintes et seules les juridictions nationales étaient habilitées à accorder des dommages et intérêts. Il s'agissait par conséquent d'une application classique du principe de subsidiante qui ne s'est pas traduite par
une sorte de carence des autorités communautaires, mais par un simple transfert de compétence vers le niveau national.

4) L'utilisation du rapport de la Commission n'était pas restreinte pour des raisons de confidentialité en vertu de l'article 20 du règlement no 17, puisque le rapport concernait non pas le niveau des tarifs en vigueur, qui, de toute façon, étaient dans le domaine public, mais la comparaison du résultat pratique de l'application de ces tarifs à cinq types de discothèques.

5) Les juridictions nationales n'étaient pas tenues de suivre l'appréciation juridique des autorités administratives communautaires ou nationales.

6) La Commission n'était pas tenue d'examiner si d'éventuelles infractions aux règles de concurrence avaient eu lieu dans le passé dès lors que le but principal d'un tel examen était de faciliter l'octroi de dommages et intérêts.

7) Les comparaisons effectuées par la Commission étaient suffisantes pour permettre une décision quant à la question de savoir si les redevances fixées par la SACEM correspondaient à l'imposition de conditions de transaction non équitables au sens des arrêts rendus par la Cour.

11. Enfin, dans les deux derniers alinéas de sa deuxième lettre, la Commission a fait valoir:

1) en ce qui concerne l'entente ou la pratique concertée qui existerait entre la SACEM et les sociétés des autres États membres, qu'elle n'a pu recueillir aucun indice sérieux quant à une telle entente ou pratique concertée et que, même si une telle entente ou pratique concertée existait, il ne semblait pas en découler d'effet précis sur le niveau des tarifs, mais qu'elle était disposée à prendre en considération toute preuve formelle de l'existence et des effets de l'entente alléguée;

2) en ce qui concerne l'entente entre la SACEM et certains syndicats de discothèques, que les effets de cet accord auraient uniquement pu être ressentis en France au profit de certaines discothèques et aux dépens d'autres, et que, compte tenu des principes de coopération et de répartition des tâches entre la Commission et les États membres, c'était aux autorités nationales qu'il appartenait de statuer à son égard, d'autant que, même si la Commission et les autorités nationales partageaient la
compétence en matière d'application des règles de concurrence communautaires, seules les autorités nationales disposaient du droit d'allouer des dommages et intérêts; qu'en outre une éventuelle prise de position de la part de la Commission au sujet de cette entente n'était pas susceptible de lier les juridictions nationales.

L'arrêt du Tribunal

12. Dans son arrêt rendu le 24 janvier 1995 ( 7 ), le Tribunal a annulé la décision de la Commission pour autant qu'elle rejette le grief des requérants pris du cloisonnement du marché résultant de l'existence d'une prétendue entente entre la SACEM et les sociétés de gestion de droits d'auteur des autres États membres. Il a cependant rejeté le recours pour le surplus, maintenant par conséquent en vigueur la partie de la décision de la Commission relative au refus de poursuivre l'instruction portant
sur d'éventuelles ententes entre la SACEM et les discothèques auxquelles la SACEM impose des redevances pour les œuvres musicales de ses membres.

Arguments préliminaires

13. Avant d'examiner au fond les moyens du pourvoi formé devant la Cour, il convient d'examiner deux arguments préliminaires soulevés par la Commission concernant la recevabilité du pourvoi.

La nature de la demande

14. Les requérants demandent à la Cour l'annulation de la décision du Tribunal en ce qu'elle rejette la demande tendant à l'annulation de la partie de la décision de la Commission refusant de poursuivre l'instruction portant sur les accords entre la SACEM et les propriétaires de discothèques, ainsi que, en application de l'article 54 du statut de la Cour de justice, l'annulation de cette partie de la décision de la Commission. Ils vont cependant encore plus loin en demandant à la Cour de juger que
la Commission doit reprendre l'instruction du dossier et adresser une communication des griefs à la SACEM. La Commission a raison d'estimer qu'une demande de ce type est irrecevable. Il est bien établi qu'il n'appartient pas aux juridictions communautaires de donner des instructions aux institutions et que, conformément à l'article 176 du traité, il appartient à l'institution concernée de prendre les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt rendu dans le cadre d'un recours en annulation ( 8
).

Vices de procédure relevés par la Commission

15. La Commission relève deux vices de procédure dans le pourvoi formé par les requérants:

1) l'omission de la désignation des autres parties à la procédure devant le Tribunal, contrairement aux dispositions de l'article 112, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure, et

2) l'omission de la mention de la date à laquelle la décision attaquée a été notifiée aux parties requérantes, contrairement à l'article 112, paragraphe 2, du règlement de procédure.

16. Cependant, ces vices ne sont pas suffisants pour rendre la requête irrecevable; rien ne permet de penser que les autres parties à la procédure devant le Tribunal ont subi un préjudice du fait que leur nom n'a pas été mentionné à la première page du document et, par ailleurs, le pourvoi a été formé dans le délai prescrit, même si l'on considérait que ce délai commençait à courir à la date de l'arrêt.

