La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/07/1995 | CJUE | N°C-96/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 6 juillet 1995., Centro Servizi Spediporto Srl contre Spedizioni Marittima del Golfo Srl., 06/07/1995, C-96/94


Avis juridique important

|

61994C0096

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 6 juillet 1995. - Centro Servizi Spediporto Srl contre Spedizioni Marittima del Golfo Srl. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Genova - Italie. - Transports routiers - Tarifs - Réglementation étatique - Concurr

ence. - Affaire C-96/94.
Recueil de jurisprudence 1995 page I-02883

Co...

Avis juridique important

|

61994C0096

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 6 juillet 1995. - Centro Servizi Spediporto Srl contre Spedizioni Marittima del Golfo Srl. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Genova - Italie. - Transports routiers - Tarifs - Réglementation étatique - Concurrence. - Affaire C-96/94.
Recueil de jurisprudence 1995 page I-02883

Conclusions de l'avocat général

++++

1 C'est à nouveau la question des réglementations étatiques anticoncurrentielles qui vous est soumise dans une affaire dont le contexte est le suivant.

2 La loi italienne n_ 298 du 6 juin 1974, instituant le registre national des transporteurs routiers de marchandises pour compte d'autrui, régissant les transports routiers de marchandises et établissant un système de tarifs à fourchette pour les transports de marchandises par route (1), réglemente la fixation des tarifs du transport de marchandises par route.

3 La tenue du registre (auquel tout transporteur routier de marchandises pour compte d'autrui doit être inscrit) est confiée à un comité central dont la composition est, en vertu de l'article 3 de la loi n_ 298, précitée, la suivante:

«Le comité central se compose:

a) d'un conseiller d'État ayant la fonction de président;

b) de quatre représentants du ministère des Transports et de l'Aviation civile, d'un représentant de chacun des ministères de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, des Participations d'État, du Commerce extérieur, de l'Agriculture et des Forêts, de l'Intérieur, des Travaux publics, des Finances et du Trésor;

c) de quatre représentants des régions, dont un représente les régions à statut spécial et trois représentent, respectivement, les régions de l'Italie centrale, méridionale et septentrionale. Les modalités de la désignation devront être fixées par le règlement d'exécution de la présente loi;

d) de douze représentants des associations nationales les plus représentatives de la catégorie des transports routiers de marchandises pour compte d'autrui, ainsi que des associations nationales de représentation, assistance et protection du mouvement coopératif...

Les membres du comité sont nommés par arrêté du ministre des Transports et de l'Aviation civile. Les nominations ont lieu sur désignation:

- du président du Conseil d'État pour le membre visé à la lettre a);

- des ministres respectifs pour les membres visés à la lettre b);

- des associations nationales respectives pour les membres visés à la lettre d).

Sur les quatre représentants du ministère des Transports, deux sont choisis parmi les fonctionnaires de la direction générale de la motorisation civile et des transports sous régime de concession (ils sont alors placés hors cadre) et deux parmi les fonctionnaires en service auprès de la direction générale de la coordination et des affaires générales.

Le règlement d'exécution établit les conditions de la représentativité des associations nationales pour les désignations visées à la lettre d) du présent article et à la lettre f) de l'article 4 ci-après.

Le comité élit, parmi ses membres, deux vice-présidents, dont au moins un est choisi parmi les représentants indiqués à la lettre d).

Les membres du comité central exercent leur mandat pour une période de cinq ans.»

4 Le comité central fixe une fourchette de tarifs obligatoires dans les conditions suivantes, fixées par les articles 50 et suivants de la loi.

5 Aux termes de l'article 52:

«Chaque tarif est calculé sur un prix de base situé au centre de la fourchette. Le prix de base est déterminé en tenant compte du coût moyen des prestations de transport correspondantes, y compris les frais commerciaux, calculé pour des entreprises bien gérées et qui bénéficient de conditions normales d'utilisation de leur capacité de transport, ainsi que de la situation du marché, et de manière à permettre aux entreprises de transport d'obtenir une rémunération équitable.

