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28/09/1993 | CJUE | N°T-90/92

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance, Pedro Magdalena Fernández contre Commission des Communautés européennes., 28/09/1993, T-90/92


Avis juridique important

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61992A0090

Arrêt du Tribunal de première instance (troisième chambre) du 28 septembre 1993. - Pedro Magdalena Fernández contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Conditions d'octroi de l'indemnité de dépaysement. - Affaire T-90/92.
Recueil de jurisprudence 1

993 page II-00971

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions ...

Avis juridique important

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61992A0090

Arrêt du Tribunal de première instance (troisième chambre) du 28 septembre 1993. - Pedro Magdalena Fernández contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Conditions d'octroi de l'indemnité de dépaysement. - Affaire T-90/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page II-00971

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1. Fonctionnaires - Rémunération - Indemnité de dépaysement - Résidence habituelle dans l' État membre d' affectation durant la période de référence - Notion - Absence sporadique et de brève durée dudit État au début de la période de référence - Circonstance n' affectant pas le caractère habituel de la résidence

[Statut des fonctionnaires, annexe VII, art. 4, § 1, sous a)]

2. Fonctionnaires - Rémunération - Indemnité de dépaysement - Octroi durant l' affectation dans un État membre - Droit au maintien en cas de changement de lieu d' affectation - Absence

[Statut des fonctionnaires, annexe VII, art. 4, § 1, sous a)]

Sommaire

1. La notion de résidence habituelle à laquelle se réfère l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut aux fins de l' octroi de l' indemnité de dépaysement doit s' entendre comme visant le lieu où l' intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. S' agissant d' une question de fait, la détermination de ce lieu exige de prendre en considération la résidence effective du fonctionnaire durant la période de
référence précédant son entrée en fonctions. À cet égard, une absence sporadique et de brève durée de l' État membre d' affectation, au début de ladite période, ne saurait suffire à faire perdre son caractère habituel, au sens du statut, à la résidence dans cet État, dès lors que l' intéressé, qui s' y trouvait déjà avant le début de la période de référence, y a, de façon ininterrompue, demeuré pendant toute la période restant à courir.

Ni l' intention de l' intéressé de rechercher un emploi dans son pays d' origine et de s' y établir, ni le fait d' y exercer ses droits politiques ou d' y avoir des intérêts patrimoniaux ne suffisent à exclure le maintien de la résidence habituelle dans l' État d' affectation, dès lors que, pendant l' ensemble de la période de référence, l' intéressé a conservé le centre de ses intérêts dans ledit État, où se situait sa résidence et où, pendant l' essentiel de ladite période, il a exercé son
activité professionnelle. N' est pas davantage pertinent le fait que l' administration ait accepté, à la demande de l' intéressé, de fixer son lieu d' origine, au sens de l' article 7, paragraphe 3, de l' annexe VII du statut, dans un autre État membre, car la détermination du lieu d' origine et l' octroi de l' indemnité de dépaysement répondent à des besoins et des intérêts différents.

2. Un fonctionnaire bénéficiaire de l' indemnité de dépaysement prévue par l' article 69 du statut pendant la période durant laquelle il est affecté dans un État membre avec lequel il n' a pas établi de lien durable avant son entrée en fonctions initiale auprès des Communautés perd le droit à cette indemnité lorsqu' il est ultérieurement affecté dans l' État membre où il a, de façon habituelle, habité ou exercé son activité professionnelle durant la période de référence visée par l' article 4,
paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut. C' est, en effet, la relation concrète qu' entretient le fonctionnaire avec chacun de ses lieux d' affectation qui conditionne le droit à l' indemnité de dépaysement, sans que le fait d' avoir, à un moment donné de la carrière, satisfait aux conditions de son octroi puisse faire naître un droit acquis à son maintien.