Moyens du pourvoi

17. Nous allons maintenant considérer les différents moyens du pourvoi.

18. Nous examinerons tout d'abord ce qui apparaît, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, être le point essentiel du présent pourvoi: la Commission a-t-elle eu tort de renvoyer l'affaire aux autorités nationales ou, plus précisément, le Tribunal a-t-il eu tort dans la mesure où il a maintenu cette décision? Les requérants ont soulevé cette question à divers endroits, mais il convient d'examiner les différents arguments de manière conjointe. En premier lieu, ils indiquent que le Tribunal a commis une
erreur de droit en omettant de traiter la référence faite par la Commission à la subsidiarité. En deuxième lieu, ils contestent, dans le cadre de différents moyens, l'examen au fond de la décision de la Commission effectué par le Tribunal. Une troisième série d'arguments suppose que la Cour a annulé la décision du Tribunal et que, conformément à l'article 54 du statut, elle statue définitivement sur le litige: partant de ce principe, les requérants tentent, en se fondant sur différents moyens,
de démontrer que la décision de la Commission était fondée sur une mauvaise application du principe de subsidiarité. Strictement parlant, les arguments figurant dans la dernière partie du pourvoi sont, comme nous le démontrerons ci-après, irrecevables, mais, étant donné qu'il n'est pas aisé de démêler les différents arguments afférents à la subsidiarité, nous ne ferons pas de distinction à cet égard dans le cadre de ce moyen.

19. Avant d'examiner les différents arguments de manière individuelle, quelques remarques préliminaires nous semblent nécessaires. La répartition des fonctions entre, d'une part, la Commission et, d'autre part, les autorités nationales dans l'application des règles du traité en matière de concurrence soulève des questions qui viennent de faire l'objet d'un vaste débat. Une publication récente donne un résumé adéquat du cadre dans lequel se situe le problème ( 9 )

« La Commission est l'autorité chargée de façonner la politique communautaire en matière de concurrence, une tâche qu'elle doit exécuter dans l'intérêt général. Pour des raisons historiques, la Commission est également l'autorité principale chargée de surveiller le respect des articles 85 et 86 du traité CE dans la Communauté européenne.

Au cours des premières années des Communautés européennes, on tendait à centraliser l'application des règles de la concurrence entre les mains de la Commission. On considérait, de manière générale, que l'application des règles communautaires de la concurrence relevait en premier lieu de la Commission, alors que, du point de vue juridique, ces règles pouvaient également être appliquées au niveau national par les juridictions et les autorités compétentes en matière de concurrence. Compte tenu des
problèmes rencontrés par la Commission pour faire reconnaître ses pouvoirs dans les États membres et l'absence, du côté des États membres, de moyens adéquats pour appliquer les articles 85 et 86, la Commission a spontanément accepté le quasi-monopole qu'elle détenait de facto en matière d'application de la politique de concurrence. C'est ce qui lui a permis de créer un ensemble homogène de précédents pour ses décisions et sa pratique administrative, sous le contrôle de la Cour de justice et,
plus récemment, du Tribunal de première instance.

Avec le temps, les choses ont changé tant pour la Commission que pour les États membres. A l'heure actuelle, la Commission est reconnue comme étant la force motrice de la politique communautaire en matière de concurrence, alors que les États membres sont, de manière générale, considérés comme étant mieux à même d'appliquer tant leurs propres règles nationales en matière de concurrence que celles de la Communauté. Cette évolution facilitera, à l'avenir, une définition claire des rôles respectifs
de l'administration communautaire et des autorités nationales dans ce domaine du droit communautaire.

Le débat sur la subsidiante a accéléré la tendance, existante, vers une révision de la pratique administrative de la Commission afin d'assurer une participation plus active des autorités judiciaires et autres au niveau national à la surveillance du respect, par les entreprises, des articles 85 et 86 du traité. »

20. Il conviendrait peut-être de faire une distinction entre la notion de « subsidiante » telle qu'utilisée dans le présent débat et le principe de subsidiarité prévu à l'article 3 B du traité. En tout état de cause, il est clair que l'application du droit communautaire de la concurrence par les autorités nationales ne constitue pas un cas de subsidiarité dans le sens que les autorités nationales appliquent le droit national. Il serait peut-être plus approprié de parler de décentralisation plutôt
que de subsidiarité: l'idée est celle de l'application décentralisée du droit communautaire, par les autorités nationales plutôt que par la Commission. En pratique, la distinction risque cependant d'être moins claire, étant donné que les autorités nationales peuvent être amenées à appliquer tant les règles communautaires que les règles nationales de la concurrence.

21. La question qui se pose alors est celle de savoir sous quelles conditions la Commission peut décider de ne pas instruire une plainte dans l'hypothèse où le plaignant a un intérêt légitime, alors que la Commission considère qu'il n'y a pas d'intérêt communautaire suffisant.

