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16/12/1992 | CJUE | N°C-181/91

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 16 décembre 1992., Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes et Commission des Communautés européennes., 16/12/1992, C-181/91


Avis juridique important

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61991C0181

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 16 décembre 1992. - Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes et Commission des Communautés européennes. - Aide d'urgence - Prérogatives du Parlement - Dispositions budgétaires. - Affaires jointes C-1

81/91 et C-248/91.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-03685
édition s...

Avis juridique important

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61991C0181

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 16 décembre 1992. - Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes et Commission des Communautés européennes. - Aide d'urgence - Prérogatives du Parlement - Dispositions budgétaires. - Affaires jointes C-181/91 et C-248/91.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-03685
édition spéciale suédoise page I-00255
édition spéciale finnoise page I-00289

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans ces affaires, le Parlement demande l' annulation au titre de l' article 173 du traité CEE (ci-après dénommé "traité") d' une décision adoptée au cours d' une session du Conseil en vue de l' octroi d' une aide spéciale au Bangladesh (affaire 181/91) et des mesures prises par la Commission pour l' exécution de cette décision (affaire C-248/91). Ces affaires soulèvent la question de principe concernant le point de savoir si une décision présentée comme une décision des représentants des États
membres réunis au sein du Conseil peut être contestée au titre de l' article 173 du traité.

Antécédents du litige

2. Ce litige a son origine dans un cyclone qui a dévasté le Bangladesh dans la nuit du 29 au 30 avril 1991. A la suite de ce cyclone, la Commission a accordé immédiatement une aide au Bangladesh de 10 Mécus et établi un plan d' aide spécial de 60 Mécus. Ce plan a été d' abord examiné par les ministres des Finances des États membres qui se sont réunis officieusement à Luxembourg le 11 mai 1991. Le plan de la Commission a été examiné par le Conseil (affaires générales) au cours d' une session
régulière qui s' est tenue à Bruxelles les 13 et 14 mai 1991 et à laquelle ont assisté les ministres des Affaires étrangères des États membres. Néanmoins, il n' était pas incrit à l' ordre du jour officiel de la session. Le 14 mai, au cours d' un déjeuner de travail auquel participaient les ministres et un membre de la Commission, la décision de fournir une aide spéciale de 60 Mécus au Bangladesh, conformément au plan de la Commission, a été arrêtée. Cette décision a fait l' objet d' une
communication à la presse intitulée "Aide au Bangladesh - conclusions du Conseil" (référence 6004/91, Presse 60-C). Cette communication était rédigée comme suit:

"Les États membres réunis au sein du Conseil, sur la base d' une proposition de la Commission, ont décidé, dans le cadre d' une action communautaire, d' une aide spéciale de 60 Mécus pour le Bangladesh.

La répartition entre les États membres se fera selon la clé PNB.

Cette aide sera intégrée dans l' action générale de la Communauté vers le Bangladesh.

L' aide est fournie soit directement par les États membres, soit par le biais d' un compte géré par la Commission.

La Commission assure la coordination d' ensemble de l' aide spéciale de 60 Mécus."

Ce texte figure également dans le projet de procès-verbal de la réunion du Conseil sous le titre "Divers - Aide au Bangladesh".

3. A la suite de la décision d' octroyer l' aide, la Commission a ouvert un compte spécial auprès d' une banque belge et invité les États membres à y virer leur quote-part. La Grèce a versé sa quote-part de 716 775,45 écus à ce compte spécial. Les autres États membres ont cependant versé leur contribution directement dans le cadre de l' aide bilatérale. La quote-part de la Grèce a été incorporée dans le budget communautaire. Les choses se sont passées comme suit: le Directeur de la Direction des
Recettes au sein de la Direction générale des Budgets de la Commission a inscrit le montant de 716 775,45 écus à l' article 900 (recettes diverses) du budget général des Communautés pour 1991. Conformément aux dispositions du règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (texte mis à jour publié au JO n C-80, 1981, p. 1), une ligne supplémentaire pour le même montant a été ouverte dans la partie dépenses du budget (poste B7-3000: coopération financière et technique
avec des pays en voie de développement d' Asie et d' Amérique latine). Il ressort d' une lettre du 2 août 1991 adressée par la Commission au Président du comité du contrôle budgétaire du Parlement européen que la ligne supplémentaire était présentée et contrôlée séparément dans les comptes. Cette lettre contenait en outre le passage suivant:

"[cette ligne supplémentaire] est soumise aux règles générales applicables d' après le Règlement financier (utilisation décidée par l' ordonnateur compétent, approbation donnée par le contrôleur financier, paiement effectué par le comptable et contrôle de la juste application par la Cour des comptes et l' autorité budgétaire)".

4. Dans sa requête dirigée contre le Conseil, le Parlement demande l' annulation de la décision d' accorder une aide spéciale de 60 Mécus au Bangladesh. Il soutient que, bien que la décision soit qualifiée dans la communication à la presse de décision prise par "les États membres réunis au sein du Conseil", il s' agit en réalité d' une décision du Conseil. Il fait valoir que la décision a des implications budgétaires et aurait dû être arrêtée conformément à la procédure prévue par l' article 203 du
traité. Il aurait pu ainsi jouer un rôle sensiblement accru. Tout en soulignant qu' il était partisan de l' octroi d' une aide communautaire en pareil cas, il fait valoir qu' en manquant à son obligation d' arrêter la décision au titre de l' article 203, le Conseil a porté atteinte à ses prérogatives.

