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24/03/1994 | CJUE | N°C-136/93

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 24 mars 1994., Transáfrica SA contre Administración del Estado español., 24/03/1994, C-136/93


Avis juridique important

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61993C0136

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 24 mars 1994. - Transáfrica SA contre Administración del Estado español. - Demande de décision préjudicielle: Audiencia Nacional - Espagne. - Perte d'une caution - Force majeure. - Affaire C-136/93.
Recueil de jur

isprudence 1994 page I-05757

Conclusions de l'avocat général

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Mo...

Avis juridique important

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61993C0136

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 24 mars 1994. - Transáfrica SA contre Administración del Estado español. - Demande de décision préjudicielle: Audiencia Nacional - Espagne. - Perte d'une caution - Force majeure. - Affaire C-136/93.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-05757

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les questions préjudicielles qui vous sont soumises portent toutes deux sur la notion de force majeure en matière agricole. Un règlement du Conseil adoptant des mesures d' exécution d' un accord conclu entre la CEE et les États-Unis d' Amérique et modifiant les conditions du marché d' un produit agricole (première question) ou la conclusion de l' accord lui-même, en ce qu' elle laisse prévoir une modification ultérieure des conditions de ce marché (seconde question) peuvent-ils être considérés
comme cas de force majeure libérant un opérateur économique des obligations qu' il a souscrites dans le cadre d' un règlement antérieur en vue de la perception de subventions lors de la mise en libre pratique du produit en question?

La réglementation applicable

2. Le litige a pour toile de fond l' adhésion de l' Espagne à la Communauté, intervenue le 1er janvier 1986. (1) Dans le secteur qui nous intéresse, à savoir le maïs, cette adhésion a eu pour conséquence la rupture des courants traditionnels d' échanges entre l' Espagne et les États-Unis, causant préjudice aux deux anciens partenaires. Les États-Unis perdaient l' un de leurs marchés et l' Espagne une source d' approvisionnement à bas prix.

Afin d' éviter des perturbations trop importantes des marchés de ces deux pays, la Communauté prit des mesures particulières à l' égard de chacun d' eux: elle négocia avec les États-Unis dans le cadre du GATT et adopta des réglementations spécifiques en faveur des opérateurs espagnols.

3. Les négociations entre la Communauté et les États-Unis au titre de l' article XXIV.6 du GATT se sont déroulées principalement pendant l' année 1986 et se sont conclues par la signature d' un accord, le 30 janvier 1987 (2), par lequel la Communauté s' engageait notamment, pour les années 1987 à 1990, à ouvrir un contingent annuel d' importation en Espagne de 2 millions de tonnes de maïs. Cet accord a été annoncé à la presse peu de temps après sa conclusion, mais n' a été publié au Journal officiel
des Communautés européennes qu' en avril 1987.

4. Durant les négociations, en 1986, les autorités communautaires durent prendre un certain nombre de mesures provisoires. Notamment, à la suite d' une solution intermédiaire intervenue le 1er juillet 1986 entre la Communauté et les États-Unis, le Conseil adopta, le 16 septembre 1986, le règlement (CEE) n 2913/86 (3) portant dérogation au règlement (CEE) n 2727/75 (4) et prévoyant, en cas de baisse importante des exportations américaines de maïs vers l' Espagne, la possibilité de fixer à un taux
réduit le prélèvement à l' importation perçu sur le maïs en provenance des pays tiers. Il s' agissait de mesures limitées dans le temps (jusqu' au 28 février 1987) et liées à une surveillance particulière des importations, en Espagne, des produits originaires des États-Unis. En application de ce règlement, la Commission adopta, le 15 octobre 1986, le règlement (CEE) n 3140/86 (5) organisant une adjudication des quantités de maïs originaires des pays tiers pouvant être soumises à un prélèvement
réduit à l' importation. Ces mesures avaient également un effet limité au 28 février 1987.

5. A la suite de l' accord final conclu dans le cadre du GATT, le Conseil adopta, le 25 juin 1987, le règlement (CEE) n 1799/87 (6), dont il est question dans la première question préjudicielle, prévoyant un abattement du prélèvement à l' importation, en Espagne, de maïs originaire des pays tiers pour la période 1987-1990. Le règlement d' application (CEE) n 2059/87 (7) a été adopté par la Commission le 13 juillet 1987. Ces mesures prenaient effet au jour de la publication des règlements au Journal
officiel des Communautés européennes.

