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15/12/1994 | CJUE | N°C-399/92,

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Stadt Lengerich contre Angelika Helmig et Waltraud Schmidt contre Deutsche Angestellten-Krankenkasse et Elke Herzog contre Arbeiter-Samariter-Bund Landverband Hamburg eV et Dagmar Lange contre Bundesknappschaft Bochum et Angelika Kussfeld contre Firma Detlef Bogdol GmbH et Ursula Ludewig contre Kreis Segeberg., 15/12/1994, C-399/92,


Avis juridique important

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61992J0399

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 15 décembre 1994. - Stadt Lengerich contre Angelika Helmig et Waltraud Schmidt contre Deutsche Angestellten-Krankenkasse et Elke Herzog contre Arbeiter-Samariter-Bund Landverband Hamburg eV et Dagmar Lange contre Bundesknappschaft Bochum et Ang

elika Kussfeld contre Firma Detlef Bogdol GmbH et Ursula Ludewig con...

Avis juridique important

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61992J0399

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 15 décembre 1994. - Stadt Lengerich contre Angelika Helmig et Waltraud Schmidt contre Deutsche Angestellten-Krankenkasse et Elke Herzog contre Arbeiter-Samariter-Bund Landverband Hamburg eV et Dagmar Lange contre Bundesknappschaft Bochum et Angelika Kussfeld contre Firma Detlef Bogdol GmbH et Ursula Ludewig contre Kreis Segeberg. - Demandes de décision préjudicielle: Landesarbeitsgericht Hamm, Arbeitsgericht Hamburg, Arbeitsgericht Bochum, Arbeitsgericht
Elmshorn et Arbeitsgericht Neumünster - Allemagne. - Egalité de rémunération - Rémunération des heures supplémentaires effectuées par des travailleurs à temps partiel. - Affaires jointes C-399/92, C-409/92, C-425/92, C-34/93, C-50/93 et C-78/93.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-05727

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1. Questions préjudicielles ° Compétence de la Cour ° Obligation de statuer ° Refus de statuer au motif du risque de création, par le juge national tirant les conséquences du droit communautaire, d' un vide juridique dans le droit national ° Exclusion

(Traité CEE, art. 177)

2. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Disposition nationale n' imposant, aussi bien pour les travailleurs à temps partiel que pour ceux à temps plein, le paiement de majorations de salaire pour heures supplémentaires qu' en cas de dépassement de la durée normale de travail fixée pour les seconds ° Admissibilité

(Traité CEE, art. 119; directive du Conseil 75/117, art. 1er)

Sommaire

1. Dès lors que les questions que lui adresse le juge national, qui est le mieux placé pour apprécier, au regard des particularités de l' affaire dont il est saisi, la nécessité d' une décision préjudicielle pour rendre son jugement, portent sur l' interprétation d' une disposition du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Elle ne saurait, en particulier, refuser de fournir au juge de renvoi les éléments de droit communautaire dont il a besoin au prétexte que, au vu de sa
réponse, ce juge pourrait être amené à annuler certaines dispositions nationales et à créer, de ce fait, un vide juridique dans l' ordre juridique interne.

2. L' article 119 du traité et l' article 1er de la directive 75/117, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, ne s' opposent pas à ce qu' une convention collective ne prévoie le paiement de majorations pour heures supplémentaires, aussi bien pour les travailleurs à temps partiel que pour les travailleurs à temps plein, uniquement en cas de
dépassement de la durée normale de travail qu' elle fixe et non pas en cas de dépassement de la durée prévue par les contrats individuels de travail.

En effet, de telles dispositions ne créent pas de différence de traitement entre les travailleurs à temps partiel et ceux à temps plein, puisque les travailleurs à temps partiel reçoivent, à parité d' heures effectuées, la même rémunération globale que celle perçue par les travailleurs à temps plein, et ce aussi bien lorsque n' est pas dépassé le seuil de la durée normale de travail telle qu' elle se trouve fixée par les conventions collectives que lorsque des heures sont prestées au-delà de
celui-ci, les majorations pour heures supplémentaires bénéficiant dans cette dernière hypothèse à toutes les catégories de travailleurs.

