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25/05/1993 | CJUE | N°C-154/92

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 25 mai 1993., Remi van Cant contre Rijksdienst voor pensioenen., 25/05/1993, C-154/92


Avis juridique important

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61992C0154

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 25 mai 1993. - Remi van Cant contre Rijksdienst voor pensioenen. - Demande de décision préjudicielle: Arbeidsrechtbank Antwerpen - Belgique. - Egalité de traitement - Pension de vieillesse - Mode de calcul - Age de la pension

. - Affaire C-154/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-03811

Con...

Avis juridique important

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61992C0154

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 25 mai 1993. - Remi van Cant contre Rijksdienst voor pensioenen. - Demande de décision préjudicielle: Arbeidsrechtbank Antwerpen - Belgique. - Egalité de traitement - Pension de vieillesse - Mode de calcul - Age de la pension. - Affaire C-154/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-03811

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. L' Arbeidsrechtbank te Antwerpen vous adresse trois questions préjudicielles dont la première concerne la compatibilité, au regard de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978 (1) (ci-après "la directive"), et plus particulièrement de son article 4, d' un mode de calcul de la retraite qui prend pour base annuelle, pour les hommes, 1/45 des rémunérations perçues et, pour les femmes, 1/40, lorsque l' âge de la retraite est fixé de manière identique. Le juge a quo vous interroge ensuite
sur l' effet direct du paragraphe 1 de cet article et, en cas de réponse affirmative, sur le régime applicable à la catégorie des personnes défavorisées.

2. Nous rappellerons brièvement les faits ainsi que la réglementation belge, renvoyant pour plus ample exposé au rapport d' audience (2).

3. M. Van Cant a souhaité pouvoir bénéficier, à l' âge de soixante-cinq ans, d' une pension de vieillesse. Il a ainsi sollicité, le 22 juin 1990, de l' office national des pensions de Bruxelles (ci-après "ONP") l' octroi d' une pension de retraite à compter du 1er juin 1991, soit le premier jour du mois suivant celui de son soixante-cinquième anniversaire.

4. L' ONP, par décision du 26 octobre 1990, lui a accordé une pension annuelle de 465 334 FB, calculée sur la base des quarante-cinq années civiles les plus avantageuses de sa carrière (3).

5. M. Van Cant a formé recours contre cette décision et saisi la juridiction de renvoi au motif que sa pension aurait dû être calculée, comme celle des travailleurs féminins, sur le fondement, non des quarante-cinq, mais des quarante années les plus favorables.

6. La législation nationale belge a connu, en matière de pension de vieillesse, une récente modification, en sorte que nous examinerons les deux derniers régimes. Le premier, celui résultant de l' arrêté royal n 50, du 24 octobre 1967 (4), applicable jusqu' au 1er janvier 1991, fixait l' âge normal de la retraite à soixante-cinq ans pour les hommes et à soixante ans pour les femmes. A cette distinction correspondait une différenciation quant au niveau des prestations calculées à partir d' un
dénominateur ne pouvant être supérieur à quarante-cinq pour les hommes et à quarante pour les femmes. A cet égard, l' article 4 de l' arrêté précité prévoyait:

"La pension de retraite prend cours le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel l' intéressé en fait la demande, et au plus tôt:

1 a) soit le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel il atteint l' âge normal de la pension: 65 ans ou 60 ans, selon qu' il s' agit d' un homme ou d' une femme...".

L' article 10 du même arrêté précisait comme suit les modalités de calcul:

"Le droit à la pension de retraite est acquis, par année civile, à raison d' une fraction des rémunérations brutes réelles, fictives et forfaitaires ... prises en considération à concurrence de:

a) 75 p.c. pour les travailleurs dont l' épouse a cessé toute activité professionnelle...,

b) 60 p.c. pour les autres travailleurs....

Toutefois, le dénominateur ne peut être supérieur à 45 pour un homme ou à 40 pour une femme."

