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15/02/1996 | CJUE | N°C-306/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 15 février 1996., Régie dauphinoise - Cabinet A. Forest SARL contre Ministre du Budget., 15/02/1996, C-306/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 15 février 1996 ( *1 )

A — Introduction

1. La question posée, dans la présente espèce, par la cour administrative d'appel de Lyon concerne la sixième directive du Conseil, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la « sixième directive TVA ») ( 1 ), et vise à obtenir de la Cour de justice une réponse à des questions relativ

es à l'interprétation du domaine du droit à déduction. La demanderesse en
première instan...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 15 février 1996 ( *1 )

A — Introduction

1. La question posée, dans la présente espèce, par la cour administrative d'appel de Lyon concerne la sixième directive du Conseil, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (ci-après la « sixième directive TVA ») ( 1 ), et vise à obtenir de la Cour de justice une réponse à des questions relatives à l'interprétation du domaine du droit à déduction. La demanderesse en
première instance et en appel dans la procédure au fond (ci-après la « demanderesse ») exerce principalement l'activité de régie d'immeubles. En vue de l'exercice de cette activité, elle perçoit de la part des locataires et des copropriétaires certaines sommes d'argent qui, selon les indications de la demanderesse, sont versées sur un de ses comptes avec l'accord des clients. Les fonds dont elle n'a pas besoin sont — et cela, comme l'indique la demanderesse, également avec l'accord de ses clients
— placés pour son propre compte auprès de banques. Ainsi que cela résulte des mémoires et de l'exposé fait au cours de la procédure orale, la demanderesse devient propriétaire des fonds qui sont mis à sa disposition dès que ceux-ci sont versés sur son compte. Elle est cependant tenue de les rembourser. Les produits de ces placements (représentant, dans leur ensemble, 14 % des recettes totales) reviennent toutefois à la demanderesse.

2. Pour la période du 1er juillet 1983 au 30 juin 1986, en cause en l'espèce, la demanderesse avait déduit l'intégralité de la taxe versée en amont. A la suite d'une vérification générale de la comptabilité de la demanderesse en 1987, l'administration fiscale a considéré qu'il ne convenait d'accorder qu'une déduction au prorata, les produits financiers résultant des placements de la demanderesse étant exonérés de TVA.

Concernant les déductions, l'article 17, paragraphe 2, dispose que:

« 2.   Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

... »

3. S'agissant de biens et de services qui ne sont pas seulement utilisés pour les besoins d'opérations taxées, mais également pour des opérations auxquelles l'article 17, paragraphe 2, n'accorde pas de droit à déduction, l'article 17, paragraphe 5, prévoit que le droit à déduction n'est accordé que pour les opérations ouvrant droit à déduction. Ce texte stipule que:

« 5.   En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

Ce prorata est déterminé pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti conformément à l'article 19.

... »

4. Selon l'article 19, paragraphe 1, il convient de former une fraction comportant, au numérateur, le chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction. Au dénominateur apparaissent tant le chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction que celui afférent aux opérations n'ouvrant pas droit à déduction. Aux termes de l'article 19, paragraphe 2, il est cependant possible de faire abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent à des opérations
accessoires. L'article 19 est libellé comme suit:

« Calcul du prorata de déduction

1.   Le prorata de déduction, prévu par l'article 17 paragraphe5 premier alinéa, résulte d'une fraction comportant:

— au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément à l'article 17, paragraphes 2 et 3,

— au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction. Les États membres ont la faculté d'inclure également dans le dénominateur le montant des subventions autres que celles visées à l'article 11 sous A paragraphe 1 sous a).

...

2.   Par dérogation au paragraphe 1, il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction, du montant du chiffre d'affaires afférent aux livraisons de biens d'investissement utilisés par l'assujetti dans son entreprise. Il est également fait abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent aux opérations accessoires immobilières et financières ou à celles visées à l'article 13 sous B sous d), lorsqu'il s'agit d'opérations accessoires... »

5. L'exonération des produits financiers de la TVA, invoquée par l'administration, est réglementée à l'article 13, B, sous d). Ce texte stipule que:

« B. Autres exonérations

Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

d) les opérations suivantes:

1. l'octroi et la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés;

2. la négociation et la prise en charge d'engagements, de cautionnements et d'autres sûretés et garanties ainsi que la gestion de garanties de crédits effectuée par celui qui a octroyé les crédits;

3. les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l'exception du recouvrement de créances;

4. les opérations, y compris la négociation portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux, à l'exception des monnaies et billets de collection; sont considérés comme de collection les pièces en or, en argent ou en autre métal, ainsi que les billets, qui ne sont pas normalement utilisés dans leur fonction comme moyen de paiement légal ou qui présentent un intérêt numismatique;

5. les opérations, y compris la négociation mais à l'exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion:

— des titres représentatifs de marchandises,

— des droits ou titres visés à l'article 5 paragraphe 3;

6. la gestion de fonds communs de placement tels qu'ils sont définis par les États membres;

... »

6. Dans la procédure au fond, la demanderesse avait fait valoir que l'article 19 de la sixième directive TVA n'a pas été transposé correctement en droit interne. Selon l'administration française, on ne peut qualifier d'accessoires les opérations que si leur montant n'excède pas 5 % des recettes totales, impôts compris. Les produits que la demanderesse a retirés du placement des fonds de ses clients représentant 14 % de ses recettes totales, l'administration a refusé à ces opérations la qualification
d'opérations accessoires.

7. Il est constant que, notamment, la négociation du contrat de placement, l'emploi des fonds et la comptabilisation des opérations nécessitent l'affectation d'une partie des moyens de l'entreprise de la demanderesse à ces opérations financières. Dans sa comptabilité, la demanderesse n'a pas procédé à la répartition des biens et services par activité, motif pour lequel, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, il n'est pas possible en droit français d'invoquer la constitution
d'un secteur distinct.