Il renvoie à l' arrêt de la Cour de justice dans l' affaire C-70/88 Parlement européen/Conseil (Rec. 1990 I - p. 2041), dans laquelle la Cour a déclaré au point 27 de son arrêt ce qui suit:

"... le Parlement est recevable à saisir la Cour d' un recours en annulation dirigé contre un acte du Conseil ou de la Commission, à la condition que ce recours ne tende qu' à la sauvegarde de ses prérogatives et qu' il ne se fonde que sur des moyens tirés de la violation de celles-ci. Sous cette réserve, le recours en annulation du Parlement est soumis aux règles prévues par les traités pour le recours en annulation des autres institutions."

5. Dans sa requête dirigée contre la Commission, le Parlement demande l' annulation des actes pris par la Commission en exécution de la décision d' accorder une aide spéciale au Bangladesh. Le Parlement souligne que le budget général de 1991, tel qu' il l' a adopté (JO L 30, 1991), ne prévoyait pas d' aide spéciale au Bangladesh. En inscrivant dans la partie recettes et dépenses du budget un montant équivalant à la quote-part de la Grèce pour l' aide au Bangladesh sans avoir présenté un budget
supplémentaire et rectificatif, la Commission a porté atteinte aux prérogatives du Parlement au titre de l' article 203 paragraphes 5, 6 et 7 et violé l' article 205 du traité ainsi que l' article 22 du règlement financier.

6. Par ordonnance du 15 octobre 1992, la Cour a décidé de joindre les recours formés contre le Conseil et la Commission au titre de l' article 43 du règlement de procédure. Nous examinerons ces deux recours successivement.

La procédure dirigée contre le Conseil

7. Le Conseil a soulevé une exception d' irrecevabilité au motif que l' acte contesté avait été adopté non par le Conseil mais par les États membres et qu' il ne pouvait donc faire l' objet d' une procédure d' annulation devant la Cour. Il a demandé à la Cour de statuer sur cette exception sans examiner le fond de l' affaire. Néanmoins, la Cour a décidé d' examiner tant la question de la recevabilité que les questions de fond.

8. A l' appui de sa thèse suivant laquelle la décision contestée est un acte du Conseil, le Parlement invoque une série d' arguments. En premier lieu, il fait valoir que l' acte est dénommé "conclusions du Conseil" et a été adopté au cours d' une session ordinaire du Conseil, à laquelle les ministres des affaires étrangères de tous les États membres ont participé. En deuxième lieu, il souligne que l' acte a été adopté sur la base d' une proposition soumise par la Commission. Il déclare que,
conformément à l' article 149 du traité, c' est uniquement le Conseil qui statue sur une proposition soumise par la Commission. En troisième lieu, il fait valoir que l' aide spéciale doit être répartie entre les États membres en fonction du produit national brut (PNB) de ces États. Selon le Parlement, c' est là une autre preuve que l' acte a été adopté dans le cadre de la procédure budgétaire, puisque le PNB des États membres est un concept communautaire. Il constitue un des fondements des
ressources propres de la Communauté en vertu de l' article 2, paragraphe 1 sous d) de la décision n 88/376/CEE du Conseil relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 185, 1988, p. 24) et est défini dans la directive n 89/130/CEE du Conseil relative à l' harmonisation de l' établissement du produit national brut aux prix du marché (JO n 49, 1989, p. 26).

9. Le Parlement souligne que, selon la communication à la presse, l' aide spéciale fait partie intégrante de l' action communautaire à l' égard du Bangladesh et doit être gérée par la Commission. Il précise qu' au titre de l' article 155, quatrième tiret du traité, seul le Conseil a le pouvoir de confier à la Commission la tâche de l' intégration de l' aide spéciale dans l' aide communautaire globale au Bangladesh. Il ajoute qu' ainsi qu' il ressort d' une lettre du 22 mai 1991 adressée par la
Commission au Parlement, la Commission a proposé de mettre en vigueur l' acte contesté en inscrivant tout montant versé par les États membres au budget de la Communauté. Il ressort également de cette lettre que les opérations financières de gestion de l' aide spéciale devaient être intégrées dans la mise en oeuvre du budget et examinées par le Parlement et la Cour des comptes. Le Parlement soutient qu' au titre de l' article 206 bis, et de l' article 206 ter du traité, la Cour des comptes et le
Parlement examinent les comptes de la Communauté et non ceux des États membres. Il conclut que le contrôle financier dont l' aide doit faire l' objet constitue un autre élément révélateur de ce que la décision contestée est un acte du Conseil.

10. Le Parlement déclare que la question de l' aide au Bangladesh a à nouveau été soulevée au cours d' une session du Conseil le 27 mai 1991. A la suite de cette session une communication à la presse a été diffusée, aux termes de laquelle "le Conseil fait le point de l' état de mise en oeuvre du programme" d' aide au Bangladesh. Le Parlementsoutient que la mention du "Conseil" dans cette communication à la presse, à la différence de la mention des "États membres réunis au sein du Conseil", constitue
la preuve que le Conseil lui-même voyait dans l' acte contesté un acte du Conseil.