22. Dans son arrêt rendu dans l'affaire Automec II, le Tribunal a jugé qu'il était légitime pour la Commission de décider de ne pas donner suite à une plainte pour défaut d'intérêt communautaire ( 10 ). A cet égard, la Commission se distingue d'une juridiction civile, qui doit sauvegarder les droits subjectifs des personnes privées dans leurs relations réciproques. Le Tribunal de première instance estime cependant que la Commission ne saurait se contenter de se référer abstraitement à l'intérêt
communautaire, mais qu'elle est tenue d'exposer les considérations de droit et de fait qui l'ont conduite à conclure qu'il n'y avait pas d'intérêt communautaire suffisant, conformément à l'article 190 du traité. En outre, la Commission doit tenir compte de l'étendue de la protection que les juridictions nationales peuvent assurer aux droits du plaignant qu'il tient en vertu du traité ( 11 ).

23. La Commission est en droit de rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire, non seulement avant d'avoir entamé une instruction de l'affaire, mais également après avoir pris des mesures d'instruction, si elle est amenée à cette constatation à ce stade de la procédure ( 12 ).

24. Après l'arrêt rendu dans l'affaire Automec II, la Commission a exposé son point de vue dans sa « Communication relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 85 et 86 du traité CEE » ( 13 ).

25. Pour sa part, la Cour de justice a jugé que, même si la Commission « n'est pas tenue d'adopter une décision établissant l'existence d'une infraction aux règles de concurrence ni de procéder à l'instruction de la plainte lorsqu'elle est saisie au titre du règlement no 17, elle est toutefois tenue d'examiner attentivement les moyens de fait et de droit soulevés par l'auteur de la plainte pour vérifier l'existence d'un comportement anticoncurrentiel. De plus, en cas de classement sans suite, la
Commission est obligée de motiver sa décision afin de permettre au Tribunal de vérifier si elle a commis des erreurs de fait ou de droit ou encore un détournement de pouvoir » ( 14 ).

26. A la lumière de ces considérations, nous examinerons maintenant les arguments des requérants concernant la question de la « subsidianté ».

Quant au grief tiré de l'erreur de droit commise par le Tribunal au motif qu'il a omis d'examiner la référence à la subsidianté faite par la Commission

27. Les requérants affirment que, en ne retenant pas la subsidianté parmi les motifs qui ont fondé le raisonnement de la Commission, le Tribunal a mal interprété les motifs de la décision de la Commission. Le Tribunal a constaté qu'« il ressort des points 6 à 8 de la décision litigieuse que la Commission a fondé le rejet des plaintes des requérants non sur le principe de subsidiarité, mais sur le seul motif d'un défaut d'intérêt communautaire suffisant ». Les requérants sont cependant d'avis que la
subsidiarité faisait partie des motifs de la Commission et que ce principe a été mal appliqué par la Commission.

28. La Commission fait valoir qu'elle a fondé le rejet des plaintes uniquement sur le défaut d'intérêt communautaire suffisant. A cela elle ajoute qu'elle a considéré que ce défaut d'intérêt communautaire résultait à la fois de l'effet essentiellement national des infractions alléguées et du fait que plusieurs juridictions françaises et le Conseil de la concurrence français étaient saisis d'affaires similaires. La Commission indique que, bien qu'elle n'ait, dans ses lettres, pas expliqué de manière
précise ce qu'elle entendait par le terme « subsidiarité » la signification apparaissait clairement dans son Vingt-deuxième Rapport sur la politique de concurrence de 1992. Dans ce rapport, elle expliquait que, en prônant la subsidiarité, elle voulait tout simplement dire qu'elle était favorable à un traitement au niveau des autorités nationales quand il s'agissait d'affaires dont l'impact était essentiellement national. La Commission précise que, en évoquant la subsidiarité dans la décision en
cause, elle n'entendait pas appliquer un principe général du droit autonome devant être respecté par les autorités communautaires.

29. Il est vrai que la Commission a fait référence à la « subsidiarité » dans ses deux lettres: il en était ainsi dans ses conclusions dans sa lettre du 20 janvier 1992 (voir points 8 et 9 ci-dessus) qu'elle a réitérées dans sa lettre du 12 novembre 1992 en y ajoutant des commentaires supplémentaires sur la subsidiarité, commentaires exposés au point 10, sous 3), ci-dessus ( 15 ). A notre avis, il découle cependant clairement des extraits des lettres de la Commission exposés ci-dessus que la
Commission ne s'est pas fondée sur la subsidiarité en tant que motif autonome de sa décision de ne pas poursuivre les plaintes. Elle a utilisé ce terme uniquement en vue d'exprimer l'idée que la plainte pourrait être examinée de manière plus adéquate par les autorités nationales. Ainsi qu'il apparaîtra ci-après, il s'agit là d'un des facteurs devant être pris en compte pour apprécier l'intérêt communautaire. Il en découle que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en omettant de traiter
cette question de manière séparée.

30. Les requérants font également valoir que la « dénaturation » de la décision de la Commission par le Tribunal découlant de l'absence de prise en compte de la référence à la subsidiante a entraîné une violation des droits de la défense, cela signifiant en effet que la question de savoir s'il convenait d'appliquer le principe de subsidiante n'a pas été traitée. Cependant, étant donné que nous estimons que le Tribunal n'a pas commis d'erreur en ne tenant pas compte de la référence à la subsidiante,
nous sommes d'avis que, par conséquent, il n'y a pas eu de violation des droits de la défense dans le chef des requérants.

