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15/02/1996 | CJUE | N°C-191/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 15 février 1996., AGF Belgium SA contre Communauté économique européenne, Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI), Fonds national de reclassement social des handicapés, Croix-Rouge de Belgique et Etat belge., 15/02/1996, C-191/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. F. G. JACOBS
présentées le 15 février 1996 (1)

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. F. G. JACOBS
présentées le 15 février 1996 (1)

Affaire C-191/94

AGF Belgium SA
contre
1) Communauté économique européenne; 2) Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI); 3) Fonds national de reclassement social des handicapés; 4) Croix-Rouge de Belgique; 5) État belge

« – »

1. La question qui a amené le tribunal de première instance de Bruxelles à saisir la Cour d'une demande de décision préjudicielle en l'espèce est celle de savoir si la Communauté européenne est tenue de payer les suppléments de primes d'assurance que les assureurs belges sont obligés, en vertu de la loi, de percevoir en matière de prestations d'assurance automobile afin de contribuer au financement des institutions belges suivantes:

i) l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (ci-après l' INAMI);

ii) le Fonds national de reclassement social des handicapés (ci-après le FNRSH); et

iii) la Croix-Rouge de Belgique (ci-après la CRB).

Le cadre du litige et les questions posées par la juridiction nationale

2. En vertu des dispositions belges applicables à l'époque où le litige est né, les assureurs et les personnes assurées étaient solidairement tenus du paiement de suppléments de primes d'assurance dont le produit était destiné à alimenter les ressources de l'INAMI, du FNRSH et de la CRB. Les dispositions pertinentes, ainsi qu'il résulte du jugement de renvoi, étaient les suivantes:

i) L'article 24 de la loi belge du 16 avril 1963 et les arrêtés royaux des 5 juillet 1963, 23 octobre 1978 et 28 juin 1984 ont organisé le financement du FNRSH par le paiement de suppléments de primes pour différents types d'assurance, y compris un supplément de prime de 7,5 % en matière d'assurance automobile.

ii) L'article 121 de la loi du 9 août 1963 sur l'assurance maladie-invalidité, tel que modifié par l'article 57 de la loi du 20 décembre 1974 relative aux propositions budgétaires 1974-1975, a prévu que les prestations d'assurance maladie-invalidité seraient financées en partie par le paiement d'une surprime de 10 % du montant des primes de responsabilité civile automobile, ramenée à 5 % pour les entreprises de transport professionnel de marchandises ou de personnes.

iii) La loi du 7 août 1974 et son arrêté royal d'exécution du 16 décembre 1974 ont organisé le financement de la CRB par le paiement d'une surprime de 0,25 % du montant des primes de responsabilité civile automobile.

3. Ainsi qu'il ressort du jugement de renvoi, le FNRSH a été dissous par arrêté royal du 19 juillet 1991, mais il a continué d'exister pour les besoins de sa liquidation en vertu de l'article 2 de cet arrêté royal. A l'audience, le conseil de l'INAMI a précisé que le FNRSH avait été entre-temps liquidé, ses attributions étant reprises par l'INAMI.

4. Il semble que les suppléments de primes d'assurance soient utilisés comme une source de financement général pour les trois institutions. L'INAMI est une institution de sécurité sociale chargée de l'octroi entre autres de prestations de maladie-invalidité (2) . Avant sa liquidation, le FNRSH avait notamment pour mission de fournir des conseils ainsi qu'une assistance administrative et financière en vue d'assurer le reclassement social des handicapés (3) . Les attributions de la CRB comprennent
le transport en ambulance de blessés, depuis le lieu de l'accident jusqu'à l'hôpital.

5. Il ressort du jugement de renvoi que la Communauté européenne a souscrit auprès de la demanderesse au principal, la compagnie d'assurance AGF Belgium, divers contrats d'assurance dont notamment des contrats responsabilité civile automobile, pour des véhicules utilisés par les différentes institutions. La Communauté a refusé de payer les suppléments de primes, au motif que ceux-ci constituent des droits indirects dont la Communauté est exonérée en vertu de l'article 3 du protocole sur les
privilèges et immunités des Communautés européennes.

