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07/03/1996 | CJUE | N°C-278/93

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Edith Freers et Hannelore Speckmann contre Deutsche Bundespost., 07/03/1996, C-278/93


Affaire C-278/93

Edith Freers et Hannelore Speckmann
contre

...

Affaire C-278/93

Edith Freers et Hannelore Speckmann
contre
Deutsche Bundespost

(demande de décision préjudicielle, formée par l'Arbeitsgericht Bremen)

«Discrimination indirecte à l'encontre des travailleurs féminins – Indemnisation de la participation à des stages de formation dispensant aux membres des comités du personnel les connaissances nécessaires à l'exercice de leurs fonctions»

Conclusions de l'avocat général M. M. Darmon, présentées le 5 juillet 1994

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 7 mars 1996

Sommaire de l'arrêt

1..
Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Égalité de rémunération – Rémunération – Notion – Compensation en raison de la participation à une représentation du personnel – Inclusion
(Traité CEE, art. 119; directive du Conseil 75/117)

2..
Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Égalité de rémunération – Compensation des pertes de salaire subies à raison de la participation à des stages de formation destinés aux membres des comités du personnel organisés pendant l'horaire de travail à temps plein – Réglementation nationale limitant à concurrence de leur horaire individuel de travail la compensation due aux participants employés à temps partiel – Différence de traitement par rapport aux
participants employés à temps plein – Effectif des travailleurs à temps partiel composé principalement de femmes – Inadmissibilité en l'absence de justifications objectives
(Traité CEE, art. 119; directive du Conseil 75/117)

1.
La notion de rémunération au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu'ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier, que ce soit en
vertu d'un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire. Relève de cette notion la compensation accordée à un travailleur masculin ou féminin en raison de sa participation à une représentation du personnel, instituée par la loi. En effet, bien qu'une telle compensation ne découle pas, en tant que telle, du contrat d'emploi, elle constitue néanmoins un avantage octroyé indirectement par l'employeur, car elle est payée en vertu de dispositions législatives et en
raison de l'existence de rapports de travail salarié.

2.
Dans l'hypothèse où la catégorie des travailleurs à temps partiel comprend un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes, contrevient à l'interdiction de discrimination indirecte en matière de rémunération que posent l'article 119 du traité et la directive 75/117, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, une législation
nationale qui, sans être apte à atteindre un objectif légitime de politique sociale et nécessaire à cet effet, a pour conséquence de limiter, à concurrence de leur horaire individuel de travail, la compensation que les membres de comités du personnel employés à temps partiel doivent recevoir de leur employeur, au titre de leur participation à des stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité des comités du personnel, organisés pendant l'horaire de travail à temps
plein en vigueur dans l'entreprise, mais excédant leur horaire individuel de travail à temps partiel, alors que les membres de comités du personnel travaillant à temps plein obtiennent une compensation, au titre de leur participation à ces mêmes stages, à concurrence de leur horaire de travail.

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
7 mars 1996 (1)

«Discrimination indirecte à l'encontre des travailleurs féminins – Indemnisation de la participation à des stages de formation dispensant aux membres des comités du personnel les connaissances nécessaires à l'exercice de leurs fonctions»

Dans l'affaire C-278/93,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par l'Arbeitsgericht Bremen (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Edith Freers, Hannelore Speckmann

et

Deutsche Bundespost,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 119 du traité CEE et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19),

LA COUR (sixième chambre),,

composée de MM. C. N. Kakouris, président de chambre, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Darmon,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:


pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Claus-Dieter Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,


pour la Commission des Communautés européennes, par M me Karen Banks, membre du service juridique, et M. Horstpeter Kreppel, fonctionnaire national détaché auprès de ce service, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M ^ mes Freers et Speckmann, représentées par M. Klaus Lörcher, Justitiar der Deutschen Postgewerkschaft ─ Hauptvorstand, du gouvernement allemand, représenté par M. Ernst Röder, et de la Commission, représentée par M. Horstpeter Kreppel, à l'audience du 28 avril 1994,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 5 juillet 1994,

rend le présent

Arrêt

1
Par ordonnance du 5 mai 1993, parvenue à la Cour le 14 mai suivant, l'Arbeitsgericht Bremen a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, trois questions sur l'interprétation de l'article 119 du traité CEE et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19, ci-après
la directive).