Les tarifs peuvent être différenciés suivant:

- les conditions des prestations de transport, notamment sur la base des caractéristiques techniques et économiques de l'expédition;

- les relations de trafic; - les délais de livraison; - les différentes conditions de tonnage; - les catégories de marchandises.

Peuvent en outre être fixés des conditions et prix particuliers d'exécution des transports en fonction du tonnage global de marchandises transportées par une même entreprise pour le compte d'un même expéditeur dans une période de temps déterminée.»

6 La procédure d'établissement des tarifs, fixée par l'article 53 de la loi n_ 298, précitée, comprend les étapes suivantes:

- les tarifs sont proposés par le comité central au ministre des Transports et de l'Aviation civile (ci-après le «ministre»);

- le ministre consulte les régions et les syndicats nationaux représentatifs des secteurs économiques concernés;

- le ministre recueille l'avis du comité interministériel des prix.

7 Le ministre dispose alors d'une alternative.

8 Soit il approuve les tarifs et les rend exécutoires par arrêté publié au Journal officiel dans les soixante jours de la réception de la proposition.

9 Soit il n'approuve pas la proposition du comité et la lui renvoie dans le même délai de soixante jours, avec ses observations.

10 Le comité central fait alors de nouvelles propositions ou maintient sa proposition tarifaire en faisant des contre-observations.

11 Si le ministre les approuve, il prend un décret en ce sens dans les soixante jours de la réception des nouvelles propositions ou des contre-observations.

12 Si le ministre refuse d'entériner les nouvelles propositions ou les contre-observations (ou s'il ne reçoit pas celles-ci dans les délais), il peut passer outre et adopter par arrêté un tarif qui s'écarte de la position du comité.

13 De sa propre initiative, le ministre peut également exiger une modification des tarifs. Il doit consulter le comité central et peut passer outre à l'avis de ce dernier après avoir consulté les représentants des secteurs économiques directement concernés.

14 Les tarifs publiés précisent les limites maximales et minimales des fourchettes. Leur non-respect expose les transporteurs à des sanctions administratives.

15 L'article 13 de l'arrêté ministériel du 18 novembre 1982 (2) admet, sous certaines conditions, que les transporteurs puissent déroger aux tarifs obligatoires, soit par un accord entre expéditeur et transporteur, soit en vertu d'un accord économique collectif passé entre les associations les plus représentatives des transporteurs présentes au comité central du registre et des usagers.

16 Dans le courant de 1993, la Spedizioni Marittima del Golfo Srl (ci-après la «Marittima del Golfo») a confié à la Centro Servizi Spediporto Srl (ci-après «Spediporto») des travaux d'expédition (incluant le transport et les formalités douanières) consistant notamment en

- six transports par route réalisés entièrement sur le territoire italien de conteneurs provenant de Chine par mer;

- deux transports par route réalisés entièrement sur le territoire italien de conteneurs provenant d'Indonésie par mer;

- un transport par route réalisé entièrement sur le territoire italien de marchandises provenant d'Espagne par route.

17 Le transport a été assuré par des entreprises italiennes.

18 La Marittima del Golfo a refusé de régler la facture des prestations d'expédition et de transports établie conformément aux dispositions de la loi n_ 298, précitée, en raison de son montant excessif.

19 Spediporto a saisi le président du Tribunale di Genova d'une demande d'injonction pour la somme de 9 839 611 LIT. Celui-ci a également été saisi par la société débitrice d'un recours en prévention pour se défendre contre la présentation d'un recours en injonction.

