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30/11/1994 | CJUE | N°T-568/93

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance, Helena Correia contre Commission des Communautés européennes., 30/11/1994, T-568/93


ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

30 novembre 1994 ( *1 )

«Agents temporaires stagiaires — Insuffisance professionnelle — Licenciement»

Dans l'affaire T-568/93,

Helena Correia, ancien agent temporaire stagiaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Woluwé-Saint-Étienne (Belgique), représentée par Me Jean-Noël Louis, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

partie requérante,

contre

Commission des Communaut

és européennes, représentée par M. Dimitrios Gouloussis, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu d...

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

30 novembre 1994 ( *1 )

«Agents temporaires stagiaires — Insuffisance professionnelle — Licenciement»

Dans l'affaire T-568/93,

Helena Correia, ancien agent temporaire stagiaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Woluwé-Saint-Étienne (Belgique), représentée par Me Jean-Noël Louis, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Dimitrios Gouloussis, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation de la décision prise par la Commission le 25 février 1993 de licencier la requérante au terme de son stage,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. K. Lenaerts, président, R. Schintgen et R. Garcia-Valdecasas, juges,

greffier: M. J. Palacio Gonzalez, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 11 octobre 1994,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du recours

1 La requérante, lauréate du concours général COM/C/655, a été inscrite sur la liste d'aptitude résultant de celui-ci.

2 Le 31 juillet 1991, un avis de vacance pour l'emploi de secrétaire de la conférence «ESPRIT» a été établi. En mars 1992, cet emploi a fait l'objet d'une «Job description» plus détaillée.

3 La requérante s'est portée candidate à cet emploi et suite à un entretien de deux heures avec le chef de l'unité A2 de la direction générale Télécommunications, industries de l'information et innovation (DG XIII), elle a été recrutée, le 11 mai 1992, en qualité d'agent temporaire stagiaire avec classement au grade C 5, échelon 1, sur la base de l'article 2, sous d), du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après «RAA») «pour exercer les fonctions de dactylographe». Le
1er juin 1992, la requérante a commencé son stage au sein de l'unité A2 de la DG XIII, comme secrétaire de la conférence «ESPRIT».

4 Le 16 octobre 1992, le chef de cette unité a établi un projet de rapport contenant de nombreuses critiques relatives à la manière dont la requérante s'acquittait de ses fonctions de secrétaire de la conférence «ESPRIT». Ce rapport n'a été ni transmis à la requérante ni joint à son dossier personnel.

5 Par note du 9 novembre 1992, elle a été informée par le chef de l'unité «personnel et affaires administratives» de la DG XIII que «le projet de rapport transmis par sa hiérarchie se révèle négatif et ne lui permet pas de proposer son maintien en service en tant qu'agent temporaire». Cette note proposait cependant à la requérante une prolongation de son stage pour trois mois, à compter du 1er décembre 1992 et son affectation dans une nouvelle unité, l'unité A6, à compter du 3 novembre 1992, afin de
lui donner une seconde chance de faire la preuve de ses capacités. La requérante a accusé réception de cette note le 10 novembre 1992.

6 Durant le mois de décembre, la requérante n'a pas travaillé, étant soit en congé de maladie (du 1er au 11) soit en congé annuel avec l'approbation de ses supérieurs (du 14 décembre au 6 janvier). Durant le mois de janvier, la requérante n'a travaillé que 12,5 jours, étant en congé annuel jusqu'au 6 et en congé de maladie du 18 au 20 et du 27 au 29.

7 Par note du 2 février 1993, le supérieur hiérarchique de la requérante lui a indiqué: «Je note que vous avez été transférée de l'unité A2 vers l'unité A6 dans le courant du mois de novembre 1992. Comme vous le savez, votre supérieur hiérarchique dans l'unité A2 n'a pas été en mesure d'émettre un avis favorable à l'issue de votre stage, vos résultats n'atteignant pas le niveau requis. A la suite de cela, votre stage a été prolongé et vous avez été affectée dans notre service.

Vous avez été informée par Mme Smets que nous avons aussi des réserves à formuler quant à votre travail. Elle a en particulier évoqué avec vous certains points faibles, dont:

— un manque d'organisation;

— un manque de clarté dans la communication (compte tenu d'un éventuel handicap linguistique);

— des difficultés à discerner et à choisir les bonnes priorités.