Parties

Dans l' affaire T-90/92,

Pedro Magdalena Fernández, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par Me Alain H. Pilette, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Marc Loesch, 11, rue Goethe,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Sean van Raepenbusch, membre du service juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Nicola Annecchino, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l' annulation de la décision de la Commission du 24 juillet 1992 refusant au requérant le bénéfice de l' indemnité de dépaysement et, subsidiairement, la condamnation de la Commission au versement d' une "indemnité ad personam" égale à 12 % du montant total du traitement de base du requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Biancarelli, président, B. Vesterdorf et R. García-Valdecasas, juges,

greffier: M. H. Jung

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 24 juin 1993,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

Faits et procédure

1 Le requérant, M. Pedro Magdalena Fernández, de nationalité espagnole, est né le 17 septembre 1954 à Santianes (Espagne). Il a vécu en Belgique, où il a fait ses études, de 1965 au 1er mai 1986, à l' exception d' une période de neuf mois, du 1er octobre 1980 au 28 juin 1981, qu' il a passée à Torrevieja (Espagne), avec l' intention, selon ses déclarations, d' y chercher un emploi. Le requérant a exercé une activité professionnelle en Belgique, dans une entreprise commerciale, du 29 juin 1981 au 30
avril 1986.

2 Par décision du 4 juin 1986, il a été nommé, avec effet au 1er mai 1986, fonctionnaire stagiaire de grade B 5 à la Commission et affecté à l' Office statistique des Communautés européennes, à Luxembourg. Il a été titularisé avec effet au 1er février 1987.

3 Par décision du 7 août 1986, le lieu d' origine et le lieu de recrutement du requérant, au sens de l' article 7, paragraphe 3, de l' annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après "statut"), ont été fixés à Amay (Belgique).

4 A la suite d' une demande de révision présentée par le requérant, qui, s' appuyant sur le fait que ses parents habitaient à Torrevieja et qu' il y exerçait ses droits civiques, avait fait valoir que le centre de ses intérêts ne coïncidait pas avec le lieu de son recrutement, le lieu d' origne du requérant a été fixé, par décision du 18 mars 1987, à Torrevieja.

5 Durant toute la période de son affectation à Luxembourg, le requérant a bénéficié de l' indemnité de dépaysement prévue par l' article 4 de l' annexe VII du statut.

6 Le 1er février 1992, le requérant a été affecté à Bruxelles, à la direction générale Marché intérieur et affaires industrielles (DG III). A compter du 1er mars 1992, l' indemnité de dépaysement a cessé de lui être versée.

7 Par lettre du 17 mars 1992, adressée au secrétariat général de la Commission, le requérant a introduit une réclamation au titre de l' article 90, paragraphe 2, du statut, à l' encontre de son bulletin de rémunération du mois de mars 1992, en ce qu' il ne le créditait pas du montant de l' indemnité de dépaysement.

8 Par décision du 24 juillet 1992, notifiée au requérant le 29 juillet 1992, la Commission a rejeté explicitement la réclamation du requérant.

9 C' est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 octobre 1992, le requérant a introduit le présent recours.

10 A l' issue de la procédure écrite, le Tribunal a décidé de procéder à des mesures d' organisation de la procédure, sur la base de l' article 64 de son règlement de procédure. Ces mesures ont consisté à inviter, d' une part, la Commission à verser au dossier toutes les conclusions des chefs d' administration relatives à l' application de l' article 4, paragraphes 1 et 2, de l' annexe VII du statut, ainsi qu' aux modalités d' attribution des indemnités de dépaysement et d' expatriation et, d' autre
part, toutes les institutions communautaires à fournir des renseignements sur leur pratique administrative relative au versement des indemnités de dépaysement et d' expatriation.

11 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d' ouvrir la procédure orale. Les représentants des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l' audience du 24 juin 1993.

Conclusions des parties

12 Le requérant conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

- dire le présent recours recevable et fondé;

- en conséquence, annuler la décision de la Commission du 24 juillet 1992 refusant au requérant le bénéfice de l' indemnité de dépaysement;

- condamner la Commission au versement de l' indemnité de dépaysement à compter du 1er février 1992, augmentée des intérêts légaux depuis cette date jusqu' à parfait paiement;

- subsidiairement, condamner la Commission au versement d' une indemnité ad personam égale à 12 % du montant total du traitement de base du requérant à compter du 1er février 1992, augmentée des intérêts légaux depuis cette date jusqu' à parfait paiement;

- condamner la défenderesse aux dépens.

13 La défenderesse conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme non fondé;

- statuer sur les dépens comme de droit.

