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15/12/1993 | CJUE | N°C-317/92

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 15 décembre 1993., Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne., 15/12/1993, C-317/92


Avis juridique important

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61992C0317

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 15 décembre 1993. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Médicaments et instruments médicaux - Réglementation nationale sur l'indication des dates de péremption - Entrave à

la libre circulation des marchandises - Défaut de notification à la Commission. ...

Avis juridique important

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61992C0317

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 15 décembre 1993. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Médicaments et instruments médicaux - Réglementation nationale sur l'indication des dates de péremption - Entrave à la libre circulation des marchandises - Défaut de notification à la Commission. - Affaire C-317/92.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-02039

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans le cadre de la transposition en droit national de l' obligation pour les États membres d' indiquer une date de péremption sur l' emballage des spécialités pharmaceutiques (1), la loi allemande du 24 août 1976 (2) limite pour celles qui sont des médicaments au sens de son article 2, paragraphe 1, ou 2, point 1, à deux par an - le 30 juin et le 31 décembre - les dates utilisables à cet effet. Cette obligation a été étendue par une ordonnance du 8 mars 1985 (3) à d' autres médicaments et, sans
notification préalable à la Commission, par une ordonnance du 25 mars 1988 (4), aux instruments médicaux stériles à usage unique, lesquels sont d' ailleurs considérés au sens de la loi allemande comme des médicaments (5).

2. Ces mesures, qui s' appliquent indistinctement aux produits nationaux et à ceux en provenance d' autres États membres, interdisent la mise sur le marché de tout médicament non étiqueté conformément à la loi.

3. Le présent recours en manquement vise à vous faire constater:

- que l' obligation de modifier l' étiquetage des médicaments pour y faire figurer une limitation de validité biannuelle est susceptible d' entraver les échanges intracommunautaires et qu' elle est donc incompatible avec l' article 30 du traité CEE;

- que l' omission de communiquer à la Commission, avant son adoption, le projet de texte de l' ordonnance du 25 mars 1988 contrevient aux dispositions communautaires applicables en la matière.

4. Avant d' aborder ces deux questions de fond, il y a lieu d' examiner l' exception d' irrecevabilité, soulevée par l' État défendeur, tirée du défaut d' intérêt à agir de la Commission.

5. A cet égard, celle-ci se voit objecter de n' avoir pas, d' une part, intenté son action dans un délai raisonnable à compter de celui inscrit dans l' avis motivé et, d' autre part, poursuivi la procédure en manquement pendant les délibérations précédant l' adoption de la directive 92/27/CEE, du 31 mars 1992, du Conseil concernant l' étiquetage et la notice des médicaments à usage humain, laquelle harmonise la matière des dates de péremption et que la République fédérale d' Allemagne s' apprêterait
à transposer.

6. S' agissant du premier motif, il suffit de rappeler que, dans le cadre de la procédure en manquement, la faculté pour la Commission de saisir la Cour a pour corollaire la liberté dont elle dispose pour choisir le moment de le faire.

7. Comme vous l' avez indiqué dans votre arrêt Commission/République italienne (6),

"(...) il appartient à la Commission, en vertu de l' article 169 du traité, d' apprécier le choix du moment auquel elle introduit une action devant la Cour, les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité de l' action, laquelle obéit seulement à des règles objectives" (7).

8. Vous avez, de même, rappelé la liberté d' appréciation de la Commission en la matière dans votre arrêt Commission/Belgique (8), en précisant:

"(...) ce sont les règles de l' article 169 du traité qui doivent trouver application sans que la Commission soit tenue au respect d' un délai déterminé" (9).

9. Votre jurisprudence étant constante à cet égard, la durée du délai qui s' est écoulé entre la date de l' avis motivé (26 mars 1990) et celle de la requête introductive d' instance (23 juillet 1992) ne saurait donc affecter la recevabilité du présent recours.