2
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M ^ mes Freers et Speckmann (ci-après les demanderesses au principal) à la Deutsche Bundespost (ci-après la défenderesse au principal) au sujet de la compensation des heures effectuées par les demanderesses au principal dans le cadre d'un séminaire de formation nécessaire à l'exercice de leurs activités au sein du comité du personnel, mais en dehors de leur horaire individuel de travail.

3
Les demanderesses au principal sont employées à temps partiel à raison de 18 heures par semaine par la défenderesse au principal. En tant que membres du comité du personnel, elles ont participé, du 9 au 14 février 1992, à un séminaire de formation d'une durée d'environ 38,5 heures, soit la durée hebdomadaire de travail prévue par la convention collective pour un salarié à temps plein.

4
Pendant la durée de ce séminaire, la défenderesse au principal a continué à verser aux demanderesses au principal leur salaire normal calculé sur la base de leur activité à temps partiel. S'appuyant sur la législation allemande, elle ne leur a toutefois pas versé de rémunération supplémentaire et ne leur a pas non plus offert de mise en disponibilité rémunérée pour les heures de cours qui dépassaient la durée normale de leur horaire de travail.

5
Les comités du personnel institués auprès des administrations fédérales, dont fait partie la défenderesse au principal, sont soumis au Bundespersonalvertretungsgesetz (loi applicable à la représentation du personnel fédéral, ci-après le BPersVG) du 15 mars 1974 ( BGBl I, p. 693), dans la version du 16 janvier 1991 ( BGBl I, p. 47). Selon les paragraphes 1, 2, 5 et 6 de l'article 46 du BPersVG:

1)
Les membres du comité du personnel remplissent leurs fonctions à titre bénévole.

2)
Le temps de travail que consacrent les membres du comité du personnel au bon exercice de leur mission n'entraîne de diminution ni de salaire ni de rémunération. Si des membres du comité du personnel sont mis à contribution pour l'accomplissement des tâches qui leur incombent pour une durée supérieure à leur horaire de travail normal, ils bénéficient d'une mise en disponibilité rémunérée pour le nombre d'heures correspondant.

5)
Les membres du comité du personnel entièrement libérés de leurs obligations professionnelles perçoivent une indemnité mensuelle de représentation. Les membres du comité du personnel libérés partiellement, mais au moins pour moitié, de leur durée de travail normale perçoivent la moitié de l'indemnité de représentation visée à la première phrase. Le montant de l'indemnité de représentation est fixé par arrêté gouvernemental qui n'est pas soumis à l'approbation du Bundesrat.

6)
Les membres du comité du personnel sont libérés de leurs obligations professionnelles, avec maintien de leur rémunération, pour participer à des stages de perfectionnement et de formation qui dispensent des connaissances nécessaires à l'exercice de leurs fonctions au comité du personnel.

7
Cette disposition est rédigée en des termes analogues à ceux de l'article 37 du Betriebsverfassungsgesetz (loi sur l'organisation des entreprises, ci-après le BetrVG) du 15 janvier 1972 ( BGBl , p. 13), dans la version du 23 décembre 1988 ( BGBl , 1989, p. 1, corrigé à la p. 902), modifiée par la loi du 18 décembre 1989 ( BGBl I, p. 2386), qui concerne les comités d'entreprise.

8
Cet article prévoit, en effet, en ses paragraphes 1, 2, 3 et 6:

1)
Les membres du comité d'entreprise exercent leurs fonctions à titre bénévole.

2)
Les membres du comité d'entreprise sont libérés de leurs obligations professionnelles sans réduction de leur salaire si et dans la mesure où, suivant la taille et la nature de l'entreprise, cela s'avère nécessaire au bon exercice de leur mission.

3)
En compensation des heures consacrées au comité d'entreprise en dehors de son horaire de travail pour des motifs liés à l'entreprise, le membre d'un comité d'entreprise a droit à un congé correspondant avec maintien de son salaire. Le congé est accordé dans un délai d'un mois; si cela n'est pas possible pour des motifs liés à l'entreprise, le temps consacré au comité d'entreprise fait l'objet d'une indemnisation comme heures supplémentaires. ...

6)
Le paragraphe 2 est applicable par analogie à la participation à des stages de perfectionnement et de formation dans la mesure où y sont dispensées des connaissances nécessaires à l'activité du comité d'entreprise. Le comité d'entreprise tient compte, pour la fixation des horaires de participation aux stages de perfectionnement et de formation professionnelle, des nécessités de l'entreprise. Il notifie en temps utile à l'employeur la participation et l'horaire de participation à ces stages.
Lorsque l'employeur estime qu'il n'a pas été tenu suffisamment compte des nécessités de l'entreprise, il peut en appeler au comité de conciliation. La décision du comité de conciliation tient lieu d'accord entre l'employeur et le comité d'entreprise.