7. Depuis le 1er janvier 1991, le nouveau régime, instauré par la loi du 20 juillet 1990 (5), permet à tous les salariés, sans considération de sexe, de prendre leur retraite à partir de l' âge de soixante ans. L' article 2 de la loi précitée dispose, en effet:

"La pension de retraite prend cours le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel l' intéressé en fait la demande et au plus tôt le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel il atteint l' âge de 60 ans...".

8. Toutefois, le mode de calcul fixé dans l' ancien article 10 de l' arrêté royal n 50 est maintenu. A cet égard, l' article 3 de la loi nouvelle prévoit:

"... la fraction correspondant à chaque année civile a pour numérateur l' unité et pour dénominateur le nombre 45 ou 40 selon qu' il s' agit d' un homme ou d' une femme...".

9. En quelque sorte, le nouveau texte instaure l' égalité entre hommes et femmes quant à l' âge de la retraite, seule une limite inférieure étant définie, mais laisse subsister la règle antérieure de calcul, en retenant un dénominateur de 45 pour les hommes et 40 pour les femmes.

10. Cette opposition entre un âge unifié et un mode de calcul différencié a suscité, en Belgique, de nombreuses discussions. Ainsi, les débats parlementaires autour du nouveau projet de loi (6) ont révélé que le ministre des pensions, instigateur du projet, était pleinement conscient de l' argument selon lequel, dès le moment où l' âge de la retraite est identique pour les hommes et les femmes, le maintien des modalités antérieures de calcul des prestations exposait le nouveau dispositif au risque
de contrariété avec l' article 4, paragraphe 1, de la directive.

11. Mais, entre un calcul généralisé en quarante-cinquième défavorable aux femmes et un calcul uniformisé en quarantième remettant en cause l' équilibre financier des régimes de retraite, la solution de s' en tenir au statu quo a prévalu.

12. Ces interrogations sur la compatibilité de cette législation nationale avec le droit communautaire nous amènent à rappeler brièvement les dispositions pertinentes de la directive, à savoir ses articles 4 et 7.

13. L' article 4 pose le principe de l' égalité de traitement et dispose qu' il

"implique l' absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l' état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne:

...

- le calcul des prestations...".

14. L' article 7 réserve la possibilité, pour les États membres qui ne seraient pas en mesure d' appliquer immédiatement un tel principe, d' exclure du champ d' application de la directive:

"a) la fixation de l' âge de la retraite pour l' octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d' autres prestations."

15. Il y aura lieu, pour le juge a quo, avant tout examen au fond de la compatibilité d' un régime tel celui sous examen, de déterminer d' une part s' il s' inscrit intégralement dans le cadre de l' article 3 de la directive, d' autre part s' il en résulte une discrimination au détriment des hommes.

16. En ce qui concerne le premier point, vous avez clairement établi que

"les régimes ou prestations de sécurité sociale, notamment les pensions de retraite, directement réglés par la loi..." (7)

ne sauraient rentrer dans la notion de rémunération telle que définie à l' article 119 du traité, mais relèvent de la directive 79/7.

17. Quant au second point, observons que la discrimination résulte d' un calcul différencié des rémunérations perçues par une personne selon qu' il s' agit d' un homme ou d' une femme, alors même que l' âge de la retraite est identique. Le juge de renvoi a d' ores et déjà considéré à cet égard que la réglementation nationale avait un caractère discriminatoire (8).

18. La principale difficulté consiste dès lors à déterminer si la mesure dont s' agit relève de l' article 4 de la directive, et doit donc être soumise au respect de l' égalité de traitement, ou peut s' inscrire dans le cadre de la dérogation de l' article 7. Bien que le juge a quo ne vise pas expressément ce dernier article, son évocation paraît obligée parce que déterminante.

19. Disons-le d' emblée, la méthode qui consiste à calculer différemment la pension pouvant être octroyée à une personne selon qu' elle est de l' un ou de l' autre sexe ne paraît pas pouvoir bénéficier de la dérogation prévue à l' article 7 de la directive lorsque l' âge à partir duquel il est possible de solliciter son admission à la retraite est identique. Comme nous allons tenter de le démontrer, une telle méthode nous semble incompatible avec la directive, dans la mesure où il n' existe aucun
lien nécessaire et objectif entre la discrimination existant dans le régime de prestations et l' âge de la retraite.

