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21/04/1994 | CJUE | N°C-426/92

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 21 avril 1994., Bundesrepublik Deutschland contre Deutsches Milch-Kontor GmbH., 21/04/1994, C-426/92


Avis juridique important

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61992C0426

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 21 avril 1994. - Bundesrepublik Deutschland contre Deutsches Milch-Kontor GmbH. - Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht - Allemagne. - Aide pour le lait écrémé en poudre - Contrôles systématiques à

la frontière - Mesure d'effet équivalent - Frais de contrôle - Taxe d'effet é...

Avis juridique important

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61992C0426

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 21 avril 1994. - Bundesrepublik Deutschland contre Deutsches Milch-Kontor GmbH. - Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht - Allemagne. - Aide pour le lait écrémé en poudre - Contrôles systématiques à la frontière - Mesure d'effet équivalent - Frais de contrôle - Taxe d'effet équivalent. - Affaire C-426/92.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-02757

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Le Bundesverwaltungsgericht vous a, par ordonnance du 27 août 1992, posé trois questions préjudicielles relatives à l' interprétation de divers règlements communautaires régissant les conditions d' octroi d' une aide communautaire pour le lait écrémé en poudre produit dans un État membre et destiné à être transformé dans un autre État membre. Vous êtes ainsi interrogés d' une part sur la possibilité d' effectuer des contrôles systématiques aux frontières, d' autre part sur la compatibilité avec
les articles 9, 12, 16 et 95 du traité CEE de tels contrôles, dès lors qu' ils sont destinés à s' assurer du respect des conditions de composition du lait écrémé en poudre.

2. Il convient, avant de préciser la teneur des questions posées, de rappeler les éléments pertinents de la réglementation en cause ainsi que de résumer brièvement les faits à l' origine du litige au principal opposant la société Deutsches Milch-Kontor à la République fédérale d' Allemagne, représentée par le Bundesamt fuer Ernaehrung und Forstwirtschaft (ci-après "le BEF").

I - La réglementation applicable

3. Le règlement (CEE) n 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (1) a mis en place un ensemble de règles destinées à soutenir l' écoulement, sur le marché, des produits entrant dans son champ d' application. Son article 7, paragraphe 2, second alinéa, dispose ainsi que

"Pour le lait écrémé en poudre qui ne peut être écoulé pendant une campagne laitière à des conditions normales, des mesures particulières peuvent être prises".

4. De manière plus spécifique, l' article 10, paragraphe 1, prévoit que des aides seront accordées au lait écrémé en poudre utilisé pour l' alimentation des animaux, pour autant qu' il répond à certaines conditions.

5. Sur la base de ce règlement, le Conseil a adopté, le 15 juillet 1968, le règlement (CEE) n 986/68 établissant les règles générales relatives à l' octroi des aides pour le lait écrémé et le lait écrémé en poudre destinés à l' alimentation du bétail (2), aides versées par l' État membre dans lequel il est transformé ou dénaturé. Cependant, son article 3, paragraphe 1, permettait de déroger, pour une certaine période, à ce système, en autorisant le versement de l' aide par l' État de fabrication du
produit et non par celui de sa transformation.

6. Les États membres ayant, en ce qui concerne l' Italie, informé la Commission de leur intention de voir renouveler ce dernier régime, celle-ci a adopté le règlement (CEE) n 1624/76, du 2 juillet 1976 (3), permettant à l' État membre exportateur de payer l' aide au lait écrémé en poudre produit sur son territoire mais destiné à être dénaturé ou transformé en Italie.

7. Ce règlement a été modifié par le règlement (CEE) n 1726/79 (4), lequel subordonne le paiement de l' aide par l' État membre d' exportation à certaines conditions.

8. L' article 2, paragraphe 1, est désormais libellé ainsi:

"L' aide n' est versée par l' État membre expéditeur que:

a) si le lait écrémé en poudre en l' état ou incorporé dans un mélange répond aux conditions figurant à l' article 1er, paragraphes 2, 3 et 4 du règlement (CEE) n 1725/79 et a, dans l' État membre expéditeur, fait l' objet du contrôle y afférent visé à l' article 10, dudit règlement;

b) selon les modalités relatives au respect de la teneur en eau visée à l' article 1er, paragraphe 4, et à l' article 10, paragraphe 1, du règlement (CEE) n 1725/79;

..."