10. S' agissant du deuxième motif d' irrecevabilité, il suffit de relever qu' à supposer que la transposition de la directive 92/27/CEE ait fait disparaître tout manquement à l' article 30 la situation visée par le présent recours est antérieure à la date d' application de cette directive et que:

"(...) l' objet d' un recours introduit au titre de l' article 169 est fixé par l' avis motivé de la Commission et (...), même au cas où le manquement aurait été éliminé postérieurement au délai déterminé en vertu de l' alinéa 2 du même article, la poursuite de l' action conserve un intérêt" (10).

11. Il y a donc lieu de rejeter l' exception d' irrecevabilité et d' examiner les deux griefs articulés par la Commission à l' appui de son recours.

I. Sur l' entrave aux échanges intracommunautaires

12. Comme en témoignent les deux premiers considérants de la directive 65/65/CEE, "toute réglementation en matière de production et de distribution des spécialités pharmaceutiques doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique", tout en assurant le respect du développement des échanges de produits pharmaceutiques et l' élimination des entraves qui y font obstacle au sein de la Communauté.

13. L' article 13 de la directive dispose:

"Les récipients et les emballages extérieurs des spécialités pharmaceutiques doivent porter les indications suivantes:

(...)

7. La date de péremption en clair" (11).

14. Aux termes de son article 1er, il faut entendre par:

"1. Spécialité pharmaceutique:

tout médicament préparé à l' avance, mis sur le marché sous une dénomination spéciale et sous un conditionnement particulier.

2. Médicament:

toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l' égard des maladies humaines ou animales.

Toute substance ou composition pouvant être administrée à l' homme ou à l' animal en vue d' établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques chez l' homme ou l' animal est également considérée comme médicament."

15. En transposant les dispositions de l' article 13 précité, la législation allemande a imposé, pour tous les médicaments au sens de cette directive, pour les médicaments vétérinaires au sens de la directive 81/851/CEE (12) et pour les instruments médicaux stériles à usage unique, l' obligation d' indiquer, en tant que date de péremption, soit le 30 juin, soit le 31 décembre (13).

16. C' est en raison de cette obligation et des conséquences qu' elle pourrait entraîner quant à l' augmentation du coût des produits et la réduction de leur période de commercialisation que la Commission a intenté devant vous le présent recours.

17. Les explications données par la République fédérale d' Allemagne pour justifier cette obligation n' ont pas satisfait la Commission qui y voit une mesure d' effet équivalent à une restriction quantitative aux importations.

18. La question qui se pose est, dès lors, la suivante: doit-on considérer que la limitation à deux par an des dates de péremption, en ce qu' elle entraîne un renchérissement des produits en provenance d' autres États membres et une diminution de leur durée de commercialisation, est une mesure d' effet équivalent à des restrictions quantitatives interdite par l' article 30 du traité?

19. Votre jurisprudence conduit à répondre par l' affirmative à une telle question.

20. Il est, en effet, constant, depuis votre arrêt Dassonville (14), que l' interdiction édictée par l' article 30 s' étend à "(...) toute réglementation commerciale des États membres susceptible d' entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire (...)" (15).

21. Et l' apport de votre arrêt Keck et Mithouard (16) nous paraît ici sans incidence. En effet, vous avez simplement exclu du champ d' application de votre jurisprudence Dassonville les dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente pourvu qu' elle s' appliquent à tous les opérateurs concernés et qu' elles affectent de la même manière les produits nationaux et ceux en provenance d' autres États membres. Vous considérez que, dans de telles circonstances, l'
application de ces dispositions n' est pas, pour ces derniers produits, "de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu' elle ne gêne celui des produits nationaux" (17) .

22. Or, nous ne sommes pas en présence de modalités de ce type et les dispositions critiquées dans le cadre du présent recours affectent davantage les produits en provenance d' autres États membres que les produits nationaux.