Sur les conclusions présentées à titre principal

Argumentation des parties

14 A l' appui de ces conclusions, le requérant fait valoir un moyen unique, tiré de la violation de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut. Ce moyen s' articule en deux branches. Le requérant soutient, tout d' abord, que la Commission a commis une erreur d' appréciation dans la détermination du lieu de sa résidence habituelle durant la période de référence visée par cette disposition, à savoir la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions. Il se
fonde, ensuite, sur le caractère de droit acquis que revêtirait le bénéfice de l' indemnité de dépaysement, ainsi que sur la finalité de cette dernière.

15 S' agissant de la première branche du moyen, le requérant soutient que le lieu de sa résidence habituelle lors de son recrutement par la Commission se situait en Espagne. A l' appui de cette affirmation, il invoque les éléments suivants: il n' a jamais cessé d' exercer ses droits politiques en Espagne; c' est dans ce pays que se trouvaient la plupart de ses intérêts de nature patrimoniale; il espérait pouvoir s' établir en Espagne après y avoir trouvé du travail; il a passé neuf mois, du 1er
octobre 1980 au 28 juin 1981, soit au début de la période de référence susvisée, à la recherche d' un emploi à Torrevieja (Espagne), ville où a été fixé son lieu d' origine; bien qu' ayant résidé en Belgique pendant ladite période de référence, il n' avait pas entendu y fixer le centre permanent de ses intérêts, ni conférer un caractère stable et définitif à sa résidence dans ce pays.

16 Le requérant rappelle que, selon une jurisprudence établie de la Cour et du Tribunal, la notion de résidence habituelle doit être considérée comme étant le lieu où l' intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent de ses intérêts. Le requérant en conclut que, bien que sa résidence effective se situât en Belgique, tous les éléments déjà mentionnés n' autorisaient pas à fixer sa résidence habituelle pendant la période de référence en Belgique. Il
considère que le critère à prendre en considération, pour l' application de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut, est celui de la résidence habituelle et qu' il ressort de la jurisprudence communautaire qu' un tel critère a été pris en considération en ce qui concerne l' octroi de l' indemnité de dépaysement.

17 Le requérant reconnaît que le Tribunal a jugé dans son arrêt du 8 avril 1992, Costacurta Gelabert/Commission (T-18/91, Rec. p. II-1655), que l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut doit être interprété en ce sens qu' il ouvre droit à l' allocation de dépaysement au fonctionnaire qui, pendant la période de référence, a habité en permanence à l' extérieur de l' État sur le territoire duquel est situé son lieu d' affectation. Selon le requérant, aucun élément n' autorise
toutefois à déduire de cet arrêt que le Tribunal a entendu revenir sur les termes mêmes de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut, en substituant au critère d' absence de résidence habituelle celui d' absence de toute résidence. Pour le requérant, le Tribunal a simplement entendu rappeler que l' absence de résidence dans le pays d' affectation durant la période de référence ouvre droit au bénéfice de l' indemnité de dépaysement. De l' avis du requérant, il n' est cependant
pas possible d' en déduire que l' article 4, paragraphe 1, sous a), priverait de l' indemnité de dépaysement le fonctionnaire qui ne pourrait établir que, durant toute la période de référence, il n' a pas, en permanence, habité hors du pays de son affectation. Un tel raisonnement conduirait à la conséquence "absurde" qu' un fonctionnaire ayant effectué de brefs séjours dans tous les pays où il est susceptible de se voir affecté serait privé, en toute hypothèse, de l' octroi de l' indemnité de
dépaysement.

18 La Commission, après avoir rappelé les dispositions de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut, fait valoir que, selon une jurisprudence constante, le bénéfice de l' indemnité de dépaysement est subordonné à l' absence de résidence habituelle ou d' activité professionnelle principale sur le territoire européen de l' État d' affectation au cours de la période de référence (arrêt de la Cour du 2 mai 1985, De Angelis/Commission, 246/83, Rec. p. 1253, point 14; arrêts du
Tribunal, Costacurta Gelabert/Commission, précité, point 44, et du 10 juillet 1992, Benzler/Commission, T-63/91, Rec. p. II-2095, point 6).