6. Pendant que se déroulaient les négociations avec les États-Unis, la situation du marché du maïs en Espagne était caractérisée par des prix très élevés, dus notamment à une mauvaise récolte. Considérant les difficultés suffisamment sérieuses pour justifier l' introduction de mesures transitoires en vue de faire baisser le prix du maïs, la Commission adopta, le 26 novembre 1986, sur base de l' article 90 du traité d' adhésion, le règlement (CEE) n 3593/86 (8) dans le cadre duquel se déroule le
litige devant le juge de renvoi, octroyant une subvention à l' importation de maïs en Espagne. Les quantités importées provenaient, pour moitié, des pays tiers et, pour l' autre, des États membres à l' exception du Portugal. Dans le cas des importations en provenance des pays tiers, la subvention était d' un certain montant venant se déduire du prélèvement à acquitter (article 1er, paragraphe 1er, second alinéa). Les mesures qualifiées de "transitoires" étaient explicitement justifiées par les prix
élevés dus à la mauvaise récolte (premier considérant) et étaient limitées dans le temps: ne pouvaient bénéficier de la subvention que les quantités de maïs mises en libre pratique en Espagne jusqu' au 31 mai 1987 (article 1er, paragraphe 3). Par ailleurs, le règlement prévoyait les quantités maximales pouvant bénéficier de la subvention: 600 000 tonnes en provenance des pays tiers et 600 000 tonnes en provenance des États membres à l' exception du Portugal (article 1er, paragraphe 2).

Le litige devant la juridiction nationale

7. Comme la plupart des réglementations en matière agricole, le règlement n 3593/86 de la Commission prévoyait la constitution d' une garantie (article 2, paragraphe 3). Souhaitant importer du maïs subventionné, la société Transafrica a introduit, les 1er et 2 décembre 1986, des demandes de mise en libre pratique de 125 000 tonnes de maïs auprès du Servicio Nacional de Productos Agrarios (ci-après, le SENPA), l' autorité espagnole compétente, et a constitué la garantie bancaire exigée. Le 10
décembre 1986, le SENPA a délivré des titres d' importation en faveur de Transafrica, en vertu desquels la société était tenue d' importer les quantités sollicitées avant le 28 février 1987. Sur la base de ces titres, Transafrica n' a mis en libre pratique qu' une partie (31 587 tonnes) du maïs pour lequel elle avait sollicité la subvention.

8. Considérant, en effet, que la conclusion de l' accord du 30 janvier 1987 entre la Communauté et les États-Unis avait fondamentalement et, de façon imprévisible, modifié les données du problème en provoquant une baisse soudaine des prix, Transafrica signala, le 16 février 1987, au SENPA que l' importation de maïs subventionné avait perdu tout son sens et réclama la libération de la caution constituée. Après avoir pris l' avis de la Commission, le SENPA refusa de libérer la caution par décision du
14 septembre 1987. Après un premier recours rejeté par le ministre de l' agriculture, le 6 septembre 1988, la société Transafrica introduisit un recours contentieux, le 11 novembre 1988, devant l' Audiencia nacional. C' est la chambre du contentieux administratif de cette juridiction qui, par ordonnance du 23 mars 1993, vous a posé les questions préjudicielles suivantes:

1) "Les mesures adoptées par le règlement (CEE) n 1799/87 du Conseil, du 25 juin 1987, en ce qui concerne le régime d' importation de maïs en Espagne pour la période 1987-1990, peuvent-elles, par leurs effets possibles de réduction du prix du maïs, avoir affecté négativement et rendu difficile le respect des obligations contractées comme contrepartie des subventions accordées pour l' importation de maïs en Espagne, dans le cadre du règlement (CEE) n 3593/86 de la Commission, du 26 novembre 1986, en
allant jusqu' à constituer un cas de force majeure qui a rendu impossible ou difficile le respect des obligations de mise en libre pratique de maïs et engendre le droit à la libération de la garantie fournie?