23. A cet égard, il suffit, de plus, depuis votre arrêt Commission/Allemagne (18), que la mesure soit objectivement susceptible d' entraver les échanges sans qu' il soit nécessaire d' établir qu' elle s' est effectivement traduite par une diminution des importations ou qu' elle a été de nature à affecter sensiblement le commerce intracommunautaire.

24. Or, l' obligation de se conformer à la mesure incriminée contraint à modifier l' étiquetage des produits et occasionne de ce fait un surcoût qui peut rendre plus difficile leur écoulement sur le marché allemand.

25. Rappelons que dans votre arrêt Merci convenzionali porto di Genova (19), vous avez indiqué qu' une mesure interne est contraire à l' article 30 dès lors qu' elle peut avoir un effet restrictif sur les échanges entre les États membres, notamment lorsque les importations de produits en provenance d' autres États membres sont rendues plus coûteuses et plus difficiles.

26. L' importance du surcoût engendré par les mesures restrictives n' a pas à être prise en considération pour décider si elles tombent ou non sous le coup de l' interdiction édictée à l' article 30.

27. De même, il n' appartient pas à un État membre de décider qu' un tel surcoût peut être négligé. L' on voit mal, en effet, comment il pourrait l' être par un opérateur économique en général, et plus particulièrement par un producteur ou un distributeur de spécialités pharmaceutiques agissant de surcroît, faut-il le rappeler, dans le cadre d' une réglementation communautaire tendant, tout en assurant la sauvegarde de la santé publique, à prévenir les entraves au développement de l' industrie
pharmaceutique et aux échanges de produits pharmaceutiques au sein de la Communauté (20).

28. Mais, outre l' obstacle consécutif au renchérissement des produits importés, il y a lieu de relever celui lié à la diminution de leur période de commercialisation. A l' évidence, tout changement de date, dans les conditions imposées par la réglementation allemande, réduit la durée de commercialisation des médicaments concernés dont la validité pour une durée plus longue, au sens des valeurs thérapeutiques, n' est pourtant pas contestable.

29. En l' absence d' une obligation telle que celle imposée par la réglementation allemande, les importateurs auraient le droit de vendre leurs médicaments jusqu' à l' expiration de la durée de stabilité fixée, dans l' État de provenance, lors de l' autorisation de mise sur le marché, et pourraient en importer d' autres dont la durée de stabilité restant à courir, au jour de leur demande d' importation, serait de courte durée.

30. Or, l' obligation de n' utiliser que le 30 juin ou le 31 décembre comme seules dates de péremption peut réduire de plusieurs mois la période de commercialisation des produits concernés.

31. Ici encore, l' impact sur la commercialisation ne fait pas de doute. Et il doit, comme le renchérissement du coût des produits évoqué plus haut, être pris en considération pour décider de l' application éventuelle de l' interdiction prévue à l' article 30 à l' encontre des mesures litigieuses.

32. Peu importe, rappelons-le, l' importance de cet impact. Il ressort, en effet, de votre arrêt Prantl (21) qu'

"(...) il suffit que les mesures en question soient aptes à entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les échanges entre les États membres, sans qu' il soit nécessaire que ces mesures soient de nature à affecter sensiblement les échanges intracommunautaires",

et vous avez précisé dans votre arrêt Yves Rocher (22)

"(...) qu' à l' exception des règles ayant des effets simplement hypothétiques sur les échanges intracommunautaires, il est constant que l' article 30 du traité ne fait pas de distinction entre les mesures qui peuvent être qualifiées de mesures d' effet équivalant à une restriction quantitative selon l' intensité des effets qu' elles ont sur les échanges au sein de la Communauté".

33. L' argument du gouvernement allemand, selon lequel la réglementation en cause ne serait pas incompatible avec l' article 30 dans la mesure où elle ne provoquerait qu' une entrave marginale à la libre circulation, ne peut donc pas être retenu.

34. Peut-on alors considérer, pour exonérer l' entrave de l' interdiction de l' article 30, que la mesure qui en est à l' origine répond à une exigence impérative au sens de votre arrêt Cassis de Dijon? (23) C' est ce qu' à titre subsidiaire soutient la République fédérale d' Allemagne.