20 Le juge saisi vous a adressé les trois questions préjudicielles suivantes:

«1) Les articles 3, sous f), 5, 30, 85, 86 (et éventuellement 90) du traité CEE sont-ils compatibles avec une réglementation nationale qui:

a) fait fixer les tarifs des transports par route de marchandises pour compte d'autrui par un comité auquel participent (en tant que représentants de leurs intérêts catégoriels) des représentants d'associations d'entreprises de transports routiers et/ou par des accords entre personnes privées, en rendant lesdits tarifs obligatoires pour tous les opérateurs économiques, après approbation par la puissance publique selon les modalités prévues par les lois n_ 162/93 et n_ 298/74 ainsi que par le décret
ministériel du 18 novembre 1982;

b) permet - d'empêcher la libre formation des prix;

- d'imposer des conditions contractuelles résultant de l'application de tarifs obligatoires qui n'ont pas été calculés sur la base du coût effectif du service;

- d'étendre le caractère obligatoire du tarif à tout autre contrat comportant une prestation de transport, en soustrayant ladite prestation au régime de libre formation des prix;

- de discriminer les usagers des services de transports routiers en fonction du tarif adopté;

- d'appliquer des conditions différentes à des prestations semblables en raison de la faculté laissée au transporteur de conclure des contrats à des conditions dérogatoires;

- de modifier les rapports contractuels entre le transporteur et le commettant en soumettant ce dernier au risque d'être assigné en justice par les entreprises de transport pour l'obtention de la différence entre le prix payé et le tarif;

- de faire obstacle à une réorganisation de l'offre de transports routiers visant à la rendre plus adaptée aux exigences de l'usager?

2) Le monopole légal des transports par route de marchandises pour compte d'autrui relève-t-il de la notion communautaire visée à l'article 90 du traité CEE?

En cas de réponse affirmative,

les droits reconnus aux entreprises autorisées sont-ils de nature à constituer l'exploitation abusive d'une position dominante collective au sens de l'article 86 du traité CEE?

ou

le monopole en cause, tel qu'il est réglementé par les dispositions nationales applicables, mentionnées dans la question précédente, et dans la mesure où il est de nature à affecter le coût des produits importés, peut-il constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité?

3) La définition de `transport combiné de marchandises entre États membres', telle qu'elle figure à l'article 1er de la directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres, doit-elle être interprétée de manière à ne pas priver d'`effet utile' le principe de la libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers, visé à l'article
1er du règlement n_ 4055/86/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, à savoir être interprétée en ce sens que le transport de marchandises est à considérer comme libéré, même lorsque le parcours maritime, effectué sur un bateau battant pavillon communautaire entre un port d'un pays tiers et un port d'un État membre, constitue une partie du trajet dans le cadre d'un transport combiné entre un pays tiers et un État membre?»

21 Une observation préliminaire quant à la recevabilité: le renvoi préjudiciel formé par un juge italien saisi d'une requête en injonction au sens des articles 633 et suivants du code de procédure civile est recevable en vertu de votre jurisprudence constante (3). De plus, comme le relève la Commission (4), le principe du contradictoire a été respecté: la Marittima del Golfo a pu s'exprimer par le recours en prévention qu'elle a engagé.

Sur la première question

22 La première question vous invite en substance à vous prononcer sur la compatibilité du régime de fixation des tarifs de transport routier de marchandises en Italie avec les articles 3, sous g), 5 et 85 d'une part, les articles 3, sous g), 5 et 86 d'autre part, ainsi qu'avec les articles 30 et 90 du traité CE.

23 Il ne fait aucun doute que les règles de concurrence du traité CE et, en particulier celles des articles 85 à 90, s'appliquent au secteur des transports (5).

a) Sur l'application des articles 3, sous g), 5, 85 et 86 du traité

24 On sait que, depuis l'arrêt du 16 novembre 1977, GB-Inno-BM (6), les réglementations étatiques anticoncurrentielles sont prohibées par les articles 3, sous g), 5 et 86 (ou 85) du traité combinés:

«... s'il est vrai que l'article 86 s'adresse aux entreprises, il n'en est pas moins vrai aussi que le traité impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d'éliminer l'effet utile de cette disposition» (7).

25 Cette jurisprudence a été systématisée par l'arrêt du 21 septembre 1988, Van Eycke (8), dans lequel vous avez distingué deux situations: un État membre viole les articles 3, sous g), 5 et 85 du traité, (i) lorsqu'il impose ou favorise la conclusion d'ententes, (ii) lorsqu'il retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention d'intérêts économiques (9).