Parties

Dans les affaires jointes C-399/92, C-409/92, C-425/92, C-34/93, C-50/93 et C-78/93,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Landesarbeitsgericht Hamm (C-399/92), l' Arbeitsgericht Hamburg (C-409/92 et C-425/92), l' Arbeitsgericht Bochum (C-34/93), l' Arbeitsgericht Elmshorn (C-50/93) et l' Arbeitsgericht Neumuenster (C-78/93) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant ces juridictions entre

Stadt Lengerich

et

Angelika Helmig (C-399/92),

et entre

Waltraud Schmidt

et

Deutsche Angestellten-Krankenkasse (C-409/92),

et entre

Elke Herzog

et

Arbeiter-Samariter-Bund Landesverband Hamburg eV (C-425/92),

et entre

Dagmar Lange

et

Bundesknappschaft Bochum (C-34/93),

et entre

Angelika Kussfeld

et

Detlef Bogdol GmbH (C-50/93),

et entre

Ursula Ludewig

et

Kreis Segeberg (C-78/93),

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 119 du traité CEE et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19),

LA COUR (sixième chambre),

composée de MM. F. A. Schockweiler, président de chambre, P. J. G. Kapteyn, G. F. Mancini, C. N. Kakouris et J. L. Murray (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Darmon,

greffier: M. H. A. Ruehl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

° pour Mme Elke Herzog, (affaire C-425/92), par M. Max Gussone, "personne compétente" auprès de la Gewerkschaft OEffentliche Dienste, Transport und Verkehr, Bezirksverwaltung Hamburg,

° pour l' Arbeiter-Samariter-Bund Landesverband Hamburg eV, (affaire C-425/92), par Me Tay Eich, avocat à Hambourg,

° pour le Bundesknappschaft Bochum, (affaire C-34/93), par Me U. Bielefeld, avocat à Hamm,

° pour Mme Ursula Ludewig, (affaire C-78/93), par Me Dorothea Goergens, avocat à Hambourg,

° pour Kreis Segeberg, (affaire C-78/93), par M. Gerion Mihr, conseiller au "Kreisausschuss",

° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme Karen Banks, membre du service juridique, et M. Horstpeter Kreppel, fonctionnaire allemand détaché auprès du service juridique de la Commission, en qualité d' agents (affaires C-399/92, C-409/92, C-425/92, C-34/93, C-50/93, et C-78/93),

° pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l' Économie, et Claus-Dieter Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d' agents (affaires C-399/92, C-409/92, C-425/92, C-34/93, C-50/93, et C-78/93),

° pour le gouvernement français, par M. Claude Chavance, attaché principal d' Administration centrale au ministère des Affaires étrangères, et M. Jean-Pierre Puissochet, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agents (affaire C-78/93),