35. Au titre des exigences impératives mentionnées par cet arrêt, vous retenez la protection de la santé. C' est cet impératif qui est invoqué par l' État défendeur.

36. Le cas de protection de la santé est particulier parce que, mentionné parmi les exigences impératives, il figure également à l' article 36 du traité (24). Précisons ici que nous sommes dans un domaine qui n' était pas harmonisé à l' époque des faits et que votre jurisprudence n' exclut le recours à l' article 36 qu' après harmonisation de la matière concernée (25).

37. Cependant, il y a lieu de rappeler la distinction introduite par votre arrêt Cassis de Dijon entre les mesures discriminatoires et celles qui ne le sont pas. L' invocation des exigences impératives est ici liée à la notion de mesures non discriminatoires, c' est-à-dire, comme dans le cas présent, indistinctement applicables aux produits nationaux et à ceux en provenance d' autres États membres.

38. C' est donc à un examen dans le cadre de l' article 30 qu' il y a lieu de procéder face à l' argument de protection de la santé publique qui est invoqué ici.

39. Le gouvernement allemand justifie-t-il l' obligation d' une indication biannuelle des dates de péremption, au regard du droit communautaire?

40. A défaut d' harmonisation, vous admettez qu' il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé. Et il est juste que la seule information prescrite par la réglementation communautaire (26) en ce qui concerne la durée de validité des produits concerne l' indication claire de la date de péremption.

41. Cependant, si l' absence de prescription plus précise confère aux autorités allemandes une certaine latitude, cette dernière ne saurait les affranchir du respect des règles communautaires. En d' autres termes, l' appréciation discrétionnaire des États membres en pareille matière doit s' exercer "(...) en tenant compte du fait que leur action est elle-même limitée par le traité" (27).

42. Et s' il est difficile, comme vous le rappelez dans votre arrêt (cité par l' État défendeur) Solutions de lavage pour les yeux (28),

"(...) d' éviter que subsistent, temporairement et, sans doute, aussi longtemps que l' harmonisation des mesures nécessaires à assurer la protection de la santé ne sera pas plus complète, des différences entre les États membres, dans la qualification des produits (...)"

et que,

"Dans ces conditions, (...) c' est aux autorités nationales (...) qu' il appartient de déterminer, pour chaque produit, (...) ses modalités d' emploi (...)",

il n' en demeure pas moins que l' adoption de mesures par un État membre doit se faire dans le respect des exigences du traité relatives à la libre circulation des marchandises. S' il existe une latitude en la matière, elle n' est donc pas absolue.

43. Une telle observation est valable, aussi bien pour les médicaments à usage humain que pour les médicaments vétérinaires, pour lesquels les directives 65/65/CEE et 81/851/CEE prévoient une simple obligation d' indication en clair de la date de péremption, que pour les instruments médicaux à usage unique non soumis par la réglementation communautaire à une telle obligation.

44. On le sait, les exigences impératives ne sont acceptables au regard du principe de la libre circulation des marchandises que pour autant que les mesures en cause sont appropriées et nécessaires pour la réalisation d' un but légitimement poursuivi et qu' elles en constituent la garantie. Il convient donc de procéder, dans chaque cas, au contrôle de la proportionnalité de ces mesures.

45. Vous avez rappelé ce principe dans votre arrêt Stoke-on-trent et Norwich City Council/B&Q: (29)

"Le contrôle de la proportionnalité d' une réglementation nationale qui poursuit un but légitime au regard du droit communautaire met en balance l' intérêt national à la réalisation de ce but avec l' intérêt communautaire à la libre circulation des marchandises. A cet égard, pour vérifier que les effets restrictifs de la réglementation en cause sur les échanges intracommunautaires ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l' objectif visé, il importe d' examiner si ces effets sont
directs, indirects ou simplement hypothétiques et s' ils ne gênent pas la commercialisation des produits importés plus que celle des produits nationaux".

