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31/03/1993 | CJUE | N°C-88/92

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 31 mars 1993., X contre Staatssecretaris van Financiën., 31/03/1993, C-88/92


Avis juridique important

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61992C0088

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 31 mars 1993. - M. Jansen van Rosendaal contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés - Domicile fiscal du fon

ctionnaire des Communautés. - Affaire C-88/92.
Recueil de jurisprudence ...

Avis juridique important

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61992C0088

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 31 mars 1993. - M. Jansen van Rosendaal contre Staatssecretaris van Financiën. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés - Domicile fiscal du fonctionnaire des Communautés. - Affaire C-88/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-03315

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Le Hoge Raad der Nederlanden vous invite à interpréter l' article 14, premier alinéa, du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (1) (ci-après "protocole").

2. Jusqu' en février 1982, X a résidé aux Pays-Bas où il travaillait dans une entreprise privée. Cette dernière devant faire l' objet d' une restructuration annoncée dès la fin de l' année 1981, il avait formé le projet de se mettre à la recherche d' un nouvel emploi. Il acceptait, à compter du 1er mars 1982, une place de directeur aux Communautés européennes à Luxembourg où il établissait sa résidence.

3. Les autorités fiscales néerlandaises lui adressaient, courant 1983 et 1984, différents formulaires de déclaration relatifs à son impôt sur le revenu. X les remplissait, se déclarant contribuable résident exerçant la profession de directeur de société pour la période allant du 1er janvier au 1er mars 1982 et contribuable non résident sans profession pour le restant de l' année.

4. Après quelques hésitations des services fiscaux quant au classement de l' intéressé dans la catégorie des non-résidents ou des résidents, le Gerechtshof de 's-Gravenhage rendait, le 2 juillet 1990, un arrêt retenant le principe et fixant le montant d' un supplément d' impôt sur le revenu au titre de l' année 1982.

5. C' est dans le cadre du pourvoi contre cette décision que le Hoge Raad vous pose deux questions préjudicielles, citées dans le rapport d' audience (2), relatives à l' interprétation de l' article 14 du protocole.

6. Ces questions visent en substance à déterminer:

- d' une part, si doit être prise en considération, quant à l' application de ce texte, l' intention, existant chez un fonctionnaire antérieurement à son entrée au service des Communautés, de transférer son domicile dans l' État membre du lieu d' exercice de ses fonctions,

- d' autre part, si l' article 14 donne à l' intéressé un choix quant à la détermination de son domicile fiscal.

7. Afin de circonscrire le cadre du litige, il convient de rappeler qu' en matière de fiscalité directe les États membres n' ont, en principe, consenti aux Communautés aucune attribution de compétence. Néanmoins, dans la détermination des règles applicables en la matière, ils ne sauraient porter atteinte aux libertés garanties par le droit communautaire à l' ensemble des ressortissants. Ainsi, à plusieurs reprises, qu' il s' agisse de l' impôt sur le revenu des personnes physiques (3) ou sur les
sociétés (4), relevant "l' absence d' une harmonisation des dispositions législatives des États membres" (5), avez-vous admis le rattachement au droit national, pourvu qu' il n' affecte pas les principes fondamentaux reconnus par le traité.

8. Les États membres ont toutefois, dans un domaine spécifique, celui de l' imposition des salaires des fonctionnaires et autres agents des Communautés, renoncé à leur souveraineté fiscale. Tel est l' objet de l' article 13 du protocole qui dispose notamment:

"... les fonctionnaires et autres agents des Communautés sont soumis au profit de celles-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elles.

Ils sont exempts d' impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés."

9. Outre celle, qui est générale aux dispositions du protocole relatives aux agents des Communautés et sur laquelle on reviendra, énoncée à son article 18, la ratio legis de l' article 13 traduit deux exigences: assurer aux fonctionnaires communautaires une rémunération dont l' égalité ne puisse être mise en échec par l' application de taux nationaux non harmonisés, éviter de donner à l' État membre du lieu d' exercice des fonctions (ci-après "État du siège") un avantage fiscal injustifié.

10. Sur le premier point, votre jurisprudence a souligné la nécessité de ne pas créer de situations discriminatoires qui reviendraient à octroyer aux fonctionnaires communautaires, de même catégorie mais de nationalité différente, à rémunérations brutes égales, des rémunérations nettes dissemblables (6).