11. Le Parlement soutient que puisque les montants disponibles au titre du budget général pour 1991 avaient été épuisés, il était nécessaire d' adopter un budget supplémentaire et rectificatif afin de fournir l' aide envisagée. Selon l' article 15 paragraphe 2 du règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, les budgets supplémentaires et rectificatifs doivent être adoptés conformément à la procédure fixée à l' article 203 du traité CEE et aux dispositions
correspondantes des autres traités. Conformément à l' accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire et l' amélioration de la procédure budgétaire (JO L 185, 1988, p. 33), l' adoption d' un tel budget aurait nécessité une adaptation des perspectives financières pour 1991. Le Parlement soutient que certains États membres n' étaient pas disposés à approuver cette adaptation. Bien que, selon l' article 12 de l' accord interinstitutionnel, une décision d' adapter la perspective financière
puisse être prise par un vote à la majorité qualifiée, les États membres n' étaient pas disposés à agir en ce sens. C' est prétendument pour ce motif qu' ils ont recouru à la procédure contestée. A l' appui de son argument, le Parlement mentionne les déclarations du Président en exercice du Conseil dans une allocution au Parlement en date du 14 mai 1991.

12. Le Conseil conteste les observations du Parlement. Il déclare que les termes de la communication à la presse, qui n' a pas de caractère officiel et n' exerce aucun effet juridique à l' égard des tiers, ne déterminent pas le caractère de la décision. Bien qu' aux termes de cette communication, l' acte contesté ait été adopté sur proposition de la Commission, le Conseil soutient que ces termes n' étaient pas tout à fait appropriés et qu' il serait plus exact de parler d' un acte pris par le
Conseil d' un commun accord avec la Commission.

13. Le Conseil soutient que la répartition de l' aide en fonction du PNB des États membres constituait une solution pratique et facile à appliquer. L' utilisation du PNB en tant que clé de cette répartition ne transforme pas la décision contestée en un acte de la Communauté. Selon le Conseil, le fait que la décision d' accorder l' aide n' était pas un acte de la Communauté n' a pas empêché la Commission de procéder à la coordination et à la gestion de l' aide. La Commission s' est acquittée de
tâches semblables dans le passé et a accumulé une masse d' expériences et de connaissances spécialisées. Le Conseil ajoute que la Commission n' a pas reçu d' instructions des États membres mais a procédé volontairement à la coordination de l' aide.

14. Selon le Conseil, ni les États membres ni la Commission n' agissaient dans les limites de l' ordre juridique communautaire mais plutôt en fonction des besoins afin de garantir une réponse efficace et rapide à une situation de crise. Le Conseil soutient que la compétence de la Communauté en ce qui concerne l' octroi d' une aide humanitaire n' est pas exclusive, les États membres restant libre d' agir collectivement ou isolément, en marge de l' action de la Communauté.

15. En répondant aux observations du Conseil, le Parlement reconnaît que la compétence de la Communauté en matière d' octroi d' aide humanitaire aux pays tiers n' est pas exclusive, mais soutient que là où les États membres tiennent à accorder une aide dans le cadre de la Communauté, ils ne peuvent agir en ce sens que par l' intermédiaire du Conseil et dans le respect de la procédure budgétaire communautaire. Il ajoute que, dans le présent contexte, il aurait été parfaitement possible de procéder de
la sorte. En premier lieu, l' aide envisagée était destinée à des projets à long terme dont la mise sur pied devait prendre du temps. En deuxième lieu, le Parlement a soutenu énergiquement le principe de l' octroi d' une aide au Bangladesh et a précisé qu' il était disposé à accélérer le passage de toute proposition que la Commission pourrait présenter à ce sujet dans le cadre de la procédure prévue par le traité.

16. Il faut noter en premier lieu qu' en déterminant quelles mesures sont soumises au contrôle juridictionnel au titre de l' article 173 du traité, la Cour a adopté une interprétation large fondée sur des considérations de fond et non de forme. Dans l' affaire 22/70 Commission/Conseil (AETR, Rec. 1971, p. 263), la Cour a déclaré aux points 38 à 42 de son arrêt ce qui suit:

"... aux termes de l' article 173, la Cour a pour mission de contrôler la légalité 'des actes du Conseil ... autres que les recommandations ou avis' ;

... en excluant du recours en annulation ouvert aux États membres et aux institutions les 'seuls recommandations ou avis' - dépourvus de tout effet obligatoire aux termes de l' article 189, alinéa final - l' article 173 envisage comme actes susceptibles de recours toutes dispositions prises par les institutions et visant à produire un effet juridique;

... ce recours tend à assurer, conformément aux prescriptions de l' article 164, le respect du droit dans l' interprétation et l' application du traité;

... il serait contraire à cet objectif d' interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours en limitant sa portée aux seules catégories d' actes visées par l' article 189;

... le recours en annulation doit donc être ouvert à l' égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu' en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit;..."

Se fondant sur l' argumentation reprise ci-dessus, la Cour a reconnu que la délibération du Conseil en date du 20 mai 1972, relative à la négociation et à la conclusion, par les États membres, de l' accord européen sur les transports routiers constituait un acte susceptible de contrôle juridictionnel. Son argumentation à cet égard a été confirmée dans des affaires ultérieures: voir, par exemple, l' affaire 114/86 Royaume-Uni/Commission (Rec. 1988, p. 5289), l' affaire C-366/88 France/Commission
(Rec. 1990 I, p. 3571). La Cour a également reconnu que les résolutions du Parlement européen destinées à produire des effets juridiques à l' égard des tiers sont susceptibles de contrôle juridictionnel: voir, par exemple, l' affaire 294/83 "Les Verts"/Parlement européen (Rec. 1986, p. 1339). En outre, elle a jugé que même une décision orale peut faire l' objet d' une procédure d' annulation: voir les affaires jointes 316/82 et 40/83 Kohler/Cour des comptes (Rec. 1984, p. 641).

