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21/04/1994 | CJUE | N°C-322/93

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 21 avril 1994., Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA contre Commission des Communautés européennes., 21/04/1994, C-322/93


Avis juridique important

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61993C0322

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 21 avril 1994. - Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Distribution automobile - Exemption par catégorie - Notion d'intermédiaire mandaté - Pourvoi. - Affaire C-32

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Recueil de jurisprudence 1994 page I-02727

Conclusions de l'av...

Avis juridique important

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61993C0322

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 21 avril 1994. - Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence - Distribution automobile - Exemption par catégorie - Notion d'intermédiaire mandaté - Pourvoi. - Affaire C-322/93 P.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-02727

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A. Introduction

1. La procédure dont il s' agit en l' occurrence concerne un pourvoi introduit par les sociétés Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA contre l' arrêt que le Tribunal de première instance (ci-après "le Tribunal") a prononcé le 22 avril 1993 dans l' affaire T-9/92 (2). Par cet arrêt, le Tribunal a rejeté un recours fondé sur l' article 173 du traité CE et dirigé par les deux entreprises précitées contre la décision (92/154/CEE) prise par la Commission le 4 décembre 1991 dans l' affaire Eco
System/Peugeot (3).

2. La décision de la Commission avait été adoptée à la suite d' une plainte déposée par la société Eco System. Cette dernière est une entreprise établie en France et qui fait office d' intermédiaire à l' achat de véhicules automobiles. D' après les constatations du Tribunal, elle offre ses services en France à des consommateurs intéressés par l' achat d' un véhicule automobile et fait la promotion de ces services dans les médias. Elle demande aux intéressés de lui établir un mandat écrit en vue de
l' acquisition d' un véhicule automobile déterminé. Le contrat d' achat est conclu entre le distributeur de véhicules automobiles, d' une part, et l' utilisateur - représenté par Eco System -, d' autre part.

Eco System achète les véhicules en question en exploitant, au bénéfice du client, l' écart de prix existant entre les divers États membres. Elle assure la prise en charge du véhicule acheté dans un autre État membre ainsi que l' accomplissement des formalités nécessaires à l' importation. La rémunération de ces services est constituée par une commission, calculée sur la base du prix d' achat.

Les véhicules des marques Peugeot et Talbot, fabriqués et commercialisés par le groupe Peugeot, forment une proportion importante des voitures acquises par Eco System pour ses clients.

3. La société Automobiles Peugeot SA, une filiale de Peugeot SA, commercialise ses véhicules dans la Communauté par l' intermédiaire de distributeurs agréés. Ce système de distribution répond aux exigences du règlement (CEE) nº 123/85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l' application de l' article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d' accords de distribution et de service de vente et d' après-vente de véhicules automobiles (4), et est, par conséquent, exempté de l'
interdiction visée à l' article 85, paragraphe 1, du traité.

4. Le 9 mai 1989, la société Peugeot SA a diffusé à l' intention de tous ses distributeurs agréés en France, en Belgique et au Luxembourg une circulaire par laquelle elle enjoignait aux destinataires de suspendre leurs livraisons à Eco System et de ne plus enregistrer de commandes de véhicules neufs des marques Peugeot et Talbot émanant de ladite société. Peu de temps auparavant, le texte de cette circulaire avait été communiqué aux services de la Commission.

5. Cette dernière a alors engagé une procédure sur la base des dispositions du droit communautaire relatives aux ententes. Dans le cadre de cette procédure, la Commission a adopté le 26 mars 1990 des mesures provisoires contre Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA. Le recours introduit contre cette décision a été rejeté par le Tribunal le 12 juillet 1991 (5).

6. Le 4 décembre 1991, la Commission a adopté sa décision définitive dans cette affaire. Elle y a constaté que l' envoi de la circulaire litigieuse et la cessation subséquente des livraisons à Eco System constituaient une violation (prenant la forme d' un accord ou d' une pratique concertée) de l' article 85, paragraphe 1, qui ne pouvait être couverte par les dispositions du règlement nº 123/85 (article 1er de la décision). La Commission a enjoint aux destinataires de la décision de diffuser dans
les deux mois une nouvelle circulaire annulant celle du 9 mai 1989 et de s' abstenir à l' avenir de toute violation similaire de l' article 85 (article 2 de la décision). Elle a en outre retiré le bénéfice de l' application du règlement nº 123/85 au système de distribution, sauf pour les intéressés à se conformer aux injonctions précitées (article 3 de la décision).