26 C'est à ce double test que vous avez soumis, dans l'arrêt Reiff (10), la réglementation allemande des tarifs obligatoires de transport de marchandises par route. Appliquons-le à la réglementation italienne.

27 Dans le premier cas de figure (i), il n'y a violation des articles 3, sous g), 5 et 85 du traité que s'il y a une entente. Vous avez refusé, dans les arrêts du 17 novembre 1993, Meng (11), Ohra Schadeverzekeringen (12), et Reiff, précité, d'étendre l'interdiction des réglementations étatiques anticoncurrentielles à l'hypothèse où cette réglementation rend inutile une entente parce qu'elle a les mêmes effets.

28 Il est donc absolument décisif d'identifier et de caractériser une entente. La proposition de tarifs de transport de marchandises par route adoptée par le comité central constitue-t-elle une entente?

29 La réponse est négative pour au moins quatre raisons:

- la composition même du comité, qui compte dix-sept représentants de la puissance publique et douze représentants des associations nationales les plus représentatives des transporteurs routiers, exclut l'existence d'une entente: les représentants des entreprises du secteur des transports sont minoritaires au sein du comité;

- les pouvoirs du comité sont strictement cantonnés à un rôle de proposition qui ne lie pas le ministre;

- le comité est soumis au respect d'un certain nombre de critères définis par la loi n_ 298, précitée, et précisés par le décret du président de la République italienne n_ 56 du 9 janvier 1978.

- le comité n'est pas la seule instance de proposition dont dispose le ministre. Celui-ci doit tenir compte des observations d'organismes publics non économiques tels que les régions et des directives du comité interministériel des prix.

30 En l'absence d'entente, les autorités publiques ont-elles délégué à des opérateurs économiques privés leurs propres compétences en matière de fixation des tarifs de transport? (ii)

31 On ne saurait, ici, parler de délégation par l'État de son pouvoir de décision à des opérateurs économiques privés dès lors que le comité central n'a qu'un pouvoir de proposition et que le ministre peut substituer sa propre évaluation à celle du comité.

32 Par ailleurs, la seule circonstance qu'une réglementation n'est adoptée qu'après concertation avec les représentants du secteur d'activité concerné ne suffit pas à caractériser une délégation de compétences au sens de l'arrêt Van Eycke, précité. Au point 19 de cet arrêt, vous avez énoncé que:

«... il résulte de la réglementation en cause que les autorités publiques se sont réservé le pouvoir de fixer elles-mêmes les taux maximaux de rémunération des dépôts d'épargne et n'ont délégué cette responsabilité à aucun opérateur privé. Cette réglementation revêt ainsi un caractère étatique. Ce caractère ne saurait être remis en cause par la simple circonstance, soulignée par le requérant au principal, que l'exposé des motifs de l'arrêté royal du 13 mars 1986 fait ressortir que ce dernier a été
adopté après concertation avec les représentants des associations des établissements de crédit.»

33 Quant aux accords collectifs conclus en application de l'article 13 de l'arrêté ministériel du 18 novembre 1982, précité, on remarquera qu'ils n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence, mais au contraire d'accroître la marge de manoeuvre des opérateurs en prévoyant une exception à l'application des tarifs «à fourchette».

34 De même que l'article 85 du traité n'est applicable que si la preuve d'une entente est rapportée, l'article 86 ne peut être valablement invoqué que si l'abus de position dominante est prouvé.

35 Dans un arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, vous avez défini l'abus de position comme «... une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs» (13).

36 Conformément au libellé de l'article 86 du traité, vous avez admis que la position dominante puisse être le fait d'«une ou plusieurs entreprises» (14).

Vous l'avez réaffirmé récemment à l'occasion de l'affaire Almelo e.a.:

«L'article 86 du traité interdit des pratiques abusives résultant de l'exploitation, par une ou plusieurs entreprises, d'une position dominante sur le marché commun, ou dans une partie substantielle de celui-ci...» (15).

