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13/11/1995 | CJUE | N°T-126/95

CJUE | CJUE, Ordonnance du Tribunal de première instance, Dumez contre Commission des Communautés européennes., 13/11/1995, T-126/95


Avis juridique important

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61995B0126

Ordonnance du Tribunal de première instance (troisième chambre) du 13 novembre 1995. - Dumez contre Commission des Communautés européennes. - Refus de la Commission d'intenter une procédure en manquement - Recours en annulation - Recours en carence - Irrecevabilité. - Affaire T-

126/95.
Recueil de jurisprudence 1995 page II-02863

Sommaire
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Avis juridique important

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61995B0126

Ordonnance du Tribunal de première instance (troisième chambre) du 13 novembre 1995. - Dumez contre Commission des Communautés européennes. - Refus de la Commission d'intenter une procédure en manquement - Recours en annulation - Recours en carence - Irrecevabilité. - Affaire T-126/95.
Recueil de jurisprudence 1995 page II-02863

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1. Recours en annulation ° Actes susceptibles de recours ° Refus de la Commission d' engager une procédure en manquement ° Exclusion

(Traité CE, art. 169 et 173, alinéa 4)

2. Recours en carence ° Personnes physiques ou morales ° Omissions susceptibles de recours ° Omission d' engager une procédure en manquement ° Irrecevabilité

(Traité CE, art. 169 et 175)

Sommaire

1. Est irrecevable le recours en annulation intenté par une personne physique ou morale à l' encontre du refus de la Commission d' engager une procédure en manquement à l' encontre d' un État membre.

Le refus est en effet inattaquable, d' une part, parce que l' article 169 du traité confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire pour engager une telle procédure et, d' autre part, compte tenu de ce qu' une décision négative doit être appréciée en fonction de la demande à laquelle elle constitue une réponse, parce que la demande à laquelle il répond vise à l' adoption par la Commission d' un avis motivé, qui lui-même n' est pas susceptible de faire l' objet d' un recours en annulation.

2. Est irrecevable le recours en carence intenté par une personne physique ou morale et visant à faire constater que, en décidant de ne pas engager une procédure en constatation de manquement contre un État membre, la Commission s' est abstenue de statuer en violation du traité.

D' une part, en effet, l' article 175 vise la carence que constitue l' abstention de statuer ou de prendre position et non l' adoption d' un acte différent de ce que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire. D' autre part, le recours en carence est subordonné à l' existence d' une obligation d' agir pesant sur l' institution concernée, de telle façon que l' abstention alléguée soit contraire au traité.

Or, il résulte de l' article 169 du traité que la Commission n' est pas tenue d' engager une procédure au sens de cette disposition, mais que, à cet égard, elle dispose, au contraire, d' un pouvoir d' appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d' exiger de cette institution qu' elle prenne position dans un sens déterminé.

Parties

Dans l' affaire T-126/95,

Dumez, société de droit français, établie à Nanterre (France), représentée par Mes Alexandre Carnelutti et Jean-Pierre Spitzer, avocats au barreau de Paris,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Hendrik van Lier, conseiller juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, l' annulation de la décision de la Commission du 29 mars 1995 de ne pas engager de poursuites à l' encontre de la République hellénique pour manquement au droit communautaire lors de l' attribution du marché public relatif au nouvel aéroport d' Athènes sur le site de Spata et, à titre subsidiaire, la constatation de la carence de la Commission,

LE TRIBUNAL DE PREMI RE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. C. P. Briët, président, B. Vesterdorf et A. Potocki, juges,

greffier: M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

Motifs de l'arrêt

Faits à l' origine du recours

1 Le 20 juin 1991, le gouvernement hellénique a lancé un avis de marché relatif à la conception, à la construction et à la gestion du nouvel aéroport d' Athènes sur le site de Spata. Cet avis a été publié au Journal officiel des Communautés européennes du 10 août 1991 (JO S 151, p. 16).