11. Quant au second, il apparaît à l' évidence que si l' État du siège était admis à percevoir un impôt sur les traitements des fonctionnaires communautaires, il ponctionnerait à son seul profit les ressources communes à la constitution desquelles tous les États membres contribuent. D' où le choix de soumettre les rémunérations en cause à un impôt communautaire plutôt qu' à un impôt national.

12. L' article 13 du protocole ne saurait être considéré isolément. Il est, en effet, complété, en ce qui concerne les revenus extra-communautaires des fonctionnaires, par l' article 14 dont le premier alinéa prévoit notamment:

"Pour l' application des impôts sur les revenus et sur la fortune (7) des droits de succession, ainsi que des conventions tendant à éviter les doubles impositions conclues entre les pays membres des Communautés, les fonctionnaires et autres agents des Communautés qui, en raison uniquement de l' exercice de leurs fonctions au service des Communautés, établissent leur résidence sur le territoire d' un pays membre autre que le pays du domicile fiscal qu' ils possèdent au moment de leur entrée au
service des Communautés, sont considérés, tant dans le pays de leur résidence que dans le pays du domicile fiscal, comme ayant conservé leur domicile dans ce dernier pays si celui-ci est membre des Communautés ..." (8).

13. Le partage opéré par les articles 13 et 14 est donc le suivant: échappent à toute taxation nationale et sont soumis à un impôt communautaire les "traitements, salaires et émoluments" dont la source est communautaire; en revanche, tous les autres revenus demeurent dans la sphère d' imposition des droits nationaux (9).

14. C' est d' ailleurs parce qu' il a touché des revenus d' une origine autre que communautaire qu' il aurait omis de déclarer, que la question se pose, pour X, sur le seul fondement de l' article 14 du protocole. En effet, l' objet du litige concerne non pas les revenus perçus par l' intéressé en sa qualité de directeur aux Communautés, mais ceux résultant notamment du rachat de polices d' assurance-vie, d' intérêts et de titres divers.

15. Le cadre de votre saisine étant défini, abordons les deux questions déférées par la juridiction de renvoi. Plutôt que d' y répondre en suivant l' ordre dans lequel elles ont été posées, il nous paraît plus approprié - avant de considérer si les termes de l' article 14 en discussion, à savoir "en raison uniquement de", laissent place à l' appréciation de l' intention du fonctionnaire - d' examiner la ratio legis de l' article 14 et de déterminer si, au cas où il serait applicable, il ouvrirait à
X la faculté de choisir son domicile fiscal pour ses revenus, autres que ceux perçus en sa qualité d' agent des Communautés.

16. Relevons tout d' abord que le protocole, annexé au traité, en fait "partie intégrante", par application de l' article 239 du pacte communautaire. C' est donc un texte de droit primaire.

17. Après avoir rappelé dans son unique considérant que les "Communautés ... jouissent sur le territoire des États membres des immunités et privilèges nécessaires à l' accomplissement de leur mission", son article 18, situé au chapitre VII, dont l' intitulé est "Dispositions générales", énonce à son premier alinéa que:

"Les privilèges, immunités et facilités sont accordés aux fonctionnaires et autres agents des Communautés exclusivement dans l' intérêt de ces dernières" (10).

18. Il y a donc lieu de considérer que les privilèges, immunités et facilités accordés aux fonctionnaires ont pour seule finalité l' accomplissement de leur mission par les Communautés.

19. Cet objectif, général à toutes les dispositions du protocole relatives aux fonctionnaires communautaires, intègre nécessairement la ratio legis de son article 14. Il en commande donc l' interprétation.

20. La répartition des compétences entre la Communauté et les États membres n' empiète pas sur la souveraineté de ces derniers en matière fiscale. Le protocole comporte une restriction partielle de cette souveraineté, consentie dans l' intérêt exclusif des Communautés en vue de l' accomplissement par ces dernières de leur mission. Ses dispositions sont donc d' interprétation à la fois restrictive et finalisée.