8. Comme, de l'avis de la cour administrative d'appel de Lyon, il est nécessaire à la solution du litige de rechercher si l'interprétation du code général des impôts donnée par l'administration française est ou non fondée au regard de la sixième directive TVA, la cour administrative d'appel a adressé une demande de décision préjudicielle à la Cour de justice afin de déterminer si:

« — premièrement, eu égard à la rédaction qui leur a été donnée, les dispositions susmentionnées de l'article 19 de la sixième directive doivent être interprétées en ce sens que lorsqu'une entreprise assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, qui perçoit également des produits financiers en rémunération du placement d'excédents de trésorerie, exerce son droit à déduction, lesdites opérations de placement doivent en principe, eu égard à leur nature au regard du champ d'application de la taxe sur
la valeur ajoutée, affecter ou non l'exercice de ce droit;

— deuxièmement, dans l'hypothèse d'une affectation du droit à déduction, si les produits financiers sont à comprendre au dénominateur du prorata, ou à exclure de celui-ci en raison de leur nature ou au titre ‘d'opérations accessoires financières’ visées par le paragraphe 2 de l'article 19 de la sixième directive, compte tenu de leur montant ou de leur proportion dans les recettes totales ou encore de la circonstance que les opérations en cause constituent un prolongement direct et permanent de
l'activité taxable ou, enfin, à tout autre titre. »

B — Analyse

Sur la première question

9. Il s'agit en fait de la question de savoir si, par rapport au champ d'application de la TVA, les produits en cause, que la demanderesse retire du placement des fonds mis à sa disposition, sont effectivement en mesure d'affecter le droit à déduction. Il convient par conséquent de vérifier tout d'abord si ces produits relèvent effectivement du champ d'application de la sixième directive TVA. A cet égard, les parties ont développé des considérations très diverses.

10. La demanderesse met surtout l'accent sur ses relations d'affaires avec les banques auprès desquelles elle place pour son propre compte les fonds reçus des clients. Elle indique que ces sommes sont, pour la plupart, placées sur des comptes à terme. La demanderesse considère qu'il s'agit là d'une prestation de services de sa part à l'égard des banques. Celles-ci profiteraient du fait que les sommes en cause sont bloquées sur des comptes à terme, la demanderesse percevant, en contrepartie, une
rémunération (les intérêts) de la part de la banque, rémunération qui est directement liée à l'importance des fonds placés et à la durée des placements. Elle en déduit que, en tant que prestation de services à l'égard de la banque, cette activité relève du champ d'application de la TVA, conformément à l'article 2 de la sixième directive TVA.

11. Il convient de donner raison à la demanderesse en ce sens que, dans la présente espèce, il s'agit effectivement d'une prestation de services à l'égard de la banque. La demanderesse met ses fonds à la disposition de la banque pour une durée déterminée, situation qui est comparable à l'octroi d'un crédit. La banque peut alors librement gérer ces fonds. En contrepartie de cette prestation de services, la demanderesse perçoit des intérêts à un taux qui dépend de l'importance des fonds et de la durée
du placement. La question qui se pose cependant — et c'est de cela qu'il s'agit dans la première question préjudicielle — est celle de savoir s'il s'agit là d'une prestation de services rentrant dans le champ d'application de la sixième directive TVA. Il ne suffit pas de qualifier une activité de prestation de services pour l'inclure dans le champ d'application de la sixième directive TVA. Aux termes de l'article 2, point 1, de la sixième directive TVA, ne sont en effet soumises à la taxe sur la
valeur ajoutée que les « prestations de services, effectuées ... par un assujetti agissant en tant que tel ». La notion d'assujetti est, quant à elle, définie à l'article 4 de la sixième directive TVA par la notion d'activité économique, qui, à son tour, est définie à l'article 4, paragraphe 2. En d'autres termes, il s'agit, dans le cadre de la sixième directive TVA, de prestations de services fournies par un assujetti dans le cadre de son activité économique.

12. Dans la présente espèce, l'activité économique de la demanderesse consiste dans son activité d'administrateur de biens. Les prestations de services qu'elle fournit dans ce cadre (par exemple, l'entretien, la passation de commandes à des artisans et la perception des loyers) tombent dans le champ d'application de la sixième directive TVA. Pour ce qui concerne les placements financiers effectués pour son propre compte auprès des banques, on peut se demander s'ils font partie de l'activité
économique de la demanderesse.

13. De l'avis du gouvernement français, il existe un lien direct entre les placements financiers et l'activité de régie d'immeubles. Il se fonde à cet égard sur la manière dont l'activité de la demanderesse est organisée. Il précise que c'est en raison de cette organisation que la demanderesse encaisse les loyers sur son propre compte, sans être cependant tenue de les reverser immédiatement aux copropriétaires. C'est ainsi que les fonds demeurent sur le compte de la demanderesse pendant un certain
temps, ce qui permet à celle-ci de placer les fonds en question auprès des banques. Le gouvernement français considère que les fonds que la demanderesse reçoit sur son propre compte constituent un élément indissociable de son activité économique, de sorte que les produits desdits placements découlent directement de l'activité professionnelle de la demanderesse. La demanderesse est certes elle-même propriétaire des sommes en cause, mais la possibilité de les placer résulte du mandat qu'elle a
reçu de ses clients. C'est également pour cela que, de l'avis du gouvernement français, on peut constater l'existence du lien direct nécessaire entre le service fourni et la contrepartie.