2) Les annonces officielles de l' accord entre la CEE et les États-Unis d' Amérique et du résultat des négociations au sein du GATT, au cours des premiers mois de l' année 1987, sur l' engagement relatif à l' importation de maïs et de sorgho en Espagne, pendant chacune des quatre années de 1987 à 1990, ont-elles pu produire, même avant d' être concrétisées sous la forme d' une réglementation écrite, des conséquences inévitables et imprévisibles allant jusqu' à rendre impossible ou difficile le
respect d' une exigence principale, et qui pourraient être invoquées comme cas de force majeure au sens de l' article 22 du règlement (CEE) n 2220/85 de la Commission, du 22 juillet 1985?"

L' argumentation tirée de la protection de la confiance légitime

9. Bien que les questions posées par la juridiction nationale soient toutes deux relatives à la notion de force majeure, la partie requérante présente également une argumentation ayant trait à la protection de la confiance légitime, alléguant que la mention, par l' Audiencia nacional, de la force majeure dans ses questions peut être comprise comme faite uniquement à titre d' illustration, et vous invitant à procéder à un examen large des questions, à la lumière d' autres dispositions ou principes du
droit communautaire.

Les argumentations fondées sur la force majeure et sur la protection de la confiance légitime ont ceci de commun qu' elles font toutes deux référence aux attentes d' un particulier. Dans un cas, toutefois, le concept utilisé permet de délier le particulier d' une obligation qui lui incombe tandis que dans l' autre, le concept permet de créer une obligation à charge d' un tiers au profit du particulier. En effet, dans l' hypothèse de la force majeure, c' est un changement de circonstances imprévu par
rapport à une situation initiale qui est pris en considération (on ne s' attendait pas et on n' avait d' ailleurs aucune raison de s' attendre à un évènement), alors que dans celle où est invoquée la protection de la confiance légitime, on se référera plutôt à une attente induite du comportement du tiers dans des circonstances telles qu' un droit doit s' en trouver reconnu au particulier (le comportement du tiers était tel que le particulier était en droit de s' attendre à quelque chose de
relativement précis).

10. C' est à juste titre, nous semble-t-il, que la juridiction de renvoi vous a posé les questions au regard du concept de la force majeure. En l' espèce, en effet, le litige qui se déroule entre les parties porte sur l' exécution, par la partie requérante, des obligations qu' elle a souscrites lors des demandes de subventions pour l' importation de maïs. La preuve d' une force majeure lui permettrait d' être déliée de ses obligations et de récupérer la caution qu' elle a déposée. Toutefois, la
partie requérante ayant developpé une argumentation relative au principe de la protection de la confiance légitime, nous examinerons également les questions posées au regard de ce principe.

11. Votre Cour n' a que très rarement fait droit à une argumentation fondée sur la protection de la confiance légitime dans le cadre de mesures économiques d' intervention sur les marchés. Vous reconnaissez aux autorités communautaires une marge d' appréciation dans ce domaine tandis que vous appréciez de façon très sévère le comportement de ce bonus pater familias du droit communautaire qu' est l' opérateur économique prudent et avisé. Il est en effet de jurisprudence constante que, si le respect
de la confiance légitime s' inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d' une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d' appréciation des institutions communautaires. (9) Vous avez jugé qu' il en est spécialement ainsi dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés, dont l' objet comporte une constante adaptation en fonction des variations
de la situation économique et que cela vaut à plus forte raison lorsque l' avantage en cause résulte d' un régime spécial, dérogatoire aux règles ordinaires du marché, adopté afin de faire face à une situation exceptionnelle. (10)

12. Tel était bien le cas en l' espèce. On se trouvait dans cette situation exceptionnelle qu' était l' adhésion de l' Espagne. Tous les opérateurs économiques espagnols savaient ou devaient savoir que des négociations étaient en cours (11) entre la Communauté et les États-Unis visant à atténuer les conséquences de l' adhésion dans le secteur du maïs par l' organisation d' une période transitoire: le règlement (CEE) n 2913/86 du Conseil (12) faisait allusion à une solution intermédiaire trouvée le
1er juillet 1986 et, en outre, envisageait vraisemblablement la conclusion proche d' un accord final en fixant l' expiration de la validité des mesures au 28 février 1987. Par ailleurs, le règlement (CEE) n 3593/86 de la Commission (13) était explicitement justifié par le prix élevé du maïs dû, notamment, à la mauvaise récolte. Les mesures adoptées par ce règlement étaient qualifiées de "transitoires"; elles étaient strictement limitées dans le temps et ne portaient que sur des quantités déterminées
de maïs. Tout opérateur économique pouvait se rendre compte de l' état évolutif de la situation à la seule lecture des règlements.