L'intérêt communautaire et la question des priorités

31. Les requérants font valoir que, en vertu de l'arrêt rendu dans l'affaire Automec II ( 16 ), la Commission est en droit de tenir compte de l'intérêt communautaire que présente une plainte donnée uniquement en vue de déterminer la priorité qu'il convient d'accorder à cette plainte, et non pas en vue de justifier la décision de ne pas poursuivre la plainte. Au point 60 de son arrêt rendu dans la présente affaire, le Tribunal a rejeté ce point de vue. Son approche est compatible avec son arrêt rendu
dans l'affaire Automec II auquel se réfèrent les requérants. Bien que, dans cette affaire, le Tribunal ait fait référence à des « priorités », l'arrêt rendu concernait le rejet d'une plainte par la Commission. Au point 76 de cet arrêt, le Tribunal a en effet estimé que, la Commission n'ayant pas l'obligation de se prononcer sur l'existence ou non d'une infraction au droit communautaire dans une affaire donnée ( 17 ), elle ne saurait être contrainte de mener une instruction. La référence, dans
l'arrêt, à des « priorités » peut et doit être prise dans le sens que la Commission est en droit de décider de donner suite à certaines plaintes et de ne pas donner suite à d'autres.

32. Il doit cependant exister des moyens permettant de sauvegarder de manière adéquate tant les droits du plaignant que l'intérêt communautaire. Dans l'arrêt Automec II, le Tribunal a reconnu que, si la Commission ne saurait être tenue de mener une instruction, les garanties procédurales prévues à l'article 3 du règlement no 17 et à l'article 6 du règlement no 99/63 l'obligent néanmoins à examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, en vue d'apprécier si lesdits
éléments font apparaître un comportement de nature à fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et à affecter le commerce entre États membres ( 18 ). Il a également souligné que la lettre finale de la Commission, classant le dossier, doit être suffisamment motivée ( 19 ). De plus, le Tribunal s'est montré prêt à contrôler la motivation de la Commission dans son appréciation de l'intérêt communautaire lors du classement d'un dossier ( 20 ). Il existe par conséquent
suffisamment de garanties permettant d'assurer l'examen complet des plaintes par la Commission. C'est pourquoi nous sommes d'avis que le Tribunal n'a pas commis d'erreur en estimant que, étant donné que la Commission n'est pas tenue d'une obligation générale d'adopter une décision définitive quant à la question de savoir si le droit communautaire a été violé dans un cas particulier, elle a le droit, dans certaines circonstances et après avoir examiné avec soin les informations en sa possession,
de refuser d'instruire une plainte.

Sur la question de savoir si les pratiques en question avaient uniquement un impact national

33. Les requérants affirment que la Commission s'est trompée en considérant que les pratiques dénoncées comme infraction à l'article 86 avaient essentiellement un impact purement national. Cette conclusion avait été acceptée par le Tribunal. Cependant, étant donné que la question de savoir si les pratiques critiquées avaient essentiellement un impact purement national est une question de fait, un pourvoi fondé sur ce moyen est irrecevable devant la Cour.

Les facteurs devant être pńs en compte par la Commission pour décider s'il convient de donner suite à une plainte

34. Les autres arguments des requérants concernent les facteurs devant être pris en compte lorsqu'il s'agit d'apprécier si l'intérêt communautaire exige que la Commission poursuive une instruction. Ces questions sont des questions de droit recevables, pour lesquelles l'arrêt rendu par le Tribunal dans l'affaire Automec II fournit des indications précieuses ( 21 ). Dans l'arrêt Automec II, le Tribunal a estimé que, pour apprécier l'intérêt communautaire qu'il y a à poursuivre l'examen d'une affaire,
la Commission doit tenir compte des circonstances du cas d'espèce et, notamment, des éléments de fait et de droit qui lui sont présentés dans la plainte; il lui appartient, notamment, de mettre en balance l'importance de l'infraction alléguée pour le fonctionnement du marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l'étendue des mesures d'investigation nécessaires, en vue de remplir sa mission de surveillance du respect des articles 85 et 86 ( 22 ).

35. Dans la présente affaire, le Tribunal a jugé que, « lorsque les effets des infractions alléguées dans une plainte ne sont ressentis, pour l'essentiel, que sur le territoire d'un État membre et lorsque des juridictions et des autorités administratives compétentes de cet État membre ont été saisies, dans des litiges opposant le plaignant et l'entité visée par la plainte, la Commission est en droit de rejeter la plainte pour défaut d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre l'examen de
l'affaire, à condition toutefois que les droits du plaignant puissent être sauvegardés d'une façon satisfaisante notamment par les juridictions nationales » ( 23 ).

36. Les requérants affirment cependant que la Commission était mieux placée que les juridictions nationales pour traiter la question. Ils mettent l'accent sur la confusion qui existe au niveau des juridictions nationales et sur le besoin de sécurité juridique. Ils soulignent également le caractère inopportun de la référence, par la Commission, à l'arrêt rendu dans l'affaire Automec II dans sa décision de classer leurs plaintes, car, contrairement à la présente espèce, il n'y avait qu'une seule
affaire pendante devant les juridictions nationales ayant trait aux faits jugés dans l'affaire Automec II

37. Nous allons maintenant examiner la question de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit pour ce qui concerne les griefs précités.