6. Malgré le refus de la Communauté de payer les suppléments de primes, AGF Belgium a versé des sommes équivalant à ces primes à l'INAMI, au FNRSH et à la CRB. Elle a ensuite saisi le tribunal de première instance de Bruxelles d'une demande dirigée contre la Communauté européenne, l'INAMI, le FNRSH, la CRB et l'État belge, visant à recouvrer les sommes qu'elle avait avancées. Elle demande que les sommes en cause lui soient remboursées soit par la Communauté européenne dans la mesure où celle-ci
n'est pas fondée à se prévaloir de l'article 3 du protocole et doit dès lors payer les primes en question, soit par l'INAMI, le FNRSH et la CRB, dans la mesure où lesdites primes n'étaient pas dues et doivent par conséquent être remboursées par ces institutions.

7. Devant la juridiction nationale, l'État belge et les trois institutions ont avancé divers arguments à l'appui de leur thèse selon laquelle la Communauté ne saurait, en l'espèce, se prévaloir de l'article 3 du protocole. Cette argumentation peut se résumer comme suit. En premier lieu, au regard de la législation nationale, les primes en question doivent s'analyser comme des cotisations sociales plutôt que comme des impôts et, en tant que telles, elles ne relèvent pas de l'exonération prévue à
l'article 3. En second lieu, les primes constituent la rémunération de services d'utilité générale, qui est exclue de toute exonération en vertu de l'article 3, troisième alinéa. Enfin, l'article 3, deuxième alinéa, ne prévoit un remboursement aux Communautés que pour le montant des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans les prix des biens immobiliers ou mobiliers; il ne vise pas les primes perçues pour des services fournis en exécution d'un contrat d'assurance. Ces arguments ont
incité la juridiction nationale à saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:

1)L'article 3 du protocole peut-il être interprété en ce sens qu'il inclut dans son champ d'application des prélèvements qui, au regard du droit national, pourraient être considérés comme des cotisations sociales au motif que, bien qu'effectués par voie d'autorité et en vertu de la loi, ils ne sont pas régis par les règles constitutionnelles de l'annualité et de l'universalité de l'impôt, et ne sont pas versés au Trésor, mais sont directement perçus par les institutions chargées de la mise en oeuvre
de leur affectation?

2)L'article 3, alinéa 3, du protocole peut-il être interprété en ce sens qu'il inclut dans son champ d'application des prélèvements effectués sous forme de suppléments de primes d'assurance (en l'occurrence assurances de responsabilité civile automobile), au profit d'organismes d'utilité sociale tels l'INAMI, le FNRSH ou la CRB, considérant qu'il existe une relation, fût-elle indirecte et potentielle, entre ces prélèvements et les services rendus par ces organismes?

3)L'article 3, alinéa 2, du protocole peut-il être interprété en ce sens qu'il inclut dans son champ d'application les droits ou taxes indirects perçus à l'occasion de prestations de services portant sur des montants importants, à l'usage officiel des Communautés?

Les dispositions communautaires pertinentes

8. L'article 3 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes fait partie du chapitre I du protocole, intitulé Biens, fonds, avoirs et opérations des Communautés européennes. Il est ainsi libellé:Les Communautés, leurs avoirs, revenus et autres biens sont exonérés de tous impôts directs.Les gouvernements des États membres prennent, chaque fois qu'il leur est possible, les dispositions appropriées en vue de la remise ou du remboursement du montant des droits indirects et des
taxes à la vente entrant dans le prix des biens immobiliers ou mobiliers lorsque les Communautés effectuent pour leur usage officiel des achats importants dont le prix comprend des droits et taxes de cette nature. Toutefois, l'application de ces dispositions ne doit pas avoir pour effet de fausser la concurrence à l'intérieur des Communautés. Aucune exonération n'est accordée en ce qui concerne les impôts, taxes et droits qui ne constituent que la simple rémunération de services d'utilité générale.

9. Les articles 13 et 15 du protocole, au chapitre V intitulé Fonctionnaires et agents des Communautés européennes, revêtent également de l'importance. L'article 13 dispose:... les fonctionnaires et autres agents des Communautés sont soumis au profit de celles-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elles.Ils sont exempts d'impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés.

10. L'article 15 du protocole est ainsi libellé:Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, fixe le régime des prestations sociales applicables aux fonctionnaires et autres agents des Communautés.