Toutefois, vous avez précisé que pareil cas, position dominante collective, supposait que:

«... les entreprises du groupe en cause soient suffisamment liées entre elles pour adopter une même ligne d'action sur le marché» (16).

37 Une telle situation est totalement étrangère à la structure du marché en cause, à savoir le marché des transports nationaux par route en Italie. Comme le fait observer la Commission, 200 000 entreprises opèrent sur ce marché, ces entreprises sont principalement de dimension réduite, disposant d'une organisation rudimentaire («petits patrons»). Elles ont donné vie à de nombreuses associations professionnelles dont certaines sont représentées au comité central et elles entretiennent souvent des
rapports antagonistes (17). Le juge a quo le confirme (18).

L'existence d'un lien économique entre les diverses entreprises opérant sur le marché en cause étant exclue, il est inutile d'examiner l'existence d'un comportement abusif au sens de l'article 86 du traité.

b) Sur l'application de l'article 30 du traité

38 Le juge national, dans son ordonnance de renvoi, soutient que l'article 30 s'opposerait à l'application de la réglementation italienne sur les tarifs des transports routiers, notamment l'article 3 de la loi n_ 298 de 1974, précité (19). Nous ne le pensons pas pour deux raisons essentielles.

39 En premier lieu, nous considérons que la réglementation litigieuse concerne la prestation de services de transport et non la libre circulation des marchandises.

40 Aux termes de l'article 61, premier alinéa, du traité CE, «La libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports.»

De ce fait, contrôler une réglementation nationale concernant le transport de marchandises sur la base des dispositions de l'article 30 du traité aurait pour conséquence de priver les dispositions des articles 59 et suivants du traité de tout effet utile.

Afin d'éviter cet écueil, nous souscrivons à l'analyse développée par l'avocat général M. Lenz dans l'affaire Peralta et à sa proposition consistant à délimiter les champs d'application respectifs des dispositions concernant la circulation des marchandises et de celle des services de manière à «... rattacher aux dispositions régissant la circulation des services toutes les situations dans lesquelles l'entrave à la circulation des marchandises apparaît comme le simple reflet de l'entrave apportée aux
services...» (20).

41 En second lieu, dans l'espèce présente, il n'est nullement démontré que la réglementation litigieuse en matière de prix, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, défavorise ces derniers par rapport aux produits nationaux (21).

Par conséquent, conformément à votre arrêt Peralta, et après avoir constaté que la législation litigieuse «... ne fait aucune distinction selon l'origine des substances transportées, qu'elle n'a pas pour objet de régir les échanges de marchandises avec les autres États membres et que les effets restrictifs qu'elle pourrait produire sur la libre circulation des marchandises sont trop aléatoires et trop indirects pour que l'obligation qu'elle édicte puisse être regardée comme étant de nature à
entraver le commerce entre les États membres...» (22), nous vous proposons de dire que l'article 30 du traité ne s'oppose pas à une législation du type de la législation nationale litigieuse.

c) Sur l'application de l'article 90 du traité

42 Le juge national s'interroge également sur la compatibilité des dispositions nationales en cause avec les dispositions de l'article 90.

43 Relevons qu'il n'est nullement établi que les entreprises en cause soient des entreprises publiques, des entreprises titulaires de droits spéciaux ou exclusifs au sens du traité ou encore des entreprises chargées de la gestion des services d'intérêt économique général. Certes, il appartient au juge national d'en décider à partir des critères retenus par votre Cour. Toutefois, il ressort des éléments du dossier que, dans le présent litige, les entreprises en cause:

- ne peuvent pas être confondues avec des entreprises publiques (23) ou encore avec des entreprises chargées de la gestion des services d'intérêt économique général (24),

- ne sont pas titulaires de droits spéciaux ou exclusifs au sens du traité (25). Ainsi, la situation du transport routier en Italie n'est nullement comparable à celle où le législateur octroie à une entreprise le monopole sur une partie substantielle du marché commun (26). L'action du législateur en l'espèce n'élimine pas la concurrence sur le marché en la réservant à un seul opérateur (27), mais se borne à régir l'accès au marché lui-même et certains éléments du comportement des entreprises qui y
opèrent (28).