14. La Commission considère que, en l'espèce, ce lien fait précisément défaut. Elle précise à juste titre que, aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice, il est nécessaire qu'il y ait un lien direct entre le service rendu et la contrevaleur reçue, et donc également entre le service rendu et le bénéficiaire du service ( 2 ). On serait effectivement en présence d'un tel lien si les fonds des clients étaient placés pour le compte de ceux-ci. Étant donné que, dans la présente espèce, la
demanderesse place cependant les fonds pour son propre compte, la Commission estime que celle-ci se trouve être à la fois le prestataire de services et le bénéficiaire de ceux-ci. En d'autres termes, la demanderesse place les fonds en vue d'en tirer un bénéfice pour elle-même. C'est pourquoi nous ne pouvons considérer que les placements financiers constituent une prestation de services fournie dans le cadre de l'activité de régie d'immeubles.

15. Selon nous, cependant, même dans ce cas, il est possible de considérer que la demanderesse fournit une prestation de services aux clients dans le cadre des placements financiers; tel serait en effet le cas si — comme l'indique le gouvernement français — les produits des placements financiers constituaient une partie de la rémunération pour les prestations de services fournies au titre de la gestion d'immeubles. Dans cette hypothèse, les honoraires devant être versés à la demanderesse par les
clients devraient être réduits en conséquence. Peu importe de savoir si les produits en cause sont d'abord versés aux clients pour, ensuite, être reversés aux gérants à titre d'honoraires ou s'ils restent entre les mains de la demanderesse. Dans la mesure où les placements financiers ont pour effet de réduire les honoraires à payer, ils pourraient également être considérés comme des placements au profit des clients. Ainsi, on pourrait considérer que l'on est en présence d'une prestation de
services fournie aux clients. Il y aurait alors également un lien entre la prestation de services et la contrevaleur (la réduction des honoraires) et donc entre ladite prestation et le bénéficiaire du service. Cette prestation de services constituerait une partie de la prestation de services fournie au titre de l'administration de biens et relèverait, de ce fait, du champ d'application de la TVA en tant qu'activité économique.

16. A notre avis, il convient cependant de formuler les objections suivantes. Si les produits des placements financiers constituaient effectivement une partie de la rémunération pour la prestation de services, cette circonstance devrait figurer dans le contrat conclu entre la demanderesse et ses clients. Les dispositions de ce contrat devraient indiquer de manière précise si et dans quelle mesure les honoraires sont diminués. Comme la Commission l'indique à juste titre, c'est au juge national qu'il
appartient de faire les constatations qui s'imposent à cet égard. Dans la présente espèce, tout laisse cependant à penser que les produits financiers ne constituaient pas une partie de la rémunération. La demanderesse elle-même ne fournit aucune indication en ce sens et la procédure orale n'a pas non plus contribué à clarifier la situation. Dans l'hypothèse où les produits financiers constitueraient effectivement une partie de la rémunération, la demanderesse serait vraisemblablement, quant à
elle, soumise à l'obligation de placer les fonds en vue du meilleur rendement possible et de rendre des comptes sur ces placements. Là encore, c'est au juge national qu'il convient de constater s'il existe une obligation de ce type. Il n'existe toutefois aucun indice en ce sens. La demanderesse donne, au contraire, l'impression d'être entièrement libre quant à la manière de placer les fonds.

17. Cependant, si les produits financiers ne constituent pas une partie de la rémunération, il n'y a, de l'avis de la Commission, pas de prestation de services au sens de la sixième directive TVA. Elle considère que, étant donné que la demanderesse place pour son propre compte les fonds qui se trouvent sur son compte, celle-ci agit comme un simple particulier qui gère son patrimoine. Elle en déduit que, en l'espèce, on n'est pas en présence d'une activité économique au sens de la sixième directive
TVA.

18. On peut cependant douter de la pertinence de cette conclusion. En effet, même si, en l'espèce, on est en présence d'une prestation de services fournie non pas aux clients mais à la banque, il peut néanmoins s'agir d'une prestation de services dans le cadre de l'activité économique de la demanderesse.

19. Selon le gouvernement français, les produits des placements financiers tombent dans le champ d'application de la sixième directive TVA pour la simple raison qu'ils constituent la contrepartie d'une activité nécessitant la mise en œuvre de moyens en personnel et en matériel relativement importants. A cet égard, il convient de noter que ceux-ci ne constituent pas un critère pour déterminer si une activité constitue une activité économique au sens de la sixième directive TVA. Un particulier peut
lui aussi s'adresser à de nombreux conseillers pour ses placements financiers. Cela ne change rien au fait qu'il continue à agir en sa qualité de particulier et qu'il n'exerce pas d'activité économique au sens de la sixième directive TVA.

20. C'est cependant pour un autre motif qu'il ne nous semble pas opportun d'exclure complètement — comme le propose la Commission — les produits des placements financiers du champ d'application de la sixième directive TVA. Il est vrai que la demanderesse place les fonds pour son propre compte, mais elle a, comme le gouvernement français l'indique à juste titre, reçu ces fonds du fait de son activité économique (l'administration de biens). Cela ne signifie pas qu'il s'agit d'une rémunération pour
l'activité de gestion. Cependant, si la demanderesse n'avait pas exercé cette activité, elle n'aurait pas non plus perçu les fonds de ses clients. En d'autres termes, la demanderesse ne serait, en l'absence de l'activité économique, à savoir l'administration de biens, absolument pas en mesure de procéder à des placements financiers. Ceux-ci ne sauraient, par conséquent, être considérés de manière isolée, mais uniquement dans le cadre de l'activité économique. C'est également en cela que
l'activité en cause se distingue de l'activité d'un particulier et de l'affaire Wellcome Trust, évoquée par la Commission ( 3 ). On est en présence d'un placement financier effectué par un particulier lorsque la personne concernée n'a aucune activité économique ou que les fonds qu'elle place n'ont aucun rapport avec cette activité économique. Cependant, dans la présente espèce, la demanderesse place des fonds qu'elle détient du fait de son activité économique. Dans l'affaire Wellcome Trust, il
s'agissait de l'administration d'une succession par une « trust corporation » spécialement créée à cet effet. Dans ce cas de figure, on ne voyait pas quelle pouvait être l'activité économique au titre de laquelle la « trust corporation » aurait pu recevoir les fonds. Il convenait plutôt de la comparer à un particulier qui gère son propre patrimoine.