9
Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les articles 46 du BPersVG et 37 du BetrVG ont été interprétés par le Bundesarbeitsgericht et par le Bundesverwaltungsgericht en ce sens que les membres des comités du personnel ou des comités d'entreprise n'ont pas droit à un congé rémunéré avec compensation du salaire pour la participation à des stages de formation organisés en dehors de leur horaire normal de travail.

10
Dans l'arrêt du 4 juin 1992, Bötel (C-360/90, Rec. p. I-3589), la Cour a dit pour droit que l'article 119 du traité et la directive s'opposent à ce qu'une législation nationale applicable à un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes limite, à concurrence de leur horaire individuel de travail, l'indemnisation que les membres de comités d'entreprise employés à temps partiel doivent recevoir de leur employeur, sous forme de congé payé ou de rémunération d'heures supplémentaires, au
titre de leur participation à des stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité des comités d'entreprise, organisés pendant l'horaire de travail à temps plein en vigueur dans l'entreprise, mais excédant leur horaire individuel de travail à temps partiel, alors que les membres de comités d'entreprise travaillant à temps plein sont indemnisés, au titre de leur participation à ces mêmes stages, à concurrence de l'horaire de travail à temps plein.

11
La Cour a néanmoins estimé qu'il reste loisible à l'État membre d'établir que ladite législation est justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

12
La juridiction de renvoi considère que l'arrêt Bötel, précité, ne tient pas compte des spécificités du régime des membres des comités du personnel en droit allemand. Elle estime en effet que le principe du bénévolat, qui a pour objet de garantir l'indépendance des membres de ces comités, serait remis en cause par cette jurisprudence.

13
Dans ces conditions, l'Arbeitsgericht Bremen a sursis à statuer et a invité la Cour à se prononcer sur les questions préjudicielles suivantes:

1)
La compensation accordée à un travailleur masculin ou féminin en raison de sa participation à une représentation du personnel instituée par la loi constitue-t-elle une rémunération au sens des dispositions de droit européen relatives à l'égalité de salaire entre hommes et femmes (article 119 du traité CEE, directive du Conseil 75/117/CEE du 10 février 1975)?

2)
Si la première question appelle une réponse affirmative, le fait que les dispositions du droit national ne prévoient pas de rémunérer la participation à la représentation du personnel mais d'appliquer le principe de la compensation de la perte de salaire (Lohnausfallprinzip) constitue-t-il un motif objectif de discrimination qui n'a rien à voir avec la discrimination des femmes?

3)
S'il est répondu à la deuxième question par la négative, le fait que ces travailleurs employés à temps partiel continuent certes à n'être rémunérés que sur la base de leur activité à temps partiel lorsqu'ils participent à un séminaire qui dure une journée complète, mais que, par ailleurs, l'employeur continue de payer des heures supplémentaires aux salariés qui en effectuent habituellement, même lorsque la durée du séminaire concorde avec une journée normale de travail, constitue-t-il un tel
motif objectif de discrimination?

Sur la première question

14
Le gouvernement allemand considère que l'indemnisation visée par la législation en cause ne saurait constituer une rémunération au sens de l'article 119 du traité. Les fonctions au sein des comités du personnel seraient en effet exercées à titre bénévole et l'indemnisation perçue ne viserait qu'à compenser la perte de revenus subie par les membres de ces comités lorsque les activités de représentation du personnel ou les séances d'information ou de formation nécessaires à l'exercice correct
de ces activités ont lieu pendant le temps de travail.

15
Par ailleurs, le gouvernement allemand estime que le fait que l'activité de représentant des salariés s'exerce dans l'intérêt général de l'employeur ne saurait suffire à donner à la compensation de cette activité le caractère d'une rémunération. Il observe au demeurant que la représentation du personnel constitue l'essentiel des tâches attribuées à ces comités.

16
A titre liminaire, il convient de rappeler que les notions et qualifications juridiques établies par le droit national ne sauraient affecter l'interprétation ou la force obligatoire du droit communautaire ni, par conséquent, la portée du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins consacré par l'article 119 du traité et la directive et développé par la jurisprudence de la Cour (voir, en dernier lieu, arrêt du 6 février 1996, Lewark,
C-457/93, non encore publié au Recueil, point 20).

