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13/01/1993 | CJUE | N°C-35/92

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 13 janvier 1993., Parlement européen contre Erik Dan Frederiksen., 13/01/1993, C-35/92


Avis juridique important

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61992C0035

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 13 janvier 1993. - Parlement européen contre Erik Dan Frederiksen. - Fonctionnaires - Annulation d'une décision de promotion - Pourvoi. - Affaire C-35/92 P.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-00991

Conclusio

ns de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Jug...

Avis juridique important

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61992C0035

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 13 janvier 1993. - Parlement européen contre Erik Dan Frederiksen. - Fonctionnaires - Annulation d'une décision de promotion - Pourvoi. - Affaire C-35/92 P.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-00991

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La présente affaire concerne un pourvoi formé par le Parlement européen contre l' arrêt rendu le 11 décembre 1991 par le Tribunal de première instance. Par cet arrêt, rendu sur la demande introduite par Erik Dan Frederiksen, le Tribunal a annulé la décision du président du Parlement européen du 3 juillet 1989 promouvant Mme X au poste de conseiller linguistique à la division de la traduction danoise.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure devant le Tribunal, de l' objet du pourvoi et des observations introduites par les parties, nous renvoyons au rapport d' audience.

2. A l' appui de son pourvoi, le Parlement soulève deux moyens. Tous les deux sont fondés sur la prétendue violation du droit communautaire, et plus particulièrement des principes jurisprudentiels découlant des arrêts de la Cour.

Avant d' examiner les deux moyens, il nous paraît utile de rappeler que, aux termes de l' article 168 A du traité CEE, des dispositions correspondantes des autres traités et de l' article 51 du statut (CEE) de la Cour, le pourvoi formé contre des arrêts du Tribunal ne peut porter que sur des questions de droit. Cela signifie non seulement que les moyens de fait sont irrecevables, mais également que la Cour ne peut pas prendre connaissance d' arguments de fait concernant le fond de l' affaire,
soulevés par les parties à l' appui de moyens de droit ou pour réfuter des moyens de droit. Dans une procédure de pourvoi, l' examen auquel la Cour procède se limite à l' arrêt attaqué et à la procédure devant le Tribunal. S' agissant des faits qui fondent cet arrêt, la Cour est liée par les constatations énoncées dans l' arrêt attaqué en ce qui les concerne.

Premier moyen

3. Le premier moyen soulevé par le Parlement est fondé sur le principe selon lequel le juge communautaire ne peut exercer de contrôle juridictionnel de l' appréciation de l' autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après "AIPN") en matière de promotion qu' en cas d' erreur manifeste. Le Tribunal aurait violé ce principe et le Parlement soulève deux arguments à l' appui de cette allégation.

Le premier argument concerne les points 66 à 68 et 71 à 75 de l' arrêt attaqué. Dans ce passage, le Tribunal examine la question de savoir si Mme X satisfaisait à l' une des conditions posées dans l' avis de vacance, c' est-à-dire le point de savoir si elle avait une connaissance des "techniques d' informatisation appliquées aux travaux de gestion". Le Tribunal tranche ce point par la négative.

Le second argument concerne le point 76 de l' arrêt attaqué. Dans ce point, le Tribunal constate que, en tout état de cause, le Parlement n' a pas apporté la preuve qu' une appréciation de l' adéquation des connaissances de Mme X aux exigences de l' avis de vacance ait été opérée par l' AIPN avec l' objectivité et l' exactitude nécessaires. En effet, le Tribunal constatait que ladite autorité ne disposait pas d' éléments suffisants pour procéder à une telle appréciation et que les appréciations
portées par les instances inférieures reposaient sur une supposition erronée. Et, selon le Tribunal, le service juridique du Parlement s' est également appuyé, dans son appréciation de la réclamation du requérant, sur cette supposition erronée.

A notre avis, ce second argument ne saurait être examiné par la Cour, étant donné qu' il se fonde sur les constatations de fait du Tribunal, qui lient la Cour. En revanche, le premier argument demande à être plus amplement examiné: en effet, ainsi que cela apparaîtra ci-dessous, il concerne la question de savoir si le Tribunal est resté dans les limites de son pouvoir.