44 En toute hypothèse, à supposer même que l'État italien ait reconnu aux transporteurs routiers des droits exclusifs ou spéciaux, encore aurait-il fallu que les États membres ou les autorités publiques en cause aient pris ou maintenu des «mesures» (29) contraires aux autres dispositions du traité applicables conjointement avec l'article 90 du traité.

45 Or, nous avons démontré qu'il n'y a pas eu violation des règles de concurrence ni d'autres dispositions du traité mentionnées par le juge national (30). Dès lors, les dispositions de l'article 90 du traité sont inopérantes en l'espèce.

Sur la deuxième question

46 Cette question préjudicielle n'est pas clairement posée. Il semble que le juge de renvoi s'interroge sur la compatibilité des dispositions nationales légales et réglementaires instituant «un monopole légal» des transports par route (régime d'octroi d'autorisations de transport contingentées (31)) avec les articles 30, 86 et 90 du traité.

47 Dans la mesure où le juge de renvoi indique lui-même que «... l'existence du régime mentionné de contingentement ... n'entre pas en considération, par lui-même, aux fins de la décision sur le présent litige...» (32), nous vous suggérons de déclarer cette question préjudicielle irrecevable.

48 En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, vous avez jugé que, dans le cadre d'une procédure engagée en vertu de l'article 177 du traité CE, votre compétence est exclue «... dès lors que les questions qui lui sont posées ne présentent aucun rapport avec les faits ou l'objet de la procédure au principal et ne répondent donc pas à un besoin objectif pour la solution du litige au principal...» (33).

Sur la troisième question

49 Cette question porte sur l'interprétation du principe de libre prestation des services de transport, tel que réalisé par la directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres (34), et par le règlement (CEE) n_ 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États
membres et pays tiers (35). En substance, il vous est demandé si pareil principe fait obstacle à l'application, par un État membre, d'un régime de tarifs obligatoires aux transports nationaux par route effectués par des transporteurs établis dans un même État membre qui font suite à des transports maritimes entre un pays tiers et ledit État membre.

50 Vérifions tout d'abord que le litige pendant devant le juge a quo entre dans le champ d'application de ces textes communautaires.

51 La directive 92/106 s'applique uniquement aux transports combinés de marchandises entre États membres (36).

52 Or les transports combinés mer/route qui font l'objet du litige au principal proviennent uniquement de pays tiers (37).

53 Il en résulte donc que ce texte communautaire est inapplicable en l'espèce.

54 Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, le règlement n_ 4055/86 concerne uniquement les transports maritimes entre États membres d'une part, et entre États membres et pays tiers d'autre part.

55 Toutefois, quant à la définition du transport maritime, une précision est apportée par le paragraphe 4 du même article qui dispose que:

«Aux fins du présent règlement, sont considérés comme des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers, s'ils sont normalement assurés contre rémunération:

a) les transports intracommunautaires:

transport de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un autre État membre;

b) le trafic avec des pays tiers:

transport de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un pays tiers.»

En d'autres termes, le service de transport maritime cesse à l'arrivée au port ou à l'installation offshore. De ce fait, ce texte communautaire est inapplicable à l'espèce présente.

56 Par conséquent, nous vous invitons à dire pour droit que:

«1) Les articles 3, sous g), 5, 30, 85, 86 et 90 du traité CE ne font pas obstacle à l'application d'une réglementation nationale qui impose l'application au transport national de marchandises par route de tarifs fixés par l'autorité publique sur la base de critères préalablement établis et sur proposition d'un comité comprenant une majorité de membres représentant la puissance publique et une minorité de membres représentant les transporteurs, et qui subordonne la possibilité de dérogation à
l'application d'accords économiques collectifs conclus entre des associations de transporteurs et d'usagers.