21. Dans la présente espèce, la situation est tout autre. Il s'agit, au contraire, d'une prestation de services — une prestation de services fournie à la banque — qui ne peut être considérée en dehors du cadre de l'activité économique de la demanderesse. C'est pourquoi les produits des placements financiers tombent dans le champ d'application de la sixième directive TVA.

22. L'arrêt dans l'affaire Polysar Investments Netherlands ( 4 ) ne fait pas obstacle à la constatation que les produits que la demanderesse retire de ses placements financiers relèvent du champ d'application de la sixième directive TVA. Dans l'affaire précitée, la Cour a jugé que le simple fait de percevoir des dividendes ne constituait pas une activité économique au sens de la sixième directive TVA. Dans la présente affaire, il convient cependant de distinguer les placements financiers de la
demanderesse de la simple perception de dividendes. Des dividendes sont perçus dans le cadre d'une participation à des entreprises. Un dividende n'est pas toujours versé et son montant n'est pas déterminé. Il « résulte de la simple propriété d'un bien » ( 5 ). Il en va différemment pour les placements financiers de la demanderesse. Elle met son argent à la disposition de la banque et perçoit en échange des intérêts. Elle perçoit ceux-ci dans tous les cas, indépendamment de la question de savoir
si la banque a bien administré cet argent ou non. Le montant des intérêts est également fixé à l'avance. Ils sont donc à considérer comme constituant la contrepartie d'un service rendu à la banque. La prestation de services rentre, comme nous l'avons indiqué ci-dessus (points 18 et suivants), dans le champ d'application de la TVA, puisque les sommes placées résultent de l'activité économique de la demanderesse. Par contre, la perception de dividendes ne constitue pas la contrepartie d'une
activité économique au sens de la sixième directive TVA ( 6 ).

23. Puisque les produits des placements financiers de la demanderesse ne sont par conséquent pas comparables à des dividendes, il s'agit également — comme l'expose la demanderesse — de l'exploitation de biens, en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence, au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive TVA.

24. Nous parvenons par conséquent à la conclusion que les produits des placements financiers de la demanderesse relèvent du champ d'application de la sixième directive TVA. C'est pour ce motif que l'arrêt Sofitam ( 7 ) ne trouve pas application dans la présente affaire. Il s'agissait dans l'arrêt précité de dividendes qui ne relevaient pas du champ d'application de la TVA et qui, selon la Cour, étaient pour ce motif étrangers au système des droits à déduction. Il y a lieu par conséquent de les
exclure du calcul du prorata de déduction. Puisqu'il s'agit ici, selon nous, de recettes qui ne sont pas étrangères au champ d'application de la sixième directive TVA, l'arrêt Sofitam n'est pas pertinent.

25. Toutefois, si la Cour ne devait pas suivre notre proposition et considérer que les produits des placements financiers de la demanderesse ne relèvent pas du champ d'application de la TVA, il faudrait, selon l'arrêt Sofitam, ne pas en tenir compte lors du calcul du prorata de déduction au sens des articles 17 à 19 de la sixième directive TVA, puisque, dans le cas contraire, l'objectif de la parfaite neutralité que le système commun de TVA garantit serait compromis ( 8 ).

26. Comme l'expose la Commission, la République française tente de limiter cette jurisprudence à la seule perception de dividendes ou produits de participations financières. Cela signifie que toutes les autres activités, même lorsqu'elles ne sont pas soumises à la TVA, pourraient être prises en compte dans le calcul du prorata et, par conséquent, avoir une influence sur la déduction.

27. La République hellénique va même encore un peu plus loin et fait valoir que les opérations financières qui doivent, en application de l'article 19, paragraphe 1, figurer au dénominateur lors du calcul du prorata de déduction incluent toutes les activités d'une entreprise dont celle-ci tire un profit. La République hellénique se fonde à cet égard sur la formulation de l'article 19, paragraphe 1, de la sixième directive TVA dans la version française. La sixième directive TVA emploie le terme de «
chiffre d'affaires » pour les opérations figurant au dénominateur de la fraction. Cette notion est, selon le gouvernement hellénique, plus large que le terme d'« opérations » utilisé normalement. Le terme « opérations » désigne les transactions qui relèvent de la sixième directive TVA, alors que le terme « chiffre d'affaires » vise les activités qui procurent un profit financier. Selon la République hellénique, une telle interprétation large est nécessaire pour atteindre les objectifs de la
directive. Parmi les objectifs de la directive, la République hellénique mentionne la volonté d'empêcher la fraude fiscale et l'objectif consistant à faire correspondre la déduction au niveau réel de perception de la taxe.

28. Une telle interprétation éviterait en outre à l'administration fiscale de nombreux calculs et la difficile distinction entre les opérations relevant de la sixième directive TVA et celles qui n'en relèvent pas.