4. S' agissant de ce premier argument, le Parlement allègue que, dans l' appréciation du point de savoir si Mme X satisfaisait aux exigences posées dans l' avis de vacance, le Tribunal aurait dû se limiter à l' examen de la question de savoir si l' AIPN avait commis une erreur manifeste, au lieu de vérifier s' il existait effectivement une adéquation objective entre les connaissances de Mme X en informatique et les connaissances requises selon l' avis de vacance. Le Parlement se formalise en
particulier du recours, par le Tribunal, à l' appréciation d' un expert pour se prononcer dans le sens de l' inadéquation entre ces deux éléments.

5. Au point 66 de l' arrêt attaqué, le Tribunal commence son appréciation en opérant une distinction, en ce qui concerne la nature du contrôle juridictionnel, entre, d' une part, les conditions requises par l' avis de vacance et, d' autre part, l' examen comparatif des mérites des candidats prévu par l' article 45 du statut. Cette distinction correspond à la jurisprudence constante de la Cour. En effet, depuis l' arrêt Grassi/Conseil, il est constant que,

"en effet, si l' autorité investie du pouvoir de nomination dispose d' une large mesure d' appréciation dans la comparaison des mérites et des notations des candidats et peut l' exercer notamment en vue du poste à remplir, elle est tenue de le faire dans le cadre qu' elle s' est imposée à elle-même par l' avis de vacance" (1).

Il ressort de cette jurisprudence que, aux fins de la comparaison des mérites de ceux des candidats qui satisfont aux exigences objectives minimales, l' AIPN dispose d' un large pouvoir discrétionnaire. Au point 69 de l' arrêt attaqué, le Tribunal admet dès lors que, dans ce domaine, le contrôle du juge communautaire doit se limiter à la question de savoir si, eu égard aux voies et aux moyens qui ont pu conduire l' administration à son appréciation, celle-ci s' est tenue dans des limites non
critiquables et n' a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée. Le Tribunal renvoie, en l' occurrence, à l' arrêt Vaysse/Commission (2).

En revanche, ainsi que cela ressort de la citation ci-dessus, en ce qui concerne les exigences posées dans l' avis de vacance, l' AIPN est liée juridiquement par le cadre qu' elle s' est imposée à elle-même. En effet, l' avis de vacance joue un "rôle essentiel ... à savoir d' informer les intéressés d' une façon aussi exacte que possible de la nature des conditions requises pour remplir le poste dont il s' agit afin de les mettre en mesure d' apprécier s' il y a lieu pour eux de faire acte de
candidature" (3).

6. Il ressort de ce qui précède que c' est à bon droit que le Tribunal estime qu' il lui appartient de contrôler si l' AIPN a scrupuleusement respecté les exigences de l' avis de vacance.

Lorsque, dans ses observations, le Parlement allègue que ce contrôle devrait se limiter aux erreurs manifestes, à notre avis, il se fonde sur une lecture erronée de la jurisprudence de la Cour. Les arrêts de Hoe/Commission (4) et Hochbaum/Commission (5) ne contenaient pas d' indications dont il pourrait ressortir que les parties concernées ne satisfaisaient pas aux conditions objectives de l' avis de vacance. Et le passage de l' arrêt Vaysse/Commission (6) cité par le Parlement concerne le contrôle
de l' examen comparatif des mérites des candidats, exigé par l' article 45 du statut.

7. Aux fins du contrôle du point de savoir si c' est à bon droit qu' une candidature déterminée a été retenue par l' AIPN eu égard aux conditions de nomination mentionnées dans l' avis de vacance, le juge communautaire doit évidemment vérifier quelles sont ces conditions et comment elles doivent être comprises objectivement, c' est-à-dire aux yeux d' un tiers qui doit apprécier s' il y a lieu pour lui de poser sa candidature. Il peut arriver que, aux fins d' une telle vérification, le juge
communautaire s' estime insuffisamment informé. Il en sera plus particulièrement ainsi lorsque l' avis contient des critères qui présentent un degré de technicité ou de spécificité tel qu' ils comportent certes un contenu objectivement reconnaissable pour les candidats intéressés visés par l' avis, mais pas pour le juge. Dans un tel cas, selon les circonstances de l' espèce, il peut s' avérer opportun, pour le juge, d' être informé par un expert. Conformément à l' article 49 du règlement de
procédure du Tribunal, il appartient au Tribunal de prendre une décision en la matière, à la lumière des éléments concrets de l' affaire. Dès lors, on ne saurait déduire du seul recours à un expert l' existence d' une violation du droit communautaire.