7. C' est contre cette décision de la Commission que Peugeot Automobiles SA et Peugeot SA ont introduit le 10 février 1992 un recours devant le Tribunal. Ils y concluaient à l' annulation de la décision de la Commission et à la constatation que la circulaire du 9 mai 1989 était conforme aux dispositions combinées du règlement nº 123/85 et de la communication du 12 décembre 1984 (6) que la Commission avait adoptée à propos de ce règlement (ci-après "la communication"). C' est l' arrêt du 22 avril
1993 rejetant ce recours qui fait l' objet de la présente procédure de pourvoi.

8. Les parties requérantes concluent à ce qu' il plaise à la Cour annuler l' arrêt entrepris et déclarer que la circulaire du 9 mai 1989 est conforme aux dispositions combinées du règlement nº 123/85 et de la communication concernant ce règlement.

9. La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérantes aux dépens.

10. De même qu' en première instance, la société Eco System et le Bureau européen des unions de consommateurs, un groupement d' associations de consommateurs (ci-après "le BEUC"), se sont portés parties intervenantes aux côtés de la Commission. Les parties intervenantes se rallient aux conclusions de cette dernière et demandent en outre que les requérantes soient condamnées aux dépens de l' intervention.

B- Appréciation

Observation liminaire

11. Aux termes de l' article 113 du règlement de procédure de la Cour, les conclusions du pourvoi doivent tendre, outre à l' annulation (totale ou partielle) de la décision attaquée, à ce qu' il soit fait droit, en tout ou en partie, aux conclusions présentées en première instance. En l' occurrence, les requérantes avaient en première instance demandé l' annulation de la décision de la Commission et la constatation de la validité de la circulaire litigieuse. Or, dans leur pourvoi, elles ne demandent
plus (outre l' annulation de l' arrêt du Tribunal) qu' une déclaration que la circulaire est conforme aux dispositions précitées du droit communautaire.

12. Il n' est nul besoin d' expliquer en détail pourquoi (et ce point a été relevé à juste titre par le BEUC) une procédure au titre de l' article 173 du traité CE ne saurait aboutir à une déclaration de validité d' une mesure déterminée prise par une entreprise. Cela vaut bien entendu également pour la Cour, qui est appelée à statuer sur un pourvoi contre un arrêt prononcé en réponse à un recours introduit au titre de l' article 173. Il se pose dès lors la question de savoir quels effets il y a
lieu de rattacher à la circonstance qu' outre la demande d' annulation de l' arrêt attaqué, les parties requérantes n' ont maintenu qu' un chef de conclusion irrecevable.

13. A notre connaissance, la Cour n' a pas encore eu à statuer sur cette question. Nous croyons qu' il serait parfaitement justifié que, dans une telle hypothèse, le pourvoi soit rejeté sans autre forme de procès. Si les requérantes avaient formulé ces conclusions en première instance, le Tribunal aurait dû rejeter le recours comme irrecevable. Un pourvoi contre un arrêt du Tribunal prononcé en ce sens devrait être rejeté comme manifestement non fondé, au sens de l' article 119 du règlement de
procédure de la Cour.

14. Certes, dans la mesure où le pourvoi laisse clairement apparaître que les requérantes continuent de vouloir (également) l' annulation de la décision de la Commission du 4 décembre 1991, on pourrait envisager que la Cour de justice pallie les défauts précités par voie d' interprétation. Mais nous ne croyons pas qu' il y ait lieu d' examiner cette question de façon plus approfondie en l' espèce. Eu égard au fait que cette problématique ne semble pas encore avoir été tranchée par la Cour et que la
Commission n' a pas soulevé l' argument correspondant, il ne serait pas équitable de rejeter le pourvoi sur cette seule base. Il faut, d' autre part, considérer que - comme nous allons le démontrer - le pourvoi est de toute manière dépourvu de fondement.

Le contexte juridique

15. Avant d' examiner en détail les moyens du pourvoi, nous croyons judicieux de décrire en un premier temps les dispositions qui sont en cause en l' espèce. L' article 3, point 10, du règlement nº 123/85 permet d' inclure dans l' accord de distribution une clause imposant au distributeur l' engagement de ne vendre les véhicules en question qu' à des revendeurs qui font partie du réseau de distribution.