20. Indiquons-le cependant: nous n' avons pas été insensible à l' argument consistant à faire prévaloir les mérites d' une avancée sociale sur une approche juridique pouvant, à première vue, paraître trop restrictive.

21. Il est, en effet, incontestable qu' un régime instaurant un âge unique de retraite à soixante ans, tant pour les hommes que pour les femmes, peut être considéré comme participant du progrès social, progrès inhérent à l' esprit de la directive qui est, rappelons-le, de mettre en oeuvre progressivement le principe de l' égalité de traitement (9).

22. Un pas en avant significatif a certainement été fait par le royaume de Belgique et l' on comprend que la mise en oeuvre du principe n' ait pu être immédiatement parachevée, compte tenu d' une part du caractère contributif du régime, d' autre part de l' équilibre financier de ce dernier, lequel se caractérise par sa complexité et sa précarité. C' est la raison pour laquelle le statu quo a été maintenu en ce qui concerne la méthode de calcul de la pension.

23. Et l' on fera valoir combien il est paradoxal, voire choquant, de remettre en question les progrès d' une avancée législative, alors que la directive permettrait la persistance de discriminations plus étendues dès lors qu' elles s' intègrent dans le cadre de la dérogation de l' article 7.

24. Une telle considération ne saurait toutefois suffire à conférer un label de conformité à une réglementation nationale telle celle en cause.

25. Sans entrer dans le détail d' une discussion plus technique que juridique, il suffira d' observer, en premier lieu, que, comme la Commission l' a, à juste titre, souligné, lors de la procédure orale, la progressivité dans la mise en oeuvre de l' égalité de traitement pouvait être atteinte par d' autres mécanismes se situant de façon incontestable dans le cadre de la dérogation de l' article 7.

26. En outre, il n' est pas certain que les hommes utilisent largement la nouvelle faculté qui leur est offerte de prendre leur retraite à soixante ans, dès lors que le calcul des prestations pourrait s' avérer moins favorable pour eux à cet âge qu' à soixante-cinq ans, en sorte qu' ils préféreront généralement attendre d' avoir atteint cet âge pour bénéficier d' une pension complète (10).

27. Quoi qu' il en soit, il convient d' examiner un tel type de réglementation à l' aune de l' article 7, c' est-à-dire d' une part de la règle d' interprétation restrictive de cette disposition, d' autre part, et principalement, de la nécessité d' un lien entre l' âge de la retraite et les modalités de calcul de cette dernière.

28. S' agissant de l' interprétation restrictive, dans les trois arrêts relatifs aux conditions de licenciement que vous avez rendus le 26 février 1986, vous avez, par une formulation identique, nettement affirmé que,

"... compte tenu de l' importance fondamentale du principe de l' égalité de traitement que la Cour a itérativement souligné, l' exception au champ d' application de la directive 76/207 prévue à l' article 1er, paragraphe 2, de cette directive, pour le domaine de la sécurité sociale, doit être interprétée de manière stricte. En conséquence, l' exception à l' interdiction des discriminations fondées sur le sexe prévue à l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 n' est applicable qu'
aux conséquences découlant de la fixation de l' âge de la retraite pour l' octroi des pensions de vieillesse et de retraite pour d' autres prestations de sécurité sociale" (11).

29. Vous avez ainsi très précisément différencié le champ d' application de la directive 79/7 concernant les régimes légaux de retraite de celui de la directive 76/207 (12) relatif au licenciement, tout en retenant dans l' un et l' autre cas la règle de l' interprétation restrictive de la dérogation.