Je vous informe par la présente note que faute d'une amélioration dans ces domaines, je ne serai malheureusement pas en mesure d'émettre un avis favorable à l'issue de votre stage.

Une copie de la présente lettre a été envoyée aux responsables des questions de personnel au niveau de la direction générale et de la direction, MM. Cairoli et Papageorgiou. Si vous souhaitez vous entretenir avec l'un d'entre nous, je vous encourage vivement à le faire.

(s) Patricia Mac Conaill.»

8 Le 16 février 1993, elle s'est vu adresser son rapport de stage définitif, établi par le même supérieur hiérarchique, dans lequel il était précisé: «Mme Correia possède de nombreuses qualités et a eu notamment une attitude aimable et serviable vis-à-vis de ses collègues et correspondants extérieurs. Malheureusement, son manque d'organisation et son inaptitude à répondre aux exigences du travail et aux impératifs du service font que ses résultats sont insuffisants. Depuis l'avertissement qu'elle a
reçu le 2. 2. 1993 un effort d'amélioration a été enregistré. Toutefois, cette amélioration ne portant que sur une période limitée en regard des huit mois de stage, elle ne modifie pas l'impression d'ensemble.»

9 Le 22 février 1993, la requérante a présenté ses observations sur son rapport de stage. Ces observations contiennent une critique approfondie des conditions dans lesquelles elle a dû effectuer son stage.

10 Par lettre du 25 février 1993, la requérante a été licenciée en application de l'article 14, paragraphe 2, du RAA.

11 Le 19 avril 1993, la requérante a introduit, en application de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), applicable par analogie aux agents temporaires en vertu de l'article 46 du RAA, une réclamation contre cette décision.

12 Lors de la réunion du groupe interservices qui a examiné cette réclamation, aucun représentant de la DG XIII n'était présent pour expliquer les irrégularités dénoncées dans la réclamation.

13 Le 19 août 1993, cette réclamation a fait l'objet d'une réponse implicite de rejet.

14 C'est dans ces circonstances que la requérante a, le 22 novembre 1993, introduit le présent recours. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé, avant d'ouvrir la procédure orale, de procéder à une audition de témoins.

15 Par ordonnance du Tribunal du 22 septembre 1994, Mmes Dymphna Lordan, Patricia Mac Conaill, Teresa Martins et MM. Nicolas Beinema, Yves René de Cotret et Guy Hoeberechts ont été convoqués en tant que témoins. Ils ont été entendus, à l'exception de M. Beinema, excusé pour raisons de santé, le 11 octobre 1994, avant l'ouverture de la procédure orale.

16 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 11 octobre 1994.

Conclusions des parties

17 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

— annuler la décision de la Commission du 25 février 1993 de licencier la requérante à l'issue de sa période de stage et, pour autant que de besoin, la décision portant rejet de la réclamation introduite le 19 avril 1993;

— condamner la partie défenderesse aux dépens.

La Commission conclut, quant à elle, à ce qu'il plaise au Tribunal:

— rejeter le recours;

— statuer comme de droit sur les dépens.

Moyens et arguments des parties

18 La requérante invoque, en substance, trois moyens à l'appui de son recours. Le premier est pris de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que la Commission aurait attribué à la requérante des fonctions ne correspondant pas à son grade et aurait ainsi apprécié la qualité de son travail par rapport à des fonctions qui ne pouvaient pas lui être attribuées. Le deuxième moyen est tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de bonne gestion ainsi que
des droits de la défense, en ce que les conditions dans lesquelles la requérante a effectué son stage auraient été anormales et ne lui auraient donc pas permis de faire la preuve de ses qualités et en ce que l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») ne lui aurait pas transmis un rapport intermédiaire négatif sur lequel est fondée la décision de licenciement attaquée. Le troisième moyen est pris d'une violation des articles 25 et 26 du statut, ainsi que de l'article 14 du RAA,
en ce que le rapport de fin de stage aurait été établi moins d'un mois avant la fin du stage, en ce que la décision de licenciement n'aurait pas été suffisamment motivée et en ce que le comité des rapports de fin de stage n'aurait pas été consulté.

19 La Commission répond, en substance, au premier moyen que la requérante retient une conception excessivement stricte de ses fonctions de dactylographe et rappelle que le rapport de stage apprécie non seulement les travaux accomplis, mais également la capacité d'adaptation du stagiaire. La Commission a précisé que l'avis de vacance auquel la requérante avait présenté sa candidature décrivait de manière large les fonctions à exercer, ajoutant que la requérante avait exprimé, préalablement à son
recrutement, le souhait d'exercer des responsabilités.