De même, aux termes de l' article 3, point 11, il peut être imposé au distributeur

"de ne vendre les véhicules automobiles de la gamme visée par l' accord ou des produits correspondants à des utilisateurs finals utilisant les services d' un intermédiaire que si ces utilisateurs ont auparavant mandaté par écrit l' intermédiaire pour acheter et, en cas d' enlèvement par celui-ci, pour prendre livraison d' un véhicule automobile déterminé".

Ainsi qu' il résulte du cinquième considérant du règlement nº 123/85, ces dispositions visent à permettre au constructeur de protéger son système de distribution sélective.

16. Dans sa communication relative à ce règlement, la Commission relève au point I.3, sous la rubrique "Intermédiaires", que l' utilisateur doit pouvoir recourir aux services de personnes ou d' entreprises qui l' assistent dans l' achat d' un véhicule neuf dans un autre État membre. Toutefois, il est précisé que les entreprises du réseau de distribution peuvent être tenues de ne pas vendre à ou par l' entremise d' un tel intermédiaire

"dès lors que celui-ci se présente comme un revendeur autorisé de véhicules neufs de la gamme visée par l' accord ou exerce une activité équivalente à la revente".

Il incombe à l' intermédiaire ou à l' utilisateur final, d' après la communication, d' exposer par écrit que l' intermédiaire agit au nom et pour le compte de l' utilisateur final.

Prise en compte de la communication et sécurité juridique

17. Aux termes du premier moyen du pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d' avoir écarté de son analyse la communication de la Commission et de ne lui avoir reconnu aucune portée juridique. Or, la méconnaissance de cette communication serait contraire au principe de la sécurité juridique.

18. Nous pouvons d' emblée rejeter ce moyen. En effet, c' est à juste titre que la Commission et Eco System relèvent que le Tribunal a tenu compte de cette communication.

Le Tribunal a tout d' abord analysé l' article 3, point 11, du règlement nº 123/85 (points 37 à 43). Ensuite, il a examiné la communication. Il a en un premier temps constaté qu' une communication qui vise à l' interprétation d' un règlement ne saurait avoir pour effet de modifier les règles impératives contenues dans ce règlement (point 44). Au point 46, il a estimé que la communication litigieuse ne restreint pas le champ d' application du règlement, mais se borne à préciser les conditions
auxquelles une personne doit satisfaire pour pouvoir être considérée comme intermédiaire au sens de l' article 3, point 11, du règlement nº 123/85. Le Tribunal en a déduit qu' il convenait d' examiner si Eco System avait excédé le cadre de l' article 3, point 11, du règlement nº 123/85, en assumant des risques caractéristiques de l' activité de revendeur et en exerçant donc une activité équivalente à la revente et non plus de prestation de services. Le Tribunal a procédé à cet examen dans la suite
de ses considérations (points 47 et suivants).

19. On ne saurait donc affirmer que le Tribunal n' aurait pas tenu compte de la communication ou ne lui aurait attribué aucune portée juridique. Les requérantes le reconnaissent d' ailleurs en alléguant dans leur pourvoi (page 13) qu' après avoir écarté la communication, le Tribunal aurait fait une lecture combinée du règlement et de ladite communication sans toutefois en tirer les conséquences qui s' imposaient. En dernière analyse, le grief soulevé par les requérantes revient donc à dire que le
Tribunal n' aurait pas correctement interprété les dispositions en question. Or, ce problème doit être examiné dans le cadre de l' analyse du deuxième moyen du pourvoi.

20. L' argument de la violation du principe de la sécurité juridique n' est pas non plus de nature à emporter notre conviction. Les requérantes partent manifestement à cet égard de l' idée que leur interprétation de l' article 3, point 11, selon laquelle Eco System ne pourrait être considérée comme un "intermédiaire", découlerait directement et sans le moindre doute de la communication de la Commission. Cependant, il n' en est rien. Même si l' on voulait admettre que le point décisif en l' espèce
est de savoir si Eco System a exercé "une activité équivalente à la revente" au sens de cette communication, il resterait à déterminer tout d' abord si tel était vraiment le cas. Il y a lieu de se rallier au point de vue de la Commission et d' Eco System lorsqu' elles affirment que, dans ce contexte, les requérantes feraient valoir à tort une lettre que la Commission leur avait adressée le 15 juillet 1987. Dans cette lettre, la Commission avait indiqué très clairement qu' en ce qui concerne la
question de savoir comment l' activité d' Eco System devait être appréciée, elle défendait un autre point de vue que les requérantes (7).