2 Suite au dépôt de neuf demandes de préqualification, le gouvernement hellénique a autorisé quatre groupements à présenter des offres. Selon le cahier des charges (Request for proposals), le marché de concession de travaux comportait la création d' une société qui exploiterait l' aéroport et dont le capital serait détenu à hauteur de 65 % par un concessionnaire privé et de 35 % par l' État hellénique. La concession devrait durer 50 ans. Selon la procédure prévue, des documents contractuels communs
devraient être établis entre l' État hellénique et les deux meilleurs candidats retenus, suite à quoi le "cash bid", montant proposé pour acquérir le pourcentage de capital de la société concessionnaire réservé au partenaire privé, devrait servir de critère d' attribution prépondérant.

3 Les deux consortiums qui ont été retenus pour participer à la phase finale de la procédure sont Hochtief et Athens Airport Associates (ci-après "AAA"). La requérante fait partie de ce dernier consortium.

4 Par lettre du 28 juin 1993, les autorités helléniques ont informé les deux candidats qu' elles avaient modifié les critères d' attribution du marché.

5 Un premier rapport d' évaluation des offres entre-temps déposées par les deux consortiums a été élaboré vers la fin du mois de juillet 1993, proposant l' adjudication du marché à Hochtief. Toutefois, en raison de la chute du gouvernement hellénique, l' attribution du marché n' a pas fait l' objet d' une décision formelle.

6 Après les élections parlementaires, le nouveau gouvernement a décidé de revoir et de modifier les conditions d' attribution du projet de Spata, en demandant aux deux concurrents, par lettre du 18 février 1994, de lui remettre pour le 18 mars de nouvelles offres sur le fondement du principe "clés en mains", accompagnées d' un contrat d' exploitation de l' aéroport pour une durée de dix ans. Seul le consortium AAA a répondu à cette démarche, le consortium Hochtief s' estimant déjà attributaire du
marché.

7 Revenant au principe de la concession, les autorités helléniques semblent avoir retenu ensuite un schéma comportant un financement privé de l' ordre de 10 %. A nouveau, seul AAA a répondu à cette proposition.

8 Ensuite, Hochtief a adressé aux autorités helléniques, dans le courant du mois de mai 1994, de nouvelles propositions, à savoir une participation publique majoritaire (55 %) dans le capital de la société d' exploitation de l' aéroport, une réduction de la durée de la concession de 50 à 30 ans ainsi que l' abandon de tout droit spécial sur la zone entourant l' aéroport.

9 Alertée par le consortium AAA par lettre du 26 août 1994, la Commission est intervenue auprès des autorités helléniques. En conséquence, ces autorités ont invité, par lettre du 14 septembre 1994, les deux concurrents à préciser, pour le 23 septembre, leurs offres. La requérante prétend que, bien que le délai pour le dépôt des offres ait expiré, le gouvernement hellénique a encore accepté une offre de Hochtief datée du 3 octobre 1994.

10 Les autorités helléniques ont procédé à une nouvelle évaluation des offres. Comme la première évaluation, la deuxième a suscité inquiétude et critiques de la part d' AAA, qui a alerté à nouveau la Commission.

11 Après de nombreux contacts entre les services de la Commission et les autorités helléniques, celles-ci ont proposé une contre-expertise afin de déterminer si les critères d' attribution avaient été appliqués de façon non discriminatoire. En décembre 1994, elles ont nommé trois experts, qui, à l' issue de leurs travaux, ont affirmé que les critères en cause avaient été correctement appliqués.

12 AAA a exprimé de grands doutes quant à la régularité du rapport des trois experts. Par lettre du 20 février 1995, AAA a saisi à nouveau la Commission du comportement des autorités helléniques dans l' attribution de ce marché.

13 Le commissaire responsable a saisi le collège des commissaires du dossier Spata. Au cours de sa réunion du 29 mars 1995, la Commission a décidé de ne pas engager de poursuites à l' encontre de la République hellénique.

14 Aux dires de la requérante, le Parlement hellénique a approuvé l' attribution de la concession au consortium Hochtief, ainsi que les documents contractuels de la concession, donnant à ces deux séries d' actes juridiques valeur législative en droit national.