8. Il ressort des points 71 à 75 de l' arrêt que le Tribunal s' est limité à, tout d' abord, constater quelles sont les exigences précises de l' avis concerné et, ensuite, grâce à l' aide apportée par un expert, à établir la signification objective de ces exigences pour, finalement, à la lumière des exigences ainsi objectivement interprétées, vérifier si l' on pouvait raisonnablement considérer que Mme X y satisfaisait. Nous estimons qu' en agissant ainsi le Tribunal est resté dans les limites de sa
compétence, et nous en concluons donc que le premier moyen soulevé par le Parlement - dans la mesure où il ne s' appuie pas sur des arguments de fait qu' il n' appartient pas à la Cour d' apprécier - tombe en droit.

Second moyen

9. Le second moyen soulevé par le Parlement concerne la prétendue violation, par le Tribunal, du principe selon lequel les actes entachés d' erreurs de procédure ne sont annulés que si les irrégularités ont eu une incidence décisive sur la procédure de nomination (7). Tel n' est pas le cas, en particulier, s' il apparaît que les irrégularités ont été rectifiées ultérieurement, ce qui en l' espèce se serait produit, étant donné que, par après, on a à nouveau procédé à l' examen comparatif et que les
données manquantes ont été ajoutées ou complétées par la suite.

10. Ce moyen concerne les points 77 à 79 de l' arrêt attaqué. Dans ces points, le Tribunal examine la manière dont, sur la base de l' article 45 du statut, l' AIPN a effectué l' examen comparatif des mérites des candidats. Comme on l' a déjà fait observer ci-dessus (au point 5), le Tribunal considère que le pouvoir de contrôle du juge communautaire sur la compétence, à ce point de vue largement discrétionnaire, de l' AIPN se limite à la question de savoir si cette autorité n' a pas usé de son
pouvoir d' une manière manifestement erronée.

Dans les points de l' arrêt qui viennent d' être cités, le Tribunal en conclut que l' AIPN a effectivement commis une faute manifeste dans le cadre de l' examen comparatif précité. A cette fin, le Tribunal renvoie, en premier lieu, aux constatations qu' il fait (et qui ont déjà été évoquées ci-dessus) en ce qui concerne l' appréciation de l' adéquation des connaissances de Mme X aux exigences mentionnées dans l' avis de vacance. Le Tribunal en déduit que ces constatations sont suffisantes en soi
pour établir que l' examen comparatif des mérites a manqué de l' objectivité et de l' exactitude nécessaires (point 77).

Le Tribunal ajoute que "la seule appréciation comparative portée à la connaissance du président du Parlement, en sa qualité d' AIPN, en vue de la décision de nomination qu' il lui incombait de prendre, à savoir l' appréciation à laquelle avait procédé Mme De Enterria dans sa note du 10 mars 1989, était incomplète et entachée d' erreurs manifestes, en fait et en droit" (point 77). Le caractère incomplet de cet examen concernait surtout les connaissances et l' expérience des candidats dans le domaine
de l' informatique, tandis que les erreurs manifestes concernaient "une erreur sérieuse dans l' évaluation des rapports de notation, (Mme X) et le requérant - contrairement à ce qui est affirmé dans la note - se trouvant à parité en ce qui concerne le nombre de mentions 'excellent' qu' ils avaient obtenues" (point 78).

11. Aux fins de l' appréciation de l' argumentation du Parlement, la Cour ne peut pas examiner les considérations de fait; elle peut seulement vérifier si le Tribunal a effectivement négligé le principe de droit selon lequel des irrégularités de procédure peuvent être couvertes par une rectification ultérieure. Nous estimons que tel n' est pas le cas. Examinons d' abord le renvoi, au point 77 de l' arrêt, à la constatation effectuée précédemment par le Tribunal, selon laquelle les connaissances de
Mme X ne correspondaient pas aux conditions de nomination mentionnées dans l' avis de vacance (constatation contre laquelle le premier moyen, déjà rejeté ci-dessus, était dirigé). Nous n' apercevons pas la façon dont ce vice pouvait être rectifié aux stades ultérieurs de la procédure. D' ailleurs, c' est sur la base de ce manque de "l' objectivité et de l' exactitude nécessaires" que le Tribunal en a conclu que l' AIPN ne pouvait qu' écarter la candidature de Mme X (point 75). Il nous paraît qu' il
résulte nécessairement de cette constatation que l' examen comparatif des mérites des candidats ne pouvait plus, lui non plus, s' effectuer d' une manière correcte.