38. Au point 59 de l'arrêt, le Tribunal a souligné que les requérants n'avaient aucun droit d'obtenir une décision définitive de la Commission. Il a fait valoir qu'il ressort d'une jurisprudence constante que l'article 3 du règlement no 17 ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu dudit article le droit d'obtenir une décision de la Commission, au sens de l'article 189 du traité, quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 ou à l'article 86 du traité et qu'il n'en va
autrement que si l'objet de la plainte relève des compétences exclusives de la Commission, comme le retrait d'une exemption accordée au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Le Tribunal a, de cette manière, rejeté les demandes des requérants en ce qu'elles consistaient à affirmer que la Commission était obligée d'adopter une décision définitive quant à la question de savoir s'il y a eu une infraction au droit communautaire. Il est manifeste qu'on ne saurait considérer que le Tribunal a
commis une erreur de droit en agissant de la sorte, car il est vrai qu'il n'existe aucune obligation générale, pour la Commission, d'adopter une décision définitive. Ce point de vue est conforme aux arrêts rendus par la Cour dans les affaires GEMA/Commission ( 24 ) et Delimitis ( 25 ), ainsi qu'à sa propre jurisprudence telle qu'elle apparaît dans l'arrêt Automec II et dans des arrêts postérieurs ( 26 ).

39. Concernant la question de savoir si la Commission aurait dû poursuivre l'instruction, le Tribunal a (au point 68 de son arrêt) estimé que « les droits d'un plaignant ne sauraient être considérés comme étant suffisamment protégés devant le juge national si ce juge n'était, compte tenu de la complexité de l'affaire, raisonnablement pas en mesure de réunir les éléments factuels nécessaires pour déterminer si les pratiques dénoncées dans la plainte constituent une infraction aux articles 85 et/ou 86
du traité ». Il s'est cependant assuré que, dans la présente espèce, le rapport de la Commission contenait suffisamment d'informations concernant le niveau des tarifs et la question de la discrimination entre les discothèques. En outre, quant au grief tiré du prétendu refus de la SACEM de concéder aux discothèques françaises l'utilisation du seul répertoire étranger, il a constaté que les requérants n'avaient avancé aucun argument concret de nature à mettre en doute la compétence des
juridictions françaises à réunir les éléments factuels nécessaires pour déterminer si cette pratique de la SACEM (entreprise française ayant son siège social en France) constituait une infraction à l'article 86 du traité. Concernant ces deux constatations, il convient de noter que les requérants ne contestent pas le caractère suffisant des informations disponibles. C'est pourquoi, le Tribunal n'a, à notre avis, pas commis d'erreur dans le raisonnement exposé ci-dessus. Nous sommes d'accord avec
l'idée que, pour justifier le refus de la Commission de poursuivre l'instruction d'une plainte, il est en tout cas essentiel que les juridictions nationales (ou les autorités nationales) soient compétentes pour traiter elles-mêmes la question. Nous estimons que, lorsque les juridictions nationales ont ladite compétence, la question de savoir quelle juridiction ou autorité aurait plus de facilité pour mener l'instruction en cause peut avoir de l'importance, mais nous pensons également que le fait
qu'il pourrait être plus facile pour la Commission de mener une instruction ne devrait pas à lui seul obliger la Commission à mener ladite instruction. A notre avis, la question de l'intérêt communautaire est plus large que la simple considération quant à la question de savoir quelle juridiction ou autorité aurait plus de facilité pour poursuivre l'affaire. Ainsi que le Tribunal l'a indiqué dans l'arrêt Automec II, d'autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte, comme l'importance de
l'infraction alléguée pour le fonctionnement du marché commun.

40. En réponse aux arguments des requérants concernant la prétendue confusion au niveau des juridictions nationales et la nécessité d'assurer une application correcte et uniforme des dispositions du traité en matière de concurrence, le Tribunal a estimé que le fait que le juge national pourrait rencontrer des difficultés dans l'interprétation des articles 85 ou 86 du traité n'est pas, compte tenu de la possibilité de faire un renvoi préjudiciel conformément à l'article 177 du traité, un élément que
la Commission est tenue de prendre en considération pour apprécier l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen d'une affaire (point 67). Ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, le Tribunal a considéré que les juridictions nationales avaient ou étaient en mesure de réunir suffisamment d'éléments pour statuer sur les infractions alléguées. Comme nous l'avons indiqué, cette constatation n'est pas contestée par les requérants et les motifs avancés par le Tribunal nous paraissent, par conséquent,
pleinement convaincants. Il est, à notre avis, également manifeste, que le Tribunal a eu raison de juger que « [contrairement à ce qu'affirment les requérants, la faculté de tenir compte de la saisine de juridictions nationales, comme critère pertinent pour l'évaluation de l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen d'une affaire, n'est pas limitée au seul cas où il existe une procédure nationale unique opposant le plaignant et la partie mise en cause dans la plainte » (point 62). On ne
saurait soutenir que, lorsque plusieurs actions sont pendantes, la Commission n'a pas le droit de renvoyer la question aux juridictions nationales.