Conclusions des parties et procédure

15 C' est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juin 1995, la requérante a introduit le présent recours, dans lequel elle conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

° annuler la décision de la Commission du 29 mars 1995;

° à titre subsidiaire, constater que la Commission s' est illégalement abstenue d' ouvrir une procédure en manquement à l' encontre de la République hellénique du fait des violations graves et répétées du droit communautaire qu' elle a commises dans le cadre de la procédure d' attribution de la concession du futur aéroport de la ville d' Athènes;

° condamner la Commission aux dépens.

16 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 juillet 1995, la Commission a soulevé une exception d' irrecevabilité, dans laquelle elle conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

° déclarer le recours irrecevable;

° condamner la partie requérante aux dépens.

17 Dans ses observations sur l' exception d' irrecevabilité, déposées le 19 septembre 1995, la requérante conclut à ce qu' il plaise au Tribunal de rejeter l' exception d' irrecevabilité et, à titre subsidiaire, de joindre l' exception au fond.

18 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 novembre 1995, la République hellénique a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

En droit

19 En vertu de l' article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure sur l' exception d' irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal (troisième chambre) estime qu' en l' espèce il est suffisamment informé et qu' il n' y a pas lieu d' ouvrir la procédure orale.

Sur la recevabilité

En ce qui concerne les conclusions fondées sur l' article 173 du traité CE

° Argumentation des parties

20 Dans son exception d' irrecevabilité, la Commission fait valoir, en premier lieu, que sa décision de ne pas entamer une procédure en manquement ne constitue pas une décision au sens de l' article 173 du traité. Elle relève à cet effet qu' une procédure en manquement sur la base de l' article 169 du traité CE s' ouvre par une phase précontentieuse qui ne comporte aucun acte revêtu de force obligatoire (arrêt de la Cour du 1er mars 1966, Luetticke e.a./Commission, 48/65, Rec. p. 27 et 39).

21 La Commission fait valoir, en deuxième lieu, qu' elle dispose d' un pouvoir discrétionnaire quant à l' engagement d' une procédure au titre de l' article 169, ce qui exclut, selon elle, le droit pour les particuliers d' attaquer son refus d' engager une telle procédure à l' encontre d' un État membre (arrêts de la Cour Luetticke e.a./Commission, précité, p. 39, du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, Rec. p. 291, point 13; ordonnances du Tribunal du 14 décembre 1993, Calvo
Alonso-Cortés/Commission, T-29/93, Rec. p. II-1389, point 55, du 27 mai 1994, J/Commission, T-5/94, Rec. p. II-391, point 15, et du 4 juillet 1994, Century Oils Hellas/Commission, T-13/94, Rec. p. II-431, point 14).

22 En troisième lieu, la Commission estime que, même si la décision de ne pas engager la procédure en manquement constituait une décision attaquable, elle ne concernerait pas la requérante directement et individuellement. La jurisprudence en matière d' aides d' État et celle relative à l' application des articles 85 et 86 du traité CE, notamment les arrêts de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169/84, Rec. p. 391), et du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission (C-39/93 P, Rec. p. I-2681),
ne seraient pas transposables aux procédures en manquement eu égard au fait que l' article 169 du traité n' accorde ni à la Commission le pouvoir de constater une infraction, ni aux tiers intéressés le droit d' intervenir dans la procédure administrative.

23 Enfin, la Commission souligne que les États membres sont tenus d' assurer un contrôle juridictionnel effectif sur le respect des dispositions applicables du droit communautaire et que, dans le domaine des marchés publics, cette exigence a été renforcée par l' adoption de directives particulières en matière de recours (directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l' application des procédures
de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, JO L 395, p. 33, et directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l' application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l' eau, de l' énergie, des transports et des télécommunications, JO L 76, p. 14). Selon la Commission, les opérateurs
concernés par ces directives bénéficient, conformément au principe du "droit au juge", des voies de recours mises en place par le droit national dans le respect et avec les garanties que leur offrent le traité ainsi que la jurisprudence de la Cour.