° pour le gouvernement hellénique, par M. Nikolaos Mavrikas, conseiller juridique adjoint du Conseil juridique de l' État, et Mme Kyriaki Grigoriou, mandataire judiciaire du Conseil juridique de l' État (affaire C-399/92), M. Fokionas Georgakopoulos, conseiller juridique adjoint du Conseil juridique de l' État (affaire C-409/92), M. Dimitrios Raptis, conseiller juridique de l' État (affaire C-425/92), M. Vassileios Kondolaimos, conseiller juridique adjoint du Conseil juridique de l' État, et Mme
Maria Basdeki, mandataire judiciaire du Conseil juridique de l' État (affaire C-34/93), en qualité d' agents,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mlle S. Lucinda Hudson, Treasury Solicitor, et M. David Pannick, barrister (affaires C-399/92, C-409/92, C-425/92, C-50/93), M. John Collins, Treasury Solicitor, et M. David Pannick, barrister (affaire C-34/93), et Mlle S. Lucinda Hudson, Treasury Solicitor (affaire C-78/93), en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Elke Herzog, de Mme Dagmar Lange, représentée par M. Max Gussone, "personne compétente" auprès de la "Gewerkschaft OEffentliche Dienste, Transport und Verkehr", OETV, Bezirksverwaltung Hamburg, de Mme Angelika Kussfeld, représentée par Mme Ute Lorenz, "Rechtssekretaerin" du DGB - Deutscher Gewerkschaftsbund - Duesseldorf, de la Firma Detlef Bogdol GmbH, représentée par Me Johannes Bungart, avocat à Bonn, de Mme Ursula Ludewig, du gouvernement allemand, du
gouvernement hellénique, du gouvernement français, du gouvernement du Royaume-Uni et de la Commission des Communautés européennes, à l' audience du 10 mars 1994,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 19 avril 1994,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par six ordonnances des 22 octobre, 4 et 6 novembre, 18 décembre 1992, 21 janvier et 1er février 1993, le Landesarbeitsgericht Hamm, l' Arbeitsgericht Hamburg, l' Arbeitsgericht Elmshorn, l' Arbeitsgericht Bochum et l' Arbeitsgericht Neumuenster ont posé, en application de l' article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l' interprétation de l' article 119 du traité CEE et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des
législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant des travailleurs à temps partiel de sexe féminin à leurs employeurs. Ces travailleurs revendiquent le paiement de majorations de salaire pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de leur horaire individuel de travail au même taux que celles accomplies par des travailleurs à temps plein au-delà de la durée normale de travail. Or, les conventions collectives applicables donnent droit aux travailleurs à temps plein ou à temps
partiel à des majorations de salaire pour les heures supplémentaires effectuées uniquement au-delà de la durée normale de travail, telle que fixée par ces conventions, sans toutefois ouvrir aux travailleurs à temps partiel le droit à des majorations au titre des heures accomplies au-delà de leur horaire individuel de travail.

3 Les requérantes au principal considèrent que les dispositions des conventions collectives en cause opèrent une discrimination contraire à l' article 119 du traité CEE et à la directive en ne prévoyant de majorations de salaires que pour les heures supplémentaires exécutées au-delà de la durée normale de travail.

4 Estimant que ces recours soulèvent des problèmes d' interprétation du droit communautaire, les juridictions nationales ont décidé de renvoyer à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

° Dans l' affaire C-399/92:

"1. Peut-on envisager qu' il y ait infraction à l' article 119 du traité CEE, sous la forme d' une 'discrimination indirecte' , lorsqu' une convention collective applicable au service public en République fédérale d' Allemagne ne prévoit le paiement de majorations pour heures supplémentaires qu' en cas de dépassement de la durée de travail normale fixée par une telle convention, excluant ainsi de toute majoration pour heures supplémentaires des salariés dont le contrat individuel ne prévoit pas une
durée de travail à plein temps, et que cette exclusion concerne démesurément plus les femmes que les hommes?

2. En cas de réponse affirmative à la première question:

L' exclusion par convention collective des travailleurs à temps partiel de toute majoration pour heures supplémentaires est-elle objectivement justifiée du seul fait que

a) d' une part, les majorations conventionnelles pour heures supplémentaires visent à compenser une charge de travail accrue et à éviter que l' effort demandé au salarié soit démesuré, l' expérience permettant de constater que cet effort, sous la forme de la prestation d' heures supplémentaires, est a priori plus grand pour les travailleurs à plein temps que pour les travailleurs à temps partiel,

b) d' autre part, sans examiner les cas individuels, il convient d' admettre que la libre disposition des loisirs est plus fortement restreinte dans le cas des employés à plein temps qui doivent fournir un travail au-delà de la durée de travail normale fixée par convention collective que dans le cas des travailleurs à temps partiel?

3. En cas de réponse négative à la deuxième question:

L' article 119 du traité CEE impose-t-il de verser aux travailleurs à temps partiel, pour chaque heure de travail qu' ils effectuent au-delà du temps de travail convenu dans leur contrat individuel, la totalité de la majoration conventionnelle pour heures supplémentaires prévue pour les heures supplémentaires des travailleurs à plein temps, ou bien le travailleur à temps partiel n' a-t-il droit qu' à une partie du pourcentage de majoration prévu pour le travailleur à temps complet, en rapport avec
sa durée de travail individuelle comparée au temps de travail normal fixé par convention collective?"