9. Le paragraphe 4 a été également reformulé en ces termes:

"L' exemplaire de contrôle n' est délivré que sur présentation d' une attestation établie par l' autorité compétente certifiant qu' elle assure le respect des dispositions du paragraphe 1, sous a) et b).

..."

10. L' article 1er du règlement (CEE) n 1725/79 (5) auquel renvoie le règlement n 1726/79, précité, exige que la qualité et la composition du lait écrémé en poudre soient conformes aux prescriptions requises. Quant à l' article 10, après avoir disposé que,

"Afin d' assurer le respect des dispositions du présent règlement, les États membres prennent notamment les mesures de contrôle suivantes",

il prévoit, en substance, d' une part le contrôle de la qualité du lait écrémé en poudre, d' autre part celui de sa transformation en aliments composés pour animaux.

11. En ce qui concerne la qualité, le contrôle s' effectue normalement lors de sa dénaturation ou transformation, étant observé qu' il résulte du paragraphe 1, deuxième alinéa, de l' article 10, précité, que

"Toutefois, lorsque le lait en poudre utilisé, en l' état ou sous forme de mélange, provient directement de l' établissement où il est produit, le contrôle ... peut être effectué avant la sortie du lait écrémé en poudre dudit établissement de production".

12. Dans ce cas, certaines conditions doivent être respectées afin que la production ainsi contrôlée soit celle-là même qui fera l' objet d' une transformation.

13. S' agissant du contrôle de la dénaturation, le règlement prévoit simplement des "contrôles ... fréquents et inopinés ... effectués au minimum une fois tous les quatorze jours..." (6).

II - Les faits du litige au principal

14. La société Deutsches Milch-Kontor achète, en République fédérale d' Allemagne, du lait écrémé en poudre destiné à être exporté en Italie pour y être transformé en aliments composés pour animaux. Le transport s' effectue par camions d' une contenance d' environ 25 tonnes chacun, lesquels font l' objet, lors du franchissement de la frontière, d' un contrôle systématique par le BEF, par prélèvements d' échantillons sur certains lots du chargement de chaque camion, destinés à s' assurer de la
conformité de la marchandise aux conditions définies par les règlements communautaires. Les frais d' analyse afférents à ces contrôles sont mis à la charge de l' exportateur à raison de 112 DM par échantillon. Ainsi, entre le 29 avril et le 8 septembre 1980, des avis de paiement d' un montant de 17 081,28 DM ont été émis, représentant le montant du coût des analyses effectuées. Deutsches Milch-Kontor en a contesté la régularité en justice en soutenant que pareille imputation était assimilable à une
taxe d' effet équivalant à une restriction quantitative à l' exportation.

15. Si son recours a été rejeté en première instance par le Verwaltungsgericht Frankfurt, la juridiction d' appel a, en revanche, annulé les avis de paiement au motif que la réglementation communautaire n' autorisait que des contrôles par sondage.

16. Le BEF a formé pourvoi en révision devant le Bundesverwaltungsgericht, lequel vous interroge d' une part sur la fréquence des contrôles prévue par la réglementation communautaire (7), d' autre part sur la compatibilité de l' imputation de leur coût avec les articles 9, 12, 16 et 95 du traité CEE (8).

17. Par les deux premières questions, que nous traiterons ensemble, la juridiction de renvoi vous demande, en substance, si l' article 2, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement (CEE) n 1624/76 du 2 juillet 1976, tel que modifié par l' article 1er du règlement n 1726/79 du 26 juillet 1979, exige que le contrôle porte sur chaque chargement de camion dont le lait écrémé en poudre est destiné à être transformé en Italie et, en cas de réponse négative, selon quelle intensité ce contrôle peut être
opéré.

III - Discussion

18. Pour résumer schématiquement les observations déposées devant vous, indiquons que tant la Commission que le gouvernement allemand estiment que la délivrance de l' attestation exige que le contrôle soit opéré lors du franchissement de la frontière afin de s' assurer du respect des prescriptions imposées par la réglementation communautaire. Or, ladite attestation ne pourrait être délivrée qu' après examen préalable des lots objets de l' exportation, examen devant être effectué aux frontières afin
de prévenir tout risque de fraude aux aides communautaires.

19. Deutsches Milch-Kontor, quant à elle, soutient que l' article 10, paragraphe 2, du règlement n 1725/79 n' autorise que des contrôles "fréquents et inopinés", donc par sondage.