24 La requérante fait valoir que la déclaration d' un porte-parole de la Commission constitue une preuve suffisante de l' existence d' une décision prise par la Commission (arrêt du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3/93, Rec. p. II-121). Ainsi, la Commission aurait adopté, le 29 mars 1995, la décision de ne pas engager une procédure en manquement à l' encontre de la République hellénique.

25 La requérante estime que la décision du 29 mars 1995 constitue un acte produisant des effets juridiques définitifs, eu égard au fait qu' il a mis un terme définitif à l' enquête ouverte par la Commission après que cette dernière eut été alertée par elle sous la forme d' une plainte en date du 26 août 1994 (arrêt SFEI e.a./Commission, précité, point 27). Se référant aux arrêts de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26/76, Rec. p. 1875) et du 4 octobre 1983, Fediol/Commission (191/82,
Rec. p. 2913), la requérante relève que la décision de ne pas ouvrir une procédure en manquement est assimilable à une décision clôturant l' instruction ouverte à la suite d' une plainte dans le domaine de la concurrence. Elle ajoute dans ses observations sur l' exception d' irrecevabilité que le fait que la Commission ne soit pas obligée de saisir la Cour ne signifie pas que les actes émis pendant la procédure précontentieuse soient dépourvus d' effets juridiques.

26 La requérante fait valoir, ensuite, qu' elle est, en sa qualité de membre du consortium AAA, directement et individuellement concernée par la décision attaquée. En effet, selon la requérante, les membres du consortium AAA sont les seuls sujets de droit victimes des violations du droit communautaire par les autorités helléniques. La décision de ne pas engager la procédure, qui est intervenue sur la plainte du consortium, individualiserait, dès lors, les membres de celui-ci d' une manière analogue
à celle du destinataire (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197). Ils seraient également directement concernés eu égard au fait que les effets de la décision de la Commission se répercuteraient directement sur leur position d' opérateur économique dans le cadre de la procédure d' attribution.

27 La requérante relève que, en tout état de cause, l' application de la jurisprudence citée par la Commission (voir ci-dessus point 21) apparaît exclue, en l' espèce, du fait que i) la mesure nationale visée est de nature purement individuelle, que ii) les règles de droit communautaire violées par l' État membre concerné relèvent de la catégorie des principes constitutionnels de l' ordre juridique communautaire et que iii) cette violation est intervenue dans le cadre de procédures d' attribution de
marchés publics appelés à recevoir d' importants financements communautaires.

28 A cet égard, la requérante fait valoir que le présent recours ne vise pas à faire modifier une réglementation d' ordre général mais à faire retirer un acte dont la portée est individuelle et limitée, à savoir l' attribution d' un marché à un concurrent. Il s' agirait, dès lors, en l' espèce, de déférer au juge un refus de la Commission de sanctionner une distorsion de concurrence mais, en aucun cas, de faire contrôler l' opportunité d' une décision concernant des dispositions normatives
étatiques. Le "self-restraint" du juge communautaire ne viserait que cette dernière hypothèse.

29 La recevabilité du recours s' imposerait également eu égard à la nature fondamentale et constitutionnelle de la règle de droit violée, notamment le principe de l' égalité de traitement. La requérante rappelle que la Commission est investie, dans le domaine des marchés publics, d' une mission particulière qui lui impose de veiller à ce que soient assurées l' égalité des conditions de la participation aux appels d' offres, ainsi que l' élimination des discriminations (arrêt de la Cour du 10 juillet
1985, CMC e.a./Commission, 118/83, Rec. p. 2325, point 44). La décision attaquée préjugerait aussi l' appréciation que portera la Commission sur la régularité du marché pour accorder ou approuver un financement communautaire.