29. A l'encontre de cette interprétation, il convient en premier lieu de dire que c'est la directive elle-même qui impose cette distinction en ne soumettant à la TVA que des activités économiques. Il n'est tout simplement pas possible de ne pas tenir compte de cette distinction. Seules certaines activités doivent relever du système d'assujettissement à la TVA. Mais cela signifie également que toutes les activités qui ne rentrent pas dans le champ d'application de la sixième directive TVA non
seulement ne sont pas assujetties à la TVA, mais sont étrangères à l'ensemble du système de la TVA. Cela veut dire qu'elles sont également exclues de l'ensemble du domaine de la déduction. On ne saurait par conséquent limiter l'arrêt Sofitam aux dividendes; il doit au contraire trouver application à toutes les recettes qui ne relèvent pas du champ d'application de la sixième directive TVA et sont par conséquent « étrangères au système du droit de déduction ». ( 9 )

30. Il est encore moins possible — comme le propose le gouvernement hellénique — de ne tenir aucun compte de l'arrêt de la Cour et d'inclure l'ensemble des produits financiers dans le calcul du prorata.

31. Nous parvenons toutefois, comme nous l'avons mentionné ci-dessus, à la conclusion que les produits des placements financiers de la demanderesse relèvent du champ d'application de la sixième directive TVA et qu'ils sont, pour ce motif, en principe de nature à affecter le droit à déduction. Il faudrait, par conséquent, répondre à la première question que les dispositions de l'article 19 de la sixième directive TVA doivent, compte tenu de leur libellé, être interprétées en ce sens que l'exercice
d'un droit de déduction par une entreprise assujettie à la TVA qui perçoit également des produits financiers en rémunération de placements d'excédents de trésorerie est en principe affecté par les produits desdits placements, eu égard à la nature des produits en cause au regard du champ d'application de la TVA.

32. Nous avons ainsi répondu à la première question puisque, de par son libellé, elle se réfère uniquement aux éléments susceptibles d'affecter le calcul du prorata par rapport au champ d'application de la sixième directive TVA. Toutes les autres questions portant sur la manière dont le calcul du taux du prorata peut être affecté relèvent de la seconde question.

La seconde question

33. Cette question n'appelle une réponse que si l'on parvient à la conclusion que les produits des placements financiers relèvent du champ d'application de la sixième directive TVA et sont par conséquent, en tout état de cause, de nature à affecter le calcul du prorata.

34. Même si les produits des placements financiers entrent dans le champ d'application de la sixième directive TVA, ils sont exonérés de la TVA, en application de l'article 13, B, sous d). Puisque, comme nous l'avons déjà exposé précédemment, les placements financiers peuvent être considérés comme une opération consistant à accorder un crédit à une banque, l'article 13, B, sous d), point 1, qui exonère de la TVA l'octroi de crédits est applicable en l'espèce.

35. Selon l'article 17, paragraphe 2, le droit à déduction n'existe que dans le cadre d'opérations taxées. Cela veut dire que les produits financiers exonérés de TVA en cause en l'espèce ne donnent pas à la demanderesse de droit à déduction. Cela signifie que la demanderesse n'utilise pas les biens et les prestations de services dont elle a besoin dans le cadre de son activité économique uniquement pour fournir à ses clients des prestations assujetties à la TVA, mais également pour des opérations
pour lesquelles il n'existe pas de droit à déduction. Dans ce cas, c'est l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive TVA qui est applicable. Cela signifie qu'il y a lieu de calculer le prorata conformément à l'article 19. Comme cela résulte de l'article 19, paragraphe 1, de la sixième directive TVA, les produits financiers en cause seraient à inclure dans le dénominateur de la fraction puisqu'ils n'ouvrent pas de droit à déduction. Ainsi, le dénominateur de la fraction augmenterait et le
prorata de déduction diminuerait. Dans la présente affaire, cela signifie que la demanderesse ne pourrait plus faire valoir pleinement son droit à déduction.

36. Toutefois, en application de l'article 19, paragraphe 2, il est possible de ne pas tenir compte du chiffre d'affaires des opérations accessoires relevant de l'article 13, B, sous d), lors du calcul du prorata. Puisque la notion d'opérations accessoires n'est pas définie précisément dans la sixième directive TVA, elle doit être déterminée dans le cadre de l'ensemble du système de déduction.

37. La possibilité d'une déduction doit exonérer l'assujetti de la TVA dans le cadre de son activité économique. On part à cet égard d'une chaîne d'opérations dans laquelle la TVA n'est exigible que du consommateur final. Aux étapes précédentes, les opérateurs économiques sont exonérés de la TVA par le biais de la déduction. Cette exonération doit toutefois correspondre à l'importance de l'activité économique de l'assujetti et de la charge fiscale qui lui est liée. La déduction n'est par conséquent
possible que lorsque les biens et les services sont utilisés pour des opérations taxées. Si l'assujetti ne doit pas lui-même payer de TVA, il ne saurait être mis en mesure de faire valoir une déduction. L'article 17, paragraphe 5, exige pour ce motif le calcul d'un prorata. Ainsi, il doit être possible d'adapter le plus exactement possible la déduction aux opérations effectuées. Toutefois si l'article 19, paragraphe 2, permet, quant à lui, d'exclure à nouveau certaines opérations (les opérations
accessoires) du calcul du prorata, cela ne peut que signifier que le résultat de ce calcul serait faussé si ces opérations étaient prises en considération. Il faudra en tenir compte lors de la détermination de la notion d'opérations accessoires dans la suite des présentes conclusions (à partir du point 39).

38. Dans ses mémoires, la demanderesse a étudié la notion d'opération accessoire dans quatre langues officielles différentes et elle est parvenue à la conclusion qu'il ne s'agit pas forcément de produits négligeables, mais que les termes utilisés font toujours apparaître un certain lien avec l'activité principale. Nous partageons ce point de vue.

De l'analyse des termes utilisés, c'est-à-dire « accessoires » dans la version française, « incidental » dans la version anglaise, et « accessorio » dans la version italienne, de la sixième directive TVA, il résulte que ces opérations sont des opérations qui ne relèvent pas directement de l'activité économique principale de l'assujetti, mais ont avec elle un certain lien.