19 La Commission estime que de simples "espérances" de pouvoir s' établir un jour en Espagne, le fait d' y exercer les droits politiques, la présence d' intérêts de nature patrimoniale dans ce pays et un séjour de neuf mois en Espagne au cours des années 1980-1981 ne sont pas des éléments de nature à remettre en cause le fait que le requérant, pendant la période de référence, a habité de façon habituelle ou a exercé une activité professionnelle sur le territoire belge. La Commission relève que la
jurisprudence de la Cour et du Tribunal relative aux conditions d' application de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut (notamment l' arrêt de la Cour du 31 mai 1988, Nuñez/Commission, 211/87, Rec. p. 2791, points 9 et 10, et l' arrêt Costacurta Gelabert/Commission, précité, point 42) a mis en lumière l' existence de "critères simples et objectifs", sur lesquels se fonde ladite disposition, sans qu' il soit besoin pour l' administration de rechercher les "mobiles secrets"
des fonctionnaires quant à la fixation du centre permanent de leurs intérêts. Ces critères seraient le lieu d' habitation habituelle ou l' absence d' activité professionnelle du fonctionnaire sur le territoire d' affectation pendant la période de référence. Or, de l' avis de la Commission, on ne saurait nier, en l' espèce, que le requérant, ayant habité en Belgique de 1965 au 1er octobre 1980 et du 29 juin 1981 au 30 avril 1986, a habité de façon habituelle dans cet État durant la période de
référence, à savoir du 1er novembre 1980 au 30 octobre 1985.

20 S' agissant de la seconde branche du moyen, le requérant fait observer, en premier lieu, que, en ce qui concerne la finalité de l' indemnité de dépaysement, la Cour a jugé que l' octroi de cette indemnité a pour objet de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de fonctions auprès des Communautés pour les fonctionnaires qui sont, de ce fait, obligés de transférer leur résidence du pays de leur domicile au pays d' affectation et de s' intégrer dans un nouveau milieu
(voir les arrêts De Angelis/Commission et Nuñez/Commission, précités). Le requérant fait valoir que l' octroi de l' indemnité de dépaysement appréhende une situation ponctuelle, à savoir celle en vigueur à la date de la prise de fonctions du fonctionnaire intéressé au service des Communautés. Contrairement à l' indemnité journalière qui serait octroyée à titre transitoire, durant une période limitée, afin de compenser les frais et les inconvénients occasionnés par la nécessité de se déplacer et de
s' installer provisoirement au lieu de cette affectation, tout en gardant, également à titre provisoire, sa résidence antérieure, l' indemnité de dépaysement serait accordée au fonctionnaire durant toute la durée de son affectation, alors même que les charges et désavantages particuliers résultant de sa prise de fonctions auraient cessé depuis bien longtemps.

21 Le requérant rappelle que l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut prévoit une exception à la règle générale et établit que "les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération" et que la Cour a interprété cette exception en ce sens qu' elle a pour but de ne pas pénaliser, par la perte de l' indemnité de dépaysement, les personnes qui se sont établies dans le pays d' affectation en vue
d' y effectuer des activités au service d' un autre État ou d' une organisation internationale, sans avoir un lien durable avec ce pays (arrêt Nuñez/Commission, précité, point 11). Selon le requérant, c' est très probablement sur la base de ce raisonnement que le législateur communautaire a entendu accorder le bénéfice de l' indemnité de dépaysement aux fonctionnaires concernés durant toute la durée de leur activité au service des Communautés. Il serait ainsi permis de soutenir que l' octroi de l'
indemnité de dépaysement doit être maintenu dans le chef d' un fonctionnaire qui, bénéficiant de l' indemnité de dépaysement, se trouve affecté, suite à une mutation, dans un État où il n' aurait pas perçu l' indemnité de dépaysement s' il y était entré en fonctions au service des Communautés. Le bénéfice de l' indemnité de dépaysement devrait, dès lors, être considéré comme un droit acquis dans le chef du fonctionnaire qui se l' est vu octroyer à un moment quelconque de sa carrière au service des
Communautés. Le requérant estime que, si l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut prévoit, certes, des critères "simples et objectifs et, en même temps clairs et inconditionnels" (arrêt Costacurta Gelabert/Commission, précité, point 41), ces critères visent à appréhender une situation particulière à un moment donné, le bénéfice de l' indemnité de dépaysement devant être maintenu pour l' avenir dans le chef d' un fonctionnaire ayant rempli les conditions d' octroi de l'
indemnité à un moment précis de sa carrière au service des Communautés.