13. Quand bien même une confiance légitime aurait-elle été créée dans le chef des opérateurs économiques par le règlement (CEE) n 3593/86 de la Commission, quod non, on ne voit de toute façon pas en quoi l' accord conclu le 30 janvier 1987 entre la CEE et les États-Unis d' Amérique aurait trompé cette confiance. Cet accord n' avait pas d' effet direct et n' a été transposé dans l' ordre juridique communautaire que par le règlement (CEE) n 1799/87 du Conseil du 25 juin 1987. (14) Contrairement à ce
qu' affirme la demanderesse, l' annonce de cet accord n' a pas eu un effet clairement identifiable sur le prix du maïs. Même le graphique produit par la demanderesse devant l' Audiencia nacional, de même origine (le SENPA) que celui produit par la Commission devant vous (15) mais sur une période plus brève, montre que le prix du maïs était en baisse continue pendant les mois de décembre 1986, janvier, février et mars 1987. Sur le graphique produit par la Commission, qui couvre la période s' étendant
de juillet 1986 à juin 1988, on voit particulièrement bien que c' est à partir d' octobre 1986 que le prix du maïs a commencé à décroître, soit précisément à partir de l' adoption du règlement n 3593/86 de la Commission, dont le but était de provoquer une baisse du prix. La baisse des prix de février 1987 n' était donc pas soudaine. Ce n' était que la suite logique, prévisible et souhaitée des mesures adoptées en octobre 1986 et non une réaction brusque du marché à l' accord conclu entre la CEE et
les États-Unis.

14. Quant au règlement (CEE) n 1799/87 du Conseil du 25 juin 1987, on voit encore moins en quoi il aurait pu tromper la confiance des opérateurs économiques quant aux conditions du marché en février 1987. Ce règlement n' avait pas d' effet rétroactif. Il ne s' appliquait même pas pendant une période de temps où du maïs subventionné entrait en Espagne conformément au règlement (CEE) n 3593/86 de la Commission. Il n' entrait, en effet, en vigueur que fin juin 1987, alors que ne pouvaient bénéficier de
la subvention prévue au règlement (CEE) n 3593/86 que les quantités de maïs mises en libre pratique en Espagne jusqu' au 31 mai 1987.

15. En conclusion, aucun élément ne permet de penser que la confiance des opérateurs, eût-elle existé et eût-elle été légitime, aurait pu être trompée, que ce soit par l' accord conclu entre la CEE et les États-Unis, le 30 janvier 1987, par l' annonce de cet accord, au début du mois de février, ou par le règlement (CEE) n 1799/87 du 25 juin 1987, prenant des mesures d' application de cet accord.

L' argumentation tirée de la force majeure

16. La disposition applicable est l' article 22, paragraphe 1er, du règlement (CEE) n 2220/85 de la Commission fixant les modalités communes d' application du régime des garanties pour les produits agricoles (16), tel que modifié par le règlement (CEE) n 1181/87, du 29 avril 1987 (17), selon lequel:

"1. Une garantie est acquise en totalité pour la quantité pour laquelle une exigence principale n' a pas été respectée, à moins qu' un cas de force majeure ait rendu impossible ce respect."

Pour la notion d' exigence principale, il faut se reporter à l' article 5 du règlement (CEE) n 3593/86 de la Commission, lequel dispose:

"La garantie visée à l' article 2 paragraphe 3 est libérée:

- pour les quantités pour lesquelles la demande n' a pas été acceptée ou lorsque l' exigence principale a été remplie,

- pour les quantités mises en libre pratique en Espagne pendant la durée de validité du titre visé à l' article 3 et sur présentation de celui-ci auprès de l' organisme qui l' a délivré dans un délai maximal de deux mois après l' expiration de la validité.

Cette obligation est une exigence principale au sens de l' article 20 du règlement (CEE) n 2220/85 de la Commission."

En l' espèce, la question qui se pose est celle de savoir si l' accord du 30 janvier 1987 ou le règlement (CEE) n 1799/87 du Conseil sont constitutifs de cas de force majeure libérant Transafrica de son obligation principale de mettre le maïs subventionné en libre pratique avant le 28 février 1987.

