Avis juridique important
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61991C0111
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 16 décembre 1992. - Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg. - Allocations de naissance et de maternité - Condition de résidence - Validité. - Affaire C-111/91.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-00817
édition spéciale suédoise page I-00035
édition spéciale finnoise page I-00035
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Dans la présente affaire, la Commission a mis en cause certaines conditions de résidence attachées au bénéfice de l' allocation de naissance et de l' allocation de maternité au Luxembourg. Dans le cadre d' un recours formé au titre de l' article 169 du traité CEE, la Commission demande à la Cour de constater que, en imposant de telles conditions, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de droit communautaire suivantes:
1) l' article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2);
2) l' article 18 du règlement (CEE) n 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), et
3) l' article 52 du traité CEE.
2. La Commission a ouvert la procédure prévue à l' article 169 du traité par une lettre de mise en demeure du 7 octobre 1987. Dans cette lettre, la Commission affirmait que les conditions de résidence imposées par les articles 11 et 12 de la loi du 20 juin 1977 (régissant l' allocation de naissance) et par l' article 1er de la loi du 30 avril 1980 (régissant l' allocation de maternité) étaient contraires à l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68, en ce qui concerne les travailleurs
salariés, et à l' article 7 du traité, en ce qui concerne les travailleurs non salariés. L' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68 dispose que le travailleur ressortissant d' un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.
3. Dans sa réponse à la lettre de mise en demeure de la Commission, le gouvernement luxembourgeois a concédé que l' allocation de naissance était un avantage social aux fins de l' application de l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68, mais a nié que la législation luxembourgeoise en question enfreigne le principe de l' égalité de traitement posé à l' article 7 de ce règlement, en ce qui concerne les travailleurs salariés, et à l' article 7 du traité, en ce qui concerne les travailleurs
non salariés. Pour ce qui est de l' allocation de maternité, le gouvernement luxembourgeois a affirmé que l' on pouvait la considérer comme relevant du règlement n 1408/71 plutôt que comme un avantage social au sens du règlement n 1612/68.
4. Le 26 juillet 1989, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure complémentaire répondant à l' argument relatif au règlement n 1408/71 qui avait été avancé par le gouvernement luxembourgeois. La Commission y affirmait que les dispositions de la législation luxembourgeoise qui subordonnent l' allocation de maternité à des conditions de résidence étaient incompatibles avec le règlement n 1408/71 autant qu' avec le règlement n 1612/68. Nous rappellerons que le règlement n 1408/71, dans sa
rédaction modifiée, s' applique tant aux travailleurs salariés qu' aux travailleurs non salariés et à leur famille. En outre, en ce qui concerne l' allocation de naissance, la Commission y soutenait que, pour ce qui est des travailleurs non salariés, les conditions de résidence imposées par la législation luxembourgeoise enfreignaient l' article 52 (et non l' article 7) du traité. La Commission y alléguait, par conséquent, qu' il y avait infraction au règlement n 1612/68 et aux articles 48 et 52 du
traité, en ce qui concerne l' allocation de naissance, et au règlement n 1408/71, en ce qui concerne l' allocation de maternité. La Commission a également allégué que l' article 51 du traité avait été enfreint.
5. Dans sa réponse à la lettre de mise en demeure complémentaire de la Commission, le gouvernement luxembourgeois a nié à nouveau que les conditions de résidence attachées à l' allocation de naissance soient contraires au principe de l' égalité de traitement et a semblé soutenir à ce stade que l' allocation de maternité ne relevait pas du champ d' application du règlement n 1408/71, tout en affirmant ne pas être opposé à l' introduction de cette dernière prestation dans le champ d' application du
règlement lors de la prochaine modification de ce règlement.
6. Le 6 juillet 1990, la Commission a adressé au gouvernement luxembourgeois un avis motivé alléguant que, en imposant des conditions de résidence pour l' octroi des allocations de naissance et de maternité, le grand-duché de Luxembourg avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 48 du traité, de l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68, de l' article 52 du traité et du règlement n 1408/71. Un délai de deux mois a été imparti au grand-duché de Luxembourg pour
prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l' avis motivé de la Commission. Ces mesures n' ayant pas été prises, la Commission a saisi la Cour du présent recours le 12 avril 1991.
7. On constate que la Commission a changé fréquemment le fondement de son action au cours de la procédure précontentieuse. Toutefois, le gouvernement luxembourgeois a été pleinement mis en mesure de répondre aux allégations ajoutées à la lettre de mise en demeure initiale, et il n' est à l' évidence pas contestable que la Commission retire ultérieurement d' autres allégations figurant dans la lettre de mise en demeure complémentaire et dans l' avis motivé (voir point 11 ci-après).