11. En application de cet article, le Conseil a créé un système complet de sécurité sociale pour les fonctionnaires et autres agents, comportant notamment des pensions d'ancienneté et de survie ainsi que des prestations d'invalidité, de maladie et d'accident: voir entre autres les articles 72 à 84 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et les articles 28 à 44 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes.

Sur la première question

12. Par la première question, la juridiction nationale demande si les prélèvements en question relèvent de l'exonération fiscale prévue à l'article 3 du protocole, bien qu'au regard du droit national ils puissent être considérés comme des cotisations sociales.

13. La question de la juridiction nationale s'inspire de l'argument avancé par les institutions belges selon lequel, en tant que cotisations sociales, les primes en question ne bénéficient pas de l'exonération fiscale prévue à l'article 3. Toutefois, comme nous le préciserons ci-après, cet argument, même s'il devait prévaloir, ne servirait pas la cause des institutions belges; en effet, les Communautés ne sont en principe pas davantage obligées de contribuer aux dépenses de sécurité sociale d'un
État qu'elles ne sont tenues de contribuer aux dépenses publiques générales de cet État.

14. La distinction entre un impôt et une cotisation sociale n'a pas encore été abordée par la Cour dans le contexte de l'article 3 du protocole. Toutefois, dans l'arrêt Klomp (4) , la Cour a été appelée à examiner si les termes tout impôt sur les traitements et émoluments versés par la Communauté à l'article 11, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 13 du protocole
unique, visaient également les cotisations perçues en vertu de la loi néerlandaise sur l'assurance vieillesse générale, qui prévoyait un régime de pension applicable en principe à tous les résidents aux Pays-Bas. Ce régime était financé par des cotisations assises sur le revenu des affiliés au régime et recouvrées comme en matière fiscale.

15. La Cour a relevé qu'il convient de distinguer entre un impôt destiné à pourvoir aux charges générales des pouvoirs publics et une cotisation affectée au financement d'un système de sécurité sociale. Une cotisation affectée au financement d'un système de sécurité sociale ne constitue pas un impôt au sens de l'article 11, sous b), même si la perception de la cotisation se fait dans des formes empruntées à la perception des redevances fiscales. La Cour a cependant expressément réservé la question,
non soumise par la juridiction nationale, de savoir si les fonctionnaires communautaires pourraient éventuellement être exonérés d'une telle cotisation en vertu de règles, communautaires ou nationales, destinées à éviter l'affiliation obligatoire de fonctionnaires à un système national de sécurité sociale alors qu'ils sont déjà soumis à un régime communautaire analogue.

16. Dans ses conclusions présentées sous cet arrêt, l'avocat général M. Gand a précisé que l'article 11 est une règle de droit communautaire dont le contenu doit être apprécié d'après ce droit et non d'après le droit néerlandais (5) . De même, dans l'arrêt Humblet/État belge (6) , la Cour a souligné en ce qui concerne la même disposition:Attendu que, sous l'angle du droit applicable, le problème général doit être résolu selon le droit de la Communauté et plus particulièrement par voie
d'interprétation de l'article 11 du protocole, et non pas selon le droit belge;que, dès lors, ni la législation et la jurisprudence belges, ni la pratique suivie dans des cas analogues par l'administration belge ne sauraient être décisives en l'espèce, puisqu'elles tranchent le problème sur la base du droit national.

17. Il est clair que des considérations analogues valent pour l'article 3 du protocole unique. La classification d'un prélèvement au regard de la législation nationale est sans importance. Les termes impôts, taxes ou droits utilisés à l'article 3 doivent être interprétés compte tenu de leur acception normale et à la lumière de la finalité de la disposition. C'est la seule approche qui permette d'assurer à cette disposition un plein effet et une application uniforme.

18. Certes, dans l'arrêt Kristoffersen (7) , la Cour a déclaré que la notion d' impôt sur les revenus visée à l'article 14, premier alinéa, du protocole doit être interprétée selon les critères du droit national. Mais cette disposition détermine simplement l'État membre dans lequel un fonctionnaire communautaire est réputé avoir son domicile fiscal. Cela n'affecte en rien la portée de l'exonération de certains impôts nationaux dont les fonctionnaires communautaires bénéficient en vertu de l'article
13 du protocole. En examinant cette dernière question, la Cour a tenu compte non pas de la classification de l'impôt en cause au regard du droit national, mais de ses caractéristiques (8) .