30. Le fait que certaines conditions de licenciement puissent résulter de la fixation d' un âge de retraite ne suffit pas pour faire relever une situation de l' article 7 de la directive 79/7. En effet, ne rentrent pas dans la notion de "conséquences" de la fixation de l' âge de la retraite, au sens de la jurisprudence précitée, toutes les incidences s' y rattachant mais seulement les conséquences directes concernant des prestations de sécurité sociale. Votre volonté n' est donc pas d' élargir la
notion de conséquence telle qu' énoncée dans l' article 7, mais, bien au contraire, de la limiter aux seuls régimes légaux et aux seules causes directement liées à l' octroi d' un droit à pension.

31. Si, dans l' arrêt Burton (13), interrogés sur l' égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne la possibilité d' un départ volontaire prévu dans le cadre d' une réorganisation de l' entreprise par un accord collectif, vous avez, dans un premier temps, rangé le régime du départ volontaire dans le domaine de la directive 76/207, c' est ensuite sur la base des liens existant entre la mesure litigieuse et les régimes nationaux relatifs à la détermination de l' âge de la retraite que vous avez
envisagé l' application de l' article 7 de la directive 79/7, pour, en définitive, conclure que:

"La faculté offerte aux travailleurs par les dispositions en cause en l' espèce est liée au système de retraite de la sécurité sociale britannique. Elle comporte la possibilité pour le travailleur qui quitte son emploi au cours des cinq ans qui précèdent l' âge normal de la retraite de bénéficier, pendant une période limitée, de certaines prestations. Ces prestations sont calculées de manière identique indépendamment du sexe du travailleur. La seule différence entre les avantages accordés aux hommes
et aux femmes découle du fait que l' âge minimum de la retraite prévu par la législation nationale n' est pas le même pour les hommes et les femmes" (14).

32. Cet indispensable lien entre l' âge et la fixation des droits à pension, outre qu' il procède de l' interprétation restrictive de l' article 7, constitue, à notre sens, l' argument principal qui nous incline à penser qu' un rapport logique doit nécessairement exister entre la détermination de l' âge de la retraite et les mesures qui en résultent directement.

33. Sur ce sujet, déjà présent dans l' affaire Burton, vous avez confirmé, dans votre arrêt Equal Opportunities Commission (15), l' importance que vous accordiez à la relation de cause à effet existant entre l' âge et les prestations induites par celui-ci.

34. Il s' agissait, dans cette affaire, d' une discrimination consistant à imposer aux hommes de cotiser pendant quarante-quatre ans et aux femmes pendant trente-neuf ans afin d' obtenir une pension complète, étant observé que l' âge de la retraite était fixé à soixante-cinq ans pour les premiers et soixante ans pour les secondes. Un homme était ainsi contraint de cotiser après soixante ans, alors que la femme en était dispensée.

35. La dérogation devait-elle être limitée au moment de l' ouverture du droit à pension ou couvrait-elle également "d' autres implications financières et réglementaires découlant d' un âge légal de la retraite différencié" (16)?

36. Après avoir analysé le contenu et la portée de la dérogation contenue à l' article 7 au regard de l' équilibre financier du régime, vous en avez cependant limité l' étendue en jugeant que

"... l' article 7, paragraphe 1, sous a) ..., doit être interprété en ce sens qu' il autorise la fixation d' un âge légal de retraite différent selon le sexe aux fins de l' octroi des pensions de vieillesse et de retraite ainsi que des discriminations ... qui sont nécessairement liées à cette différence" (17).

37. Dans leurs récentes conclusions en ce domaine, Messieurs les avocats généraux Tesauro et Jacobs insistaient tout particulièrement sur "le lien de causalité qui doit exister entre une prestation de sécurité sociale et l' âge de la retraite" (18), ainsi que sur le fait que "toute discrimination ayant trait à une prestation doit ... être une conséquence nécessaire de la différence existant dans la fixation de l' âge de la retraite pour l' octroi des prestations de vieillesse et de retraite" (19).