17. De ces questions, nous pouvons éliminer d' office celle faisant référence au règlement de juin 1987 comme circonstance ayant créé une impossibilité d' exécution. De même que la Commission, nous voyons difficilement comment un règlement adopté en juin 1987 aurait pu avoir la moindre influence sur l' exécution d' une obligation qui devait être accomplie en février 1987.

18. A plusieurs reprises, vous avez jugé que dans le domaine des règlements agricoles, la notion de force majeure n' est pas limitée à celle d' impossibilité absolue d' exécuter l' obligation souscrite. Il est toutefois constant qu' elle doit être entendue dans le sens de circonstances étrangères à l' opérateur concerné, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n' auraient pu être évitées qu' au prix de sacrifices excessifs, malgré toutes les diligences déployées. (18) En l' espèce, ces
conditions n' étaient pas remplies.

19. Indépendamment de la question, de principe pourtant, de savoir si une modification normative peut être constitutive d' une force majeure, le premier élément de ce dossier qui peut être relevé est que la conclusion de l' accord du 30 janvier 1987 n' était nullement un élément imprévisible pour les opérateurs économiques. Ainsi que nous venons de l' exposer, les négociations étaient en cours depuis de nombreux mois et le règlement (CEE) n 2913/86 du Conseil faisait d' ailleurs allusion à une
solution intermédiaire trouvée le 1er juillet 1986. En lisant les articles de presse déposés par la partie requérante devant la juridiction nationale, on acquiert la conviction que tout opérateur économique normalement informé pouvait se rendre compte que la question de l' importation du maïs en Espagne était l' un des éléments importants des négociations entre la CEE et les États-Unis. La demanderesse savait, ou devait savoir, qu' un accord devait nécessairement intervenir afin d' éviter une guerre
commerciale entre la Communauté et les États-Unis d' Amérique.

20. Selon la requérante, c' est la baisse des prix du maïs, causée par l' annonce de l' accord, qui a rendu impossible ou extrêmement difficile l' exécution de son obligation de mettre le maïs subventionné en libre pratique. Si nous sommes d' accord avec le fait qu' il y avait, à l' époque, une baisse du prix du maïs, il nous semble avoir démontré à suffisance, dans le cadre de l' argument relatif à la confiance légitime, que cette baisse de prix n' était pas une réaction soudaine et imprévisible à
l' annonce de l' accord du 30 janvier 1987 entre la Communauté et les États-Unis, mais bien la suite logique, prévisible et souhaitée des mesures adoptées en octobre 1986.

21. La société Transafrica était-elle dans l' impossibilité absolue de mettre le maïs subventionné en libre pratique ? Ce n' était pas le cas. La marchandise était disponible. Sans doute l' opération était-elle devenue moins intéressante, économiquement parlant. Mais il s' agit là d' un risque commercial et non d' un cas de force majeure. C' est en effet aux opérateurs économiques qu' il appartient de faire certains choix et d' en assumer les conséquences, de réaliser les bénéfices ou de supporter
les pertes qui résultent de ces choix. Transafrica a choisi d' acheter une quantité importante de maïs subventionné dans le cadre du règlement (CEE) n 3593/86 dont elle devait savoir, puisque c' était écrit dans le règlement lui-même, qu' il s' agissait d' une mesure transitoire, d' application limitée tant dans le temps que quant aux quantités concernées, répondant à un besoin spécifique et visant à provoquer une baisse du cours. Alors qu' elle avait reçu ses titres d' importation pour 125 000
tonnes le 10 décembre 1986, Transafrica a également choisi de n' importer que 31 587 tonnes et d' attendre quant au reste. Si, au mois de février, le prix était particulièrement bas et si l' annonce de l' accord entre la Communauté et les États-Unis laissait escompter une baisse ultérieure plus grande encore, il ne s' agissait que de la réalisation d' un risque commercial ordinaire, et non la survenance d' un évènement constitutif de force majeure.