Surabondamment, au point 79, le Tribunal ajoute:

"Le Tribunal estime qu' un tel manque d' objectivité et d' exactitude ne saurait être compensé, comme l' a prétendu le Parlement, ni par le fait que le dossier transmis au président contenait un tableau mécanographique, sur lequel le secrétaire général du Parlement avait griffonné une évaluation correcte des rapports de notation - sans pour autant corriger celle de Mme De Enterria -, ni par le fait que l' avis du service juridique du Parlement, préparé en vue de l' instruction de la réclamation du
requérant, note entre parenthèses, sur sa treizième page, l' erreur commise sur ce point par Mme De Enterria."

Il en ressort suffisamment que le Tribunal a effectivement examiné le point de savoir si les irrégularités qu' il avait constatées avaient été rectifiées aux stades ultérieurs de la procédure, dans la mesure où cela était encore possible. Nous en concluons que le second moyen du pourvoi tombe également en droit.

La demande reconventionnelle

12. Après avoir constaté que les deux moyens soulevés par le Parlement tombent, nous en venons à la demande reconventionnelle formée par Erik Dan Frederiksen. Dans son mémoire en réponse et dans sa duplique, il réclame la condamnation du Parlement à un franc symbolique, en réparation du dommage moral découlant de la nature dilatoire et vexatoire du pourvoi.

Il nous paraît que la procédure du pourvoi n' offre pas la possibilité d' une telle demande reconventionnelle. L' article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que:

"Les conclusions du mémoire en réponse tendent:

- au rejet total ou partiel du pourvoi ou à l' annulation totale ou partielle de la décision du tribunal;

- à ce qu' il soit fait droit, en tout ou en partie, aux conclusions présentées en première instance, à l' exclusion de toute conclusion nouvelle."

Le paragraphe 2 ajoute que "le mémoire en réponse ne peut modifier l' objet du litige devant le tribunal". La possibilité d' introduire, dans un mémoire en réponse, une demande en réparation pour introduction abusive d' un pourvoi est donc exclue.

D' ailleurs, la Cour dispose d' un instrument approprié contre l' introduction abusive d' un pourvoi. L' article 119 du règlement de procédure permet à la Cour, à tout moment, de rejeter le pourvoi manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, par voie d' ordonnance. Étant donné que le pourvoi ne produit pas automatiquement un effet suspensif, l' introduction abusive d' un pourvoi est d' autant moins à craindre.

Conclusion

13. Nous proposons à la Cour de rejeter le pourvoi comme non fondé, de rejeter la demande reconventionnelle de dommages et intérêts symboliques pour cause d' introduction abusive du pourvoi et de condamner le Parlement aux dépens, en application de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.

(*) Langue originale: le néerlandais.

(1) Arrêt du 30 octobre 1974, Grassi/Conseil (188/73, Rec. p. 1099, point 38), confirmé itérativement, entre autres, par l' arrêt du 7 février 1990, Culin/Commission (C-343/87, Rec. p. I-225).

(2) Arrêt du 23 octobre 1986, Vaysse/Commission (26/85, Rec. p. 3131, point 26).

(3) Arrêt Grassi/Conseil, précité, point 40.

(4) Arrêt du 17 décembre 1981, de Hoe/Commission (151/80, Rec. p. 3161).

(5) Arrêt du 17 janvier 1992, Hochbaum/Commission (C-107/90 P, Rec. p. I-157, point 9).

(6) Arrêt Vaysse/Commission, précité à la note 2, points 26 et 27.

(7) En l' occurrence, le Parlement renvoie, entre autres, aux arrêts du 5 juin 1980, Oberthuer/Commission (24/79, Rec. p. 1743, point 11), du 18 décembre 1980, Gratreau/Commission (156/79 et 51/80, Rec. p. 3943, point 24), et du 27 janvier 1983, List/Commission (263/81, Rec. p. 103, points 26 et suiv.).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-35/92
Date de la décision : 13/01/1993
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Fonctionnaires - Annulation d'une décision de promotion - Pourvoi.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Erik Dan Frederiksen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:7

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