21. Dans leurs développements relatifs à la question de la violation de la sécurité juridique, les requérantes font valoir que la Commission ne leur aurait fait parvenir qu' en juillet 1989 une première prise de position sur la circulaire du 9 mai 1989, qui avait déjà été portée à la connaissance de la Commission le 28 avril 1989. Il n' est guère besoin de préciser que cette communication informelle, effectuée peu de jours avant l' envoi de la circulaire, et la circonstance que la Commission n' y a
pas répondu immédiatement ne sauraient avoir créé dans le chef des requérantes une confiance légitime dans le fait que la Commission jugerait que leur comportement était valide.

22. Ainsi que les requérantes l' ont relevé, la Commission a publié en même temps que sa décision du 4 décembre 1991 une "clarification de l' activité des intermédiaires en automobile" destinée à compléter la communication précitée (8). D' après les propres termes de la Commission, cette publication visait à "clarifier les possibilités d' intervention des intermédiaires qui sont visés dans le règlement". Le contenu de cette "clarification" repose très largement sur la décision du 4 décembre 1991. Il
n' est toutefois pas nécessaire en l' occurrence d' examiner ce texte plus avant. Le Tribunal a souligné à juste titre que la décision de la Commission du 4 décembre 1991 ne s' appuyait pas sur cette nouvelle communication et que celle-ci ne saurait dès lors être invoquée par les requérantes pour contester la légalité de la décision litigieuse (9).

Interprétation de l' article 3, point 11, du règlement nº 123/85

23. Par leur deuxième moyen, les requérantes reprochent en substance au Tribunal d' avoir mal interprété la notion d' "intermédiaire" au sens du règlement nº 123/85. Il est vrai qu' elles ne se réfèrent à cet égard directement qu' aux termes de la communication selon lesquels l' intermédiaire n' a pas le droit d' exercer une "activité équivalente à la revente". Toutefois, ainsi que le Tribunal l' a relevé à juste titre, il est hors de doute que les dispositions d' un règlement ne sauraient être
modifiées par une communication. Il n' est, dès lors, pas non plus nécessaire d' examiner plus avant la question de savoir quelle est la nature juridique d' une telle communication. Les considérations développées à ce propos dans le pourvoi sont donc sans pertinence pour la solution à donner à la présente affaire.

24. En conséquence, dans le fond, l' argument du BEUC selon lequel la notion d' activité équivalente à la revente devrait être écartée parce que dépourvue de base légale est fondé, même s' il va trop loin. La communication peut parfaitement être invoquée en vue d' une interprétation du règlement, dans la mesure où elle est compatible avec celui-ci.

25. Le point de vue du Tribunal à ce propos est d' ailleurs parfaitement juste. Il a tout d' abord relevé que les dispositions d' un règlement exemptant certains accords de l' interdiction visée à l' article 85, paragraphe 1, du traité CE ont un caractère dérogatoire et ne sauraient à ce titre faire l' objet d' une interprétation extensive qui serait contraire à leur objectif (point 37). Ainsi que le Tribunal l' a constaté (point 40), l' article 3, point 11, du règlement nº 123/85 a pour objectif de
préserver la possibilité d' intervention d' un intermédiaire, à condition qu' il existe un lien contractuel direct entre le distributeur et l' utilisateur final (10).

Le Tribunal a ensuite observé qu' aux termes de l' article 3, point 11, la seule condition imposée à l' intermédiaire est de présenter un mandat écrit préalable pour acheter le véhicule (et, le cas échéant, en prendre livraison). En conséquence, la lettre même de la disposition en question ne saurait permettre l' exclusion d' un intermédiaire dûment mandaté du champ d' application de cette disposition au seul motif qu' il exerce son activité à titre professionnel (point 41). Toute autre hypothèse
reviendrait à priver cette disposition de son effet utile (point 42). Or, l' exercice à titre professionnel de l' activité d' intermédiaire peut parfaitement impliquer la réalisation d' opérations promotionnelles et l' acceptation de risques inhérents à toute entreprise de prestation de services (point 43).

26. Le Tribunal a ensuite examiné le passage litigieux de la communication, dont il a estimé qu' il se réfère non pas seulement à l' article 3, point 11, du règlement nº 123/85, mais également au point 10 du même article. Il a fait valoir à ce propos que, pour assurer l' effet utile de la disposition citée en dernier lieu - c' est-à-dire pour garantir une protection effective du réseau de distribution contre les tiers non agréés -, la Commission avait légitimement pu préciser les conditions
auxquelles un intermédiaire au sens de l' article 3, point 11, doit satisfaire (point 46).