19. Le terme impôt, dans son acception courante, désigne un versement obligatoire à une administration publique, qu'elle soit centrale, régionale ou locale, destiné à financer des dépenses publiques. Les impôts sont normalement de portée générale, dans la mesure où ils sont applicables à une ou plusieurs catégories de personnes, biens, services, opérations ou activités. Un autre trait caractéristique des impôts est qu'il n'existe normalement aucune relation entre les services reçus par les
contribuables particuliers et les versements effectués.

20. Ainsi qu'il résulte de l'arrêt Klomp, les cotisations sociales, quoique analogues à des taxes, sont en règle générale considérées comme une catégorie distincte de prélèvement, leur finalité consistant à financer des prestations de sécurité sociale fournies par l'État ou par des organismes agissant en son nom. Dans sa plus simple expression, une cotisation sociale est un versement effectué par des assurés et des employeurs à un fonds de sécurité sociale créé pour fournir des prestations de
sécurité sociale à l'ensemble des résidents dans un pays ou à certaines catégories particulières de résidents. Le prélèvement en cause dans l'affaire Klomp constitue un exemple d'une cotisation à un tel régime.

21. Les dépenses relatives aux prestations sociales ou aux soins de santé ne sont cependant pas toujours entièrement financées par les cotisations des assurés et des employeurs. Il est courant que de telles charges soient financées en partie par voie d'imposition générale. Au Royaume-Uni, par exemple, une distinction est faite entre, d'une part, les prestations contributives (contributory benefits) financées par le biais de cotisations versées par les assurés et les employeurs et, d'autre part,
celles non contributives (non-contributory benefits) financées par voie d'imposition générale; les soins médicaux sont assurés par le National Health Service qui est financé principalement par voie d'imposition générale (9) . Au Danemark, l'aide sociale et un certain nombre de prestations de sécurité sociale sont intégralement financées par voie d'imposition générale (10) . Certains États membres adoptent une solution intermédiaire consistant à financer les dépenses sociales et de santé publique en
partie par des prélèvements fiscaux ou parafiscaux grevant certaines personnes ou catégories de biens et services. En France, par exemple, le financement résultant des cotisations payées par les assurés et leurs employeurs est complété par les taxes sur les boissons alcoolisées, la publicité de l'industrie pharmaceutique et les véhicules automobiles; en outre, les allocations familiales sont financées par un prélèvement général dénommé contribution sociale généralisée (CSG) dont l'introduction a été
analysée par un commentateur comme un premier pas vers la fiscalisation des régimes français de sécurité sociale (11) . En Belgique, les régimes d'assurance des travailleurs salariés sont également financés par de tels prélèvements comprenant outre les primes visées en l'espèce, des prélèvements frappant les entreprises et produits pharmaceutiques ainsi qu'une partie des impôts indirects sur le tabac, qui sont perçus par l'administration fiscale (12) .

22. Le fait que le produit des primes en cause en l'espèce soit affecté à des organismes qui fournissent des prestations sociales ou des soins médicaux tels que le FNRSH ou la CRB, voire à un organisme tel que l'INAMI qui est chargé de verser les prestations de maladie-invalidité, ne constitue donc pas un facteur décisif pour la qualification des charges. Ce facteur doit, selon nous, céder le pas à d'autres caractéristiques des prélèvements qui donnent à penser que ceux-ci peuvent être objectivement
considérés comme des taxes. Les prélèvements sont perçus sur des prestations d'assurance de la même manière qu'un droit indirect sur les assurances; ils sont de portée générale, en ce qu'ils s'appliquent à toute personne qui souscrit une police d'assurance automobile, et les services ou prestations dont bénéficient les différentes personnes assurées ne sont ni proportionnels ni liés de quelque manière au montant des prélèvements.

23. En outre, une interprétation large de l'exonération est justifiée par la finalité même de l'article 3, qui tend à éviter qu'un État membre, et notamment un État hôte, puisse tirer un avantage injustifié en drainant vers le Trésor national des ressources provenant de contributions au budget des Communautés. Ce but serait contrarié si les termes impôts, taxes ou droits devaient recevoir une interprétation stricte et n'incluaient pas des prélèvements de nature parafiscale qui ne constituent pas la
rémunération de services particuliers.