2) La directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres, et le règlement (CEE) n_ 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, ne s'opposent pas à l'application, par un État membre, d'un régime de tarifs obligatoires pour les transports
nationaux par route effectués par des transporteurs établis dans ledit État membre, même s'ils font suite à des transports maritimes entre un pays tiers et ledit État membre.»

(1) - GURI n_ 200 du 31 juillet 1974.

(2) - Suppl. ord. GURI n_ 342 du 14 décembre 1982.

(3) - Voir, par exemple, l'arrêt du 3 mars 1994, Eurico Italia e.a. (C-332/92, C-333/92 et C-335/92, Rec. p. I-711, points 11 et suiv.), et les conclusions de l'avocat général M. Darmon sous cet arrêt, points 19 et 20.

(4) - Page 15 de la traduction française de ses observations.

(5) - Arrêts du 30 avril 1986, Asjes e.a. (209/84, 210/84, 211/84, 212/84 et 213/84, Rec. p. 1425), et du 17 novembre 1993, Reiff (C-185/91, Rec. p. I-5801, point 12).

(6) - 13/77, Rec. p. 2115.

(7) - Point 31.

(8) - 267/86, Rec. p. 4769.

(9) - Point 16.

(10) - Précité note 5.

(11) - C-2/91 (Rec. p. I-5751).

(12) - C-245/91 (Rec. p. I-5851).

(13) - 85/76, Rec. p. 461, point 38, troisième alinéa.

(14) - Arrêts du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 376 et suiv.), et du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission (T-68/89, T-77/89 et T-78/89, Rec. p. II-1403, points 340 et suiv.).

(15) - Arrêt du 27 avril 1994 (C-393/92, Rec. p. I-1477, point 40).

(16) - Ibidem, point 42.

(17) - Observations de la Commission, p. 22, deuxième alinéa, de la traduction française.

(18) - Ordonnance de renvoi, p. 7, deuxième alinéa, de la traduction française.

(19) - L'énoncé de cette disposition figure au point 3 de nos conclusions.

(20) - Point 51 des conclusions de l'avocat général M. Lenz sous l'arrêt du 14 juillet 1994, Peralta (C-379/92, Rec. p. I-3453).

(21) - Voir, notamment, les observations de la Commission p. 24, dernier alinéa, et p. 25, premier et deuxième alinéas, de la traduction française.

(22) - Point 24 de l'arrêt précité note 20.

(23) - Article 90, paragraphe 1.

(24) - Article 90, paragraphe 2.

(25) - Article 90, paragraphe 1.

(26) - Arrêt du 17 mai 1994, Corsica Ferries (C-18/93, Rec. p. I-1783, point 40).

(27) - Nous avons vu que 200 000 entreprises opèrent sur ce marché (point 37 de nos conclusions).

(28) - Voir, en ce sens, la traduction française des observations de la Commission, p. 26.

(29) - Terme entendu dans sa plus large acception, incluant aussi bien les actes législatifs, réglementaires ou individuels que les recommandations, les incitations, les instructions administratives...

(30) - Voir nos précédents développements, points 24 à 40.

(31) - Ordonnance de renvoi, p. 8, quatrième alinéa, de la traduction française.

(32) - Ordonnance de renvoi p. 9, quatrième alinéa, de la traduction française.

(33) - Point 14 de l'arrêt Corsica Ferries, précité note 26, ainsi que la jurisprudence citée sous ce même point.

(34) - JO L 368, p. 38.

(35) - JO L 378, p. 1.

(36) - Voir l'article 1er, deuxième alinéa, de la directive.

(37) - Voir le point 16 de nos conclusions.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-96/94
Date de la décision : 06/07/1995
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Genova - Italie.

Transports routiers - Tarifs - Réglementation étatique - Concurrence.

Ententes

Libre prestation des services

Libre circulation des marchandises

Principes, objectifs et mission des traités

Concurrence

Restrictions quantitatives

Transports

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Centro Servizi Spediporto Srl
Défendeurs : Spedizioni Marittima del Golfo Srl.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:225

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award