46. Votre jurisprudence constante établit que le principe de proportionnalité exige notamment qu' un État membre ayant à opter entre plusieurs mesures pouvant atteindre le même but doit "(...) choisir le moyen qui apporte le moins d' obstacles à la liberté des échanges" (30).

47. Il n' apparaît pas que la limitation à deux par an des dates de péremption puisse être justifiée, compte tenu du principe de proportionnalité, au regard du but poursuivi, c' est-à-dire la protection de la santé.

48. En effet, l' indication en clair sur les emballages des spécialités pharmaceutiques, des dates de péremption de ces spécialités, telles qu' elles sont arrêtées, dans l' État de provenance, par les laboratoires qui les produisent, sous couvert des contrôles en la matière et notamment des autorisations de mise sur le marché, nous semble répondre suffisamment à l' objectif de protection de la santé des utilisateurs. Le but essentiel en l' occurrence est, en effet, d' empêcher que ceux-ci puissent
se trouver en présence d' un produit périmé.

49. Or, toutes les spécialités pharmaceutiques produites dans les États membres mentionnent une date de péremption qui répond à cet objectif et le fait de se conformer aux dispositions communautaires prescrivant l' indication en clair de cette date sur les emballages suffit à l' évidence à protéger l' utilisateur.

50. Le surcroît de garantie pouvant éventuellement résulter de la datation biannuelle ne paraît donc pas nécessaire à la protection de la santé.

51. De même, l' argument de la République fédérale d' Allemagne, selon lequel la durée de stabilité d' un médicament ne pourrait être déterminée avec certitude aujourd' hui et qu' il conviendrait dès lors d' anticiper systématiquement la date de péremption au début d' un semestre, nous paraît tout aussi peu convaincant.

52. En effet, le gouvernement fédéral ne démontre pas en quoi une telle anticipation serait nécessaire pour renforcer la sécurité, et ce d' autant plus que la marge alléguée de sécurité est d' une durée différente selon que la date de péremption initiale indiquée sur le produit est plus ou moins éloignée du 30 juin ou du 31 décembre.

53. Dans le même sens, l' adjonction d' une telle marge présente un autre inconvénient en raison des durées de validité différentes des diverses spécialités pharmaceutiques qui, contrairement à ce qui est soutenu par l' État défendeur, ne sont pas toutes de plusieurs années.

54. La simplification du contrôle de validité des produits ne nous semble pas davantage de nature à pouvoir justifier, pour des raisons de protection de la santé publique, l' obligation de datation biannuelle. En effet, le gouvernement fédéral n' a pas démontré en quoi la simplification de la gestion des stocks par les pharmaciens, facilitée par la limitation à deux du nombre de dates de péremption sur les emballages, était la seule mesure permettant de garantir la sécurité dans la distribution des
produits. Comme le relève Monsieur l' avocat général Van Gerven dans ses conclusions dans les affaires Keck et Mithouard (31),

"L' élément essentiel de l' appréciation de la proportionnalité reste que les effets restrictifs d' une réglementation nationale ne peuvent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l' objectif justifié au regard du droit communautaire".

55. Redisons-le: s' il appartient aux autorités nationales de choisir les mesures adéquates, il leur revient également d' établir qu' elles sont justifiées. Cette preuve n' est pas, à notre sens, rapportée par la République fédérale d' Allemagne qui excipe simplement d' une volonté de protection de la santé publique, certes légitime, mais dont la mise en oeuvre sur le plan pratique se traduit par des modalités techniques, correspondant sans doute à des habitudes professionnelles nationales, dont
rien ne prouve cependant qu' elles sont nécessaires pour atteindre l' objectif poursuivi.

56. Nous concluons, en conséquence, à ce que les mesures litigieuses soient par vous considérées comme d' effet équivalent à une restriction quantitative aux importations, au sens de l' article 30 du traité.