° Dans l' affaire C-409/92:

"Une convention collective de travail aux termes de laquelle l' employeur n' est tenu de payer de majorations de salaire horaire que pour les heures supplémentaires effectuées en sus de la durée conventionnelle normale du travail, de telles majorations n' étant pas prévues pour les heures supplémentaires effectuées par des salariés à temps partiel en sus de leur horaire de travail individuel mais sans excéder la durée conventionnelle normale du travail, est-elle compatible avec l' article 119 du
traité CEE et avec la directive du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (75/117/CEE), eu égard au fait que le nombre de femmes employées à temps partiel est sensiblement supérieur à celui des hommes?"

° Dans l' affaire C-425/92:

"1. Une disposition d' une convention collective de travail (l' article 34 du BAT), qui s' applique à un contrat individuel de travail en raison d' un usage observé dans l' entreprise ou en raison d' une véritable adhésion à la convention et qui prévoit, pour les employés ne travaillant pas à plein temps qui doivent fournir un travail au-delà de la durée de l' activité à temps partiel convenue par contrat, une rétribution seulement proportionnellement égale à celle d' un employé à plein temps
équivalent (sans majoration pour heures supplémentaires), est-elle compatible avec le droit communautaire (article 119 du traité CEE) lorsque cette disposition touche un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que d' hommes?

2. Cette différence de traitement entre les deux catégories de salariés est-elle justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe?

3. Existe-t-il ainsi un motif justifiant la différence de traitement entre les sexes parce que cette différence de traitement répond à un besoin réel de l' entreprise, qu' elle permet d' atteindre les objectifs de l' entreprise et que les principes de proportionnalité la rendent nécessaire, lorsque le motif avancé à cet égard pour justifier la différence de traitement est que les majorations pour heures supplémentaires seraient destinées à compenser un effort physique accru et à éviter que l'
employé ne soit exagérément sollicité, alors qu' il n' existe pas d' effort comparable chez un employé à temps partiel lorsque celui-ci dépasse simplement la durée de travail convenue dans son contrat, sans atteindre la durée hebdomadaire normale du travail (activité à plein temps) de 38,5 heures en moyenne (voir articles 17, paragraphe 1, et 15, paragraphe 1, du BAT)?"

° Dans l' affaire C-34/93:

"1. L' article 119 du traité CEE et la directive 75/117 du Conseil, du 10 février 1975 (JO du 19 février 1975, N L 45/19), en particulier ses articles 1er et 4, s' opposent-ils à une disposition d' une convention collective applicable à une collectivité de droit public (la Caisse fédérale d' assurance des mineurs) qui ne prévoit le paiement de majorations de salaire qu' en cas de dépassement de la durée normale conventionnelle du travail et qui exclut donc les employés dont l' horaire de travail
contractuel ne correspond pas à la totalité de la durée conventionnelle du travail de tout paiement de majorations pour heures supplémentaires en deçà de cette limite lorsque cette exclusion frappe considérablement plus de femmes que d' hommes, dans la mesure où cette disposition n' est pas justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe?

2. En cas de réponse affirmative à la première question:

Les considérations suivantes constituent-elles des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et susceptibles de justifier la disposition mentionnée à la question 1:

a) La disposition vise à compenser un effort physique plus important et à empêcher une mise à contribution excessive des travailleurs, le surcroît d' efforts que représentent les heures supplémentaires étant a priori plus grand pour les employés à temps plein que pour les employés à temps partiel.

b) Il convient en règle générale d' admettre que les restrictions aux possibilités de disposer du temps de loisir affectent davantage les employés soumis à la durée normale conventionnelle du travail que les employés à temps partiel?

3. En cas de réponse négative à la deuxième question:

L' article 119 du traité CEE exige-t-il que la totalité de la majoration conventionnelle pour heures supplémentaires, qui est prévue pour les heures supplémentaires par rapport à la durée hebdomadaire conventionnelle normale du travail à temps plein, soit versée aux employés à temps partiel pour chaque heure de travail effectuée en sus de la durée de travail stipulée par leurs contrats individuels?"