20 La Commission rappelle, ensuite, que l'appréciation des aptitudes de ses agents doit être faite dans l'intérêt du service et que la période du stage ne saurait être assimilée à une période de formation (arrêt du Tribunal du 1er avril 1992, Kupka-Floridi/CES, T-26/91, Rec. p. II-1615).

21 La Commission souligne, enfin, que, selon la jurisprudence de la Cour (arrêts du 17 novembre 1983, Tréfois/Cour de justice, 290/82, Rec. p. 3751, et du 15 mai 1985, Patrinos/CES, 3/84, Rec. p. 1421), il existe une différence de nature entre une décision de licenciement d'un agent titulaire et une décision de non-titularisation — en l'espèce, de non-maintien dans son emploi — d'un agent temporaire stagiaire.

22 La Commission répond, en substance, au deuxième moyen qu'il ressort d'une jurisprudence établie que le devoir de sollicitude de l'administration ne saurait contraindre celle-ci à attribuer au fonctionnaire stagiaire des tâches tenant davantage compte de ses qualifications particulières que des exigences du service auquel il est affecté (arrêt Kupka-Floridi/CES, précité).

23 A titre subsidiaire, elle se réfère à l'arrêt de la Cour du 12 mai 1971, Nagels/Commission (52/70, Rec. p. 365), selon lequel la circonstance que, dans l'agencement concret des fonctions afférentes au poste auquel a été affecté un stagiaire, des tâches ont été confiées à ce dernier qui ne constituaient pas le prolongement direct et nécessaire des travaux énumérés dans l'avis de vacance relatif au poste en question, ne saurait invalider le stage, dès lors que ces tâches concernent la matière visée
par l'avis de vacance.

24 La Commission indique que, en n'adressant aucune critique par écrit à la requérante avant le 2 février 1993, elle a souhaité retarder le plus possible la rédaction d'une note dont l'insertion dans son dossier eût été préjudiciable à sa carrière dans l'hypothèse d'un maintien en service au-delà du stage. En outre, elle aurait, à deux occasions au moins, par ses notes des 9 novembre 1992 et 2 février 1993, adressé des observations critiques à la requérante. Subsidiairement, elle fait observer que,
selon l'arrêt de la Cour du 13 décembre 1989, Patrinos/CES (C-17/88, Rec. p. 4249), il, n'existe aucune obligation pour l'administration d'adresser, à un moment donné, un avertissement au stagiaire dont les prestations ne donnent pas satisfaction.

25 Elle considère que c'est à tort que la requérante soutient qu'elle n'aurait pas bénéficié d'un encadrement pendant son stage. En effet, l'administration, dès la fin du mois de novembre 1992, aurait adjoint à la requérante un collègue de langue portugaise en vue de l'aider à pallier des difficultés d'ordre linguistique. En outre, pendant toute la période de son stage, les supérieurs hiérarchiques de la requérante auraient attiré son attention sur ses lacunes, à savoir: un défaut d'approche
systématique, un manque de clarté dans l'expression et des difficultés dans l'identification des priorités.

26 La Commission ajoute que les supérieurs de la requérante ont veillé à ce qu'elle ait le plus rapidement possible tous les renseignements concernant l'activité au sein de la DG XIII, en lui expliquant notamment le rôle de chacun, que le nécessaire a été fait pour qu'elle puisse bénéficier d'un cours de perfectionnement de la langue anglaise et qu'il lui a été conseillé de s'inscrire à un cours de perfectionnement en Word 5.

27 En ce qui concerne le «manque d'organisation (de la requérante) et son inaptitude à répondre aux exigences du travail et aux impératifs du service», reproche contenu dans le rapport de fin de stage, la Commission relève encore, à titre d'exemples, que lors du séminaire des exposants, la requérante n'a nullement suivi les instructions de son chef, a terminé le travail préparatoire à la réunion le matin même de celle-ci, et, en conséquence, n'a pu accueillir les participants comme prévu. En ce qui
concerne la production des «factsheets», la requérante se serait permis de critiquer le mode d'élaboration, de correction et de révision finale de ceux-ci, alors que sa seule mission était d'exécuter le travail demandé avec méthode, application et bon sens; la personne qui a repris ses fonctions après son départ aurait mis deux semaines pour tout classer et tout remettre à jour.