24. Ainsi que la Commission l'a fait observer, dans le contexte de l'article 95, la Cour a considéré qu'une interprétation large de la notion d' imposition se justifiait au regard du libellé et de la finalité de la disposition. Par exemple, dans l'arrêt Iannelli et Volpi (13) , la Cour a déclaré:la circonstance qu'une imposition ou redevance est perçue par un organisme de droit public autre que l'État ou à son profit, et constitue une taxe spéciale ou affectée à une destination particulière, ne
saurait la faire échapper au champ d'application de l'article 95 du traité.

25. De toute façon, comme nous l'avons déjà indiqué, à supposer même qu'il faille considérer que la prime perçue en vue d'alimenter les ressources de l'INAMI constitue une cotisation à un régime de sécurité sociale plutôt qu'un impôt au sens de l'article 3 du protocole, les Communautés n'en seraient toujours pas redevables. Il résulte clairement de l'article 15 du protocole, en combinaison avec les règlements que le Conseil a arrêtés en application de cette disposition, qu'il était dans l'intention
des auteurs du protocole que les Communautés prennent leurs propres dispositions de sécurité sociale pour leurs fonctionnaires et autres agents plutôt que de cotiser à des régimes nationaux de sécurité sociale. Comme nous l'avons déjà vu, le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents assurent, en matière de sécurité sociale, une couverture complète au personnel relevant de ces dispositions, y compris contre les risques de maladie, d'accident et d'invalidité: voir articles 72
et 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et les articles 28 à 31 et suivants du régime applicable aux autres agents. En vertu de ces dispositions, les prestations y afférentes ne revêtent pas un caractère complémentaire, mais sont versées indépendamment d'un droit éventuel à des prestations au titre d'autres régimes.

26. C'est uniquement en ce qui concerne les agents auxiliaires et les agents locaux que le régime applicable aux autres agents exige des institutions communautaires qu'elles cotisent aux régimes nationaux de sécurité sociale: voir articles 70 et 80 du régime applicable aux autres agents.

27. Toutefois, comme nous l'avons exposé, les prélèvements visés en l'espèce peuvent être objectivement considérés comme des impôts dont la Communauté est exonérée en vertu de l'article 3 du protocole. Bien qu'il nous semble que les prélèvements devraient être considérés comme des droits indirects, la distinction entre les impôts directs visés au premier alinéa de l'article 3 et les droits indirects visés au deuxième alinéa n'est cependant pas en cause en l'espèce.

Sur la deuxième question

28. Par sa deuxième question, la juridiction nationale soulève en fait le point de savoir si les primes d'assurance telles que celles en cause dans le litige au principal doivent être considérées comme la rémunération de services d'utilité générale pour laquelle l'article 3, troisième alinéa, exclut toute exonération. La juridiction nationale relève qu'il existe un lien, quoiqu'indirect et potentiel, entre les primes et les services fournis par les trois institutions. Tout conducteur impliqué dans
un accident de la circulation avec lésions corporelles est susceptible d'être bénéficiaire de services fournis par ces institutions.

29. Jusqu'à présent, la Cour n'a pas été amenée à aborder la distinction entre un impôt et la rémunération d'un service dans le contexte de l'article 3 du protocole unique, mais dans l'arrêt Van Leeuwen (14) , elle a eu l'occasion de le faire par rapport à l'article 12 du protocole sur les privilèges et immunités de la Communauté économique européenne, dont s'inspire l'exonération au profit des fonctionnaires prévue à l'article 13 du protocole unique. Dans cette affaire, la question se posait de
savoir si une taxe de scolarité réclamée conformément à la loi néerlandaise à un fonctionnaire dont l'enfant fréquentait une école de Rotterdam était visée par l'exemption d'impôts nationaux prévue à l'article 12, deuxième alinéa. La Cour a dit pour droit qu'une taxe ou redevance, représentant la contrepartie d'un service déterminé rendu par les autorités publiques, telle que la taxe de scolarité dont il s'agissait dans l'espèce et qui d'ailleurs n'était exigible que pour l'enseignement non
obligatoire, ne constituait pas un impôt au sens du protocole.