20. Disons-le d' emblée: aucun des règlements communautaires ne prévoit un quelconque contrôle de la composition du lait écrémé en poudre aux frontières, qu' il soit effectué de manière systématique ou par sondage, mais uniquement soit dans l' entreprise de fabrication du lait écrémé en poudre (article 10, paragraphe 1), soit lors de sa dénaturation ou sa transformation en aliments composés pour animaux (article 10, paragraphe 2).

21. De même, il n' est pas davantage prévu de contrôles systématiques dans l' entreprise de fabrication dans la mesure où, si "La preuve de la mise sous contrôle par l' État membre destinataire et de la constitution de la caution ... ne peut être apportée que par la production de l' exemplaire de contrôle..." (9), cet exemplaire n' est délivré que pour autant que l' autorité compétente de l' État membre expéditeur certifie "assure(r) le respect des dispositions du paragraphe 1, sous a) et b)" (10),
c' est-à-dire la qualité et la composition du lait écrémé en poudre ainsi que le contrôle de celles-ci. Assurer le respect ne signifie pas pour autant contrôler préalablement, au lieu de leur fabrication, tous les lots devant faire l' objet d' une exportation.

22. Rappelons que l' article 10 du règlement n 1725/79 fait obligation aux États membres de contrôler le respect de ses prescriptions et qu' en la matière des "contrôles fréquents et inopinés" sont considérés comme répondant à cette exigence.

23. Ainsi, aucun contrôle systématique ne paraît être imposé par la réglementation communautaire.

24. Au surplus, en renvoyant globalement à l' article 10 du règlement n 1725/79 quant au contrôle à effectuer, c' est, quant à sa fréquence, nécessairement son paragraphe 2 que vise l' article 2, paragraphe 1, du règlement n 1624/76 modifié, bien que cette disposition concerne la transformation ou la dénaturation du lait écrémé en poudre.

25. Amenés d' ailleurs à interpréter l' article 10, précité, vous aviez relevé dans votre arrêt Denkavit Futtermittel (11) qu' il

"... précise les mesures de contrôle que les États membres doivent prendre en ce qui concerne, notamment, la teneur maximale en eau du lait écrémé en poudre et l' utilisation de ce produit, en l' état ou sous forme de mélange, dans la fabrication d' aliments composés tels que définis par le règlement. Sur ce dernier point, l' article 10, paragraphe 2, prévoit que les modalités du contrôle, déterminées par l' État membre concerné, doivent remplir au moins les conditions spécifiées par cette
disposition" (12).

26. Cet article prévoit des "contrôles fréquents et inopinés". Il apparaît cependant que, s' agissant de garanties minimales, les États membres pourraient parfaitement instaurer, dans les entreprises de production, des contrôles systématiques de la qualité et de la composition du lait écrémé en poudre, afin de s' assurer que ce produit remplit les conditions d' éligibilité aux aides communautaires.

27. De tels contrôles additionnels seraient, dans ce cadre, compatibles avec le droit communautaire, ce, afin d' éviter les fraudes trop fréquentes aux aides, d' ailleurs régulièrement dénoncées par la Cour des comptes (13).

28. Ainsi que l' écrivait l' avocat général M. Capotorti dans ses conclusions sous l' affaire BayWa e.a. (14):

"Il existe au contraire de bons motifs pour estimer que tout autre contrôle, bien entendu de caractère additionnel mais non substitutif, est parfaitement compatible avec le droit communautaire. Il ne faut pas oublier que le but des contrôles est d' éviter des abus de la part des bénéficiaires et d' assurer une réalisation efficace de la politique d' incitation à la dénaturation dans tous les États membres. Or, l' introduction de contrôles additionnels par rapport aux contrôles directement prévus par
les règles communautaires est en harmonie et non pas en conflit avec ces dernières..." (15).

29. Or, vous êtes interrogés sur la compatibilité avec le droit communautaire, non pas de contrôles additionnels que la République fédérale d' Allemagne aurait imposés dans les entreprises de production, mais des contrôles substitutifs opérés, de manière systématique, lors du franchissement de la frontière.

30. En effet, il semble bien que les contrôles lors de la production soient rares car, si l' expert du gouvernement allemand en a fait état lors de la procédure orale, ni la juridiction de renvoi ni les parties au principal n' y ont fait référence. A supposer qu' ils soient réalisés, des contrôles complémentaires peuvent être mis en oeuvre par les États membres, mais leur compatibilité doit être, en revanche, appréciée à l' aune du droit communautaire.