41. Les requérants affirment également que deux des éléments auxquels les lettres de la Commission ont fait référence n'auraient pas dû être pris en compte par la Commission dans son appréciation quant à la question de savoir s'il était de l'intérêt communautaire de donner suite aux plaintes: le fait que seules des juridictions nationales peuvent accorder des dommages et intérêts et le fait que les juridictions nationales ne sont pas liées par une « décision » de la Commission. (Dans la lettre du 12
novembre 1992, la Commission n'a pas fait référence à l'effet sur les juridictions nationales d'une décision formelle, mais à celui d'une appréciation juridique par la Commission ( 27 ).) Étant donné que les requérants n'ont relevé aucune erreur de droit dans l'arrêt du Tribunal sur ces points, cette partie du pourvoi peut être considérée comme irrecevable.

42. Cependant, en tout état de cause, nous estimons que ces deux facteurs peuvent, à bon droit, être pris en compte. Alors que, à notre avis, le fait que seules les juridictions nationales peuvent octroyer des dommages et intérêts ne justifie pas en lui-même le rejet d'une plainte par la Commission, nous estimons que, dans le cadre de l'appréciation de la question de savoir s'il est de l'« intérêt communautaire » qu'une question soit traitée par la Commission, il peut, dans certains cas, être
opportun de tenir compte du fait que, en raison de la nature d'un cas particulier, une procédure sera, en tout état de cause, engagée au niveau national en vue d'obtenir des dommages et intérêts.

43. En faisant référence au fait que les juridictions nationales ne sont pas liées par ses appréciations juridiques, la Commission avait vraisemblablement à l'esprit que, eu égard à l'établissement de son rapport, donner suite à la plainte, sans aller jusqu'à une décision définitive, aurait signifié adopter un point de vue informel quant à la question de savoir s'il y a eu une infraction et que cela n'aurait eu que peu d'utilité, étant donné que les juridictions nationales n'auraient pas été liées
par une telle appréciation ( 28 ). A notre avis, on peut parfaitement prendre en compte une considération de ce type lorsqu'il s'agit d'apprécier s'il est de l'intérêt communautaire de donner suite à une plainte.

44. Avant d'achever l'examen de cette partie du pourvoi, il nous semble utile de souligner qu'il ne faut pas penser qu'il n'y aura jamais des circonstances, même dans des cas où sa compétence n'est pas exclusive, dans lesquelles la Commission sera obligée de poursuivre une instruction et, si elle estime qu'il y a une infraction, de prendre une décision définitive à cet égard. Au contraire, la discussion précitée montre clairement que, dans certains cas, cela peut être exigé par l'intérêt
communautaire. Les requérants n'ont cependant pas démontré que tel était le cas en l'espèce.

45. Les autres points soulevés dans le présent pourvoi peuvent être traités plus brièvement.

Quant au grief tiré de l'erreur de droit commise par le Tribunal au motif qu'il a omis d'apprécier depuis quand la Commission était saisie de l'affaire

46. Les requérants affirment qu'une erreur de droit est intervenue du fait que le Tribunal a considéré que l'instruction s'est étalée sur seulement six ans, au lieu de quatorze (à compter de 1979). Or, les pourvois devant la Cour de justice sont, comme nous l'avons vu ci-dessus, limités aux points de droit. Ce moyen est par conséquent irrecevable, étant donné que la question de la durée de l'instruction est une question de fait et non pas une question de droit. En tout état de cause, l'arrêt du
Tribunal commence, au point 1, par constater que la Commission a été saisie de nombreuses plaintes à compter de 1979.

Quant au grief tiré de l'erreur de droit commise par le Tribunal au motif qu'il a constaté la nouveauté des questions de droit

47. Les requérants affirment également que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que les questions soulevées par la plainte de 1986 étaient des questions de droit nouvelles. A cet effet, ils indiquent, à titre de preuve, que ces questions avaient été soumises à la Commission avant 1986. Là encore, il s'agit d'une question de fait. C'est pourquoi, ce moyen est également irrecevable.

Quant au grief tiré de l'erreur de droit commise par le Tribunal au motif qu'il a omis de relever les erreurs de droit commises par la Commission

48. Les requérants affirment que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne relevant pas celles commises par la Commission. La Commission estime que, l'absence de toute argumentation à l'appui de ce moyen, celui-ci doit être rejeté comme irrecevable. L'argument de la Commission est très percutant. Il est constant qu'un requérant doit invoquer des erreurs de droit de la part du Tribunal pour que son pourvoi soit recevable ( 29 ). Il est vrai que les requérants traitent également la question des
prétendues erreurs de la Commission dans la partie de leur pourvoi concluant à l'annulation de la décision de la Commission, au lieu du simple renvoi de l'affaire devant le Tribunal, et que l'on aurait pu élucider les arguments des requérants en se reportant à cette partie du pourvoi. Cependant, comme nous le soulignons ci-après, cette partie du pourvoi est, en tout état de cause, manifestement irrecevable.