21. On chercherait en vain en quoi la mission des Communautés se trouverait facilitée par la moindre latitude, laissée à ses fonctionnaires dans la détermination de leur domicile fiscal, s' agissant de revenus autres que leur traitement communautaire. Lu en relation avec l' article 13, l' article 14, qui maintient expressément pour ces revenus le rattachement du fonctionnaire au domicile fiscal qui était le sien "au moment de (son) entrée dans les Communautés" si celui-ci est situé dans un État
membre, exclut que les dispositions du protocole soient détournées de leur finalité pour favoriser on ne sait quel "shopping fiscal".

22. Et l' on ne saurait utilement opposer à une telle interprétation une prétendue discrimination dont les fonctionnaires communautaires pourraient faire l' objet par confrontation avec les autres ressortissants des États membres usant des droits de libre circulation des travailleurs ou de liberté d' établissement.

23. Aucune comparaison significative ne saurait, en effet, être établie entre un régime d' exception d' une part, l' application de dispositions générales d' autre part.

24. Dans l' arrêt Humblet précité, vous avez au demeurant bien cerné les termes de ce problème en jugeant que "la comparaison essentielle qui s' impose en la matière doit s' opérer entre les fonctionnaires communautaires de différentes nationalités, bénéficiant de la même rémunération brute et disposant en outre, dans leur pays respectif, de revenus supplémentaires imposables d' une importance égale" (11).

25. Les dispositions articulées des articles 13 et 14 règlent cette situation dans le respect du principe de l' égalité de traitement et dans les limites du partage de compétences établi par le protocole.

26. A égalité de rémunération communautaire, les fonctionnaires paient le même impôt versé aux Communautés.

27. Ils sont pareillement, pour leurs autres revenus, assujettis à un impôt national dont les différences de barèmes, selon les États membres, ne sont nullement constitutives d' une discrimination, mais résultent, en l' absence d' harmonisation fiscale, de la souveraineté des États en la matière.

28. Le domicile fiscal du fonctionnaire communautaire, pour ses revenus autres que ceux visés à l' article 13 du protocole, ne pouvant dépendre de la volonté de l' intéressé, doit-il être déterminé en prenant en compte l' intention qu' avait celui-ci de s' établir dans l' État du siège, préalablement à sa prise de fonction et indépendamment de celle-ci?

29. Tel est l' objet de la première question préjudicielle tendant à l' interprétation de l' expression "en raison uniquement de l' exercice de leurs fonctions" figurant à l' article 14.

30. Deux interprétations s' opposent ici.

31. La première, restrictive, consiste, excluant toute appréciation de l' intention dans le chef du fonctionnaire, à s' en tenir à des considérations purement objectives, en l' occurrence l' obligation statutaire faite à ce dernier

"de résider au lieu de son affectation ou à une distance telle de celui-ci qu' il ne soit pas gêné dans l' exercice de ses fonctions" (12)

et la concomitance du changement de résidence et de l' entrée en fonction.

32. La seconde, plus large, à caractère subjectif, conduit à vérifier la ou les motivations qui ont amené le fonctionnaire à s' établir dans l' État du siège. Dès lors que la prise de fonction ne serait pas la seule intention ("uniquement"), ou, à tout le moins, que l' établissement dans l' État du siège serait intervenu, in futuro, même en l' absence de nomination dans la fonction publique communautaire, l' article 14 ne serait pas applicable.

33. Disons-le d' emblée, cette seconde interprétation nous paraît devoir être exclue, car elle est contraire à la ratio legis des dispositions pertinentes du protocole et permettrait, portant atteinte à l' effet utile de l' article 14, d' aboutir à des situations absurdes.

34. Un exemple, volontairement caricatural, suffira à le démontrer. Deux frères jumeaux, de nationalité néerlandaise et vivant aux Pays-Bas, y ont confié des économies d' un même montant au même banquier qui en fait un placement identique. Soucieux de leur avenir, ils se présentent avec succès à un concours de juriste-linguiste à la Cour de justice. Ils quittent donc leur pays pour s' établir au grand-duché de Luxembourg où ils prennent leurs fonctions.

35. Une différence cependant sépare les deux frères. Le premier n' a quitté son domicile que pour des raisons professionnelles. Le second était résolu, même en cas d' échec au concours, à venir s' établir au grand-duché, car il avait décidé d' y fonder son foyer avec sa fiancée qui y exerçait déjà un emploi.