Le Tribunal a ensuite analysé le point de savoir si Eco System avait assumé des risques caractéristiques de l' activité d' un revendeur, de sorte que son activité professionnelle pourrait être considérée comme équivalente à la revente (point 47). A cet égard, le Tribunal a constaté en un premier temps qu' Eco System avait agi exclusivement en qualité de représentant de l' utilisateur final. Les contrats étaient conclus entre le distributeur et le client. Eco System n' aurait en outre jamais acquis
la propriété des véhicules qu' elle achetait (point 48). Elle n' aurait pris aucun engagement de garantie à l' égard du client (point 49). N' étant pas devenue propriétaire des véhicules, elle n' aurait pas non plus supporté le risque, caractéristique de l' activité d' un revendeur, de devoir vendre le véhicule à un tiers en cas de désistement de l' utilisateur final (point 50).

Certes, Eco System accorderait à ses clients un crédit à court terme, en acquittant, dans un premier temps, elle-même le prix d' achat et les frais annexes que son client lui rembourserait ensuite. Mais, même s' il n' est pas inhérent à l' activité du mandataire, un tel crédit ne modifierait en rien la qualification juridique d' une relation commerciale de cette nature (point 51). Concernant le risque d' insolvabilité du client, le Tribunal a relevé (point 52) que, dans une telle hypothèse, Eco
System n' a pas la possibilité, habituellement ouverte à un revendeur, de disposer du véhicule et de le vendre sans autre formalité (et, partant, sans avoir besoin de recourir à des procédures spécifiques). S' agissant du risque de change, le Tribunal a notamment constaté qu' il n' était nullement démontré que le risque correspondant est supporté par Eco System (point 53). A supposer qu' Eco System soit tenue d' indemniser le client en cas de perte ou de dégradation du véhicule se trouvant en sa
possession, cela n' aurait rien d' inhabituel (point 54). De même, le mode de calcul de la rémunération due à Eco System serait également normal dans le cadre de contrats de mandat de ce genre (point 55).

27. Partant de ces considérations, le Tribunal a conclu qu' Eco System n' assumait aucun risque caractéristique de l' activité d' un revendeur. Il a ensuite examiné (et répondu par la négative à) la question de savoir si Eco System avait en pratique dépassé les limites des mandats écrits qui lui avaient été confiés par ses clients (points 57 à 60). Enfin, il a estimé que la circonstance qu' Eco System était intervenue pour un grand nombre de clients ne modifiait en rien le fait que cette entreprise
devait être considérée comme un intermédiaire au sens de l' article 3, point 11, du règlement nº 123/85 (point 61).

28. Nous n' observons aucune erreur de droit dans cette argumentation du Tribunal. Il n' est du reste guère facile de déterminer quels sont les griefs que les parties requérantes prétendent soulever à cet égard. Eco System a relevé à juste titre que le pourvoi n' indique pas de façon précise à l' encontre de quels passages de l' arrêt attaqué sa critique se porte. Nous croyons cependant que les considérations que nous développerons ci-après devraient répondre à tous les points essentiels.

29. Les requérantes affirment tout d' abord que le Tribunal verrait dans l' existence d' un mandat écrit la seule condition à remplir pour qualifier une personne d' intermédiaire. Or, l' argumentation du Tribunal, telle que nous l' avons exposée ci-avant, montre que ce grief n' est pas justifié. Le Tribunal relève - à juste titre - que cette exigence est la seule qui puisse être tirée du libellé de l' article 3, point 11, et qu' Eco System l' a toujours remplie. Cependant, il examine ensuite de
façon très approfondie s' il n' y a pas malgré tout d' autres circonstances qui justifieraient de conclure qu' Eco System n' est pas un intermédiaire au sens de cette disposition.

30. Le pourvoi ne permet pas de déterminer avec certitude si les parties requérantes considèrent ou non que le fait qu' Eco System exerce son activité à titre professionnel implique qu' une telle entreprise ne pourrait être considérée comme un intermédiaire au sens du règlement nº 123/85. Une observation contenue dans la réplique semble indiquer que les parties requérantes ne considèrent pas cette circonstance comme déterminante (11). Si cette impression était trompeuse, il faudrait contester le
point de vue des parties requérantes. Au point 42, le Tribunal a relevé à très juste titre que l' effet utile de l' article 3, point 11, serait réduit à néant si l' on refusait d' admettre comme intermédiaires des entreprises agissant à titre professionnel.