Quant au grief tiré de l'erreur de droit commise par le Tribunal au motif qu'il a adopté des motifs contradictoires

49. Les requérants prétendent que le Tribunal a commis une erreur de droit en adoptant des motifs contradictoires. D'une part, il a annulé la partie de la décision de la Commission dans laquelle celle-ci a refusé de poursuivre l'instruction des prétendus accords entre les sociétés de gestion de droits d'auteur, alors que, d'autre part, il a maintenu la partie de la décision dans laquelle la Commission a décidé de renvoyer la question d'une éventuelle infraction à l'article 86 aux autorités
nationales. Les requérants estiment que ces deux aspects sont indissociables: ils font valoir que la fixation de prix excessifs alléguée découle du cloisonnement du marché. Cependant, en annulant la décision de la Commission pour ce qui concerne le premier aspect, le Tribunal n'a pas indiqué qu'il considérait qu'il appartenait plutôt à la Commission qu'aux juridictions nationales de prendre une décision quant à la prétendue infraction à l'article 85. Il a annulé cette partie de la décision
uniquement en raison de l'insuffisance des motifs. On peut en déduire que, si la Commission avait suffisamment motivé, elle aurait, à bon droit, pu renvoyer la question aux juridictions nationales. On ne saurait par conséquent relever aucune contradiction dans la décision du Tribunal. Par conséquent, nous considérons que le Tribunal n'a pas adopté des motifs contradictoires.

Quant au grief tiré de l'erreur de droit commise par le Tribunal dans ses constatations concernant la confidentialité des investigations de la Commission

50. Les requérants prétendent que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que la confidentialité du dossier de la Commission ne constituait pas un obstacle à la possibilité, pour les juridictions nationales, de trancher la question d'un éventuel abus de position dominante. Le Tribunal a estimé que la Commission pouvait communiquer son rapport sur la comparaison des tarifs aux juridictions nationales au motif que les indications relatives au niveau des tarifs étaient des informations se
trouvant dans le domaine public.

51. Les arguments développés par les requérants sur ce point ne sont pas très clairs. Il est notamment difficile de déterminer s'ils prétendent que le rapport est confidentiel. Il convient cependant de noter que, même si leur argumentation va dans ce sens, la question de savoir si l'information contenue dans le rapport relevait du domaine public est une question de fait et qu'un pourvoi sur cette question devant la Cour est par conséquent irrecevable.

52. Les requérants affirment également qu'il y a d'autres éléments de preuve dans le dossier de la Commission qui ne peuvent pas être divulgués aux juridictions nationales. Cependant, cet argument n'a aucune incidence, étant donné que, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, ils ne prétendent pas que les documents que la Commission a communiqués aux juridictions nationales ne sont pas suffisants pour permettre à celles-ci de prendre une décision quant au point de savoir s'il y a eu une infraction à
l'article 86.

Quant au grief tiré de la violation, par la Commission, de principes généraux du droit et du détournement de pouvoir par la Commission

53. Enfin, les requérants affirment que la Commission a enfreint des principes généraux du droit et commis un détournement de pouvoir. Cependant, ces griefs, ainsi que certains arguments relatifs à la subsidiante examinés ci-dessus, apparaissent dans une partie spéciale du pourvoi des requérants, partie qui présume, de manière expresse, que la Cour de justice a annulé la décision du Tribunal et que, conformément à l'article 54 du statut, elle statuera elle-même définitivement sur le litige. Il
apparaît donc que cette partie du pourvoi des requérants ne cherche pas à alléguer des erreurs de droit commises par le Tribunal, mais émet des griefs ayant trait à la Commission et qui sont totalement indépendants des critiques émises à l'égard de l'arrêt. En effet, les requérants se limitent, pour partie, à répéter les éléments présentés devant le Tribunal.

54. Cette manière de procéder démontre, à notre avis, que les requérants ont mal compris la nature du pourvoi. Les motifs du pourvoi doivent être fondés sur les éléments critiqués de l'arrêt du Tribunal ( 30 ). La Cour ne peut statuer définitivement sur le litige que si les questions sont résolues par le biais de l'analyse de cet arrêt. Les requérants ne sauraient présenter des arguments indépendamment de toute critique à l'égard de l'arrêt ni se borner à répéter ceux déjà présentés devant le
Tribunal ( 31 ).

55. Il en découle que les arguments présentés en dernier lieu par les requérants sont manifestement irrecevables.

Conclusion

56. Il en découle que tous les moyens du pourvoi sont soit irrecevables, soit non fondés.

57. En conséquence, la Cour devrait, à notre avis:

1) rejeter le pourvoi;

2) condamner les requérants aux dépens.

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( *1 ) Langue originale: l'anglais.

( 1 ) Arrêt du 24 janvier 1995, Rec. p. II-185.

( 2 ) JO 1962, 13, p. 204.

( 3 ) 395/87, Rcc. p. 2521.

( 4 ) 110/88, 241/88, et 242/88, Rcc. p. 2811.

( 5 ) JO 1963, 127, p. 2268.

( 6 ) T-24/90, Rec. p. II-2223.

( 7 ) Précité à la note 1. Le même jour, le Tribunal a rendu un arrêt dans une affaire connexe, BEMIM/Commission (T-114/92, Rec. p. II-147).