L'analyse du terme allemand « Hilfs »-Umsätze permettrait de constater également une autre qualité caractéristique des opérations en cause: elles interviennent au soutien de l'activité principale de l'assujetti. Cependant, comme cet aspect ne se retrouve pas dans les versions linguistiques citées au paragraphe précédent, cette interprétation nous paraît trop restrictive.

Il nous reste par conséquent à constater qu'il résulte du terme même qui a été employé que les opérations accessoires sont des opérations qui n'ont pas de lien direct avec l'activité économique principale de l'assujetti, mais comportent un certain lien avec elle. Il ne s'agit, à cet égard, pas forcément d'opérations dont les produits sont négligeables. Il résulte toutefois également du terme utilisé que les opérations accessoires ne doivent en aucun cas être plus importantes que l'activité
principale. Il y a lieu maintenant de vérifier ces constatations en procédant à une réflexion systématique.

39. L'article 17, paragraphe 5, prévoit le cas dans lequel les biens et les services sont utilisés par un assujetti pour son activité économique, laquelle comporte à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction.

Pour ces dernières, on ne saurait faire valoir de déduction, par exemple, lorsqu'il s'agit d'opérations d'octroi de crédits pour lesquelles l'assujetti lui-même n'a pas été assujetti à la TVA. On ne voit aucun motif pour lequel, par exemple, dans un tel cas, une opération exonérée de TVA en application de l'article 13, B, sous d), ne doit pas figurer au dénominateur de la fraction établie pour le calcul du prorata.

Pour une partie des opérations qu'il effectue dans le cadre de ses activités l'assujetti est exonéré de TVA — pourquoi devrait-il dans ce cas être autorisé à faire valoir une déduction? C'est pour ce motif que les opérations non imposables entrent dans le dénominateur pour le calcul du prorata, ce qui a pour effet de réduire le montant de la déduction. Un cas dans lequel des opérations non taxées sont précisément retirées du dénominateur ne serait envisageable que si ces opérations étaient de
nature à fausser le calcul total de la déduction.

Nous expliquerons ci-après ce que nous entendons par le terme « fausser »: le critère pour l'application de l'article 17, paragraphe 5, et, par conséquent, pour le calcul du prorata est Y utilisation des biens de l'assujetti pour ses opérations taxées, lesquelles justifient par conséquent la déduction, et pour des opérations qui n'ouvrent pas un tel droit à déduction. Ce sont toutefois les différentes opérations qui entrent dans le calcul du prorata. C'est-à-dire qu'aussi longtemps que les
moyens utilisés sont à peu près en rapport avec les opérations qui en résultent (imposables ou non imposables), il n'y a pas de difficulté. Cette situation se modifie toutefois lorsque les moyens utilisés sont négligeables mais que les recettes ainsi obtenues sont proportionnellement beaucoup plus importantes. Le chiffre relativement important ainsi obtenu a pour conséquence de diminuer la réduction. Il figure en totalité dans le dénominateur bien que les moyens utilisés pour l'obtenir aient été
négligeables. La diminution de la déduction ainsi obtenue est par conséquent proportionnellement trop importante.

Dans la présente affaire, par exemple, les recettes provenant des placements financiers constituent 14 % des recettes totales. Cela signifie que ces 14 % vont figurer dans le dénominateur et qu'ils vont par conséquent diminuer la déduction, bien que, selon les explications fournies par la demanderesse, il ait suffi pour ces opérations de quelques appels téléphoniques et lettres. Cela signifie que le secrétariat n'a consacré que très peu de temps à ces opérations et que les frais de téléphone
correspondants étaient également très peu élevés. On ne voit pas pourquoi une activité telle que celle en cause dans la présente affaire qui ne relève pas de l'activité économique propre devrait diminuer le montant de la déduction de manière disproportionnée ( 10 ).

40. Il en résulte, en ce qui concerne les opérations accessoires, qu'elles ne relèvent pas de l'activité économique proprement dite et que seule une faible proportion des biens économiques de l'assujetti est utilisée pour ces opérations.

41. Ces opérations doivent cependant continuer de présenter un certain lien avec les autres opérations effectuées par l'entreprise. En effet, si aucune des ressources qui sont utilisées pour les opérations normales de l'entreprise ne l'était pour les opérations accessoires, il n'y aurait pas de cas relevant de l'article 17, paragraphe 5.

42. Pour clarifier ce problème, nous renvoyons à l'exemple cité par la République française: un fournisseur, qui accorde à son client un crédit pour le paiement de la marchandise qui lui a été livrée et qui reçoit pour cela des intérêts, agit dans le cadre de son activité principale. Le fait de percevoir des intérêts est à considérer comme faisant partie intégrante de l'activité principale. Les sommes qui résultent de cette opération de crédit sont exonérées de la TVA mais elles entrent dans le
dénominateur de la fraction établie en application de l'article 19, paragraphe 1. Il en irait différemment si l'entrepreneur procédait à des opérations financières qui n'ont aucun lien direct avec le reste de son activité économique et ne nécessitent qu'une faible partie des ressources utilisées par l'assujetti pour son activité. On pourrait évoquer à cet égard le placement de sommes d'argent (bénéfices) qui ne sont provisoirement pas nécessaires à l'activité propre de l'entreprise. Le fait
d'inclure ces opérations dans le dénominateur de la fraction et, par conséquent, de diminuer le montant de la déduction aurait pour conséquence, comme nous l'avons expliqué plus haut, de fausser ce montant. Il ne correspondrait plus précisément à l'activité économique de l'entrepreneur.