17. Compte tenu de la jurisprudence visée, la question de savoir si l' acte contesté constitue un acte susceptible de contrôle juridictionnel dépend de son contenu et de ses effets et non de la qualification qui en est donnée dans la communication à la presse et dans le projet de procès-verbal de la session au cours de laquelle il a été adopté.

18. Il est exact qu' à la différence de la situation dans la présente affaire, ce qui était en cause dans les affaires susvisées, ce n' était pas l' identité de l' institution arrêtant l' acte mais les effets de l' acte lui-même. Dans l' affaire AETR, en particulier, il ressort du procès-verbal de la session du Conseil en date du 20 mai 1972 que la décision dont la validité a été contestée par la Commission avait été adoptée par le Conseil (voir les conclusions de l' avocat général Dutheillet de
Lamothe, Rec. 1971, p. 285 et 286). En l' espèce, en revanche, l' acte contesté est qualifié de décision des États membres réunis au sein du Conseil. Bien entendu, il existe une distinction fondamentale entre, d' une part, les décisions du Conseil (qui, selon l' article 146 du traité, est formé par les représentants des États membres) et, d' autre part, les décisions des États membres réunis au sein du Conseil. En revanche, il ne semble pas y avoir de distinction délibérée ou nécessaire entre l'
expression "les États membres réunis au sein du Conseil" et l' expression "les représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil". Cette dernière expression figure dans les actes d' adhésion; c' est ainsi que l' article 3 paragraphe 1 de l' acte relatif aux conditions d' adhésion aux Communautés européennes du royaume de Danemark, de l' Irlande et du Royaume-Uni prévoit ce qui suit:

"Les nouveaux États membres adhèrent par le présent acte aux décisions et accords convenus par les représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil. Ils s' engagent à adhérer dès l' adhésion à tout autre accord conclu par les États membres originaires relatif au fonctionnement des Communauté ou présentant un lien avec l' action de celle-ci."

Des dispositions similaires figurent dans les actes relatifs à l' adhésion aux Communautés européennes de la Grèce, de l' Espagne et du Portugal. Ces dispositions font apparaître que les décisions des États membres réunis au sein du Conseil ne constituent pas un aspect de l' ordre juridique communautaire au sens strict, mais font cependant partie de l' acquis communautaire; comme leur titre même le donne à penser, elles ont un caractère hybride.

19. En tout état de cause, il est évident qu' en adoptant des actes de cette nature, les représentants des États membres n' agissent pas en qualité de membres du Conseil mais de représentants de leur gouvernement, exerçant collectivement les compétences des États membres. Il s' ensuit qu' en principe, de tels actes ne sont pas des actes des institutions communautaires.

20. Néanmoins, selon nous, la Cour n' est nullement empêchée de contrôler la validité d' une décision pour le seul motif qu' elle est qualifiée de décision des États membres réunis au sein du Conseil. Nous estimons que la Cour a le pouvoir d' examiner le contenu et les effets d' un acte, ainsi que la question de savoir si la Communauté avait compétence exclusive pour le prendre, afin de résoudre le point de savoir si, bien qu' il ait été apparemment adopté sous la forme d' un acte des États membres
réunis au sein du Conseil, il s' agit en réalité d' un acte du Conseil.

21. Cette manière d' aborder le problème est compatible avec l' approche fonctionnelle que la Cour a adoptée en définissant la notion d' acte susceptible d' être contesté aux fins de l' application de l' article 173. En revanche, la thèse opposée serait de nature à contrecarrer la réalisation des objectifs visés à l' article 164 du traité. S' il était admis qu' il suffirait simplement de qualifier une décision de décision des États membres réunis au sein du Conseil pour la faire sortir du champ d'
application de l' article 173, il s' ensuivrait que la Cour ne pourrait contrôler la légalité de la décision, nonobstant la possibilité que celle-ci soit tenue, eu égard à l' ensemble des circonstances, pour une décision du Conseil. Selon nous, soutenir dans ces circonstances que l' acte n' est pas susceptible de contrôle juridictionnel serait incompatible avec l' objectif visé à l' article 164. Dans l' affaire 294/83 "Les Verts"/Parlement européen, la Cour a déclaré au point 23 de son arrêt ce qui
suit:

"Il y a lieu de souligner ... que la Communauté économique européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n' échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu' est le traité."

Selon nous, ce principe fondamental serait violé s' il était admis qu' un acte n' est pas susceptible de contrôle judiciaire pour le seul motif qu' il a été qualifié d' acte des États membres réunis au sein du Conseil.

22. Il est exact que si les États membres adoptaient une décision collective en violation du droit communautaire, il serait loisible à la Commission d' engager contre les États membres une action visant à assurer le respect de leurs obligations au titre de l' article 169 du traité. Néanmoins, il est clair que ce cas ne pourrait se présenter dans une affaire comme l' espèce dans laquelle il existe un accord entre la Commission et les États membres. En tout état de cause, l' existence d' une telle
voie de recours ne constituerait pas une garantie suffisante dans une affaire dans laquelle la décision contestée porte prétendument atteinte aux prérogatives du Parlement. Dans l' affaire C-70/88 Parlement européen/Conseil (Rec. 1990 I, p. 2041), la Cour a déclaré au point 19 de son arrêt ce qui suit:

"..., s' il incombe à la Commission de veiller au respect des prérogatives du Parlement, cette mission ne saurait aller jusqu' à la contraindre à suivre la position du Parlement et à présenter un recours en annulation qu' elle estimerait, pour sa part, mal-fondé."