28 En outre, elle expose que, si la requérante n'a pas eu beaucoup de travail au début de son stage, elle aurait dû mettre ce temps à profit pour mieux connaître l'environnement informatique, pour lire la documentation mise à sa disposition et pour demander les explications nécessaires, tout en ajoutant: «Mais son temps à elle consistait à prendre, depuis la Commission, des contacts en Europe, dans le domaine de l'import-export de produits alimentaires, et ce au profit de sa propre société, sise à
Macao» (duplique, p. 4).

29 La Commission relève, enfin, qu'il ressort de la jurisprudence que ce n'est pas à elle d'apporter la preuve de la normalité des conditions de stage, mais à la requérante d'apporter la preuve contraire (arrêt de la Cour du 12 décembre 1956, Mirossevich/Haute Autorité, 10/55, Rec. p. 365).

30 La Commission ajoute que l'ensemble de l'activité de la requérante entre le 1er juin 1992 et le 28 février 1993 doit être considéré comme se rattachant à un seul et même stage d'une durée de neuf mois. En conséquence, il n'apparaît pas à la Commission qu'il était indispensable de transmettre à la requérante un rapport de stage établi sur une base de temps trop courte et dont les conclusions défavorables à la requérante lui ont été, de toute façon, transmises par la note de son supérieur
hiérarchique en date du 9 novembre 1992.

31 Selon la Commission, c'est à bon droit qu'elle n'a pas jugé nécessaire de communiquer à la requérante le rapport portant sur la première partie de son stage, parce que le rapport de stage est destiné à l'éclairer sur l'intérêt du service au maintien du stagiaire dans son emploi. Dès lors qu'une décision de prolongation du stage avait été prise par la Commission, et acceptée par l'intéressée, la défenderesse ne voit pas quel eût pu être l'intérêt de la communication d'un rapport de stage à
mi-terme. La notion de «rapport intérimaire négatif» aurait été consacrée par la jurisprudence (arrêt du 13 décembre 1989, Patrinos/CES, précité). Dans cet arrêt, la Cour aurait rappelé que l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire dans l'appréciation des suites à donner à un tel rapport, sans évoquer la nécessité de communiquer le rapport intérimaire lorsque celui-ci précède une décision de prolongation du stage. Même si l'on considère uniquement l'intérêt du stagiaire, la Commission
soutient que la communication du rapport à l'intéressé a pour but premier de permettre à celui-ci de présenter sa défense le cas échéant. En l'occurrence, la requérante ayant fait l'objet d'une décision favorable de prolongation de stage, la Commission ne voit pas ce qui justifiait qu'un rapport de stage, à mi-parcours, lui fût remis.

32 La Commission répond, en substance, au troisième moyen que l'article 14 du RAA impose, certes, à l'administration de communiquer à l'intéressé le rapport de stage «un mois au plus tard avant l'expiration de la période de stage». Néanmoins, la défenderesse rappelle qu'il est de jurisprudence établie que le retard dans l'établissement du rapport de stage n'affecte pas la légalité de la décision de licenciement (voir arrêt de la Cour du 12 juillet 1973, di Piilo/Commission, 10/72 et 47/72, Rec. p.
763), dès lors que ce retard n'affecte pas le droit de l'intéressé de soumettre ses observations éventuelles à l'AIPN (arrêt de la Cour du 25 mars 1982, Munk/Commission, 98/81, Rec. p. 1155). Cette jurisprudence s'applique, en particulier, lorsque le stagiaire a été averti avant l'envoi du rapport de l'appréciation de ses supérieurs. En l'espèce, la requérante aurait été avertie de l'appréciation portée sur ses travaux dès le 2 février 1993 et elle aurait été mise en mesure de présenter ses
observations dans le laps de temps séparant la communication du rapport de stage de la décision de licenciement motivée par ce rapport.

Appréciation du Tribunal

33 Le Tribunal considère que les trois moyens invoqués par la requérante doivent être examinés conjointement afin de déterminer si son stage a été effectué dans des conditions normales et si ses droits de la défense ont été respectés.

34 II convient de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'une décision de licenciement au terme de la période de stage doit être annulée si la requérante n'a pas été mise en mesure d'accomplir son stage dans des conditions normales (arrêt du 15 mai 1985, Patrinos/CES, précité, points 20 à 24).