43. On peut par conséquent constater que les opérations accessoires sont les opérations qui ne relèvent pas directement de l'activité économique habituelle de l'assujetti et qu'elles ne nécessitent qu'une partie peu importante des moyens dont il dispose.

44. La demanderesse parvient à un résultat similaire en utilisant toutefois une autre formulation. Les opérations accessoires sont, selon elle, des opérations dont la réalisation n'a pas pour conséquence une augmentation significative des biens utilisés. Puisque les moyens (en personnel et en bureaux) existent cependant, la formulation utilisée par la demanderesse serait éventuellement de nature à induire en erreur. Elle pourrait également signifier qu'il n'est pas nécessaire, par exemple, de
recruter une secrétaire supplémentaire. Or, ce qui importe ici est le fait que les secrétaires déjà présentes dans l'entreprise n'utilisent qu'une faible proportion de leur temps de travail pour les opérations accessoires. Nous préférons pour ce motif dire que les opérations accessoires sont des opérations dont la réalisation n'exige que l'utilisation d'une faible proportion des biens économiques nécessités par l'activité principale.

45. Il ne nous reste plus qu'à éclaircir la question de savoir quelle peut être l'importance des opérations accessoires. Il y a lieu d'indiquer à cet égard qu'elles ne peuvent assurément pas dépasser l'importance de l'activité principale. A cet égard, la République française a fixé un seuil rigide, selon lequel les opérations accessoires ne sauraient dépasser 5 % de l'ensemble des recettes de l'entreprise. L'objectif de la règle prévue à l'article 19, paragraphe 2, est cependant d'éviter que le
montant de la déduction ne soit faussé. Cela signifie cependant aussi que la règle en cause vise une adaptation à chaque cas d'espèce. Une telle adaptation n'est plus possible, lorsque la notion d'opérations accessoires est définie, comme tel est le cas en France, au moyen d'un pourcentage. Il faut au contraire décider dans chaque cas si les opérations qui remplissent les conditions mentionnées ci-dessus sont de nature à fausser la déduction.

46. La République française expose, quant à elle, que les assujettis ont la possibilité, lorsque le seuil de 5 % est dépassé, d'ériger leurs activités financières en un secteur distinct d'activités avec un prorata spécifique. Cela oblige cependant l'assujetti à tenir une comptabilité distincte pour les différents secteurs. Indépendamment du fait que la mise en œuvre de cette comptabilité devrait être très difficile pour le domaine des activités accessoires même au-delà du seuil de 5 %, puisque les
activités en cause ne nécessitent précisément que l'utilisation d'une très faible proportion des moyens d'une entreprise, cette manière de procéder aurait pour effet d'imposer à l'assujetti une obligation supplémentaire que l'article 19, paragraphe 2, ne prévoit pas. Selon l'article 19, paragraphe 2, les opérations accessoires ne rentrent en aucun cas dans le calcul du prorata.

47. La République française argumente toutefois qu'il est nécessaire de définir la notion d'opérations accessoires de manière précise, pour des motifs de sécurité juridique et pour éviter des distorsions de concurrence. Le fait de procéder ainsi aurait cependant pour conséquence que l'article 19, paragraphe 2, ne pourrait plus remplir son objectif. Or, cet article a pour but d'adapter la déduction aux cas particuliers. C'est pourquoi il ne doit pas être interprété de manière restrictive comme
constituant une dérogation à l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive TVA. Il n'est par conséquent pas possible de définir exactement jusqu'à quels montants il peut y avoir opérations accessoires. On peut toutefois fixer au cas par cas des critères pour leur détermination et, partant, augmenter la sécurité juridique. Ce procédé serait en toute hypothèse meilleur qu'un seuil fixé arbitrairement à 5 %.

48. Pour déterminer plus précisément la notion d'opérations accessoires, il y a lieu par conséquent de constater ce qui suit: elles ont un certain lien avec le reste de l'activité de l'assujetti mais elles ne relèvent plus directement de cette activité. Elles n'utilisent les biens servant à l'activité principale de l'entreprise que dans une faible proportion. Elles ne doivent pas dépasser en importance l'activité principale de l'entreprise. Nous renvoyons pour plus de clarté à un exemple cité par la
Commission: un assujetti a une activité de gérant d'immeubles et il est de ce fait également enregistré comme assujetti. En réalité, il n'administre qu'un seul immeuble. Le reste du temps, il s'occupe d'opérations financières. Dans ce cas, l'intéressé ne pourrait plus invoquer le caractère accessoire des opérations financières puisqu'elles sont devenues entre-temps son activité principale.

49. Il nous faut maintenant, à l'aide de la définition que nous venons de donner, vérifier si les produits financiers en cause dans la présente affaire peuvent être considérés comme des opérations accessoires au sens de l'article 19, paragraphe 2. Tel est le cas, selon la demanderesse, puisque le seul critère qu'elle retient est celui selon lequel ces opérations ne nécessitent pas de moyens supplémentaires. Selon la Commission, il y a lieu en principe de distinguer au cas par cas. Il convient
toutefois de considérer que les opérations financières en cause ici sont, de part leur nature, des opérations accessoires. La République française et la République hellénique refusent de reconnaître aux opérations en cause un caractère accessoire au motif qu'elles dépassent le seuil de 5 %.

50. Selon nous, on peut considérer que les opérations en cause ici ont la qualité d'opérations accessoires puisque les produits résultant du placement des sommes visées ne relèvent pas directement de l'activité de la demanderesse et, selon ses propres indications, ne nécessitent que l'utilisation de faibles moyens. Comme nous l'avons déjà exposé dans le cadre de la réponse à la première question, les placements financiers ne relèvent pas de l'activité de la demanderesse en tant qu'administrateur
d'immeubles ( 11 ), mais ne peuvent en être totalement séparés. Le fait d'inclure dans le calcul du prorata les produits des placements financiers lesquels sont relativement élevés par rapport aux moyens nécessaires sur le plan administratif aurait pour conséquence de diminuer la déduction autorisée de manière injustifiée. Il faut par conséquent les considérer comme des opérations accessoires, en application de l'article 19, paragraphe 2, et ne pas en tenir compte lors du calcul du prorata.