La Cour a poursuivi en ces termes au point 23 de son arrêt:

"La Cour, chargée, en vertu des traités, de veiller au respect du droit dans leur interprétation et dans leur application, doit ainsi pouvoir assurer le maintien de l' équilibre institutionnel et, par conséquent, le contrôle juridictionnel du respect des prérogatives du Parlement, lorsqu' elle est saisie à cette fin par ce dernier, par une voie de droit adaptée à l' objection qu' il poursuit."

Selon nous, ces considérations sont tout aussi valable en l' espèce. Il s' ensuit qu' il convient d' examiner la compétence de l' autorité arrêtant la décision contestée et le contenu des effets de cette décision, afin de résoudre le point de savoir si celle-ci constitue sous une forme voilée un acte du Conseil.

23. Nous ne pensons pas qu' il faille attacher une grande importance à la mention dans une communication à la presse d' une "proposition" de la Commission. Cette mention ne peut passer pour impliquer l' existence d' une proposition en bonne et due forme au sens de l' article 149 du traité. Certes, le terme "proposition" risque de prêter à confusion: nous relevons que ce même point a été déjà débattu en 1966: voir Gerhard Bebr, "Acts of representatives of the Governments of Members States" (14 SEW,
1966, p. 529 à 545, voir la page 539). Il est de pratique courante que la Commission participe à l' élaboration des décisions des représentants des États membres réunis au sein du Conseil et ces décisions seront sans aucun doute fréquemment fondées sur des initiatives officieuses de la Commission. En tout état de cause, la forme précise de l' initiative de la Commission ne peut passer pour déterminer le caractère juridique de l' acte qui en résulte: ce serait sinon faire prévaloir à tort les
questions de forme sur les questions de fond.

24. En l' espèce, il est selon nous manifeste que, quelle que soit la nature du plan présenté par la Commission, l' auteur de la décision s' est proposé de l' adopter sous la forme d' un acte des États membres réunis au sein du Conseil et non d' un acte du Conseil. Si nous comprenons bien son argumentation, le Parlement ne conteste pas que l' acte était présenté sous la forme d' un acte des États membres réunis au sein du Conseil; il conteste plutôt que l' acte puisse être régulièrement adopté
autrement que par le Conseil et soutient qu' en réalité c' est le Conseil qui a agi.

25. Néanmoins, il est constant que, dans le domaine de l' aide humanitaire, la compétence de la Communauté n' est pas exclusive mais coexiste avec celle des États membres. Il s' ensuit que les États membres conservent le pouvoir d' agir isolément ou collectivement, comme ils le jugent bon, en fournissant une aide financière aux pays tiers qui ont été frappés par des calamités naturelles.

26. A notre avis, contrairement aux observations du Parlement, la participation de la Commission aux fins de la coordination de l' aide spéciale au Bangladesh n' est pas un élément révélateur de ce que la décision contestée constitue en réalité un acte de la Communauté. Il est exact que si, ainsi que le Parlement le laisse entendre dans son action dirigée contre la Commission, celle-ci ne peut en aucun cas agir en dehors du cadre des traités communautaires, dès lors la participation de la Commission
constitue un argument solide en faveur de la thèse selon laquelle la décision contestée est un acte de la Communauté. Néanmoins, même si la thèse selon laquelle la Commission ne peut agir en dehors du cadre communautaire est retenue, il peut en résulter que l' intervention de la Communauté soit illégale et non que la décision contestée soit un acte de la Communauté. Il n' est peut-être donc pas strictement nécessaire d' examiner cette thèse, mais, selon nous, son bien-fondé ne peut être admis. En
pratique, la Commission participe régulièrement, ainsi que nous l' avons déjà mentionné, aux activités des représentants des États membres réunis au sein du Conseil. Sa participation tient au caractère, que nous avons qualifié d' hybride, de ses activités. Le Conseil a évoqué dans la présente procédure d' autres activités de la Commission analogues à son action dans la présente affaire. C' est ainsi que le Conseil souligne que le Fonds européen de développement est financé directement par les États
membres et géré par la Commission. Le Conseil déclare également qu' il est possible que la Commission procède, sur la demande du Conseil, des États membres ou même de tiers, à la coordination de l' action collective. Un exemple récent en a été la coordination par la Commission de l' action établie d' un commun accord par la communauté internationale envers les pays d' Europe centrale et orientale. Des arguments similaires sont invoqués par la Commission dans le cadre de la procédure engagée par le
Parlement contre la Commission. Selon nous, ces arguments sont convaincants. Dans des affaires dans lesquelles les États membres décident d' agir individuellement ou collectivement dans un domaine de leur compétence, rien en principe ne fait obstacle à ce qu' ils confient à la Commission la mission de veiller à la coordination de leur action. Il appartient à la Commission de décider d' accepter ou de refuser cette mission, pour autant, bien entendu, qu' elle l' accomplisse d' une manière compatible
avec ses obligations au titre des traités communautaires. Le point de savoir si la Commission a agi de cette manière dans la présente affaire est un point soulevé dans l' action engagée par le Parlement contre la Commission. Sous cette réserve, il ne peut selon nous y avoir d' objection à ce que la Commission, qui est en elle même une institution politique, accepte des missions sortant du cadre des traités communautaires, dans la mesure des responsabilités politiques de la Communauté. Dans l'
accomplissement de ces missions, les actes de la Communauté seront soumis au contrôle de la Cour, s' ils sont contesté au motif qu' ils sont illégaux au titre des traités. Néanmoins, la participation de la Commission ne sera pas par ailleurs de nature à faire entrer les activités en cause dans le champ de la compétence de la Cour ou dans le champ d' application des traités communautaires.