17
Il y a lieu ensuite de souligner qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que la notion de rémunération au sens de l'article 119 du traité comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu'ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier, que ce soit en vertu d'un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire (voir arrêts Lewark, précité, point 21, et du 17 mai
1990, Barber, C-262/88, Rec. p. I-1889, point 12).

18
Or, comme l'a constaté la Cour dans l'arrêt Bötel, précité, point 14, bien qu'une indemnisation telle que celle en cause dans le litige au principal ne découle pas, en tant que telle, du contrat d'emploi, elle est néanmoins payée par l'employeur en vertu de dispositions législatives et en raison de l'existence de rapports de travailleurs salariés. En effet, les membres d'un comité du personnel doivent nécessairement avoir la qualité de salarié de l'entreprise pour pouvoir participer au
comité de cette dernière.

19
Il s'ensuit que la compensation obtenue en raison de la perte de salaire encourue à l'occasion de la participation à des stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité au sein des comités du personnel doit être considérée comme une rémunération au sens de l'article 119 et de la directive, dès lors qu'elle constitue un avantage octroyé indirectement par l'employeur en raison de l'existence d'une relation de travail.

20
Il résulte de ce qui précède que la compensation accordée à un travailleur masculin ou féminin en raison de sa participation à une représentation du personnel, instituée par la loi, constitue une rémunération au sens de l'article 119 du traité et de la directive.

Sur les deuxième et troisième questions

21
Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si l'article 119 du traité et la directive s'opposent à une législation nationale qui limite, à concurrence de leur horaire individuel de travail, la compensation que les membres de comités du personnel employés à temps partiel doivent recevoir de leur employeur, au titre de leur participation à des stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité des comités du personnel,
organisés pendant l'horaire de travail à temps plein en vigueur dans l'entreprise, mais excédant leur horaire individuel de travail à temps partiel, alors que les membres de comités du personnel travaillant à temps plein obtiennent une compensation, au titre de leur participation à ces mêmes stages, à concurrence de leur horaire de travail.

22
A titre liminaire, il convient de rappeler que l'exclusion des travailleurs à temps partiel de certains avantages est en principe contraire à l'article 119 du traité lorsqu'il s'avère qu'un pourcentage considérablement plus élevé de femmes que d'hommes travaillent à temps partiel. Il n'en serait autrement qu'au cas où la différence de traitement constatée se justifierait par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

23
S'agissant de dispositions nationales similaires à celles en cause dans l'affaire au principal, la Cour a estimé, dans ses arrêts Bötel et Lewark, précités, d'une part, qu'elles entraînaient en principe une discrimination à l'encontre des travailleurs féminins, contraire à l'article 119 du traité et à la directive et, d'autre part, qu'il restait loisible à l'État membre d'établir que ladite législation était justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le
sexe.

24
Il résulte d'une jurisprudence constante que, même s'il appartient à la juridiction nationale, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, de constater l'existence de tels facteurs objectifs dans le cas concret dont elle est saisie, la Cour, appelée à fournir au juge national des réponses utiles, est compétente pour donner des indications, tirées du dossier de l'affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à permettre à la juridiction
nationale de statuer (voir, notamment, arrêt du 30 mars 1993, Thomas e.a., C-328/91, Rec. p. I-1247, point 13).

25
Le gouvernement allemand observe que, s'il devait y avoir une inégalité de traitement, celle-ci serait justifiée par le principe de la gratuité de la fonction de membre du comité du personnel qui vise à garantir l'indépendance de ses membres. Le caractère bénévole de cette activité ainsi que l'interdiction de tout avantage ou désavantage fondé sur cette fonction auraient pour but d'assurer cette indépendance. Ils garantiraient ainsi que la décision de se présenter aux élections des comités
du personnel est guidée par des préoccupations d'intérêt général et non par le désir d'obtenir un avantage financier.

26
Par ailleurs, il ressort de l'arrêt Lewark, précité, que le Bundesarbeitsgericht a, s'agissant de dispositions similaires concernant les comités d'entreprise, considéré que la volonté du législateur allemand de placer l'indépendance des membres de ces comités au-dessus de l'incitation économique à y exercer des fonctions, telle qu'elle s'exprime dans les dispositions en cause, constitue un objectif de politique sociale.