31. M. Capotorti, dans ses conclusions sous l' affaire Denkavit Futtermittel, précitée, s' exprimait d' ailleurs très clairement en ces termes sur ce point:

"Comme ce contrôle implique toutefois une activité des autorités administratives nationales, il est évident qu' il faut reconnaître à chaque État membre la faculté d' adopter les dispositions nécessaires pour régler les aspects formels et procéduraux de cette activité (bien entendu, sans se mettre pour autant en contradiction avec une règle communautaire quelle qu' elle soit)" (16).

32. Ainsi, dans un arrêt Hessische Mehlindustrie Karl Schoettler (17), interrogés sur la compatibilité des mesures nationales au regard des règles communautaires, avez-vous indiqué que

"... différentes méthodes de contrôle, telles que sondage, contrôle comptable ou agrément d' entreprises de dénaturation, peuvent, seules ou combinées, être d' une efficacité équivalente, bien qu' aucune d' entre elles ne procure une garantie absolue" (18).

33. Un contrôle systématique aux frontières de tous les camions transportant du lait écrémé en poudre destiné à être transformé en Italie ne saurait, en revanche, être considéré comme compatible avec le droit communautaire et plus particulièrement avec le principe de proportionnalité.

34. Dans l' arrêt Commission/Italie (19) relatif aux expéditeurs en douane, vous avez souligné que

"Des contrôles aux frontières ne demeurent justifiés que dans la mesure nécessaire soit à la mise en oeuvre des exceptions à la libre circulation visées à l' article 36 du traité, soit à la perception des impositions intérieures au sens de l' article 95 du traité, lorsque le franchissement de la frontière peut légitimement être assimilé à la situation qui, en ce qui concerne les marchandises nationales, donne lieu à la perception de l' impôt, soit aux contrôles du transit, soit enfin lorsqu' ils s'
avèrent indispensables à l' obtention de renseignements raisonnablement complets et exacts sur les mouvements intracommunautaires de marchandises. Ces contrôles résiduaires doivent toutefois être allégés dans toute la mesure du possible de façon que les échanges de marchandises entre États membres s' effectuent dans des conditions aussi proches que possible de celles prévalant sur un marché intérieur" (20).

35. De la même manière, des contrôles systématiques aux frontières ne sauraient être justifiés par une réglementation communautaire dans la mesure où vous avez considéré, notamment dans l' arrêt Denkavit Nederland (21), que

"L' interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d' effet équivalent vaut, comme la Cour l' a itérativement déclaré, non seulement pour des mesures nationales, mais également pour des mesures émanant des institutions communautaires..." (22).

36. Observons cependant que les institutions communautaires, étant en charge de l' intérêt commun, se voient reconnaître par vous, dans le cadre du fonctionnement du Marché commun, un pouvoir d' appréciation plus étendu que celui dont disposent les États membres dont les intérêts, pris isolément, ne coïncident pas nécessairement avec l' intérêt général.

37. A cet égard, dans un arrêt Van Luipen (23), vous avez estimé qu' une réglementation nationale ne saurait justifier l' affiliation obligatoire des producteurs de fruits et légumes à un organisme de contrôle, seul habilité à vérifier la qualité des produits agricoles et, par conséquent, leur conformité aux exigences contenues dans la réglementation communautaire, laquelle n' imposait pas une telle affiliation. Vous avez relevé qu'

"... un contrôle efficace peut être organisé sans une telle obligation d' affiliation et il est de jurisprudence constante que des considérations d' ordre administratif ne sauraient justifier une dérogation, par un État membre, aux règles du droit communautaire" (24).

38. Sans sous-estimer le risque indéniable de fraude aux aides communautaires, nous considérons que, dans la présente affaire, si l' efficacité du système de contrôle peut justifier, comme dans celle ayant donné lieu à l' arrêt Denkavit Nederland, précité, une différenciation selon que le produit en cause fait l' objet d' une transformation dans l' État membre de fabrication ou dans un autre État membre, en revanche, un risque de fraude ne peut être considéré comme une justification objective du
contrôle systématique aux frontières.

39. Le mémoire du gouvernement allemand révèle ainsi que, loin d' être nécessaires au but désigné comme étant d' éviter les risques de fraude, de tels contrôles répondraient, à ce stade, à un souci déclaré d' ordre "économique" (25) et "pratique" (26).

40. Or, rappelons, quant au premier motif invoqué, que seules des mesures de nature non économique peuvent éventuellement être opposées au principe de libre circulation des marchandises (27) et, s' agissant du second, que votre jurisprudence n' admet pas la prise en considération de justifications d' ordre administratif (28).