Même si le volume de ces opérations constitue 14 % des recettes de l'entreprise, il nous semble que l'on peut encore dire qu'elles ont la qualité d'opérations accessoires ( 12 ).

Nous attirons du reste encore une fois l'attention sur le fait que c'est au juge national qu'il incombe de vérifier si les produits financiers en cause peuvent éventuellement encore être considérés comme une partie de la rémunération pour le service rendu et si les placements de la demanderesse ne nécessitent réellement que l'utilisation de peu de moyens sur le plan administratif.

Cela signifie que les produits des placements financiers de la demanderesse, en leur qualité d'opérations accessoires, ne rentrent pas dans le calcul du prorata, au motif qu'ils ne relèvent pas directement de l'activité propre de la demanderesse, mais qu'il n'est pas non plus possible de les en séparer complètement et au motif que les biens de la demanderesse ne sont utilisés pour les opérations en cause que dans une faible proportion et que cela aurait pour conséquence de fausser la déduction.
C'est à la juridiction nationale qu'il importe de vérifier si tel est le cas.

51. Nous aimerions en conclusion attirer encore l'attention sur ce qui suit: la juridiction de renvoi soulève la question de savoir si les opérations accessoires en cause relèvent du domaine financier. Les opérations accessoires dont il est question ici rentrent en tout cas dans le domaine d'application de l'article 13, B, sous d), de la sixième directive TVA. Au-delà de cette constatation, il n'est pas nécessaire de répondre à la question de savoir si les opérations accessoires relèvent du domaine
financier puisque la réponse à cette question ne modifierait pas le résultat. Il importe seulement qu'il s'agisse d'opérations accessoires.

C — Conclusion

52. Nous proposons, par conséquent, de répondre aux questions posées comme suit:

« 1) Le fait qu'une entreprise assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée perçoive des produits financiers en rémunération de placements d'excédents de trésorerie appartenant à ses clients, qui sont à sa disposition dans le cadre de son activité économique, a pour conséquence d'affecter en principe son droit à déduction au motif que les produits financiers en cause relèvent du champ d'application de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des
législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, et peuvent, par conséquence, en principe être inclus dans le calcul prévu par l'article 19, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388.

2) Il n'y a pas lieu de tenir compte de ces produits financiers dans le dénominateur du prorata de déduction puisqu'il s'agit dans ce cas — à la condition que les produits financiers en cause ne nécessitent que l'utilisation d'une faible proportion des moyens dont l'entreprise dispose sur le plan administratif — d'opérations accessoires au sens de l'article 19, paragraphe 2, deuxième phrase, de la sixième directive 77/388. Tel est le cas,

— lorsque les opérations en cause ne relèvent pas directement de l'activité économique propre de l'entreprise mais qu'elles continuent d'avoir un certain lien avec cette activité;

— lorsqu'elles ne nécessitent que l'utilisation d'une partie peu importante des moyens que l'entreprise utilise pour son activité économique propre et qu'elles diminueraient par conséquent d'une manière injustifiée le montant de la déduction;

— lorsque ces opérations ne dépassent pas celles qui résultent de l'activité économique propre de l'entreprise.

C'est à la juridiction nationale qu'il incombe de constater que ces conditions sont réunies ».

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( *1 ) Langue originale: l'allemand.

( 1 ) Directive 77/388/CEE, du 17 mai 1977 (JO L 145, p. 1).

( 2 ) Arrêt du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council (102/86, Rec. p. 1443, points 11 et suiv.).

( 3 ) Voir nos conclusions présentées le 7 décembre 1995 dans l'affaire C-155/94, non encore publiées au Recueil.

( 4 ) Arrêt du 20 juin 1991 (C-60/90, Rec. p. I-3111).

( 5 ) Arrêt Polysar Investments Netherlands, loc. cit., points 13 et suiv.

( 6 ) Arrêt du 22 juin 1993, Sofitam, (C-333/91, Rec. p. I-3513, point 13).

( 7 ) Loc. cit.

( 8 ) Loc. cit., points 12 à 14.

( 9 ) Loc. cit., point 13.

( 10 ) Il est également possible que la déduction soit faussée d'une manière qui avantage l'assujetti. Si une opération négligeable par son montant nécessite l'utilisation d'une partie proportionnellement élevée des moyens de production de l'assujetti, le montant de la déduction ne serait pas suffisament réduit du fait de l'inclusion dans le dénominateur de la fraction établie pour le calcul du prorata du montant négligeable qui en résulte. Dans le cas précité, la sixième directive TVA autorise, à
l'article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, les États membres à prévoir d'autres modalités de calcul pour éviter que les chiffres ne soient ainsi faussés.

( 11 ) Points 14 et 15 et suiv.

( 12 ) Voir, également, nos conclusions du 26 janvier 1995 dans l'affaire C-4/94 (arrêt du 6 avril 1995, BLP Group, Rec. p. I-983, et notamment p. I-1000, point 64).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-306/94
Date de la décision : 15/02/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour administrative d'appel de Lyon - France.

Taxe sur la valeur ajoutée - Interprétation de l'article 19, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE - Déduction de la taxe payée en amont - Opérations accessoires financières - Calcul du prorata de déduction.

Taxe sur la valeur ajoutée

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Régie dauphinoise - Cabinet A. Forest SARL
Défendeurs : Ministre du Budget.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Moitinho de Almeida

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:56

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