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29/02/1996 | CJUE | N°C-238/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 29 février 1996., José García e.a. contre Mutuelle de prévoyance sociale d'Aquitaine e.a.., 29/02/1996, C-238/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIUSEPPE TESAURO
présentées le 29 février 1996 (1)

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIUSEPPE TESAURO
présentées le 29 février 1996 (1)

Affaire C-238/94

José García e.a.
contre
Mutuelle de prévoyance sociale d'Aquitaine e.a.

(demande de décision préjudicielle formée par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Tarn-et-Garonne)

«Assurance directe autre que l'assurance sur la vie – Directive 92/49/CEE du Conseil – Champ d'application – Assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale»

1. La question préjudicielle faisant l'objet de la présente procédure, dont la Cour a été saisie par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Tarn-et-Garonne, concerne l'interprétation de certaines dispositions de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive
assurance non vie (2) , ci-après la troisième directive).La juridiction de renvoi demande notamment à la Cour de définir le champ d'application de la troisième directive, afin d'établir si certains régimes de prévoyance sociale compris dans le régime légal de sécurité sociale en France rentrent dans ce champ d'application.

2. La troisième directive, qui a été adoptée sur la base des articles 57, paragraphe 2, et 66 du traité, a pour objet principal l'achèvement du marché intérieur dans le secteur de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, sous le double aspect de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services.Pour définir son champ d'application, la troisième directive fait référence aux dispositions générales de la première directive 73/239/CEE du Conseil, du 24 juillet 1973 (3)
(ci-après la première directive), qui régit la même matière. L'article 2 de la troisième directive précise en effet que celle-ci s'applique aux assurances et entreprises visées à l'article 1 ^er de la première directive, alors qu'elle ne s'applique ni aux assurances et opérations ni aux entreprises et institutions qui échappent au champ d'application de celle-ci.

3. Aux termes de son article 1 ^er , la première directive concerne l'accès à l'activité non salariée de l'assurance directe pratiquée par les entreprises d'assurance qui sont établies dans un État membre ou qui désirent s'y établir, ainsi que l'exercice de cette activité. L'article 2 de la première directive mentionne, quant à lui, les assurances et les opérations qui sont exclues du champ d'application de ladite directive. Parmi les premières figurent expressément les assurances comprises dans un
régime légal de sécurité sociale [point 1, sous d)].

4. Le problème que nous abordons en l'espèce s'est posé dans le cadre d'un contentieux opposant de nombreux travailleurs indépendants, pour la plupart artisans et commerçants (ci-après les demandeurs au principal), et les différentes caisses de sécurité sociale chargées de la gestion des régimes obligatoires d'assurance vieillesse, maladie-maternité et invalidité-décès des travailleurs exerçant lesdites professions (ci-après les caisses défenderesses) (4) .Pour obtenir le paiement des cotisations
obligatoires relatives à certaines périodes d'assurance, que les demandeurs au principal avaient refusé de verser, les caisses défenderesses avaient délivré à l'encontre des débiteurs des contraintes ayant valeur de titre exécutoire. Les demandeurs au principal ont formé opposition à ces contraintes devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir, entre autres, l'incompatibilité des régimes d'assurance en question avec les dispositions de la troisième directive ou, plus précisément, avec les
principes libéraux dont celle-ci s'inspire.

5. La juridiction nationale, tout en reconnaissant expressément, dans l'ordonnance de renvoi, que les caisses défenderesses gèrent des régimes compris dans le régime légal de sécurité sociale nationale au sens de la première et de la troisième directive et que celles-ci excluent incontestablement de tels régimes de leur champ d'application, déclare nourrir certains doutes sur la portée de cette exclusion au vu des termes propres de la [troisième] directive.Le juge a quo, qui accorde une importance
considérable aux considérants de cette directive, et notamment aux objectifs qui y sont énoncés de libéralisation du marché dans le secteur faisant l'objet de la réglementation, a estimé utile de surseoir à statuer en l'espèce, après avoir ordonné la jonction des différentes procédures pendantes devant lui, et de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante : Les dispositions de l'article 2, paragraphe 2, de la directive [92/49/CEE] des Communautés européennes du 18 juin 1992
concernent-elles ou non, en partie ou en totalité, la matière proprement dite faisant l'objet de l'application du régime légal de sécurité sociale existant en France?

6. En d'autres termes, le juge a quo demande par conséquent à la Cour d'établir si, nonobstant l'exclusion explicite du champ d'application de la troisième directive d'organismes tels que les caisses défenderesses, ladite directive ne pourrait pas être quand même considérée comme applicable, en vertu des principes énoncés dans ses considérants, au moins à l'égard de l' activité que ces caisses sont chargées d'exercer.A vrai dire, il est tout à fait clair que la réponse à cette question ne peut être
que négative.

7. La teneur de l'article 2, point 1, sous d), de la première directive, auquel se réfère expressément l'article 2, paragraphe 2, de la troisième directive ( La présente directive ne concerne pas ... les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale), est, en effet, tellement absolue qu'elle ne laisse aucune marge pour des interprétations allant dans une autre direction.Il est d'ailleurs évident que l'exclusion des caisses défenderesses du champ d'application de la troisième
directive ne peut que concerner également, sinon principalement, l'activité que ces caisses exercent dans le cadre de la gestion du régime national de sécurité sociale.