30. Le prélèvement en cause dans cette affaire avait notamment pour caractéristique d'être directement lié au service reçu par le fonctionnaire. Ainsi que l'avocat général M. Roemer l'a fait observer dans ses conclusions présentées dans le cadre de cette affaire, la raison d'être de l'exemption d'impôts nationaux prévue à l'article 12 ne jouait pas en matière de taxes administratives dont il faut voir la cause dans la prestation spéciale fournie par l'administration et dont l'intéressé peut éviter
le paiement en renonçant à profiter de ce service particulier (15) .

31. La remarque de l'avocat général M. Roemer met en évidence ce qui nous paraît être la différence cruciale entre un impôt et la rémunération d'un service d'utilité générale. Un impôt, comme nous l'avons déjà vu, est un versement effectué au profit des autorités publiques afin de financer des dépenses publiques générales; les prestations reçues par les contribuables particuliers dans le cadre de ces dépenses ne sont pas proportionnelles aux versements qu'ils effectuent. Par contre, la rémunération
d'un service d'utilité générale constitue le prix payé pour un service particulier. Il existe un lien direct entre la rémunération et la prestation reçue.

32. La raison d'être de la distinction faite à l'article 3 est claire. Un versement effectué en contrepartie d'un service particulier fourni par l'administration publique d'un État membre constitue une utilisation légitime des fonds communautaires. Il équivaut, en substance, à un versement effectué auprès d'un prestataire privé. Or, tel n'est pas le cas d'un impôt, où le lien entre le versement et toute prestation reçue est indirect et ténu.

33. L'analyse qui précède est d'ailleurs conforme à la jurisprudence de la Cour dans d'autres domaines, notamment en ce qui concerne l'interprétation des directives communautaires relatives à la taxe sur la valeur ajoutée. Par exemple, dans l'affaire Apple and Pear Development Council (16) , l'assujetti, un organisme institué par voie d'arrêté ministériel en vue de promouvoir les ventes et améliorer la qualité de pommes et de poires produites en Angleterre et au pays de Galles, était autorisé à
financer ses activités en imposant aux producteurs une taxe annuelle. La Cour a dit pour droit que ces activités ne représentaient pas des prestations de services effectuées à titre onéreux au sens de l'article 2 de la sixième directive TVA (17) , en l'absence d'un lien direct entre le montant de la taxe et les avantages reçus par les producteurs individuels. Selon l'avocat général Sir Gordon Slynn (18) , la charge avait bien plus le caractère d'une taxe forfaitaire que d'un paiement véritable
pour des services.

34. Le point de vue exposé ci-dessus est également conforme à l'interprétation que le secrétariat de l'Organisation des Nations unies donne de l'article 7, a, de la convention sur les privilèges et immunités des Nations unies (19) , lequel opère aussi une distinction entre les impôts et rémunération de services d'utilité publique. Dans son avis juridique du 20 juin 1973 (20) , le secrétariat de l'Organisation des Nations unies a déclaré que l'expression services d'utilité publique ne concerne que
des fournitures déterminées ou des services rendus par un gouvernement ou une société placée sous contrôle gouvernemental à des tarifs déterminés calculés en fonction du volume des marchandises fournies ou des services rendus. En outre, il faut que la rémunération corresponde à des services qu'il soit possible d'identifier, de définir et de détailler avec précision et qu'elle soit calculée au prorata d'une unité de mesure prédéterminée (21) .

35. Il est clair que les primes d'assurance visées en l'espèce ne sauraient être assimilées à la rémunération de services d'utilité générale au sens de l'article 3 du protocole. Aucun lien direct n'existe entre les primes et les prestations reçues par les assurés particuliers. Pour ce qui est des Communautés, il est en tout cas peu probable que les prestations reçues excèdent un minimum, étant donné que le personnel de la Communauté est couvert, en majeure partie, par les régimes spéciaux de
sécurité sociale créés en application de l'article 15 du protocole.

Sur la troisième question

36. Par la troisième question, la juridiction nationale soulève le point de savoir si l'article 3 du protocole doit être interprété en ce sens qu'il s'applique aux droits indirects frappant des prestations de services. Comme nous l'avons déjà vu, la question se pose parce que l'article 3 vise uniquement le montant des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans les prix des biens immobiliers ou mobiliers.