38. Ici, la législation nationale fixe un âge minimum de soixante ans commun aux hommes et aux femmes, à partir duquel prétendre à une pension est possible. La distinction faite par l' O.N.P. entre l' âge de la retraite et le moment de cessation de l' activité professionnelle nous paraît pécher par excès de subtilité. En effet, si, comme le soutient cet organisme, l' âge de la retraite n' avait pas fondamentalement changé - et cette interprétation d' un texte national relève du seul juge de renvoi -
ce dernier n' aurait sans doute pas estimé utile de poser les questions dont vous êtes saisis (20). C' est d' ailleurs ainsi que ce juge interprète la réglementation nationale. Or, force est de constater que le mode de calcul qui demeure toujours exprimé en quarante-cinquième pour les hommes et en quarantième pour les femmes ne saurait être analysé comme une conséquence logique résultant d' un âge de retraite flexible où toute différence entre hommes et femmes a disparu. Une rupture causale entre l'
âge et le calcul de la pension apparaît ici à l' évidence. L' absence de lien de causalité entre le mode de calcul et l' âge de la retraite constitue, à notre sens, le principal argument s' opposant à l' application de l' article 7 de la directive.

39. Ajoutons enfin que, dans un arrêt du 30 mars 1993, Secretary of State for Social Security/Thomas e.a. (21), intervenu dans l' affaire C-328/91 précitée, vous avez très nettement posé le principe de "l' exigence d' un ... lien" (22) entre l' âge de la retraite et les conséquences qui y sont attachées. En l' occurrence était en cause l' octroi de prestations d' invalidité qu' il était possible aux hommes de revendiquer jusqu' à l' âge de leur retraite fixé à soixante-cinq ans, alors que les femmes
en étaient, quant à elles, exclues à partir de soixante ans.

40. Après avoir rappelé votre arrêt du 7 juillet 1992 précité et le caractère de la discrimination "nécessairement lié" à la différence dans la fixation de l' âge de la retraite, vous poursuiviez en indiquant:

"... l' exigence d' un tel lien s' impose également, pour les mêmes motifs, en ce qui concerne les conséquences discriminatoires qui peuvent découler pour d' autres prestations de la fixation d' un âge légal de la retraite différent..." (23).

"Il en résulte que des discriminations prévues dans des régimes de prestations autres que les régimes de pensions de vieillesse et de retraite ne peuvent être justifiées, à titre de conséquence d' une fixation de l' âge de la retraite différent selon le sexe, que si ces discriminations sont objectivement nécessaires pour éviter de mettre en cause l' équilibre financier du système de sécurité sociale ou pour garantir la cohérence entre le régime des pensions de retraite et des autres prestations"
(24).

41. Si des prestations discriminatoires peuvent être justifiées parce qu' elles sont l' inévitable conséquence d' un âge légal de retraite différent pour les hommes et les femmes, a contrario, et comme nous l' avons dit, il est impossible, alors que l' âge de la retraite est commun, de concevoir un mode de calcul - qui ne saurait être analysé comme une autre prestation, mais qui fait partie intégrante de la pension de vieillesse elle-même - différent. En effet, le fait justificatif de la
discrimination, à savoir l' âge différent, ayant disparu, la relation causale avec un mode de calcul disparaît. L' examen du caractère nécessaire de la discrimination à la préservation de l' équilibre financier ou à la cohérence du système de sécurité sociale n' est d' ailleurs qu' une condition subséquente à l' exigence fondamentale que constitue l' existence d' âges différents de retraite. En conséquence, l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive doit être écarté au profit de l' article
4.

42. A cet égard et pour finir sur ce point, remarquons que, si le principe de progressivité dans la mise en oeuvre de l' égalité de traitement figure dans le titre même de la directive, vous vous êtes clairement prononcés contre le maintien de toute disposition transitoire entravant l' article 4. Ainsi, dans votre arrêt Clarke (25), vous avez jugé que:

"... la directive ne prévoit aucune dérogation au principe de l' égalité de traitement prévu par l' article 4, paragraphe 1, de la directive pour autoriser la prolongation des effets discriminatoires de dispositions nationales antérieures" (26).