La réglementation communautaire
8. L' article 7 du règlement n 1612/68 dispose ce qui suit:
"1. Le travailleur ressortissant d' un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d' emploi et de travail...
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.
..."
L' article 4 du règlement n 1408/71 dispose:
"1. Le présent règlement s' applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:
a) les prestations de maladie et de maternité;
...
2. Le présent règlement s' applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs, ainsi qu' aux régimes relatifs aux obligations de l' employeur ou de l' armateur concernant les prestations visées au paragraphe 1.
...
4. Le présent règlement ne s' applique ni à l' assistance sociale et médicale..."
9. Le titre III du règlement n 1408/71 est intitulé "Dispositions particulières aux différentes catégories de prestations" et le chapitre 1 (articles 18 à 36) est intitulé "Maladie et maternité". En vertu de l' article 18, paragraphe 1:
"L' institution compétente d' un État membre dont la législation subordonne l' acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l' accomplissement de périodes d' assurance, d' emploi ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d' assurance, d' emploi ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s' il s' agissait de périodes accomplies sous la législation qu' elle applique."
Il y a lieu de relever que le terme "résidence" est défini à l' article 1er, sous h), du règlement comme le "séjour habituel".
10. Le règlement (CEE) n 1247/92 du Conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement (CEE) n 1408/71 relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté (JO L 136, p. 1), ajoute, en particulier, les dispositions suivantes. A l' article 4, un nouveau paragraphe 2 bis est inséré, qui dispose:
"Le présent règlement s' applique aux prestations spéciales à caractère non contributif relevant d' une législation ou d' un régime autre que ceux qui sont visés au paragraphe 1 ou qui sont exclus au titre du paragraphe 4, lorsque ces prestations sont destinées:
a) soit à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches visées au paragraphe 1, sous a) à h);
b) soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés."
Un nouvel article 10 bis et une nouvelle annexe II bis sont également insérés dans le règlement. Le paragraphe 2 de l' article 10 bis dispose:
"L' institution d' un État membre dont la législation subordonne le droit à des prestations visées au paragraphe 1 (à savoir les prestations mentionnées à l' article 4, paragraphe 2 bis, qui sont énumérées à l' annexe II bis) à l' accomplissement de périodes d' emploi, d' activité professionnelle non salariée ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d' emploi, d' activité professionnelle non salariée ou de résidence accomplies sur le territoire de tout autre État membre,
comme s' il s' agissait de périodes accomplies sur le territoire du premier État membre."
Le paragraphe consacré au grand-duché de Luxembourg dans la nouvelle annexe II bis énumère les prestations suivantes:
"a) L' allocation compensatoire de vie chère (loi du 13 juin 1975).
b) L' allocation spéciale pour les personnes gravement handicapées (loi du 16 avril 1979).
c) L' allocation de maternité (loi du 30 avril 1980)."
Il y a lieu d' observer, toutefois, que ces modifications ont été apportées après l' introduction de la présente procédure par la Commission et, de fait, après le dépôt de la duplique par le gouvernement luxembourgeois le 20 décembre 1991.
11. Dans les développements qui suivent, nous examinerons séparément les dispositions du droit luxembourgeois qui concernent l' allocation de naissance et celles qui concernent l' allocation de maternité. Il y a lieu de relever que, bien que l' article 48 du traité soit mentionné dans le titre de la requête de la Commission, la Commission n' allègue plus la violation de cet article dans ses conclusions. En outre, la Commission ne réitère pas l' allégation de violation de l' article 51 qui avait été
avancée dans sa lettre de mise en demeure complémentaire (et qui était d' ailleurs, à notre avis, manifestement erronée). La Commission estime donc désormais qu' il est suffisant d' alléguer la violation du règlement n 1612/68 et du règlement n 1408/71, qui mettent en oeuvre les articles 48 et 51 respectivement. Toutefois, la Commission allègue toujours que l' article 52 du traité (mais non pas, rappelons-le, l' article 7 du traité) a été enfreint.
L' allocation de naissance
12. En vertu de l' article 9 de la loi du 20 juin 1977, la naissance de tout enfant viable ouvre droit à une allocation de naissance, versée en partie à titre d' allocation prénatale, en partie à titre d' allocation de naissance proprement dite et en partie à titre d' allocation postnatale. En vertu de l' article 14, une ou plusieurs tranches de l' allocation peuvent être versées même si le bénéficiaire ne remplit pas les conditions requises pour avoir droit aux autres tranches. En vertu de l'
article 1er, toute femme enceinte qui réside au grand-duché de Luxembourg depuis un an au moins doit, pour bénéficier de l' allocation prénatale, se soumettre au cours de sa grossesse à au moins cinq examens médicaux et à un examen dentaire. L' article 2 dispose que les modalités et la périodicité des examens sont fixées par règlement grand-ducal. En vertu de l' article 11, la première tranche de l' allocation est versée à titre d' allocation prénatale après que la future mère a passé le dernier des
examens prévus. Cette allocation n' est toutefois versée qu' à condition qu' elle ait été domiciliée au grand-duché de Luxembourg pendant toute l' année qui précède la naissance et qu' elle produise les certificats attestant qu' elle a passé les examens.