35 II convient donc d'examiner, en l'espèce, si la requérante a été mise en mesure d'accomplir son stage dans des conditions normales.

36 A cet égard, il convient de rappeler que la requérante a été engagée en qualité d'agent temporaire avec classement à l'échelon de base du grade de base de la catégorie C (C 5/1) et que son contrat d'engagement indique en son article 2 qu'elle a été engagée «pour exercer les fonctions de dactylographe».

37 Or, il ressort de l'avis de vacance du 31 juillet 1991, auquel a répondu la candidature de la requérante, et de la «Job description» datée de mars 1992, relative au poste qu'elle a occupé, que celle-ci a été engagée pour être la secrétaire de la conférence «ESPRIT» et que cette fonction impliquait un niveau de responsabilité élevé. En effet, l'avis de vacance décrivait comme suit les fonctions de la requérante: «Secrétaire au sein du programme ESPRIT. Travail d'équipe varié: organisation de
missions et de réunions, gestion de base de données et traitement de textes (Word 5), ainsi que gestion de courrier et classement. Esprit d'initiative, le sens de l'organisation et une connaissance des procédures administratives seraient des atouts. Bonnes connaissances FR/EN.» La «Job description» confirme cette analyse.

38 Il s'ensuit que la requérante a été appelée à exercer des fonctions ne correspondant pas au grade et à l'échelon qui lui avaient été attribués. Face à cela, la Commission se prévaut du fait qu'elle avait averti la requérante du contenu de ses fonctions et que celle-ci avait consenti à les exercer au grade C 5, échelon 1, en raison de son souhait de se voir attribuer des responsabilités importantes. Toutefois, le Tribunal considère que, eu égard au fait que les fonctions de la requérante ne
correspondaient pas au grade et à l'échelon qui lui avaient été attribués, la Commission devait assurer à la requérante un encadrement particulier pendant le déroulement de son stage, afin de veiller à ce que la requérante soit mise en mesure d'assumer les fonctions qui lui avaient été confiées.

39 Or, force est de constater que la requérante n'a pas bénéficié durant la première partie de son stage d'un encadrement adapté aux exigences des fonctions qui lui ont été confiées et à ses qualifications, lesquelles étaient ou devaient être connues de ses supérieurs hiérarchiques grâce à l'entretien de deux heures qui avait précédé son engagement.

40 En effet, en premier lieu, les supérieurs hiérarchiques de la requérante savaient, d'une part, que des connaissances approfondies en anglais étaient nécessaires, car la langue utilisée dans le service était essentiellement l'anglais, et, d'autre part, que des connaissances approfondies en informatique étaient également nécessaires, car la fonction essentielle de la requérante serait l'élaboration de «factsheets». En second lieu, d'une part, ils savaient que la requérante était lauréate d'un
concours de dactylographe et, d'autre part, ils devaient savoir qu'elle n'avait que des connaissances en anglais et en informatique limitées, puisqu'ils devaient s'en être rendus compte au cours des entretiens qui ont précédé l'engagement de la requérante.

41 Malgré ces éléments, ils l'ont engagée comme «la» secrétaire de la conférence «ESPRIT», le 1er juin 1992. Pendant le premier mois de son engagement, il n'est pas contesté que la requérante ne s'est vu confier aucune tâche spécifique et que, pendant les deux mois suivants, les activités du service ont connu un creux en raison des congés annuels.

42 Conscients des limites linguistiques et informatiques de la requérante, ses supérieurs hiérarchiques l'ont invitée à suivre des cours d'anglais et d'informatique. Il est constant entre les parties que ces derniers n'ont débuté que le 23 septembre 1992 pour des raisons indépendantes de la volonté de la requérante. Or, c'est dès le 16 octobre 1992 que le supérieur hiérarchique de la requérante a établi, sans le lui communiquer, un projet de rapport négatif la concernant dans lequel on peut lire que
«I have to notice that Mrs Correia does not possess the qualifications for this kind of job» (Il me faut noter que Mme Correia ne possède pas les qualifications requises pour cet emploi), suite notamment à la constatation selon laquelle «I know that Mrs Correia is Portuguese, but I would like to point out that her English is poor, which means that in a service, where 95 % of the work is done in English, extra time for production of documents is needed» (Je sais que Mme Correia est portugaise,
mais je voudrais souligner que son anglais est pauvre, ce qui signifie que, dans un service où 95 % du travail s'effectue en anglais, il faut plus de temps pour la production de documents).