° Dans l' affaire 50/93:

"Le fait pour une convention collective de travail de ne prévoir le paiement de majorations pour heures supplémentaires qu' en cas de dépassement de la durée de travail normale fixée à ladite convention et partant, d' exclure en règle générale les salariés à temps partiel du versement de la majoration pour heures supplémentaires bien que cette disposition affecte un beaucoup plus grand nombre de femmes que d' hommes constitue-t-il une violation de l' article 119 du traité CEE et de la directive du
Conseil du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (75/117/CEE)?"

° Dans l' affaire C-78/93:

"1. Peut-on envisager qu' il y ait infraction à l' article 119 du traité CEE, sous la forme d' une 'discrimination indirecte' , lorsqu' une convention collective applicable au service public en République fédérale d' Allemagne ne prévoit le paiement de majorations pour heures supplémentaires qu' en cas de dépassement de la durée de travail normale fixée par une telle convention, excluant ainsi de toute majoration pour heures supplémentaires des salariés dont le contrat individuel ne prévoit pas une
durée de travail à plein temps, et que cette exclusion concerne démesurément plus les femmes que les hommes?

2. En cas de réponse affirmative à la première question:

L' exclusion par convention collective des travailleurs à temps partiel de toute majoration pour heures supplémentaires est-elle objectivement justifiée du seul fait que

a) d' une part, les majorations conventionnelles pour heures supplémentaires visent à compenser une charge de travail accrue et à éviter que l' effort demandé au salarié soit démesuré, l' expérience permettant de constater que cet effort, sous la forme de la prestation d' heures supplémentaires, est a priori plus grand pour les travailleurs à plein temps que pour les travailleurs à temps partiel,

b) d' autre part, sans examiner les cas individuels, il convient d' admettre que la libre disposition des loisirs est plus fortement restreinte dans le cas des employés à plein temps qui doivent fournir un travail au-delà de la durée de travail normale fixée par convention collective que dans le cas des travailleurs à temps partiel?"

5 Par deux ordonnances des 5 mars et 15 juillet 1993, la Cour a, conformément à l' article 43 du règlement de procédure, joint les affaires C-399/92, C-409/92, C-425/92 et C-34/93 et les affaires C-50/93 et C-78/93 aux fins de la procédure orale et de l' arrêt.

Sur la compétence de la Cour

6 La partie défenderesse au principal dans l' affaire C-78/93 soutient à titre liminaire que la demande de décision préjudicielle est irrecevable. Elle considère en effet que, même si les dispositions en cause devaient violer l' article 119 du traité CEE, la demanderesse au principal ne pourrait obtenir le paiement des majorations réclamées. L' annulation par la juridiction nationale des dispositions attaquées créerait un vide juridique qui ne pourrait être comblé dans la mesure où la Cour ne
pourrait découvrir comment les parties auraient entendu régler la matière si elles avaient eu connaissance de la prétendue violation du droit communautaire.

7 Il convient tout d' abord de rappeler que, en vertu de l' article 177 du traité CEE, lorsqu' une question d' interprétation du traité ou des actes dérivés pris par les institutions de la Communauté est soulevée devant une juridiction nationale d' un État membre, cette juridiction peut, si elle estime qu' une décision est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

8 Dans le cadre de cette procédure de renvoi, le juge national, qui est seul à avoir une connaissance directe des faits de l' affaire, est le mieux placé pour apprécier, au regard des particularités de celle-ci, la nécessité d' une décision préjudicielle pour rendre son jugement (voir arrêt du 29 novembre 1978, Pigs Marketing Board, 83/78, Rec. p. 2347, et arrêt du 28 novembre 1991, Durighello, C-186/90, Rec. p. I-5773).

9 En conséquence, dès lors que les questions posées par le juge national portent sur l' interprétation d' une disposition de droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir arrêt du 8 novembre 1990, Gmurzynska, C-231/89, Rec. p. I-4003, point 20).

10 En l' espèce, il ne paraît guère contestable que les questions tant dans l' affaire C-78/93 que d' ailleurs dans les affaires C-399/92, C-409/92, C-425/92, C-34/93 et C-50/93 présentent une utilité certaine dans le cadre des litiges qu' ont à connaître les juridictions allemandes.