27. Nous estimons également que la mention, dans la communication à la presse, du PNB des États membres n' est pas révélatrice de ce que l' acte contesté soit de par sa nature même un acte du Conseil. Il est évident que, dans des affaires dans lesquelles les États membres acceptent collectivement des obligations financières en dehors du cadre de la Communauté, la clé PNB peut servir de moyen commode de répartir les obligations financières entre les États membres.

28. En outre, le fait que l' aide spéciale doive être intégrée dans l' action générale de la Communauté envers le Bangladesh est un élément sans importance. La Communauté et les États membres ayant des compétences communes, il doit leur être possible de coordonner leur action.

29. Il reste à résoudre la question de l' utilisation du budget communautaire. Il est peut-être nécessaire d' examiner, dans l' action engagée contre la Commission, le point de savoir s' il était légal d' utiliser le budget communautaire en le tenant pour l' instrument du versement de l' aide accordée en dehors du cadre de la Communauté. Néanmoins, il ressort de la communication à la presse que la décision de fournir une aide spéciale n' impliquait pas nécessairement l' utilisation des procédures
financières de la Communauté, a fortiori celle du budget communautaire en tant qu' instrument du versement de l' aide. Au contraire, il ressort de cette communication que la décision d' octroyer l' aide, telle que son auteur l' a conçue, était susceptible d' être mise en oeuvre sans qu' il soit recouru à un mécanisme communautaire. L' acte contesté a prévu que les États membres pourraient payer leur quote-part soit dans le cadre de l' aide bilatérale soit par l' intermédiaire de la Commission. Il
aurait donc été possible à tous les États membres de verser leur quote-part dans le cadre de l' aide bilatérale. En outre, l' acte contesté n' a pas indiqué la procédure à suivre par la Commission pour la gestion de l' aide au cas où un État membre paierait sa quote-part par l' intermédiaire de la Commission, mais a fait simplement état d' un compte géré par la Commission. Ainsi qu' il ressort de la lettre de la Commission de 2 août 1991, c' est la Commission qui a décidé d' utiliser une méthode
particulière de mise en oeuvre. Il était possible à la Commission d' appliquer la décision d' octroyer l' aide, sans intégrer les quote-parts des États membres dans le Budget général. Il est clair que la méthode adoptée par la Commission aux fins de la concrétisation de l' aide peut influer sur la validité des mesures d' application sans affecter la validité de la décision contestée dans l' affaire C-181/91.

30. En conclusion, le Parlement n' est pas parvenu à établir que, contrairement à sa forme et aux intentions apparentes de son auteur, l' acte contesté est un acte du Conseil. Il s' ensuit que le recours du Parlement contre le Conseil doit être rejeté au motif qu' il est irrecevable.

La procédure dirigée contre la Commission (affaire C-248/91)

31. Dans sa requête, le Parlement demande l' annulation des actes pris par la Commission et ses services en exécution de la décision contestée dans l' action dirigée contre le Conseil. Le Parlement demande notamment l' annulation de la décision d' inscrire la somme de 716 775,45 écus à l' article 900 (Recettes diverses) de la partie recettes du Budget général des Communautés pour 1991 et de la décision correspondante du 13 juin consistant à ouvrir une ligne supplémentaire pour le même montant dans
la partie dépenses de ce Budget (poste B7-3000: Coopération financière et technique avec des pays en voie de développement d' Asie et d' Amérique latine). Enfin, le Parlement demande l' annulation des autres actes d' exécution budgétaire d' objet identique, mais dont il n' avait pas connaissance à la date du dépôt de sa requête.

32. Le Parlement fait valoir en substance trois arguments. Nous en traiterons dans un ordre différent de celui que le Parlement a adopté. En premier lieu, le Parlement plaide l' illégalité au titre de l' article 184 du traité. Il soutient que la décision d' octroyer une aide spéciale au Bangladesh est une décision du Conseil constituant une violation des dispositions financières du traité et portant atteinte à ses pouvoirs budgétaires et qu' elle est donc nulle. Il s' ensuit, selon le Parlement, que
les mesures contestées que la Commission en prise en application de cette décision sont également nulles. En deuxième lieu, le Parlement soutient que la Commission ne peut exercer que les compétences qui lui sont conférées par le traité. Par conséquent, dans l' hypothèse où la décision d' octroyer une aide spéciale au Bangladesh n' est pas un acte du Conseil mais un acte des États membres, la Commission a exécuté, dans le cadre du budget communautaire et conformément aux modalités de gestion et de
contrôle prévues par le traité, un acte qui n' est pas un acte de la Communauté. Les mesures adoptées par la Commission en vue de l' application de cet acte doivent donc être annulées. En troisième lieu, le Parlement souligne que le budget général pour 1991, tel qu' il l' a adopté, ne prévoyait pas d' aide spéciale au Bangladesh. En inscrivant aux parties recettes et dépenses du Budget un montant équivalant à celui qui est accordé par la Grèce pour l' aide au Bangladesh sans présenter de budget
rectificatif et supplémentaire, la Commission a porté atteinte aux prérogatives du Parlement au titre de l' article 203, paragraphes 5, 6 et 7 et violé l' article 205 du traité ainsi que l' article 22 du règlement financier.