La protection du système de distribution sélective dans le secteur des véhicules automobiles - protection que le règlement nº 123/85 permet en assurant l' exemption de certaines obligations - vise à concrétiser les avantages économiques attendus de tels systèmes de distribution (12). L' expérience montre cependant que cette protection peut également exercer des effets négatifs sur la concurrence par les prix. Les écarts de prix parfois notables entre les divers États membres (13) s' expliquent sans
doute dans une mesure non négligeable par l' existence de ces systèmes de distribution. Dans ces circonstances, il y a lieu d' attacher une importance particulièrement grande à la possibilité pour les consommateurs d' acquérir un véhicule dans un autre État membre.

Un consommateur ne sera cependant que rarement en mesure de se rendre lui-même dans un autre État membre pour faire usage de cette possibilité. Le Tribunal souligne à juste titre les difficultés pratiques auxquelles il se trouvera confronté. Il est dès lors capital que, pour effectuer cet achat, les consommateurs puissent avoir recours à des intermédiaires. Le règlement nº 123/85 reconnaît l' importance du rôle joué par les intermédiaires dans ce domaine à son article 3, point 11. Si l' on refusait
de considérer comme des intermédiaires au sens de cet article 3, point 11, les entreprises qui ont pour activité professionnelle d' aider les consommateurs à acquérir des véhicules automobiles à l' étranger, cette disposition se trouverait très largement dévaluée.

31. Cette même constatation enlève également tout fondement à l' argument des parties requérantes selon lequel une entreprise ne pourrait plus être considérée comme un intermédiaire au sens du règlement nº 123/85 à partir du moment où elle travaille pour un grand nombre d' utilisateurs. Il est dans la nature des choses qu' un intermédiaire professionnel travaille pour un nombre élevé de clients. Le succès d' une entreprise comme Eco System montre d' ailleurs qu' il existe chez les consommateurs une
demande considérable pour des prestations de services de ce genre.

Les parties requérantes tentent de justifier leur point de vue en s' appuyant sur les conclusions de l' avocat général et sur l' arrêt du 3 juillet 1985, Binon (14). Ils déduisent de cette jurisprudence qu' un intermédiaire qui travaille pour un grand nombre de mandants doit être considéré comme une entreprise indépendante. Cependant, le Tribunal a statué à juste titre que cette jurisprudence ne saurait être étendue à la présente espèce. Dans l' affaire Binon, ainsi que dans d' autres affaires
comparables (15), il s' agissait de la question de savoir si l' article 85 était applicable aux relations entre une entreprise et un agent commercial. La jurisprudence a répondu par la négative dans les cas où l' agent doit être considéré comme un organe auxiliaire intégré dans l' entreprise du commettant et formant avec celui-ci une unité économique (16). Toutefois, en l' espèce, cette question n' a aucune importance. Il s' agit bien plutôt ici de savoir si Eco System a agi en tant qu'
intermédiaire. Or, la réponse à cela est affirmative. Le fait que cette entreprise a réussi à attirer un grand nombre de clients est à cet égard sans pertinence.

32. Les requérantes affirment qu' Eco System aurait assumé des risques correspondant à ceux d' un revendeur et incompatibles avec le rôle d' un simple intermédiaire. Ce grief n' a pris une allure concrète qu' au stade de la réplique. Les requérantes y ont relevé la circonstance qu' Eco System doit dédommager ses clients en cas de perte ou de dégradation des véhicules. Elle supporterait également le risque d' insolvabilité du client. Le Tribunal a exposé de façon convaincante dans son arrêt que ces
risques n' ont rien d' inhabituel pour un intermédiaire (17). Loin d' invoquer des arguments nouveaux qui permettraient de mettre cette appréciation en doute, les parties requérantes se sont bornées à affirmer que l' entreprise Eco System exercerait manifestement une activité équivalente à la revente. Il serait dès lors oiseux de nous lancer dans un examen approfondi des circonstances précitées.

La même conclusion s' impose - bien que pour une autre raison - à propos de l' argument des parties requérantes selon lequel Eco System supporterait le risque de change. Dans l' une des ses brochures, cette entreprise garantirait en effet des prix maximums, valables pour une période de trois mois à partir de la délivrance du mandat. Nous pouvons nous borner à renvoyer à cet égard à l' arrêt du Tribunal, où celui-ci a constaté qu' il n' était pas établi que le risque de change fût supporté par Eco
System (18). Les parties requérantes contestent donc là un fait constaté par le Tribunal. Partant, le moyen correspondant est irrecevable (voir l' article 168 A, paragraphe 1, première phrase, du traité CE).