11 Il ne saurait dès lors être question pour la Cour de refuser de fournir aux juges de renvoi les éléments de droit communautaire dont ils ont besoin sous prétexte qu' une éventuelle annulation par ceux-ci des dispositions en cause pourrait entraîner un "vide juridique".

12 En ce qui concerne l' existence de ce "vide juridique", l' on observera au demeurant que la prohibition de discriminations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins s' impose, en raison de son caractère impératif, non seulement à l' action des autorités publiques, mais s' étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié ainsi qu' aux contrats entre particuliers (voir arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, 43/75, Rec. p. 455). L' article 119 est en
outre suffisamment précis pour être invoqué par un justiciable devant une juridiction nationale afin d' amener celle-ci à écarter toute disposition nationale incluant, le cas échéant, une convention collective qui s' avérerait non conforme à cet article (voir arrêt Defrenne, précité).

13 Comme l' a souligné la Cour dans son arrêt du 27 juin 1990, Kowalska (C-33/89, Rec. p. I-2591), dans l' hypothèse où le juge national viendrait à écarter les dispositions d' une convention collective en raison de leur contrariété avec l' article 119 du traité, les membres du groupe défavorisé auraient alors le droit de se voir appliquer le même régime que les autres travailleurs, proportionnellement à leur temps de travail.

14 Il s' ensuit donc que, contrairement à ce que soutient la défenderesse au principal dans l' affaire C-78/93, une éventuelle annulation de ces dispositions par les juridictions nationales ne créerait pas un vide juridique.

15 Il résulte des considérations qui précèdent qu' il y a lieu de répondre aux questions posées par les juridictions de renvoi.

Sur l' existence d' une discrimination contraire à l' article 119 du traité et à la directive

16 Les juridictions de renvoi s' interrogent dans un premier temps sur la compatibilité, au regard de l' article 119 du traité et de la directive, de dispositions de conventions collectives, qui ne prévoient le paiement de majorations de salaire pour heures supplémentaires que pour les heures effectuées au-delà de la durée normale du travail telle que fixée par ces conventions (laquelle correspond à la durée du temps de travail des travailleurs à temps plein) et qui excluent toute majoration pour
les heures accomplies par les travailleurs à temps partiel au-delà de leur horaire individuel dès lors que ces heures ne dépassent pas le seuil fixé par ces conventions.

17 La Commission et les demanderesses au principal considèrent que les conventions collectives sont, au même titre que les dispositions législatives et réglementaires, soumises au principe de non-discrimination inscrit à l' article 119 du traité, principe qui interdit de donner effet à toute disposition qui, quoique formulée et appliquée de manière neutre en ce qui concerne le sexe, comporte en fait une discrimination indirecte parce qu' elle désavantage beaucoup plus de femmes que d' hommes étant
donné que les femmes constituent la part prépondérante des employés à temps partiel.

18 Comme cela a déjà été rappelé dans le cadre de l' examen de la recevabilité, il est constant que l' article 119 du traité a vocation à s' appliquer non seulement aux dispositions législatives et réglementaires, mais également aux conventions collectives et aux contrats de travail, et ce en raison de son caractère impératif.

19 L' article 119 du traité pose le principe de l' égalité de rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail. L' article 1er de la directive précise pour sa part que ce principe implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribué une valeur égale, l' élimination, dans l' ensemble des éléments et conditions de rémunérations, de toute discrimination fondée sur le sexe. Comme la Cour l' a souligné dans son arrêt du 31 mars 1981, Jenkins
(96/80, Rec. p. 911), ce dernier article est essentiellement destiné à faciliter l' application concrète du principe de l' égalité des rémunérations qui figure à l' article 119 du traité, mais n' affecte en rien le contenu ou la portée de ce principe, tel que défini par cette disposition.

20 Le principe d' égalité des rémunérations s' oppose non seulement à l' application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe, mais également à l' application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins en application de critères non fondés sur le sexe dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s' expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute
discrimination fondée sur le sexe.

21 S' agissant des dispositions stigmatisées par la Commission et par les demanderesses au principal, il est constant qu' elles n' établissent pas de discriminations directement fondées sur le sexe.

22 Il convient donc de vérifier si les dispositions en cause peuvent constituer des discriminations indirectes contraires à l' article 119 du traité.