8. D'autre part, la jurisprudence même de la Cour a confirmé à plusieurs reprises et sans hésitation que, en l'état actuel, le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale (5) . En d'autres termes, lorsque, comme en l'espèce, il est constant que les organismes en cause opèrent dans le cadre d'un système national de sécurité sociale, qui poursuit un objectif social et obéit au principe de la solidarité, l'activité
exercée par ces organismes ne saurait être considérée comme étant de nature économique ni, dès lors, comme une activité d'entreprise au sens du traité (6) .

9. En présence d'une exclusion claire et explicite, ainsi que d'une jurisprudence tout aussi claire de la Cour en la matière, il ne nous semble donc pas que d'autres éléments de la troisième directive puissent inciter à en étendre le champ d'application au point d'y faire rentrer la matière de la sécurité sociale. Même l'analyse des finalités de ladite directive, au regard des dispositions qui en constituent la base juridique, loin d'étayer des conclusions différentes, confirme que cette directive
ne concerne pas les régimes faisant partie d'un système national de sécurité sociale.Avant tout, il convient en effet de rappeler que, conformément aux objectifs qu'elle poursuit, la troisième directive a été adoptée sur la base de dispositions du traité tendant à la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services (articles 57, paragraphe 2, et 66), alors que la matière de la sécurité sociale reste régie par d'autres dispositions spécifiques (7) .

10. D'autre part, en ce qui concerne plus spécialement l'argument avancé par les demandeurs au principal (et auquel le juge a quo semble également souscrire), selon lequel la large portée des considérants de la troisième directive, qui posent le principe de l'ouverture du marché de l'assurance à la concurrence en tant qu'objectif principal de la réglementation, permettrait d'interpréter ladite directive en ce sens qu'elle se rapporte également aux régimes d'assurance en cause, un tel argument est
assurément non fondé et dénué de pertinence en l'espèce. Il est dépourvu de fondement, puisque les considérants ne comportent pas la moindre allusion à la matière de la sécurité sociale qui autoriserait à inférer ou à supposer que le législateur ait eu en fait l'intention d'interférer avec l'organisation et la réglementation des régimes de sécurité sociale obligatoires institués sur la base des législations en vigueur dans les différents États membres (8) .L'argument en question est, en outre,
dénué de pertinence, dans la mesure où point n'est besoin en l'espèce de recourir à l'interprétation des considérants afin de déterminer l'objet ou la portée d'une disposition dont la clarté est, ainsi qu'il a été exposé, incontestable.

11. A la lumière des observations qui précèdent, nous suggérons donc à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Tarn-et-Garonne :L'article 2, paragraphe 2, de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive
assurance non vie), doit être interprété en ce sens que ladite directive ne concerne pas les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale.

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1 –
Langue originale: l'italien.

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2 –
JO L 228, p. 1.

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3 –
Directive portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, et son exercice (JO L 228, p. 3).

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4 –
Il s'agit, notamment, de la caisse maladie régionale des professions indépendantes Midi-Pyrénées, de la Cancava et de la caisse Organic Midi-Pyrénées.

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5 –
Arrêts du 7 février 1984, Duphar e.a. (238/82, Rec. p. 523, point 16), et du 17 février 1993, Poucet et Pistre (C-159/91 et C-160/91, Rec. p. I-637, point 6).

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6 –
Arrêt Poucet et Pistre, précité, points 18 et 19. Cette conclusion est non pas infirmée mais confortée par le récent arrêt du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d'assurance e.a. (C-244/94, non encore publié au Recueil), dans lequel la Cour a dit pour droit que, lorsque ces mêmes organismes (ou des organismes analogues) opèrent au contraire dans le cadre de la gestion d'un régime d'assurance complémentaire facultatif et fondé sur le principe de la capitalisation, il y a lieu
de les qualifier d'entreprises au sens des dispositions du traité en matière de concurrence.

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7 –
D'ailleurs, aucune de celles-ci (articles 51, 117 et suiv. du traité) ne saurait constituer la base juridique appropriée pour l'adoption de mesures visant le démantèlement des systèmes nationaux de sécurité sociale. Ce n'est que depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht et, partant, du protocole sur la politique sociale annexé audit traité que la Communauté (à l'exception du Royaume-Uni) dispose d'une base juridique précise (qui, du reste, n'a jamais été utilisée jusqu'à présent)
permettant d'adopter des mesures de plus longue haleine dans le domaine de la sécurité sociale (article 2, paragraphe 3, premier tiret, de l'accord sur la politique sociale annexé au protocole).

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8 –
Le vingt-deuxième considérant, par exemple, ne fait que prendre acte de la circonstance que, dans certains États membres, conformément aux dispositions nationales en vigueur, l'assurance maladie privée ou volontaire peut se substituer partiellement ou entièrement à la couverture offerte par les régimes de sécurité sociale, ce qui justifie le droit des autorités nationales compétentes d'exiger des entreprises d'assurance toutes les informations nécessaires pour contrôler que cette
substitution est effective (article 54, paragraphe 1). Mais il est évident par ailleurs que la nécessité de supprimer les monopoles dont jouissent certains organismes dans certains États membres, telle qu'énoncée au dixième considérant, concerne exclusivement, comme le précise l'article 3, les organismes expressément visés à l'article 4 de la première directive.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-238/94
Date de la décision : 29/02/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal des affaires de sécurité sociale du Tarn-et-Garonne - France.

Assurance non vie - Directive 92/49/CEE du Conseil - Champ d'application.

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : José García e.a.
Défendeurs : Mutuelle de prévoyance sociale d'Aquitaine e.a..

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Moitinho de Almeida

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:73

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