33. En ce qui concerne le premier argument du Parlement, il nous suffit de renvoyer à nos observations sur le recours formé par le Parlement contre le Conseil. Il ressort de ces observations que la décision d' accorder une aide spéciale au Bangladesh a été prise par les États membres agissant collectivement en dehors du cadre du droit communautaire et qu' il ne s' agissait pas d' un acte du Conseil. En l' absence d' un acte du Conseil, l' argument de l' illégalité de cet acte ne peut être retenu. Le
premier argument du Parlement doit donc, à notre avis, être rejeté.

34. Nous passons à l' examen des deuxième et troisième arguments du Parlement.

35. La Commission soutient que la requête est irrecevable pour deux motif. En premier lieu, elle fait valoir que les mesures contestées ne sont pas susceptibles de contrôle juridictionnel. En deuxième lieu, elle soutient qu' aucune de ces mesures n' a porté atteinte aux prérogatives du Parlement.

36. En ce qui concerne le premier motif d' irrecevabilité, la Commission soutient que, conformément à l' article 19 du Statut de la Cour et à l' article 38 du règlement de procédure de la Cour, le requérant doit définir avec précision dans sa requête les actes dont l' annulation est demandée. Il s' ensuit, selon la Commission, que le recours est irrecevable dans la mesure où le Parlement conteste, sans les identifier "les autres actes d' exécution budgétaire". En tout état de cause, ajoute la
Commission, il n' a pas eu d' actes autres que ceux dont le Parlement a connaissance. La Commission déclare également qu' aux fins d' une procédure d' annulation, il ne peut être établi de distinction entre les actes d' une institution communautaire et les actes de ses services. De plus, la Commission fait valoir que les inscriptions de la contribution de la Grèce à l' aide spéciale aux lignes appropriées du budget présentent le caractère d' opérationscomptables techniques qui ne peuvent exercer d'
effets juridiques vis-à-vis des tiers. Selon la décision de fournir une aide spéciale au Bangladesh, les États membres avaient la possibilité de verser leur contribution à l' aide soit directement, soit pas l' intermédiaire de la Commission. La décision d' inscrire le montant au budget de la Communauté n' a exercé aucun effet juridique à l' égard du gouvernement grec. Enfin, la Commission soutient qu' elle n' a pas agi dans le cadre de l' ordre juridique communautaire, mais conformément à un mandat
que les États membres lui ont conféré en dehors du cadre de ses fonctions d' institution communautaire. Il s' ensuit que les mesures contestées n' étaient pas des actes de la Communauté susceptibles de contrôle juridictionnel au titre de l' article 173.

37. En ce qui concerne le deuxième motif d' irrecevabilité, la Commission déclare que même si, en adoptant les mesures contestées, elle n' a pas respecté le budget, une irrégularité de cette nature a été commise en ce qui concerne la mise en oeuvre du budget. Selon la Commission, le traité reconnaît au Parlement le droit de participer à l' adoption du budget. En revanche, en vertu de l' article 205 du traité et de l' article 22 du règlement financier, la mise en oeuvre du budget est la
responsabilité exclusive de la Commission. Aucune disposition du traité ne prévoit la participation du Parlement à la mise en oeuvre du budget. Il s' ensuit, selon la Commission, que, même si elle a agi irrégulièrement, elle n' a pas porté atteinte aux prérogatives du Parlement. La Commission ajoute que s' il était admis que tout acte illégal de la Communauté constituait nécessairement une atteinte aux prérogatives du Parlement, dès lors le Parlement aurait, au titre de l' article 173 du traité, un
droit d' agir en justice de portée bien plus étendue que celui que la jurisprudence de la Cour lui a reconnu.

38. Les questions de la recevabilité sont étroitement liées aux questions de fond que nous examinerons en premier lieu.

39. La Commission conteste l' argument du Parlement suivant lequel elle a agi illégalement. Elle soutient que, bien qu' elle ait reçu la quote-part de la Grèce en dehors du cadre de l' ordre juridique communautaire, elle a procédé aux inscriptions comptables en cause dans l' intérêt d' une gestion financière saine et de la transparence. Elle reconnaît qu' elle n' a pas le pouvoir de modifier le budget mais soutient que les inscriptions de l' aide de la Grèce ont été établies non dans le budget
lui-même mais dans la comptabilité budgétaire. Selon elle, ces inscriptions sont simplement des opérations comptables.

40. La Commission fait valoir qu' elle a appliqué l' article 4, paragraphes 2 et 3 du règlement financier par analogie et procédé au versement de l' aide sous des modalités similaires à celles qui s' appliquent en ce qui concerne la mise en oeuvre du budget. A titre de dérogation au principe suivant lequel l' ensemble des recettes couvre l' ensemble des crédits pour paiements, l' article 4, paragraphe 2 prévoit une liste de recettes qui ne peuvent être affectées qu' à des objectifs particuliers. La
Commission déclare que, bien que la liste des recettes établie par cette disposition ne prévoit pas expressément le cas du versement d' une contribution spéciale par un État membre à une fin particulière, comme dans la présente affaire, la liste prévue à l' article 4, paragraphe 2 n' est pas exhaustive. Elle était donc autorisée à appliquer cet article par analogie. Elle conclut qu' aucune violation des dispositions financières du traité n' a été commise puisque la gestion de l' aide ne constituait
pas un aspect de la mise en oeuvre du budget.