22 En second lieu, le requérant fait observer que, dans le cas d' espèce, il est clair que les charges et désavantages particuliers que la Cour considère comme constituant la finalité de l' indemnité de dépaysement sont davantage présents depuis sa mutation en Belgique qu' ils ne l' étaient durant les derniers temps qu' il a passés au Luxembourg, étant donné qu' il est de nationalité espagnole et qu' il a rompu toute attache avec la Belgique, après avoir passé cinq ans et dix mois au Luxembourg, au
service de la Commission.

23 La Commission fait valoir, tout d' abord, que la thèse du requérant constitue une interprétation ultra legem de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut. L' affectation à prendre en considération au titre dudit article ne serait pas seulement celle attribuée lors de l' entrée en fonctions et il en résulterait que les conditions d' octroi de l' indemnité de dépaysement devraient être vérifiées à l' occasion de chaque changement de lieu d' affectation. La thèse adverse
aboutirait, selon la Commission, à une situation "absurde", au regard de la finalité de l' article 4, paragraphe 1, sous a), dans laquelle l' indemnité devrait être accordée au fonctionnaire ou agent de nationalité belge qui, après une période d' activité au Luxembourg, durant laquelle il a pu bénéficier de ladite indemnité, serait affecté à Bruxelles où il a été recruté. Se référant à la jurisprudence de la Cour relative à la finalité de l' indemnité de dépaysement, la Commission fait ensuite
observer que, en tout état de cause, le requérant n' a nullement démontré, à l' appui de sa thèse, l' existence en Belgique de charges et désavantages particuliers devant être compensés par l' octroi de l' indemnité de dépaysement.

Appréciation du Tribunal

24 Il y a lieu de rappeler, liminairement, que l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut dispose que l' indemnité de dépaysement est accordée au fonctionnaire qui n' a pas et n' a jamais eu la nationalité de l' État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et qui n' a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen
dudit État.

25 S' agissant de la première branche du moyen invoqué par le requérant, le Tribunal constate, tout d' abord, que la question dont il est saisi porte sur l' interprétation de la notion de résidence habituelle énoncée à l' article 4, paragraphe 1, sous a), précité, étant donné que le requérant prétend avoir eu sa résidence habituelle en Espagne pendant la période de référence en cause.

26 Le Tribunal rappelle, ensuite, que, selon une jurisprudence bien établie, l' octroi de l' indemnité de dépaysement est subordonné à l' absence de résidence habituelle ou d' activité professionnelle principale sur le territoire européen de l' État d' affectation pendant la période de référence (arrêts de la Cour du 20 février 1975, Airola/Commission, 21/74, Rec. p. 221, point 6, et Van den Broeck/Commission, 37/74, Rec. p. 235, point 6; arrêts De Angelis/Commission, précité, point 14, Costacurta
Gelabert/Commission, précité, point 44, et Benzler/Commission, précité, point 16).

27 Le Tribunal relève que la notion de résidence habituelle a été interprétée de manière constante par la jurisprudence communautaire comme étant le lieu où l' intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts (arrêts de la Cour du 12 juillet 1973, Angenieux, 13/73, Rec. p. 935, du 17 février 1977, Di Paolo, 76/76, Rec. p. 315, du 14 juillet 1988, Schaeflein/Commission, 284/87, Rec. p. 4475, du 23 avril 1991, Ryborg, C-297/89, Rec.
p. I-1943, point 19, et arrêt Benzler/Commission, précité, point 25) et qu' il s' agit là d' une question de fait exigeant la prise en considération de la résidence effective de l' intéressé (arrêt Benzler/Commission, précité, point 17).

28 En l' espèce, le Tribunal constate qu' il ressort des pièces du dossier que, depuis 1965 jusqu' au 1er mai 1986 et, par conséquent, pendant la période de référence en cause, à savoir du 1er novembre 1980 au 30 octobre 1985, le requérant a résidé de façon habituelle en Belgique. A cet égard, il suffit de relever que le requérant lui-même, dans son mémoire en réplique (p. 3, paragraphe 2), reconnaît avoir habité en Belgique pendant la période de référence, que l' attestation délivrée le 3 mai 1986
par le commissariat de police de la commune d' Amay (province de Liège) certifie que le requérant est domicilié à Amay depuis le 9 février 1978, et que le certificat délivré le 2 octobre 1989 par le consulat général d' Espagne à Liège indique que le requérant "est parti provisoirement" à Torrevieja du 1er octobre 1980 au 28 juin 1981.