43 Par conséquent, force est de constater que, moins de quatre semaines après le début des cours d'anglais de la requérante, son supérieur hiérarchique lui a fait grief de ne pas encore avoir acquis de connaissances en anglais suffisantes pour exercer ses fonctions, alors qu'il avait eu avec la requérante un entretien de deux heures avant son entrée en fonction et que son propre supérieur hiérarchique avait également eu un entretien avec elle.

44 Il s'ensuit que c'est à tort que les faiblesses linguistiques de la requérante ont été prises en considération pour motiver l'insuffisance de son stage effectué dans des fonctions ne correspondant pas à son grade, même si ces faiblesses linguistiques ont pu affecter la qualité de ses prestations durant son stage. De plus, la Commission ne saurait faire grief à la requérante de n'avoir pas poursuivi ses cours d'anglais ultérieurement, dans la mesure où ce sont les contraintes du service qui ont
empêché, à ce moment, la requérante de poursuivre ces cours.

45 Par ailleurs, la Commission ne saurait prétendre que ce sont les absences fréquentes de la requérante qui l'ont empêchée de bénéficier d'une formation en informatique, dans la mesure où la première absence de la requérante remonte au 19 novembre 1992, soit plus de cinq mois et demi après son entrée en fonction. Ces éléments prennent un relief tout particulier à la lumière du fait qu'il est constant entre les parties que, durant au moins le premier mois qui a suivi son entrée en fonction, la
requérante a disposé du temps nécessaire pour que ses supérieurs lui assurent une formation adéquate.

46 Il résulte de ce qui précède que, pendant la première partie de son stage qui s'est déroulée du 1er juin 1992 à novembre 1992, la requérante n'a pas été mise en mesure d'accomplir son stage dans des conditions normales eu égard aux circonstances de son engagement.

47 Il convient encore d'examiner si, pendant la seconde partie de son stage qui s'est déroulée de novembre 1992 à février 1993, la requérante a été mise en mesure d'accomplir son stage dans des conditions normales.

48 A cet égard, force est de constater que la requérante a affirmé, sans être contredite, que, durant le mois de novembre 1992, l'ensemble de l'unité à laquelle elle appartenait a été entièrement accaparée par la conférence «ESPRIT» et qu'elle a été contrainte de s'occuper de menus travaux, personne n'ayant le temps de l'initier à ses nouvelles fonctions. Durant le mois de décembre, la requérante a été absente pour raison de maladie et de congé annuel. Pendant le mois de janvier, elle n'a travaillé
que douze jours et demi en raison de son congé annuel et de congés de maladie.

49 Par conséquent, la note du 2 février 1993, émanant du supérieur hiérarchique de la requérante et l'informant du caractère insuffisant de ses prestations, était fondée sur un nombre de jours de travail dans des conditions normales insuffisant pour justifier une décision de licenciement à l'issue de la période de stage, d'autant plus que le rapport de stage définitif de la requérante, daté du 16 février 1993, a pris acte de ce que durant les deux semaines qui ont suivi la note du 2 février 1993«un
effort d'amélioration a été enregistré. Toutefois, cette amélioration ne portant que sur une période limitée au regard des huit mois de stage, elle ne modifie pas l'impression d'ensemble».

50 Il s'ensuit que la seconde partie du stage de la requérante ne saurait suffire à justifier la décision de licenciement, dont il convient d'ailleurs de relever qu'elle est motivée par référence à la totalité de la période de stage.

51 Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'a pas été mise en mesure d'accomplir son stage dans des conditions normales.

52 A cette première cause d'annulation de la décision de licencier la requérante s'ajoute une seconde, à savoir que cette décision a été prise en violation des droits de la défense de la requérante.

53 En effet, la décision attaquée est motivée par référence au rapport de stage définitif du 16 février 1993. Ce rapport précise: «Depuis l'avertissement qu'elle a reçu le 2. 2. 1993, un effort d'amélioration a été enregistré. Toutefois, cette amélioration ne portant que sur une période limitée en regard des huit mois de stage, elle ne modifie pas l'impression d'ensemble.» Il se réfère donc à la première période du stage effectué par la requérante. Or, pour cette première période, le seul rapport
existant est le projet de rapport négatif daté du 16 octobre 1992 auquel il est fait référence dans la note adressée à la requérante le 9 novembre 1992.