23 Pour ce faire, il importe de déterminer, d' une part, si elles consacrent une différence de traitement entre les travailleurs à temps plein et les travailleurs à temps partiel et, d' autre part, si cette différence de traitement affecte un nombre considérablement plus élevé de femmes que d' hommes.

24 Telle est en effet la nature du contrôle traditionnellement exercé par la Cour en cette matière (voir, notamment, arrêt Kowalska, précité, et arrêt du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, Rec. p. 1607).

25 Ce n' est que dans l' hypothèse où les réponses à ces deux questions seraient positives que se poserait la question de l' existence de facteurs objectifs étrangers à toute discrimination susceptibles de justifier la différence de traitement constatée.

26 Il y a lieu de considérer qu' il y a inégalité de traitement chaque fois que la rémunération globale payée aux travailleurs à temps plein est plus élevée, à parité d' heures effectuées en raison de l' existence d' un rapport de travail salarié, que celle versée aux travailleurs à temps partiel.

27 Or, dans la présente hypothèse, les travailleurs à temps partiel reçoivent bien, à parité d' heures effectuées, la même rémunération globale que celle perçue par les travailleurs à temps plein.

28 Ainsi, le travailleur à temps partiel dont la durée contractuelle de travail est de 18 heures reçoit-il en travaillant une 19e heure la même rémunération globale que celle obtenue par le travailleur à temps plein pour 19 heures effectuées.

29 Le travailleur à temps partiel bénéficie également de la même rémunération globale que le travailleur à temps plein lorsqu' il dépasse le seuil de la durée normale de travail telle qu' elle se trouve fixée par les conventions collectives puisqu' il bénéficie alors également de la majoration de salaire pour heures supplémentaires.

30 Il faut dès lors en conclure que les dispositions en cause ne créent pas de différence de traitement entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein et qu' il ne peut donc y avoir de discrimination contraire aux articles 119 du traité et 1er de la directive.

31 En conséquence, il y a lieu de répondre à la première question que l' article 119 du traité CEE et l' article 1er de la directive 75/117/CEE, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins ne s' opposent pas à ce qu' une convention collective ne prévoie le paiement de majorations pour heures supplémentaires qu' en cas de
dépassement de la durée normale de travail qu' elle fixe pour les travailleurs à temps plein.

Sur les autres questions posées à la Cour

32 Étant donné la réponse qui a été apportée à la première question, il n' y a pas lieu de répondre aux questions visant, d' une part, à déterminer s' il existe des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe susceptibles de justifier une éventuelle différence de traitement et, d' autre part, à définir le mode de calcul de la majoration à laquelle le travailleur à temps partiel aurait eu droit.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

33 Les frais exposés par les gouvernements allemand, français, hellénique, du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Landesarbeitsgericht Hamm, l' Arbeitsgericht Hamburg, l' Arbeitsgericht Elmshorn, l' Arbeitsgericht Bochum et l' Arbeitsgericht Neumuenster, par ordonnances des 22 octobre 1992 (affaire C-399/92), 4 novembre 1992 (affaire C-425/92), 6 novembre 1992 (affaire C-409/92), 18 décembre 1992 (affaire C-50/93), 21 janvier 1993 (affaire C-34/93), et 1er février 1993 (affaire C-78/93), dit pour droit:

L' article 119 du traité CEE et l' article 1er de la directive 75/117/CEE, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins ne s' opposent pas à ce qu' une convention collective ne prévoie le paiement de majorations pour heures supplémentaires qu' en cas de dépassement de la durée normale de travail qu' elle fixe pour les travailleurs
à temps plein.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-399/92,
Date de la décision : 15/12/1994
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Landesarbeitsgericht Hamm, Arbeitsgericht Hamburg, Arbeitsgericht Bochum, Arbeitsgericht Elmshorn et Arbeitsgericht Neumünster - Allemagne.

Egalité de rémunération - Rémunération des heures supplémentaires effectuées par des travailleurs à temps partiel.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Stadt Lengerich
Défendeurs : Angelika Helmig et Waltraud Schmidt

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Murray

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1994:415

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