33. Les parties requérantes semblent d' autre part vouloir tirer argument du point de vue du Tribunal selon lequel, même s' il n' est pas inhérent à la nature du mandat, le crédit (à court terme) accordé aux clients par Eco System n' altère en rien la qualification juridique de la relation commerciale. Si tel est bien le cas, elles auraient tort. Un engagement du mandataire de prendre en charge lui-même en un premier temps certains frais avant d' en demander le remboursement par le mandant est -
comme un bref regard sur les ordres juridiques des divers États membres le montrera - parfaitement compatible avec la nature du mandat et avec l' activité d' un intermédiaire.

34. Les parties requérantes font valoir que, par son action commerciale, Eco System apparaîtrait aux yeux des consommateurs comme un revendeur ou en tout cas comme une entreprise entrant en concurrence avec les revendeurs, ce qui créerait une confusion. Elles relèvent en particulier à cet égard qu' Eco System pratique une publicité pour les services qu' elle offre, publie ses tarifs, expose des véhicules et accorde des crédits à ses clients.

Quant à la question de la création d' une confusion dans l' esprit des consommateurs en ce qui concerne le rôle d' Eco System, le Tribunal a souligné dans son arrêt qu' à cet égard seule une brochure publiée par Eco System serait susceptible d' éveiller des doutes. Il a cependant statué que le caractère exact de l' activité de cette entreprise s' y trouvait clairement décrit. Cette appréciation des faits par le Tribunal ne peut être contestée dans le cadre d' un pourvoi et les requérantes ne
semblent d' ailleurs pas vouloir formuler de grief correspondant.

35. Cela ne modifie cependant rien au fait que les consommateurs considèrent peut-être Eco System comme une entreprise entrant en concurrence avec les distributeurs. La Commission ne le conteste d' ailleurs pas. Elle affirme simplement que ce fait reflèterait la pondération d' intérêts qui fonde le règlement nº 123/85. L' activité des intermédiaires professionnels constituerait pour les consommateurs une garantie essentielle de la possibilité d' acquérir un véhicule automobile dans un autre État
membre.

Nous nous rallions à cet égard au point de vue de la Commission. Ainsi que nous l' avons déjà relevé, la possibilité pour les consommateurs d' acquérir un véhicule dans un autre État membre, par l' entremise d' un intermédiaire, resterait en substance purement théorique si on ne leur permettait pas de recourir à des intermédiaires professionnels. L' activité de ces entreprises est donc en tant que telle parfaitement légitime et mérite d' ailleurs d' être saluée, pour les raisons que nous avons déjà
évoquées. On ne voit dès lors pas pourquoi il faudrait interdire à une telle entreprise de faire de la publicité pour les prestations de services qu' elle offre. L' information des consommateurs sur la possibilité d' acquérir un véhicule automobile dans un autre État membre à un prix plus favorable peut sans doute constituer une épine dans le pied de bon nombres de constructeurs et de leurs distributeurs agréés; elle n' est cependant nullement illégale ou incompatible avec le rôle d' un
intermédiaire.

Le fait d' assurer la promotion des services qu' elle offre en exposant notamment un véhicule déterminé fait simplement partie des mesures publicitaires qu' un intermédiaire comme Eco System est fondé à prendre. Tel est à tout le moins le cas lorsque, ainsi que la Commission l' a allégué dans la procédure devant le Tribunal (19) sans que les parties requérantes au pourvoi l' aient contesté en l' espèce, il s' agit d' un véhicule exposé (temporairement) avec l' accord exprès du client pour lequel il
a été acheté.

36. C' est probablement dans le même cadre qu' il faut ranger l' exigence des parties requérantes selon laquelle l' activité d' Eco System ne pourrait être appréciée qu' en tenant compte également des intentions de cette entreprise. Même si Eco System avait l' intention - comme on peut le supposer - de faire concurrence aux distributeurs agréés avec les services qu' elle offre, cela n' altérerait en rien le fait que cette entreprise joue le rôle d' un intermédiaire, qui n' a pas à assumer les
risques caractéristiques de l' activité d' un revendeur. L' article 3, point 11, ne présuppose pas que l' intermédiaire agit pour des motifs altruistes. Il est dans la nature des choses que son activité soit perçue par les constructeurs et les distributeurs agréés comme une concurrence.