Conclusion

22. Nous ne pouvons suivre l' argumentation développée par la requérante, qu' il s' agisse de celle relative à la protection de la confiance légitime ou de celle relative à la force majeure. Nous invitons dès lors la Cour à répondre comme suit aux questions posées par la juridiction de renvoi:

"Ni les mesures adoptées par le règlement (CEE) n 1799/87 du Conseil, du 25 juin 1987, en ce qui concerne le régime d' importation de maïs en Espagne pour la période 1987-1990, ni les annonces officielles, au cours des premiers mois de l' année 1987, de l' accord entre la CEE et les États-Unis d' Amérique et du résultat des négociations au sein du GATT relatives à ce régime d' importation ne pouvaient être invoquées au titre de la force majeure par un opérateur économique afin d' être libéré de l'
obligation principale de mettre du maïs subventionné en libre pratique, obligation souscrite dans le cadre du règlement (CEE) n 3593/86 de la Commission du 26 novembre 1986."

(*) Langue originale: le français.

(1) - Traité entre les États membres des Communautés européennes et le royaume d' Espagne et la République portugaise, relatif à l' adhésion du royaume d' Espagne et de la République portugaise à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l' énergie atomique, conclu à Madrid, le 12 juin 1985, JO L 302.

(2) - Décision 87/224/CEE du Conseil du 30 janvier 1987 relative à l' accord entre la Communauté économique européenne et les États-Unis d' Amérique concernant la conclusion des négociations au titre de l' article XXIV.6 de l' accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), JO L 98, p. 1.

(3) - Règlement (CEE) n 2913/86 du Conseil, du 16 septembre 1986, portant dérogation au règlement (CEE) n 2727/75 en ce qui concerne le prélèvement à l' importation applicable à certaines quantités de maïs et de sorgho, JO L 272, p. 1.

(4) - Règlement (CEE) n 2727/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, JO L 281, p. 1.

(5) - Règlement (CEE) n 3140/86 de la Commission, du 15 octobre 1986, relatif à l' ouverture d' une adjudication du prélèvement à l' importation de maïs et de sorgho en provenance des pays tiers, JO L 292, p. 27.

(6) - Règlement (CEE) n 1799/87 du Conseil, du 25 juin 1987, relatif au régime particulier d' importation de maïs et de sorgho en Espagne pour la période 1987-1990, JO L 170, p. 1.

(7) - Règlement (CEE) n 2059/87 de la Commission, du 13 juillet 1987, portant modalités d' application du régime particulier d' importation de maïs et de sorgho en Espagne pendant la période 1987-1990, JO L 193, p. 6.

(8) - Règlement (CEE) n 3593/86 de la Commission, du 26 novembre 1986, relatif à l' octroi d' une subvention pour l' importation de maïs en Espagne, JO L 334, p. 21.

(9) - Arrêt du 15 juillet 1982, Edeka, point 27 (245/81, Rec. p. 2745); arrêt du 28 octobre 1982, Faust, point 27 (52/81, Rec. p. 3745); arrêt du 17 juin 1987, Frico, point 33 (424/85 et 425/85, Rec. p. 2755); arrêt du 14 février 1990, Delacre, point 33 (C-350/88, Rec. p. I-395; arrêt du 7 mai 1992, Pesquerias De Bermeo, points 34-36 (C-258/90 et C-259/90, Rec. p. I-2901).

(10) - Arrêt du 14 février 1990, C-350/88, précité, point 36.

(11) - Sur l' incidence de la connaissance présumée, par les opérateurs économiques, de négociations au sein du Conseil sur l' existence de la confiance légitime, voir l' arrêt du 12 avril 1984, Unifrex, points 26-27 (281/82, Rec. p. 1969).

(12) - Voir supra, point 4.

(13) - Voir supra, point 6.

(14) - Voir supra, point 5.

(15) - La demanderesse l' a extrait de la p. 5 de la publication hebdomadaire de la dernière semaine de mars 1987 du SENPA Mercados nacionales , ainsi qu' elle le précise à la page 15 de sa requête devant la juridiction de renvoi.

(16) - JO L 205, p. 5.

(17) - JO L 113, p. 31. Ce règlement modificatif, postérieur à la constitution de la garantie dans le présent litige, ne fait que préciser explicitement la possibilité d' invoquer la force majeure.

(18) - Dernièrement, arrêt du 13 octobre 1993, An Bord Bainne, point 11 (C-124/92, non encore publié).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-136/93
Date de la décision : 24/03/1994
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Audiencia Nacional - Espagne.

Perte d'une caution - Force majeure.

Agriculture et Pêche

Céréales


Parties
Demandeurs : Transáfrica SA
Défendeurs : Administración del Estado español.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Murray

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1994:121

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