( 8 ) Voir, par exemple, arrêts du 24 juin 1986, AKZO/Commission (53/85, Rec. p. 1965, point 23); du 18 septembre 1995, Ladbroke Racing/Commission (T-548/93, Rec. p. II-2565, point 54), et du 9 janvier 1996, Koelman/Commission (T-575/93, Rec. p. II-1, point 29).

( 9 ) Ortiz Blanco, Luis: EC Competition Procedure, Oxford 1996, p. 11 et 12 (sans les notes en bas de page). Voir également les commentaires de l'éditeur, « Subsidiarity in EC Competition law enforcement », Common Market Law Review, 1995, p. 1 ainsi que les article qui y sont cités; Kamburoglou, P.: « EWG-Wettbewerbspolitik und Subsidiarität », Wirtschaft und Wettbewerb, 1993, p. 273; Rodgers, B.: « Decentralisation and National Competition Authorities: Comparison with the Conflicts/Tensions under
the Merger Regulation », European Competition Law Review, 1994, p. 251, et Van Der Woude, M.: « Nationale rechters en de EG Commissie: Subsidiariteit, decentralisatie of gewoon samenwerken », Nederlands Juristenblad, 1993, p. 585.

( 10 ) Voir également les arrêts du 29 juin 1993, Asia Motor France c. a. /Commission (T-7/92, Rec. p. II-669); du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission, (T-37/92, Rec. p. II-285); BEMIM/Commission, précité à la note 7; Ladbrokc Racing/Commission, précité à la note 8, et l'arrêt du 24 janvier 1995, Ladbrokc/Commission (T- 74/92, Rcc. p. II-115).

( 11 ) Voir points 71 à 98 de l'arrêt.

( 12 ) BEMIM/Commission, précité à la note 7, point 81 de l'arrêt.

( 13 ) JO 1993, C 39, p. 6, voir, spécialement, sections III et IV.

( 14 ) Arrêt du 19 octobre 1995, Rendo c. a. /Commission (C-19/93 P, Rec. p. I-3319, point 27).

( 15 ) Voir points 8 à 10 ci-dessus.

( 16 ) Précité à la note 6.

( 17 ) Arrêt du 18 octobre 1979, GEM A/Commission (125/78, Rec. p. 3173, points 17 et 18). Voir également, par exemple, l'arrêt Automec II, précité à la note 6, points 75 et 76; arrêts du du 18 novembre 1992, Rendo e. a. /Commission (T-16/91, Ree. p. II-2417, point 98); du 19 octobre 1995, Rendo e. a. /Commission, précité à la note 14, point 27, et, plus récemment, arrêt Koclman/Commission, précité à la note 8, point 39.

( 18 ) Point 79 de l'arrêt. Voir également les arrêts du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission (210/81, Rec. p. 3045, point 19); du 28 mars 1985, CICCE/Commission (298/83, Ree. p. 1105, point 18); du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission (142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 20, et du 19 octobre 1995, Rendo e. a./Commission, précité à la note 14, point 27.

( 19 ) Point 85 de l'arrêt; arrêt du 19 octobre 1995, Rendo c. a./ Commission, précité à la note 14, point 27. Voir également l'arrêt du 16 juin 1994, SFEI c. a. /Commission (C-39/93 P, Rec. p. I-2681, points 31 et 32), dans lequel la Cour a jugé qu'une lettre de classement peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel conformément à l'article 173 du traité, peu importe que cette lettre contienne ou non une appréciation quant à l'éventuelle violation du traité.

( 20 ) Arrêt BEUC et NCC/Commission, précité à la note 10.

( 21 ) Voir également les conclusions de M. le juge Edward faisant fonction d'avocat général dans cette affaire.

( 22 ) Point 86 de l'arrêt.

( 23 ) Point 65 de l'arrêt.

( 24 ) Précité à la note 17.

( 25 ) Arrêt du 28 février 1991 (C-234/89, Rec. p. I-935, points 43 et suiv.).

( 26 ) Précités aux notes 6 et 17.

( 27 ) Les expressions utilisées sont « appréciation juridique » et « prise de position ».

( 28 ) Arrêt du 10 juillet 1980, Giry et Guerlain c. a. , (253/78, 1/79, 2/79 et 3/79, Rec. p. 2327, point 13).

( 29 ) Voir ordonnance du 24 avril 1996, CNPAAP/Conscil (C-87/95 P, Rec. p. I-2003, point 31).

( 30 ) Voir, par exemple, ordonnance CNPAAP/Conseil, précitée à la note 29, points 29 et 31.

( 31 ) Voir ordonnances du 26 septembre 1994, X/Commission (C-26/94 P, Rec. p. I-4379, point 13); du 14 décembre 1995, Hogan/Cour de justice, (C-173/95 P, Rec. p. I-4905, point 20), et CNPAAP/Conseil, précitée à la note 29, point 30.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-91/95
Date de la décision : 20/06/1996
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi - Concurrence - Rejet d'une plainte - Défaut d'intérêt communautaire.

Position dominante

Ententes

Concurrence

Pratiques concertées

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale


Parties
Demandeurs : Roger Tremblay, Harry Kestenberg et Syndicat des exploitants de lieux de loisirs (SELL)
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:246

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