13. En vertu de l' article 12 de la loi du 20 juin 1977, la deuxième tranche de l' allocation de naissance est versée après la naissance à condition, en particulier, que l' un des parents ait été domicilié au grand-duché de Luxembourg pendant toute l' année qui précède la naissance de l' enfant. En vertu des articles 5 et 12, la mère doit également avoir subi un examen postnatal dans les huit semaines à partir de la naissance. En vertu de l' article 16, le ministre de la Famille peut dispenser la
mère des conditions de résidence prévues aux articles 11 et 12, mais uniquement si la mère déclare avoir l' intention de continuer à résider au grand-duché de Luxembourg et d' y élever son enfant.
14. Conformément à l' article 2 de la loi du 20 juin 1977, un règlement grand-ducal du 8 décembre 1977 précise les modalités des cinq examens médicaux prénatals et de l' examen dentaire, ainsi que de l' examen postnatal de la mère. En vertu de l' article 1er du règlement, le premier examen médical prénatal doit être effectué avant la fin du troisième mois de la grossesse; en vertu de l' article 9, l' examen dentaire a lieu dès que la grossesse est confirmée et au plus tard avant la fin du troisième
mois. En vertu de l' article 6, le dernier examen prénatal a lieu dans les quinze premiers jours du neuvième mois de la grossesse. Enfin, en vertu des articles 6 et 13 de la loi du 20 juin 1977, l' enfant doit lui-même avoir été soumis à six examens pendant ses deux premières années avant que la troisième et dernière tranche de l' allocation puisse être perçue; les modalités de ces examens sont précisées par un autre règlement grand-ducal du 8 décembre 1977.
15. Le gouvernement luxembourgeois ne conteste pas que l' allocation de naissance est un "avantage social" au sens de l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68 du Conseil. De fait, il nous semble difficile de parvenir à une autre conclusion. Comme la Cour l' a affirmé à plusieurs reprises, en particulier dans l' arrêt du 27 mars 1985, Hoeckx (249/83, Rec. p. 973, point 20),
"... les avantages (que ce règlement) étend aux travailleurs ressortissants d' autres États membres sont tous ceux qui, liés ou non à un contrat d' emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison, principalement, de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national, et dont l' extension aux travailleurs ressortissants d' autres États membres apparaît, dès lors, comme de nature à faciliter leur mobilité à l' intérieur de la
Communauté".
Ainsi, il a été jugé que des prêts à la naissance, exempts d' intérêts par l' effet de subventions allouées par les autorités nationales, étaient un "avantage social" au sens du règlement: voir arrêt du 14 janvier 1982, Reina (65/81, Rec. p. 33). Les travailleurs ressortissants d' un autre État membre doivent à l' évidence pouvoir bénéficier de tels avantages dans les mêmes conditions.
16. En conséquence, le gouvernement luxembourgeois concède que l' allocation de naissance doit être octroyée dans le respect de l' égalité de traitement entre ses propres ressortissants et ceux d' autres États membres. Il nie toutefois que les conditions de résidence attachées au bénéfice de l' allocation de naissance luxembourgeoise équivalent à une inégalité de traitement. A son avis, il suffit, pour satisfaire à l' exigence de l' égalité de traitement, que les conditions soient appliquées tant
aux ressortissants luxembourgeois qu' aux ressortissants d' autres États membres.
17. Toutefois, comme la Commission le relève, il est manifeste que l' exigence de non-discrimination posée par le droit communautaire s' étend tant aux discriminations indirectes qu' aux discriminations directes. Comme la Cour l' a affirmé dans l' arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11),
"attendu que les règles d' égalité de traitement, tant du traité que de l' article 7 du règlement n 1612/68, prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d' autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat;
...
qu' il n' est donc pas exclu que des critères tels que le lieu d' origine ou le domicile d' un travailleur puissent, selon les circonstances, constituer, dans leur effet pratique, l' équivalent d' une discrimination de nationalité prohibée par le traité et le règlement".