37. L' opinion des parties requérantes revient en fin de compte à dire que seul peut être reconnu comme intermédiaire au sens de l' article 3, point 11, celui qui a l' heur de plaire aux constructeurs et à leurs distributeurs. C' est d' ailleurs avec une indéniable fraîcheur d' esprit qu' elles ont exprimé ce point de vue dans leur pourvoi (20). Mais il est évident que nous ne saurions les suivre dans cette voie.

38. Enfin, il nous reste à examiner l' argument fondé par les requérantes sur les termes du cinquième considérant du règlement nº 123/85. Aux termes de ce considérant, les mesures prises par le constructeur et les entreprises de son réseau en vue de protéger le système de distribution sélective sont compatibles avec le règlement, ceci s' appliquant "notamment" à un engagement du distributeur de ne vendre à des utilisateurs finals recourant aux services d' un intermédiaire que s' ils ont mandaté ce
dernier à cet effet. Les parties requérantes déduisent de cette formulation que le règlement permettrait au constructeur de protéger son système de distribution à l' aide d' autres mesures encore que celles visées à l' article 3, point 11. Cependant, pour être compatibles avec l' exemption, de telles mesures de protection doivent avoir été autorisées dans les dispositions du règlement. Or, parmi ces dernières, seul l' article 3, point 11 traite des exigences auxquelles l' activité des intermédiaires
peut être assujettie. Si le point de vue des parties requérantes était retenu, cela signifierait qu' un constructeur pourrait soumettre l' activité des intermédiaires à des critères qui ne sont pas prévus dans cette disposition. A moins de vouloir accorder aux constructeurs et à leurs distributeurs agréés toute liberté d' empêcher l' activité des intermédiaires, ce point de vue ne saurait être accueilli.

39. Le pourvoi doit donc être rejeté. La décision relative aux dépens découle des articles 69, 118 et 122 du règlement de procédure de la Cour.

Conclusion

40. Nous concluons donc au rejet du pourvoi et à la condamnation des parties requérantes aux dépens.

(*) Langue originale: l' allemand.

(2) - Peugeot/Commission, Rec. 1993, p. II-493.

(3) - JO 1992, L 66, p. 1.

(4) - JO 1985, L 15, p. 16.

(5) - Affaire T-23/90, Peugeot/Commission, Rec. 1991, p. II-653.

(6) - JO 1985, C 17, p. 4.

(7) - Voir à ce propos l' arrêt du 12 juillet 1991, précité (note 4), point 48.

(8) - JO C 329, p. 20.

(9) - Point 71.

(10) - Dans le même sens déjà, voir l' arrêt du 12 juillet 1991, précité (note 4), point 33.

(11) - Les parties requérantes y font valoir que tout le monde s' accorde pour dire que l' exercice à titre professionnel d' un mandat n' est pas à lui seul constitutif d' une activité équivalente à la revente et qu' il faut tout d' abord définir clairement en quoi consiste une telle activité.

(12) - A propos de ces avantages, voir le quatrième considérant du règlement nº 123/85.

(13) - Voir à ce propos le communiqué de presse diffusé par la Commission le 1er juillet 1993 à propos du prix des véhicules automobiles dans la Communauté [IP(93)545].

(14) - 243/83, Rec. p. 2015.

(15) - Voir en particulier l' arrêt du 1er octobre 1987, Vlaamse Reisbureaus (311/85, Rec., p. 3801, point 20).

(16) - Arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 542), et du 1er octobre 1987, Vlaamse Reisbureaus, précité, point 20.

(17) - Voir les points 52 et 54 de l' arrêt attaqué et, à ce propos, le point 26 des présentes conclusions.

(18) - Au point 53 de l' arrêt attaqué; voir le point 26 des présentes conclusions.

(19) - Voir le point 29 de l' arrêt attaqué.

(20) - A la page 16 du pourvoi, les parties requérantes déclarent à propos de la notion d' activité équivalente à la revente qu' il s' agit d' une appréciation dépendant exclusivement du contexte économique et qui reste à l' appréciation du propriétaire du réseau .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-322/93
Date de la décision : 21/04/1994
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Concurrence - Distribution automobile - Exemption par catégorie - Notion d'intermédiaire mandaté - Pourvoi.

Ententes

Contrats d'exclusivité

Concurrence

Pratiques concertées


Parties
Demandeurs : Automobiles Peugeot SA et Peugeot SA
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1994:165

Source

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