43. Cette solution, reprise dans votre jurisprudence ultérieure (27), témoigne de votre volonté de ne pas laisser subsister des systèmes anciens ou transitoires retardant une réelle égalité de traitement. A supposer que la réglementation sous examen ait été en vigueur au moment de l' entrée en vigueur de la directive, il nous apparaît évident qu' un tel régime eût été déclaré incompatible avec le principe de l' égalité de traitement. L' application uniforme du droit communautaire dans chacun des
États membres impose que l' interprétation de la directive soit détachée du contexte national et, par conséquent, de la valeur d' un régime par rapport à celui qui le précède. La justification par la progressivité a ses limites.

44. Par sa deuxième question, le juge a quo vous demande de dire si l' article 4, paragraphe 1, de la directive est assorti de l' effet direct.

45. Ce sujet, bien connu de vous, n' appellera pas de longs développements.

46. Reprenant des principes déjà établis, vous rappeliez, dans votre arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging (28) que:

"... dans tous les cas où les dispositions d' une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à défaut de mesures d' application prises dans les délais, à l' encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive..." (29),

pour préciser ensuite que l' article 4, paragraphe 1, de la directive consacrait de façon suffisamment précise la mise en oeuvre de l' égalité de traitement entre hommes et femmes et conclure que:

"... l' article 4, paragraphe 1, de la directive ne confère nullement aux États membres la faculté de conditionner ou de restreindre l' application du principe de l' égalité de traitement dans son champ d' application propre, et que cette disposition est suffisamment précise et inconditionnelle pour pouvoir être invoquée depuis le 23 décembre 1984 ... par les particuliers devant les juridictions nationales pour écarter l' application de toute disposition nationale non conforme audit article" (30).

47. Vous deviez ultérieurement confirmer cette position, notamment par votre arrêt Mc Dermott et Cotter (31). En conséquence, il convient de répondre positivement à la deuxième question posée par le juge a quo.

48. Reste à envisager à présent la troisième interrogation qui tend à vous faire préciser le mode de calcul applicable. Faut-il, vous est-il demandé, aligner le calcul de la pension sur celui, plus favorable, accordé aux femmes?

49. S' agissant des situations défavorables aux femmes, vous avez estimé qu' en l' absence de transposition de la directive celles-ci devaient bénéficier du même régime que les hommes.

50. Si l' inégalité des situations dont vous avez déjà eu à connaître portait souvent préjudice aux femmes, vous avez aussi rencontré le cas inverse (32). Votre jurisprudence consistant à remédier à la discrimination en accordant au groupe défavorisé le même régime que celui du groupe favorisé doit également être appliquée en pareille hypothèse.

51. Le passage, en raison d' une modification législative, du champ d' application de la dérogation de l' article 7 à celui du principe de l' égalité de traitement de l' article 4 ne saurait altérer la portée de votre jurisprudence. Il s' agit encore d' une incompatibilité d' une réglementation affectant la transposition correcte de la directive en sorte que, selon la formule de l' arrêt Mc Dermott et Cotter (33):

"... jusqu' au moment où le gouvernement national adopte les mesures d' exécution nécessaires, les femmes ont le droit de se voir appliquer le même régime que les hommes dans la même situation, régime qui reste, à défaut d' application de ladite directive, le seul système de référence valable" (34).

52. En présence d' un même type de discrimination, les hommes doivent se voir appliquer le même régime que les femmes.

53. Nous concluons donc en ce sens que:

1) L' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, s' oppose à ce qu' une mesure nationale qui prévoit un âge commun de retraite laisse subsister un mode de calcul de pension différencié selon le sexe.

2) Cette même disposition peut être invoquée, à compter du 23 décembre 1984, pour écarter l' application de toute réglementation nationale qui lui serait contraire.

3) En cas de violation de la disposition précitée, le groupe défavorisé a le droit de se voir appliquer le même régime que le groupe favorisé se trouvant dans la même situation, régime qui reste, à défaut d' exécution correcte de la directive, le seul système de référence valable.

(*) Langue originale: le français.

(1) - Directive relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO L 6 du 10 janvier 1979, p. 24).

(2) - I - Faits et procédure écrite.