29 Quant au séjour de neuf mois effectué en Espagne entre ces deux dates, il y a lieu de relever que le requérant a continué, après ledit séjour, à habiter et à travailler à Liège, comme il l' avait fait auparavant. Une telle absence du pays d' affectation, sporadique et de brève durée, ne saurait être considérée comme suffisante pour faire perdre à la résidence du requérant dans l' État d' affectation son caractère habituel, au sens de la disposition susvisée du statut (arrêt de la Cour du 9
octobre 1984, Witte/Parlement, 188/83, Rec. p. 3465, point 11). En effet, cette absence concerne exclusivement les huit premiers mois de la période de référence et ne suffit pas, par suite, à permettre de considérer comme interrompue la résidence habituelle du requérant établie en Belgique depuis 1965, dès lors que ce dernier a, de façon ininterrompue, demeuré dans cet État pendant l' ensemble de la période de référence restant à courir.

30 Par ailleurs, les circonstances que le requérant a pu avoir l' intention de chercher un emploi en Espagne et de s' y établir, qu' il y a exercé ses droits politiques et qu' il y a eu des intérêts de nature patrimoniale ne sont pas, à elles seules, de nature à remettre en cause la conclusion énoncée au point précédent quant à la détermination de sa résidence habituelle en Belgique, dès lors qu' il est constant que, pendant l' ensemble de la période de référence, le requérant a conservé le centre
de ses intérêts en Belgique où il avait sa résidence et où, pendant l' essentiel de la période de référence, il exerçait son activité professionnelle (voir l' arrêt de la Cour du 17 février 1976, Delvaux/Commission, 42/75, Rec. p. 167, point 8). Au surplus, le fait que la Commission a fixé, à sa demande, son lieu d' origine en Espagne ne saurait avoir une influence quelconque sur la solution du présent litige, la détermination du lieu d' origine du fonctionnaire, d' une part, et l' octroi de l'
indemnité de dépaysement, d' autre part, répondant à des besoins et des intérêts différents (arrêt de la Cour du 10 octobre 1989, Atala-Palmerini/Commission, 201/88, Rec. p. 3109, point 13).

31 Il s' ensuit que la première branche du moyen doit être écartée.

32 S' agissant de la seconde branche du moyen, selon laquelle le bénéfice de l' indemnité de dépaysement devrait être considéré comme un droit acquis devant être maintenu dans le chef d' un fonctionnaire ayant satisfait aux conditions de son octroi à un moment donné de sa carrière au service des Communautés, le Tribunal estime que cette interprétation ne découle nullement des termes de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de l' annexe VII du statut. Il résulte, en effet, d' une jurisprudence
constante que la finalité de l' indemnité de dépaysement est de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de l' exercice permanent de fonctions dans un pays avec lequel le fonctionnaire n' a pas établi de liens durables avant son entrée en fonctions (arrêts Nuñez/Commission, précité, point 9, et Costacurta Gelabert/Commission, précité, point 42; arrêt du Tribunal du 30 mars 1993, Vardakas/Commission, T-4/92, Rec. p. II-357, point 39). Par conséquent, la disposition en question
doit être interprétée en ce sens que l' indemnité de dépaysement est octroyée à un fonctionnaire en considération du fait qu' il est affecté dans un État avec lequel il n' a pas établi de liens durables avant son entrée en fonctions, cette dernière notion devant se comprendre comme se référant à l' entrée en fonctions initiale auprès des Communautés. Cependant, lorsque ce fonctionnaire est affecté dans un État avec lequel il a établi des liens durables avant son entrée en fonctions, plus
concrètement dans un État dans lequel, selon les termes de l' article 4, paragraphe 1, sous a), il a, de façon habituelle, habité ou exercé son activité professionnelle pendant la période de référence, il perd le droit à l' indemnité de dépaysement. C' est donc la relation concrète qu' entretient le fonctionnaire avec chacun de ses lieux d' affection qui conditionne le droit à l' indemnité de dépaysement.