36. Est-il concevable qu' en ce qui concerne leurs revenus néerlandais les deux frères se trouvent, le premier régi par les dispositions de l' article 14, le second exclu de son champ d' application? Et, poussant plus loin le raisonnement, suffirait-il pour que le premier échappe aussi au rattachement à son dernier domicile fiscal, qu' il rapporte la preuve de ce que, outre son intention de rejoindre son affectation, il avait celle de poursuivre plus commodément sa participation au sein d' un
ensemble de musique de chambre sis dans l' État du siège?

37. On le voit, l' intention ne saurait être retenue comme critère d' interprétation de la règle sous examen.

38. Au demeurant, le libellé même du traité en reflète la ratio: "en raison uniquement de l' exercice de leurs fonctions au service des Communautés" vient rappeler que la seule circonstance de cet exercice, à l' exclusion de toute autre considération, suffit à conférer compétence, en matière fiscale, au pays du dernier domicile; "en raison uniquement" signifie ici "du seul fait".

39. Texte de droit primaire, le protocole introduit, nous l' avons dit, dans l' intérêt exclusif des Communautés, s' agissant des fonctionnaires communautaires, un régime fiscal commun d' exception uniquement applicable à leur traitement, préservant toutefois le rattachement des intéressés à leur domicile fiscal antérieur, c' est-à-dire généralement à leur régime national, pour leurs autres revenus.

40. Texte d' équilibre et de compromis, il ne saurait donner lieu, par les juges nationaux, aux divergences d' interprétation qu' introduirait immanquablement la prise en considération d' intentions multiples, fussent-elles avérées, dans le chef des fonctionnaires.

41. Ceux-ci ont une obligation statutaire de résidence. Si l' observation de cette obligation est normalement concomitante avec l' établissement dans l' État du siège, circonstance qui relève de l' appréciation du juge national, l' article 14 doit s' appliquer.

42. Nous suggérons, en conséquence, de dire pour droit:

"1) L' article 14, premier alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes s' applique au fonctionnaire communautaire dont l' établissement, statutairement obligatoire dans l' État du siège de l' institution qu' il intègre, est concomitant à sa prise de fonction. La ou les intentions de l' intéressé lors de son changement de résidence sont sans pertinence à cet égard.

2) La disposition précitée ne laisse aucune option au fonctionnaire communautaire quant à la détermination de son domicile fiscal, s' agissant des revenus et autres biens qu' elle concerne."

(*) Langue originale: le français.

(1) - J.O. n 152 du 13 juillet 1967, p. 13.

(2) - II, 6.

(3) - Voir notamment l' arrêt du 8 mai 1990 Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779).

(4) - Voir notamment l' arrêt du 28 janvier 1986 Commission/France (270/83, Rec. p. 273).

(5) - Ibidem, point 24.

(6) - Voir notamment l' arrêt Humblet du 16 décembre 1960 (6/60, Rec. p. 1125, sp. p. 1157) et les conclusions de l' Avocat général Lagrange, p. 1182. Voir également l' arrêt du 3 juillet 1974, Brouerius van Nidek, point 11 (7/74, Rec. p. 757).

(7) - Comme l' indique Monsieur l' Avocat général Jacobs dans ses conclusions sous l' affaire Kristoffersen, point 3 (C-263/91, Rec. p. I-0000), il semble qu' une virgule ait été omise dans la version française entre fortune et des droits de succession .

(8) - Souligné par nous.

(9) - La ligne de partage entre les compétences fiscales des Communautés et celles des États membres, qui passe par l' affectation ou pas du traitement versé au fonctionnaire, est précisément énoncée dans votre arrêt Humblet, précité (p. 1158).

(10) - Souligné par nous. L' article 23 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes rappelle la substance de l' article 18 et ajoute: les intéressés ne sont pas dispensés de s' acquitter de leurs obligations privées, ni d' observer les lois et les règlements de police en vigueur .

(11) - Page 1160.

(12) - Article 20 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-88/92
Date de la décision : 31/03/1993
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas.

Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés - Domicile fiscal du fonctionnaire des Communautés.

Privilèges et immunités


Parties
Demandeurs : X
Défendeurs : Staatssecretaris van Financiën.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Díez de Velasco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:129

Source

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