41. Aussi, un contrôle dans l' entreprise même de production permettrait assurément la garantie d' un tel objectif, sans pour autant être en contradiction avec le droit communautaire, étant observé que des contrôles sporadiques aux frontières pourraient être opérés afin de s' assurer, en cas de doute ou de suspicion, qu' aucune fraude n' a été commise entre la production du lait écrémé en poudre et son acheminement en vue de son exportation.

42. Au demeurant, une éventuelle justification, par vous, des mesures adoptées par la République fédérale d' Allemagne, serait lourde de conséquences dans d' autres secteurs dans lesquels des normes de qualité des produits ont été fixées par des règlements communautaires. Or, pourrait-on, au nom de la santé publique, opérer des contrôles systématiques aux frontières de l' État membre de production?

43. Vous avez déjà été interrogés sur la compatibilité avec le droit communautaire de contrôles effectués par l' État membre d' importation au nom de la protection de la santé publique et avez estimé que des mesures moins restrictives des échanges existaient. Citons ici votre arrêt Commission/Royaume-Uni (29), relatif au lait UHT.

44. Selon l' opinion de votre avocat général M. VerLoren van Themaat soutenue dans l' affaire ayant donné lieu à l' arrêt Delhaize Frères "Le Lion" e.a. (30),

"... l' article 36 du traité CEE ne permet pas que des contrôles sanitaires nationaux aient lieu d' une manière systématique et illimitée dans le pays importateur, même lorsqu' aucune directive d' harmonisation n' existe en ce qui concerne les contrôles sanitaires. Outre le principe de proportionnalité et les obligations de tenir alors aussi compte de contrôles équivalents dans le pays exportateur, les interdictions de discriminations arbitraires et de restrictions déguisées aux échanges sont
importantes ici" (31).

45. Les modalités de contrôle, telles que celles en cause dans l' affaire au principal, sont de nature à pouvoir dissuader certains opérateurs économiques d' exporter en raison de la rigueur des mesures instaurées ainsi que des délais d' attente inhérents à tout contrôle en ce lieu, en sorte qu' il en résulte une entrave au commerce entre États membres.

46. Nous dirons, pour conclure sur ces deux premières questions, que le règlement n 1726/79 s' oppose à ce qu' une réglementation nationale impose, lors de l' exportation de lait écrémé en poudre destiné à être transformé dans un autre État membre, un contrôle systématique aux frontières de tous les camions transportant ledit produit, opéré en vue de s' assurer du respect des conditions énoncées au règlement n 1725/79.

47. Abordons la troisième question préjudicielle, relative à la compatibilité au regard du droit communautaire de l' imputation aux opérateurs économiques des frais des analyses effectuées lors des contrôles systématiques aux frontières.

48. Dans l' affaire ayant donné lieu à l' arrêt Denkavit Futtermittel (32), auquel les mémoires des parties se réfèrent, vous aviez déjà été interrogés sur cette question. Vous aviez relevé que

"... l' article 10 du règlement n 1725/79 ... ne prévoit rien en ce qui concerne les frais des contrôles à effectuer. En précisant cependant que les modalités de contrôle doivent réunir 'au moins' les conditions spécifiées par cette disposition, et en prévoyant que ces modalités sont fixées par les États membres, l' article 10 précité indique que la réglementation communautaire relative à ces contrôles ne revêt pas un caractère exhaustif" (33).

"Ainsi, le texte du règlement en question n' interdit aux États membres ni d' effectuer ces contrôles gratuitement ni de réclamer aux entreprises concernées le remboursement des frais inhérents à ces contrôles" (34).

49. Vous aviez cependant estimé que la liberté ainsi octroyée ne devait pas mettre en cause la finalité de la réglementation, laissant au juge de renvoi le soin de s' assurer que

"... les sommes dont l' entreprise intéressée est redevable représentent des frais normaux pour des contrôles de ce genre et qu' ils ne s' élèvent pas à un tel montant qu' ils sont de nature à décourager les entreprises à procéder aux opérations que l' octroi de l' aide a pour objet d' encourager" (35).

50. La motivation à l' origine de la justification était cependant bien différente de la situation qui vous est soumise aujourd' hui, les débats n' ayant porté que sur l' imputation des frais et non sur la compatibilité de contrôles à l' occasion desquels leur paiement est réclamé.