54 Or, le Tribunal constate que la requérante n'a jamais reçu communication ni directement ni indirectement, par son insertion dans son dossier personnel, du projet de rapport négatif daté du 16 octobre 1992, qui a motivé la décision de ne pas proposer son maintien en service en tant qu'agent temporaire, mais de lui proposer une prolongation de stage de trois mois. Lors de son audition en qualité de témoin, l'auteur du rapport de stage définitif daté du 16 février 1993 a reconnu qu'elle avait fondé
son appréciation relative à la première partie du stage de la requérante, d'une part, sur des informations recueillies auprès de personnes ayant travaillé avec la requérante pendant cette période et auprès de la direction générale du personnel et de l'administration et, d'autre part, sur la lettre du 9 novembre 1992. Cette dernière étant exclusivement fondée sur le projet de rapport négatif, il y a lieu d'en conclure que ce projet de rapport négatif constitue un élément essentiel sur lequel est
fondée la décision de licencier la requérante.

55 Cet élément n'ayant pas été porté à la connaissance de la requérante, celle-ci n'a pu présenter ses observations sur le contenu du document en cause.

56 Si l'on peut certes comprendre que la Commission n'ait pas versé immédiatement ce projet de rapport négatif au dossier personnel de la requérante afin d'éviter qu'il ne lui porte préjudice dans le déroulement futur de sa carrière, le Tribunal ne saurait accepter que ce projet de rapport n'ait pas été communiqué à la requérante au plus tard au moment où son rapport de stage définitif lui a été communiqué, puisque ce dernier ne pouvait être compris qu'à la lumière du premier.

57 Cette violation des droits de la défense de la requérante prend un relief tout particulier au regard du fait que son rapport de stage définitif note une amélioration dans son travail, mais que celle-ci est jugée insuffisante en raison précisément du fait qu'elle porte sur une période non significative par rapport à l'ensemble de la période du stage, qui est couverte, pour l'essentiel (juin à novembre), par le projet de rapport négatif non communiqué à la requérante.

58 Par ailleurs, il convient de relever que, au stade de la duplique, la Commission a présenté pour la première fois un certain nombre de griefs à l'encontre de la requérante, comme ceux relatifs notamment au fait que «son temps à elle consistait à prendre, depuis la Commission, des contacts en Europe, dans le domaine de l'import-export de produits alimentaires, et ce au profit de sa propre société, sise à Macao».

59 A ces graves accusations, il convient d'ajouter le fait que la Commission a précisé pour la première fois, dans sa duplique (p. 3), ce qu'elle entendait par le «manque d'organisation et (l')inaptitude (de la requérante) à répondre aux exigences du travail et aux impératifs du service», en se référant à des événements qui se seraient produits lors du séminaire des exposants ainsi qu'à la production des «factsheets», «dont la requérante se serait permis de critiquer le mode d'élaboration».

60 En se référant pour la première fois à ces différents faits au cours de la procédure devant le Tribunal, et non dans le rapport de fin de stage ayant précédé l'adoption de la décision attaquée, la Commission a également porté atteinte aux droits de la défense de la requérante.

61 Le Tribunal relève, au surplus, que les accusations mentionnées au point 58 sont dépourvues de tout fondement étant donné que les deux supérieurs hiérarchiques de la requérante, lors de leur audition par le Tribunal en qualité de témoins, ont affirmé n'avoir jamais observé ni entendu parler de telles activités.

62 Il résulte de tout ce qui précède que la décision de licencier la requérante doit être annulée en raison, d'une part, des conditions anormales dans lesquelles s'est déroulé le stage de la requérante et, d'autre part, de la violation de ses droits de la défense ayant résulté de la non-communication du projet de rapport négatif du 16 octobre 1992 et des allégations tardives relatives à son entreprise sise à Macao, à des incidents lors du séminaire des exposants et à l'élaboration des «factsheets».

Sur les dépens

63 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé et la requérante ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de la condamner aux dépens de l'instance.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

  1) La décision de la Commission du 25 février 1993 portant licenciement de la requérante est annulée.

  2) La Commission est condamnée aux dépens.

Lenaerts

Schintgen

Garcia-Valdecasas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 novembre 1994.
 
Le greffier

H. Jung

Le président

K. Lenaerts

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( *1 ) Langue de procédure: le français.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : T-568/93
Date de la décision : 30/11/1994
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Agents temporaires stagiaires - Insuffisance professionnelle - Licenciement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Helena Correia
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1994:280

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