II. Sur le défaut de notification

57. L' ordonnance du ministère allemand de la santé du 25 mars 1988 (ci-après "l' ordonnance") étend aux instruments médicaux stériles à usage unique l' obligation de mentionner l' une des deux dates de péremption prévues par la loi sur les médicaments du 24 août 1976.

58. Or, la directive 83/189/CEE (32) prescrit aux États membres, dans son article 8, paragraphe 1, de communiquer à la Commission tout projet de règle technique et d' adresser à celle-ci une brève "(...) notification concernant les raisons pour lesquelles l' établissement d' une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet".

59. La Commission a estimé que la République fédérale d' Allemagne, en s' abstenant de lui notifier l' ordonnance qui, selon elle, et contrairement à l' opinion de l' État défendeur, contient une règle technique, a contrevenu aux articles 8, paragraphe 1, et 9, paragraphe 1, de la directive précitée.

60. Celle-ci dispose, en son article 10, que ses articles 8 et 9 ne sont pas applicables lorsque les États membres adoptent des règles techniques en vue de s' acquitter d' obligations qui résultent de directives communautaires ou de certains accords internationaux et qui ont pour effet l' adoption de spécifications techniques uniformes dans la Communauté.

61. Selon l' article 1er, paragraphe 5, de la même directive, on entend par règle technique

"(...) les spécifications techniques, y compris les dispositions administratives qui s' y appliquent, dont l' observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation ou l' utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, à l' exception de celles fixées par les autorités locales".

62. L' ordonnance prescrit bien, de jure, que l' étiquetage des produits concernés doit porter la mention d' une date de péremption au 30 juin ou au 31 décembre.

63. Il s' agit donc d' une disposition nationale portant création d' une règle technique nouvelle, qui ne constitue pas la simple transposition par la République fédérale d' Allemagne d' un engagement procédant d' un accord international ou d' une obligation résultant d' une directive communautaire, puisque celle invoquée par les autorités allemandes ne prévoit pas la mention d' une date de péremption pour les instruments médicaux stériles à usage unique.

64. Le manquement allégué de ce chef est donc établi en tant qu' il est fondé sur l' article 8, paragraphe 1, de la directive 83/189/CEE.

65. Il n' apparaît pas, par contre, que la référence faite par la Commission à l' article 9, paragraphe 1, soit pertinente.

66. En effet, d' une part l' obligation de communiquer à la Commission, avant son adoption, tout projet de règle technique, ne résulte que de l' article 8, paragraphe 1, et d' autre part, l' article 9, paragraphe 1, ne trouve à s' appliquer qu' après communication au titre de l' article 8, paragraphe 1, laquelle fait précisément défaut en l' occurrence.

67. Nous avons cru comprendre que la Commission souhaiterait que puissent être tirées de l' articulation de ces deux dispositions toutes les conséquences quant aux droits des particuliers de s' en prévaloir directement devant leur juge national pour s' opposer à l' application de la disposition litigieuse. Il ne nous apparaît pas cependant qu' une telle question puisse trouver réponse dans le cadre du présent recours.

68. En conséquence, nous concluons à ce que

1) Vous constatiez que la République fédérale d' Allemagne a manqué aux obligations lui incombant:

- en vertu de l' article 30 du traité CEE, en subordonnant la mise sur le marché de spécialités pharmaceutiques et d' instruments médicaux stériles à usage unique à l' obligation de ne retenir que deux dates annuelles pour indiquer sur leur étiquetage leur date de péremption,

- en vertu de l' article 8, paragraphe 1, de la directive 83/189/CEE du 28 mars 1983, en omettant de communiquer à la Commission, avant son adoption, le projet de texte de l' ordonnance du 25 mars 1988, portant première modification de l' ordonnance sur les entreprises pharmaceutiques, qui étend aux instruments médicaux stériles à usage unique l' obligation d' indiquer une date de péremption.

2) Vous mettiez les dépens de la présente procédure à la charge de la République fédérale d' Allemagne.