30 La requérante ajoute que le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l' article 169 du traité ne saurait avoir pour effet de soustraire cette dernière à toute forme de contrôle juridictionnel (arrêt Fediol/Commission, précité, point 30). Cette solution serait, selon la requérante, incompatible avec le principe du "droit au juge" tel que consacré par l' arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 18), la convention européenne de sauvegarde des droits de l'
homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et l' article F, paragraphe 2, du traité sur l' Union européenne. Elle ajoute que l' existence d' une voie de recours de nature juridictionnelle est une exigence qui s' impose à l' encontre de décisions de classement prises par la Commission, dès lors que sont en cause des mesures individuelles portant atteinte à l' un des droits fondamentaux reconnus par le traité aux particuliers et aux entreprises.

31 La requérante soutient que le rejet du recours comme irrecevable aboutirait à un déni de justice. Elle fait valoir qu' elle ne peut pas obtenir satisfaction devant les juridictions nationales eu égard au fait que le droit hellénique ne connaît pas de procédure de référé permettant au concurrent écarté d' obtenir la suspension de l' attribution irrégulière d' un marché. Par ailleurs, les directives mentionnées par la Commission ne seraient pas encore transposées en Grèce. Dans ses observations sur
l' exception d' irrecevabilité, elle ajoute que la "validation législative" qui a été effectuée par le Parlement hellénique bloque tout recours au juge national eu égard au fait que les juridictions administratives helléniques s' interdisent de censurer une loi.

° Appréciation du Tribunal

32 Le recours introduit au titre de l' article 173, quatrième alinéa, du traité tend à l' annulation de la décision de la Commission de ne pas donner suite à l' invitation du consortium AAA, auquel appartient la requérante, d' ouvrir une procédure en constatation de manquement contre la République hellénique.

33 Le Tribunal rappelle qu' il résulte d' une jurisprudence constante que les particuliers ne sont pas recevables à attaquer un refus de la Commission d' engager une procédure en manquement à l' encontre d' un État membre (arrêt Luetticke e.a./Commission, précité, p. 39; ordonnance de la Cour du 12 juin 1992, Asia Motor France e.a./Commission, C-29/92, Rec. p. I-3935, point 21; ordonnances du Tribunal Calvo Alonso-Cortés/ Commission, précitée, point 55, et du 29 novembre 1994, Bernardi/Commission,
T-479/93 et T-559/93, Rec. p. II-1115, point 27).

34 La jurisprudence de la Cour et du Tribunal relative au caractère inattaquable d' un refus de la Commission d' engager la procédure prévue par l' article 169 du traité est fondée non seulement sur le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l' article 169 du traité lui-même, mais également sur le principe que, lorsqu' une décision de la Commission revêt un caractère négatif, elle doit être appréciée en fonction de la nature de la demande à laquelle elle constitue une réponse (arrêt de
la Cour du 8 mars 1972, Nordgetreide/Commission, 42/71, Rec. p. 105, point 5).

35 En vue de déterminer la nature de l' acte sollicité dans la plainte du consortium AAA, il convient de rappeler que l' article 169 du traité dispose: "Si la Commission estime qu' un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Si l' État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de
justice."

36 Eu égard au fait que, en vertu de l' article 169 du traité, seule la Cour est compétente pour constater que la République hellénique a manqué, comme le prétend la requérante, au principe d' égalité de traitement et à d' autres dispositions de droit communautaire, l' acte sollicité dans la plainte du consortium AAA ne peut avoir consisté qu' en l' adoption par la Commission d' un avis motivé (voir, notamment, l' arrêt Luetticke e.a./Commission, précité, p. 39, et les conclusions de l' avocat
général M. Gand sous cet arrêt, p. 40 et 43).

37 Or, il résulte du système de l' article 169 du traité que l' avis motivé ne constitue qu' une phase préalable au dépôt éventuel d' un recours en constatation de manquement devant la Cour et ne saurait donc être regardé comme un acte susceptible de faire l' objet d' un recours en annulation. Le refus de la Commission d' engager une procédure en manquement constitue, dès lors, également un acte inattaquable sans qu' il soit besoin d' examiner si le refus de la Commission concerne directement et
individuellement la requérante.