37. La question posée par la juridiction nationale appelle, selon nous, une réponse affirmative. Une distinction faite dans le cadre de l'article 3 entre les impôts frappant les biens et ceux perçus à l'occasion de prestations de services serait arbitraire et contraire aux intentions des auteurs du protocole. La raison d'être de l'exonération fiscale des Communautés, à savoir éviter qu'un État membre, et notamment un État hôte, puisse tirer un avantage injustifié en drainant vers le Trésor national
des ressources provenant de contributions au budget des Communautés, vaut également pour les droits ou taxes perçus à l'occasion de prestations de services.

38. L'absence de référence expresse aux droits ou taxes sur les prestations de services dans l'article 3 peut s'expliquer par la place prépondérante qui était réservée dans le passé à la taxation des biens. La taxation générale des prestations de services est d'origine relativement récente. Même dans le cadre du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ce n'est qu'avec la mise en oeuvre de la sixième directive TVA, le 1 ^er janvier 1978, que l'ensemble des prestations de services ont été
incluses dans le champ d'application de la taxe; en vertu de l'article 6, paragraphe 2, de la deuxième directive TVA (22) , seules les prestations de services énumérées dans l'annexe B à ladite directive étaient obligatoirement imposables.

39. Au demeurant, il résulte de la circulaire administrative jointe en annexe à la réponse du gouvernement belge à une question posée par la Cour que les autorités belges considèrent que la taxe sur la valeur ajoutée en matière de prestations de services entre dans le champ d'application de l'exonération prévue à l'article 3 du protocole. Il ressort également des documents produits par la Commission en réponse à cette même question que d'autres États membres considèrent aussi que la taxe sur la
valeur ajoutée en matière de prestations de services entre dans le champ d'application de ladite exonération.

Conclusion

40. Nous estimons, en conséquence, qu'il convient de répondre comme suit aux questions posées à la Cour par le tribunal de première instance de Bruxelles:

1)L'article 3, deuxième alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes inclut dans son champ d'application les suppléments de primes d'assurance, perçus en vertu de la loi, en matière de services d'assurance automobile afin de financer des organismes tels que l'INAMI, le FNRSH et la CRB, même si au regard du droit national ces primes sont considérées comme des cotisations sociales.

2)Ces primes ne constituent pas la rémunération de services d'utilité générale au sens de l'article 3, troisième alinéa, du protocole.

3)L'article 3, deuxième alinéa, du protocole inclut dans son champ d'application les droits ou taxes indirects perçus à l'occasion de prestations de services.

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1 –
Langue originale: l'anglais.

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2 –
Voir annexe 2 de la version consolidée du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO 1992, C 325, p. 96). Voir également Pieters: Introduction to the Social Security Law of Member States of the European Community , deuxième
édition, Bruylant, 1993, p. 21.

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3 –
Voir article 3 de la loi du 16 avril 1963.

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4 –
Arrêt du 25 février 1969 (23/68, Rec. p. 43).

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5 –
Page 57.

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6 –
Arrêt du 16 décembre 1960 (6/60, Rec. p. 1125, et spécialement p. 1152).

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7 –
Arrêt du 25 mai 1993 (C-263/91, Rec. p. I-2755).

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8 –
Voir points 14 et suiv.

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9 –
Pieters, op. cit., p. 131.

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10 –
Pieters, op. cit., p. 53.

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11 –
Pieters, op. cit., p. 94 et 95.

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12 –
Pieters, op. cit., p. 34.

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13 –
Arrêt du 22 mars 1977 (74/76, Rec. p. 557, point 19).

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14 –
Arrêt du 8 février 1968 (32/67, Rec. p. 63).

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15 –
Page 77.

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16 –
Arrêt du 8 mars 1988 (102/86, Rec. p. 1443).

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17 –
Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).

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18 –
Rec. 1988, p. 1443, et spécialement p. 1461.

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19 –
Nations unies, Recueil des traités , Vol. 1, p. 15.

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20 –
. Annuaire juridique des Nations unies , 1973, p. 145 à 150.

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21 –
Voir, notamment, les points 10 et 11 de l'avis précité.

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22 –
Directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ─ Structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-191/94
Date de la décision : 15/02/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique.

Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés - Surprimes d'assurances automobiles.

Privilèges et immunités


Parties
Demandeurs : AGF Belgium SA
Défendeurs : Communauté économique européenne, Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI), Fonds national de reclassement social des handicapés, Croix-Rouge de Belgique et Etat belge.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Puissochet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:53

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