33 En ce qui concerne la thèse du requérant, selon laquelle, en l' espèce, les charges et désavantages particuliers que l' indemnité de dépaysement devrait compenser l' affectent plus particulièrement depuis sa mutation à Bruxelles, il suffit de rappeler que le Tribunal a déjà jugé que le requérant avait, avant son entrée en fonctions, sa résidence habituelle en Belgique. Exerçant, dès lors, ses fonctions dans un pays avec lequel il avait établi des liens durables avant son entrée en fonctions, le
requérant ne saurait se prévaloir de charges ou de désavantages particuliers justifiant l' octroi de l' indemnité de dépaysement.

34 Il s' ensuit que la seconde branche du moyen doit également être écartée et que, par suite, les conclusions principales du recours doivent elles-mêmes être rejetées. Par voie de conséquence et en tout état de cause, il y a lieu de rejeter également les conclusions tendant à ce qu' injonction soit faite à la Commission d' avoir à procéder au versement de l' indemnité de dépaysement litigieuse augmentée des intérêts de droit.

Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire

Argumentation des parties

35 Le requérant soutient que certains fonctionnaires au service de la Commission, ayant habité ou travaillé de façon habituelle, durant la période de référence visée à l' article 4, paragraphe 1, sous a) de l' annexe VII du statut, dans le pays d' affectation, bénéficient néanmoins de l' indemnité de dépaysement. Cette situation se rencontrerait principalement dans le cas de fonctionnaires ayant, tout d' abord, été affectés hors de l' État sur le territoire duquel se situait leur résidence
habituelle durant la période de référence et ayant, ensuite, été mutés dans celui-ci. Il s' agirait d' une situation identique à celle dans laquelle se trouverait placé le requérant dans l' hypothèse où, "par impossible", le Tribunal fixerait le lieu de sa résidence habituelle durant la période de référence en Belgique. De l' avis du requérant, une telle pratique, de la part de l' autorité investie du pouvoir de nomination, serait clairement de nature à créer, entre fonctionnaires se trouvant en
fait dans des situations comparables, une différence de traitement contraire au principe d' égalité de traitement et de non-discrimination. Le requérant invite, dès lors, le Tribunal à faire usage de l' article 49 de son règlement de procédure et à procéder ainsi aux vérifications qui s' imposent auprès des services de la Commission.

36 Le requérant demande, à titre subsidiaire, l' octroi d' une indemnité ad personam égale à 12 % de son traitement de base, seule en mesure de rétablir l' égalité de traitement entre lui-même et les autres fonctionnaires se trouvant dans une situation comparable et qui bénéficieraient de l' indemnité de dépaysement.

37 La Commission rétorque que, outre le fait qu' elle ne voit pas à quels cas précis le requérant fait allusion, l' illégalité, si elle était établie, du versement de l' indemnité de dépaysement en faveur des fonctionnaires visés par le requérant devrait uniquement conduire au retrait de la décision leur reconnaissant ce droit et, en aucune façon, amener l' administration à méconnaître les règles statutaires vis-à-vis du requérant. En admettant même qu' il y ait eu octroi illicite de l' indemnité,
"il ne serait guère possible de tirer de cette situation un grief de discrimination et d' en inférer la conséquence que le requérant ... doit être traité de manière identique" (conclusions de l' avocat général M. Roemer sous l' arrêt de la Cour du 13 juillet 1972, Besnard e.a./Commission, 55/71 à 76/71, 86/71, 87/71 et 95/71, Rec. p. 543, 567, 576).

Appréciation du Tribunal

38 Le Tribunal rappelle que, comme l' a soutenu à juste titre la Commission, il est de jurisprudence constante que le principe de l' égalité de traitement ne peut être invoqué que dans le cadre du respect de la légalité (arrêt Besnard e.a./Commission, précité, point 39) et que nul ne peut invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d' autrui (arrêt Witte/Parlement, précité, point 15). Partant, le moyen tiré d' une violation du principe de l' égalité de traitement ne saurait, non plus,
être retenu. Dès lors, les conclusions présentées à titre subsidiaire doivent, elles aussi, être écartées.

39 Il résulte de l' ensemble de ce qui précède que le recours n' est pas fondé et doit, par conséquent, être rejeté.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

40 Aux termes de l' article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l' article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Il y a donc lieu, pour le Tribunal, de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Chacune des parties supportera ses propres dépens.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : T-90/92
Date de la décision : 28/09/1993
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Conditions d'octroi de l'indemnité de dépaysement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Pedro Magdalena Fernández
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:1993:78

Source

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