(3) - Cependant, pour les années antérieures à 1955, le salaire a été calculé sur base forfaitaire.

(4) - Moniteur belge du 27 octobre 1967, p. 11258.

(5) - Moniteur belge du 15 août 1990, p. 15875.

(6) - Voir annexe II des observations écrites de la Commission.

(7) - Arrêt du 25 mai 1971, Defrenne, point 7 (80/70, Rec. p. 445).

(8) - P. 8 de la demande de décision préjudicielle. A carrière professionnelle identique, une femme dans la même situation que M. Van Cant aurait perçu une pension supérieure de 31 000 FB par an.

(9) - Vous avez notamment dans votre arrêt du 7 juillet 1992, Equal opportunities Commission, point 14 (C-9/91, Rec. p. I-4297), parfaitement mis en évidence la progressivité de l' application du principe de non-discrimination en jugeant que: ... la directive vise explicitement la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. Cette progressivité se concrétise par un certain nombre de dérogations, dont celle visée à l'
article 7, paragraphe 1, sous a)... .

(10) - Voir Jean-Jacques Dupeyroux, Droit de la sécurité sociale , Dalloz, dixième édition, 1986, n 173 et suivants, et particulièrement p. 431.

(11) - Arrêt Beets-Proper, point 38 (262/84, Rec. p. 773); voir également les arrêts Roberts, point 35 (151/84, Rec. p. 703), et Marshall, point 36 (152/84, Rec. p. 723).

(12) - Directive du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l' accès à l' emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40).

(13) - Arrêt du 16 février 1982 (19/81, Rec. p. 555).

(14) - Point 15, souligné par nous.

(15) - Arrêt du 7 juillet 1992 (C-9/91, Rec. p. I-4297).

(16) - Point 12, souligné par nous.

(17) - Point 20, souligné par nous.

(18) - Point 5 des conclusions de M. Tesauro, du 27 janvier 1993, dans l' affaire C-328/91, souligné par nous.

(19) - Point 28 des conclusions de M. Jacobs, du 2 décembre 1992, dans l' affaire C-173/91, souligné par nous.

(20) - Il appartiendrait éventuellement au juge a quo d' établir une différence entre l' article 4 de l' arrêté royal n 50, du 24 octobre 1967, qui fixe l' âge normal de la pension à soixante ou soixante-cinq ans, et le nouvel article 2 de la loi du 20 juillet 1990 qui, dans sa première section consacrée à l' âge de la retraite , permet à l' intéressé de prétendre à une pension au plus tôt le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel il atteint l' âge de 60 ans .

(21) - Rec. p. I-0000.

(22) - Point 11.

(23) - Point 11.

(24) - Point 12, souligné par nous.

(25) - Arrêt du 24 juin 1987 (384/85, Rec. p. 2865).

(26) - Point 10.

(27) - Voir notamment l' arrêt du 8 mars 1988, Dik, point 9 (80/87, Rec. p. 1601), l' arrêt du 13 mars 1991, Mc Dermott, point 24 (C-377/89, Rec. p. I-1155), l' arrêt du 11 juillet 1991, Verholen e.a., point 29 (C-87/90, 88/90 et 89/90, Rec. p. I-3757).

(28) - Arrêt du 4 décembre 1986 (71/85, Rec. p. 3855).

(29) - Point 13.

(30) - Point 21.

(31) - Arrêt du 24 mars 1987, point 14 (286/85, Rec. p. 1453); voir aussi l' arrêt du 24 juin 1987, Borrie Clarke précité, point 9.

(32) - Voir, par exemple, les arrêts Equal Opportunities Commission et Burton précités ainsi que l' arrêt du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. I-1889).

(33) - Arrêt 286/85 précité.

(34) - Point 18.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-154/92
Date de la décision : 25/05/1993
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Arbeidsrechtbank Antwerpen - Belgique.

Egalité de traitement - Pension de vieillesse - Mode de calcul - Age de la pension.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Remi van Cant
Défendeurs : Rijksdienst voor pensioenen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:213

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