(*) Langue originale: le français.

(1) - Directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 22, p. 369).

(2) - Loi du 24 août 1976 (Bundesgesetzblatt I, 1976, p. 2445, 2448) modifiée les 16 août 1986 (Bundesgesetzblatt I, 1986, p. 1296), 20 juillet 1988 (Bundesgesetzblatt I, 1988, p. 1050), et 11 avril 1990 (Bundesgesetzblatt I, 1990, p. 717).

(3) - Bundesgesetzblatt I, 1985, p. 546.

(4) - Bundesgesetzblatt I, 1988, p. 480.

(5) - Article 2, paragraphe 2, point 1 a, de la loi du 24 août 1976, précitée note 2.

(6) - Arrêt du 10 décembre 1968 (7/68, Rec. p. 617).

(7) - P. 625.

(8) - Arrêt du 10 avril 1984 (324/82, Rec. p. 1861).

(9) - Point 12.

(10) - Arrêt du 7 février 1973, Commission/Italie, point 9 (39/72, Rec. p. 101).

(11) - Texte résultant de la modification apportée par la directive 83/570/CEE du Conseil à la directive 65/65/CEE; le texte initial figurant dans la directive 65/65/CEE était: 7. La date de péremption pour les spécialités dont la durée de stabilité est inférieure à trois ans .

(12) - Directive 81/851/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 1), qui a étendu aux médicaments vétérinaires les dispositions de la directive 65/65/CEE.

(13) - Voir, pour le détail de cette législation, les textes de la requête de la Commission, p. 2 à 6 de la traduction française, et du mémoire en défense de la République fédérale d' Allemagne, p. 9 à 14 de la traduction française.

(14) - Arrêt du 11 juillet 1974, attendu 5 (8/74, Rec. p. 837).

(15) - Voir également l' arrêt du 25 mai 1993, Commission/Italie, point 12 (C-228/91, non encore publié au Recueil).

(16) - Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267 et C-268/91, non encore publié au Recueil).

(17) - Point 17.

(18) - Arrêt du 20 février 1975 (12/74, Rec. p. 181).

(19) - Arrêt du 10 décembre 1991, point 22 (C-179/90, Rec. p. I-5889).

(20) - Voir supra point 12.

(21) - Arrêt du 13 mars 1984, point 20 (16/83, Rec. p. 1299).

(22) - Arrêt du 18 mai 1993, point 21 (C-126/91, non encore publié au Recueil).

(23) - Arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral (120/78, Rec. p. 649).

(24) - Sur ce point, voir Manfred A. Dauses, Les mesures d' effet équivalent à des restrictions quantitatives à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes , RTDE 28 (4), oct.-déc. 1992, p. 607, spécialement p. 615 et suivantes.

(25) - Arrêts du 15 décembre 1976, Simmenthal (35/76, Rec. p. 1871), et du 3 octobre 1985, Commission/Allemagne, point 25 (28/84, Rec. p. 3097).

(26) - Directives 65/65/CEE, 81/851/CEE et 83/570/CEE, précitées.

(27) - Arrêt du 17 décembre 1981, Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Producten, point 12 (272/80, Rec. p. 3277).

(28) - Arrêt du 20 mai 1992, Commission/Allemagne, points 16 et 17 (C-290/90, Rec. p. I-3317).

(29) - Arrêt du 16 décembre 1992, point 15 (C-169/91, p. I-6635).

(30) - Arrêt du 10 novembre 1982, Rau, point 12 (261/81, Rec. p. 3961).

(31) - Point 11.

(32) - Directive du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d' information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 109, p. 8).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-317/92
Date de la décision : 15/12/1993
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Médicaments et instruments médicaux - Réglementation nationale sur l'indication des dates de péremption - Entrave à la libre circulation des marchandises - Défaut de notification à la Commission.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Rapprochement des législations

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République fédérale d'Allemagne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Murray

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:933

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