41. Selon nous, les arguments susvisés ne peuvent être retenus. L' article premier, paragraphe 1 du règlement financier prévoit que le budget des Communautés européennes est l' acte qui prévoit et autorise préalablement, chaque année, les recettes et dépenses prévisibles des Communautés. Il ressort de cet article, lu dans le contexte des articles 199 et 202 du traité et des dispositions équivalentes des autres traités, qu' en principe aucune recette ne peut valablement être recueillie et qu' aucune
dépense ne peut valablement être engagée au nom des Communautés, à moins qu' elle ne soit prévue par le budget. De même, il ressort clairement des articles 199 et 202 du traité et des dispositions équivalentes des autres traités que seules les recettes et les dépenses des Communautés peuvent être inscrites au budget. Là où la Commission procède à la gestion de l' aide accordée par les États membres à des pays tiers en dehors du cadre des Communautés, la Commission ne peut utiliser le budget de la
Communauté aux fins de la gestion de cette aide. La Commission soutient que l' aide de la Grèce n' a pas été inscrites dans le budget lui-même mais dans les comptes relatifs à la mise en oeuvre du budget. Selon nous, c' est là une distinction sans importance. Il ressort clairement de l' article 205 et de l' article 205 bis du traité qu' en mettant en oeuvre le budget et en établissant les comptes, la Commission doit rester dans les limites du budget, tel qu' il a été adopté. L' argument de la
Commission, suivant lequel elle a appliqué par analogie l' article 4, paragraphe 2 du règlement financier n' est pas convaincant. Une telle application par analogie ne justifie pas l' incorporation dans le budget de l' aide accordée par les États membres en dehors du cadre communautaire.

42. Nous concluons que la Commission n' était pas en droit d' inscrire dans les parties recettes et dépenses des comptes relatifs à la mise en oeuvre du budget de la Communauté pour l' exercice 1991 la contribution de la Grèce à l' aide spéciale au Bangladesh.

43. Passons maintenant à la question de la recevabilité. Selon nous, l' argument de la Commission suivant lequel les mesures contestées n' étaient que des opérations comptables techniques sans aucun effet obligatoire n' est pas fondé. Il ressort de la lettre du 2 août 1991 que l' inscription de la quote-part de la Grèce dans les états comptables du budget correspondait à une prise de position de la Commission quant à la procédure correcte à suivre pour l' utilisation de cette quote-part et à la
surveillance de cette utilisation et que, si l' inscription était légale, elle exerçait en fait les effets que la Commission se proposait de lui donner. Elle impliquait le recours aux procédures communautaires, notamment la surveillance par la Cour des comptes et l' autorité budgétaire. Elle n' était donc pas dépourvue de conséquences juridiques et est en principe susceptible de contrôle par la Cour.

44. Néanmoins, selon la jurisprudence de la Cour, le Parlement n' a qualité pour engager une action en annulation contre le Conseil ou la Commission que là où cette action tend à sauvegarder ses prérogatives et est fondée sur de prétendues atteintes à ces prérogatives: voir l' affaire C-70/88 Parlement/Conseil (point 27 de l' arrêt); l' affaire C-65/90 Parlement/Conseil (arrêt du 16 juillet 1992, point 13). La question se pose dès lors de savoir si les mesures adoptées par la Commission dans cette
affaire ont porté atteinte aux prérogatives du Parlement de manière à lui donner le droit d' engager une action en annulation. La jurisprudence de la Cour n' a jusqu' ici abordé la question des prérogatives du Parlement que dans le contexte de l' élaboration de la législation.

45. En ce qui concerne le budget, il n' est pas douteux, selon nous, que le Parlement serait en droit d' engager une action si une autre institution communautaire portait atteinte au droit du Parlement de participer à l' adoption du budget, conformément aux dispositions du traité. En ce qui concerne l' exécution du budget, c' est la Commission qui en a la responsabilité exclusive au titre de l' article 205 du traité. Néanmoins, le Parlement a l' obligation de surveiller l' exécution du budget et de
donner décharge à la Commission au titre de l' article 206 ter du traité et de l' article 89 du règlement financier. Il est possible de soutenir que les pouvoirs du Parlement relatifs à la décharge sont en eux-mêmes suffisants pour garantir qu' il n' est aucunement porté atteinte à ses prérogatives par un acte, quel qu' il soit, accompli par la Commission en exécutant le budget. Dès lors il s' ensuit peut-être que le Parlement n' est en aucun cas habilité à contester des mesures d' exécution dans
une action en annulation. Il se peut que ce soit là un argument fondé, mais il est inutile de statuer sur ce point dans la présente affaire. Il n' est pas exclu que, dans certaines circonstances, le Parlement puisse demander l' annulation de mesures d' application, par exemple si elles ont pour effet de saper le budget au point de le rendre essentiellement différent du budget adopté conformément aux procédures prévues par le traité. En tout état de cause, cette question ne se pose pas dans la
présente affaire. Le Parlement n' a pas été à même d' identifier,dans le cas de l' inscription contestée, le moindre effet qui aurait pu tant soit peu porter atteinte à ses prérogatives. En réalité, le seul effet potentiel, en ce qui concerne le Parlement, a été de lui donner la possibilité de surveiller l' affectation des montants en cause. Selon nous, l' inscription était contre-indiquée mais elle n' a aucunement porté atteinte aux prérogatives du Parlement.

46. Par conséquent, l' action du Parlement contre la Commission est selon nous irrecevable.

Conclusion

47. Nous sommes donc d' avis que

1) les recours formés par le Parlement contre le Conseil et la Commission doivent être rejetés et que

2) le Parlement doit être condamné aux dépens.

(*) Langue originale: l' anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-181/91
Date de la décision : 16/12/1992
Type de recours : Recours en annulation - irrecevable

Analyses

Aide d'urgence - Prérogatives du Parlement - Dispositions budgétaires.

Dispositions financières

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes et Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1992:520

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