27
Un tel objectif apparaît en lui-même comme étranger à toute discrimination fondée sur le sexe. Il ne saurait en effet être contesté que l'action des comités du personnel favorise le développement de rapports de travail harmonieux au sein des entreprises en assurant, notamment, la représentation des intérêts des travailleurs. Dès lors, le souci de garantir l'indépendance des membres de ces comités répond également à un objectif légitime de politique sociale.

28
Il convient de rappeler que, si un État membre est en mesure d'établir que les moyens choisis répondent à un but nécessaire de sa politique sociale, sont aptes à atteindre l'objectif poursuivi par celle-ci et sont nécessaires à cet effet, la seule circonstance que la disposition législative frappe un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs féminins que de travailleurs masculins ne saurait être considérée comme une violation de l'article 119 et de la directive (voir arrêts du 24 février
1994, Roks e.a., C-343/92, Rec. p. I-571, et du 14 décembre 1995, Megner et Scheffel, C-444/93, non encore publié au Recueil).

29
Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, au vu de tous les éléments pertinents et en tenant compte de la possibilité d'atteindre l'objectif de politique sociale en cause par d'autres moyens, si la différence de traitement litigieuse est apte à atteindre ledit objectif et nécessaire à cet effet.

30
Ce faisant, la juridiction de renvoi doit tenir compte, comme la Cour l'a déjà relevé dans l'arrêt Bötel, précité, point 25, du fait qu'une législation telle que celle en cause est de nature à dissuader la catégorie des travailleurs à temps partiel, dans laquelle la proportion de femmes est incontestablement prépondérante, d'exercer les fonctions de membre d'un comité du personnel ou d'acquérir les connaissances nécessaires à l'exercice de ces fonctions, rendant ainsi plus difficile la
représentation de cette catégorie de travailleurs par des membres de comités du personnel qualifiés.

31
Il résulte de ce qui précède que, dans l'hypothèse où la catégorie des travailleurs à temps partiel comprend un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes, l'interdiction de discrimination indirecte en matière de rémunération, telle qu'elle figure à l'article 119 et à la directive, s'oppose à une législation nationale qui, sans être apte à atteindre un objectif légitime de politique sociale et nécessaire à cet effet, a pour conséquence de limiter, à concurrence de leur horaire
individuel de travail, la compensation que les membres de comités du personnel employés à temps partiel doivent recevoir de leur employeur, au titre de leur participation à des stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité des comités du personnel, organisés pendant l'horaire de travail à temps plein en vigueur dans l'entreprise, mais excédant leur horaire individuel de travail à temps partiel, alors que les membres de comités du personnel travaillant à temps
plein obtiennent une compensation, au titre de leur participation à ces mêmes stages, à concurrence de leur horaire de travail.

Sur les dépens

32
Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par l'Arbeitsgericht Bremen, par ordonnance du 5 mai 1993, dit pour droit:

1)
La compensation accordée à un travailleur masculin ou féminin en raison de sa participation à une représentation du personnel, instituée par la loi, constitue une rémunération au sens de l'article 119 du traité CEE et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins.

2)
Dans l'hypothèse où la catégorie des travailleurs à temps partiel comprend un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes, l'interdiction de discrimination indirecte en matière de rémunération, telle qu'elle figure à l'article 119 du traité et à la directive 75/117, s'oppose à une législation nationale qui, sans être apte à atteindre un objectif légitime de politique sociale et nécessaire à cet effet, a pour conséquence de limiter, à concurrence de leur horaire individuel de
travail, la compensation que les membres de comités du personnel employés à temps partiel doivent recevoir de leur employeur, au titre de leur participation à des stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité des comités du personnel, organisés pendant l'horaire de travail à temps plein en vigueur dans l'entreprise, mais excédant leur horaire individuel de travail à temps partiel, alors que les membres de comités du personnel travaillant à temps plein obtiennent
une compensation, au titre de leur participation à ces mêmes stages, à concurrence de leur horaire de travail.

Kakouris Mancini Schockweiler
Kapteyn Murray

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 mars 1996.

Le greffier Le président de la sixième chambre

R. Grass C. N. Kakouris

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1 –
Langue de procédure: l'allemand.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-278/93
Date de la décision : 07/03/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Bremen - Allemagne.

Discrimination indirecte à l'encontre des travailleurs féminins - Indemnisation de la participation à des stages de formation dispensant aux membres des comités du personnel les connaissances nécessaires à l'exercice de leurs fonctions.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Edith Freers et Hannelore Speckmann
Défendeurs : Deutsche Bundespost.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Murray

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:83

Source

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