51. Dès lors, si vous estimez, comme nous vous le proposons, que les contrôles sont en l' occurrence incompatibles avec le droit communautaire, cette incompatibilité entache naturellement la régularité de l' imputabilité des frais s' y rapportant aux opérateurs économiques.

IV - Conclusion

52. Nous vous proposons, en conséquence, de dire pour droit que:

"Le règlement (CEE) n 1624/76 de la Commission, du 2 juillet 1976, relatif à des dispositions particulières concernant le paiement de l' aide pour le lait écrémé en poudre dénaturé ou transformé en aliments composés pour animaux sur le territoire d' un autre État membre, tel que modifié par le règlement (CEE) n 1726/79 de la Commission, du 26 juillet 1979, s' oppose à ce que, en cas d' exportation de lait écrémé en poudre destiné à être transformé dans un autre État membre, une réglementation
nationale impose, en vue de s' assurer du respect des règles relatives à la composition de ce produit, un contrôle systématique aux frontières du chargement de tous les camions le transportant et, par voie de conséquence, mette à la charge des opérateurs économiques concernés les frais afférents à de tels contrôles."

(*) Langue originale: le français.

(1) - JO L 148, p. 13.

(2) - JO L 169, p. 4.

(3) - Relatif à des dispositions particulières concernant le paiement de l' aide pour le lait écrémé en poudre dénaturé ou transformé en aliments composés pour animaux sur le territoire d' un autre État membre (JO L 180, p. 9).

(4) - Règlement de la Commission du 26 juillet 1979 modifiant les règlements (CEE) n 1624/76, (CEE) n 368/77, (CEE) n 443/77 et (CEE) n 1844/77 relatifs à des mesures d' aide et des opérations de vente particulières pour le lait écrémé en poudre destiné à l' alimentation des animaux (JO L 199, p. 10).

(5) - Règlement (CEE) n 1725/79 de la Commission, du 26 juillet 1979, relatif aux modalités d' octroi des aides au lait écrémé transformé en aliments composés et au lait écrémé en poudre destiné à l' alimentation des veaux (JO L 199, p. 1).

(6) - Article 10, paragraphe 2, sous c).

(7) - Première et deuxième questions.

(8) - Troisième question.

(9) - Article 2, paragraphe 2, du règlement n 1624/76.

(10) - Article 2, paragraphe 4, du même règlement modifié.

(11) - Arrêt du 15 septembre 1982 (233/81, Rec. p. 2933).

(12) - Point 6.

(13) - Voir, en dernier lieu, le rapport spécial n 7/93 sur les contrôles relatifs aux irrégularités et aux fraudes dans le domaine agricole (JO 1994, C 53, p. 1).

(14) - Arrêt du 6 mai 1982 (146/81, 192/81 et 193/81, Rec. p. 1503).

(15) - Ibidem, p. 1542.

(16) - p. 2947, souligné par nous.

(17) - Arrêt du 11 juillet 1973 (3/73, Rec. p. 745).

(18) - Attendu 5.

(19) - Arrêt du 25 octobre 1979 (159/78, Rec. p. 3247).

(20) - Point 7.

(21) - Arrêt du 17 mai 1984 (15/83, Rec. p. 2171).

(22) - Point 15.

(23) - Arrêt du 3 février 1983 (29/82, Rec. p. 151).

(24) - Point 12.

(25) - p. 3 de la traduction française.

(26) - Ibidem, p. 16.

(27) - Arrêt du 7 février 1984, Duphar e.a. (238/82, Rec. p. 523, point 23).

(28) - Arrêt 29/82, précité note 23.

(29) - Arrêt du 8 février 1983 (124/81, Rec. p. 203).

(30) - Arrêt du 6 octobre 1983 (2/82, 3/82 et 4/82, Rec. p. 2973).

(31) - p. 2991 et 2992.

(32) - Arrêt 233/81, précité note 11.

(33) - Point 7.

(34) - Point 8.

(35) - Point 10.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-426/92
Date de la décision : 21/04/1994
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht - Allemagne.

Aide pour le lait écrémé en poudre - Contrôles systématiques à la frontière - Mesure d'effet équivalent - Frais de contrôle - Taxe d'effet équivalent.

Libre circulation des marchandises

Union douanière

Agriculture et Pêche

Produits laitiers

Fiscalité

Taxes d'effet équivalent

Aliments des animaux


Parties
Demandeurs : Bundesrepublik Deutschland
Défendeurs : Deutsches Milch-Kontor GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Díez de Velasco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1994:163

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