38 Il convient d' ajouter que la gravité de la violation du droit communautaire alléguée et la nature prétendument individuelle de l' acte du gouvernement hellénique dénoncé dans la plainte ainsi que l' éventuelle absence de voies de recours internes effectives ne sont, en tout état de cause, pas des facteurs de nature à modifier la qualification juridique de l' acte sollicité par le plaignant.

39 Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation sont irrecevables.

En ce qui concerne les conclusions subsidiaires fondées sur l' article 175 du traité CE

° Argumentation des parties

40 Dans son exception d' irrecevabilité, la Commission relève qu' il résulte d' une jurisprudence constante qu' est irrecevable le recours fondé sur l' article 175 du traité visant à faire constater qu' elle s' est abstenue de statuer en violation du traité en n' engageant pas contre un État membre une procédure en constatation de manquement (arrêt Star Fruit/Commission, précité, points 11 à 14; ordonnance de la Cour du 30 mars 1990, C-371/89, Emrich/Commission, Rec. p. I-1555, points 5 à 7;
ordonnance Century Oils Hellas/Commission, précitée, points 12 à 16).

41 La requérante rappelle que le consortium AAA a invité la Commission, le 20 février 1995, à agir à l' encontre de la République hellénique. Elle ajoute que, dans l' hypothèse où le Tribunal considérerait que la Commission n' a pas pris de décision lors de ses délibérations du 29 mars 1995, la Commission se trouverait à compter du 21 avril 1995 en état de carence. Toutefois, dans ses observations sur l' exception d' irrecevabilité, elle fait valoir que les conclusions en carence n' ont plus d'
objet eu égard au fait que la Commission elle-même a affirmé avoir pris position.

° Appréciation du Tribunal

42 Pour autant que le recours est fondé sur l' article 175, troisième alinéa, du traité, il a pour objet de faire constater que la Commission, en n' engageant pas à l' encontre de la République hellénique une procédure en constatation de manquement, s' est abstenue de statuer, violant ainsi le traité.

43 Le Tribunal relève, à titre liminaire, que la Commission a pris position, au sens de l' article 175, en adoptant la décision litigieuse du 29 mars 1995. Or, selon une jurisprudence bien établie (arrêt de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166/86 et 220/86, Rec. p. 6473, point 17), l' article 175 vise la carence que constitue l' abstention de statuer ou de prendre position et non l' adoption d' un acte différent de ce que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire.

44 Le Tribunal rappelle, en outre, que le recours en carence ouvert par l' article 175 du traité est subordonné à l' existence d' une obligation d' agir pesant sur l' institution concernée, de telle façon que l' abstention alléguée soit contraire au traité. Or, il résulte de l' économie de l' article 169 du traité que la Commission n' est pas tenue d' engager une procédure au sens de cette disposition, mais que, à cet égard, elle dispose d' un pouvoir d' appréciation discrétionnaire excluant le
droit pour les particuliers d' exiger de cette institution qu' elle prenne position dans un sens déterminé (arrêt Star Fruit/Commission, précité, point 11; ordonnance Bernardi/Commission, précitée, point 31).

45 Les présentes conclusions en carence sont, dès lors, irrecevables.

46 De l' ensemble de ce qui précède, il résulte que le recours doit, dans son ensemble, être déclaré irrecevable. Dans ces conditions, il n' y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention de la République hellénique.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

47 Aux termes de l' article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission.

48 Aux termes de l' article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dans l' hypothèse où, à l' occasion de sa demande tendant à être admise à intervenir dans le présent litige, la République hellénique aurait exposé des dépens, il convient de décider qu' elle en supportera la charge.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) Il n' y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention.

3) La partie requérante supportera ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission. La République hellénique supportera les dépens par elle exposés à l' occasion de la présentation de sa demande d' intervention.

Fait à Luxembourg, le 13 novembre 1995.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : T-126/95
Date de la décision : 13/11/1995
Type d'affaire : Demande d'intervention - non-lieu à statuer
Type de recours : Recours en annulation - irrecevable

Analyses

Refus de la Commission d'intenter une procédure en manquement - Recours en annulation - Recours en carence - Irrecevabilité.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Dumez
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1995:189

Source

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