Le principe selon lequel les discriminations indirectes ou déguisées sont contraires à l' article 48 du traité et à l' article 7 du règlement n 1612/68 a été réaffirmé récemment par la Cour dans les arrêts du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779, points 11 à 13), et du 21 novembre 1991, Le Manoir (C-27/91, Rec. p. I-5531, point 10). De même, les discriminations indirectes à l' encontre de ressortissants d' autres États membres qui souhaitent s' établir pour exercer une activité
professionnelle non salariée sont interdites par l' article 52 du traité: voir, par exemple, arrêt du 10 juillet 1986, Segers (79/85, Rec. p. 2375, point 15). De la même façon, la Cour a récemment jugé qu' une condition de résidence imposée aux équipages des bateaux de pêche constituait une discrimination indirecte contraire aux articles 48, 52 et 59 du traité: voir arrêt du 17 novembre 1992, Commission/Royaume-Uni (C-279/89, Rec. p. I-5785, points 40 à 43).
18. A notre sens, il serait difficile de soutenir que les exigences de résidence imposées par les articles 11 et 12 (et, de fait, par l' article 16) de la loi du 20 juin 1977 ne constituent pas une inégalité de traitement pour les ressortissants étrangers. Parmi ceux qui ont des enfants au grand-duché de Luxembourg, la probabilité qu' un ressortissant luxembourgeois, ou son conjoint, ait résidé au grand-duché de Luxembourg pendant toute l' année précédant la naissance de l' enfant est plus grande
que pour un ressortissant d' un autre État membre. Les conditions énoncées aux articles 11 et 12 constituent, par conséquent, une discrimination indirecte à l' encontre des travailleurs migrants provenant d' autres États membres.
19. De même, il est moins probable que la condition attachée à la dispense qui peut être accordée par le ministre de la Famille, en vertu de l' article 16 de la loi, soit satisfaite par les ressortissants d' autres États membres, qui peuvent être moins enclins que les ressortissants luxembourgeois à établir leur résidence permanente au grand-duché de Luxembourg. En outre, comme l' a observé la Commission à l' audience, cette condition constitue également une discrimination à l' encontre des
ressortissants luxembourgeois qui veulent s' installer dans un autre État membre. Comme l' a relevé la Cour, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes interdisent non seulement les discriminations opérées par un État membre à l' encontre de ressortissants d' autres États membres présents sur son territoire, mais s' opposent également aux législations nationales qui comportent une discrimination à l' encontre des ressortissants communautaires qui souhaitent exercer
leur droit à la libre circulation en étendant leurs activités hors du territoire d' un seul État membre ou en s' établissant dans un autre État membre: voir arrêts du 7 juillet 1988, Stanton (143/87, Rec. p. 3877, points 9 à 14), et du 27 septembre 1988, Daily Mail (81/87, Rec. p. 5483, point 16).
20. Le gouvernement luxembourgeois soutient, à titre subsidiaire, que les conditions de résidence attachées à l' allocation de naissance sont objectivement justifiées. Ainsi, même si les conditions constituent une inégalité de traitement entre ressortissants luxembourgeois et ressortissants étrangers, elles sont, à son avis, justifiées par des motifs d' intérêt général et, en particulier, par des raisons de santé publique. Selon le gouvernement luxembourgeois, l' objectif principal de la loi du 20
juin 1977 est d' instituer un système de surveillance médicale étroite des femmes enceintes et des enfants en bas âge, pour réduire les risques de mortalité prénatale et de handicap postnatal. A son avis, l' objet de l' allocation est plus médical que pécuniaire, son but étant de garantir que les femmes accouchant au grand-duché de Luxembourg se sont soumises à tous les examens médicaux prévus par l' article 2 de la loi. Pour cette raison, la première tranche de l' allocation n' est versée que
lorsque le dernier examen prénatal a été effectué. En conséquence, de l' avis du gouvernement luxembourgeois, il est parfaitement logique que les mères qui n' ont pas pu se soumettre aux examens prévus, parce qu' elles n' étaient pas présentes sur le territoire luxembourgeois pendant l' année précédant la naissance, se voient refuser les deux premières tranches de l' allocation.
21. Il nous semble que le raisonnement du gouvernement luxembourgeois présente un certain nombre de faiblesses. A notre avis, la faiblesse fondamentale réside dans le fait qu' aucun lien n' a été établi entre la nécessité d' encourager les femmes enceintes résidant déjà au grand-duché de Luxembourg à se soumettre aux examens médicaux prescrits par la législation luxembourgeoise, en faisant de l' accomplissement de la série d' examens une condition du bénéfice de l' allocation, et la prétendue
nécessité de soumettre d' autres femmes à la même exigence. Les femmes qui résident dans d' autres États membres peuvent à l' évidence éprouver des difficultés considérables à satisfaire à une telle condition. Ainsi, on peut difficilement attendre d' une femme qui a l' intention d' émigrer au grand-duché de Luxembourg et qui a également l' intention de devenir enceinte qu' elle avance son arrivée au grand-duché de Luxembourg dans le seul but de bénéficier des examens médicaux luxembourgeois; de
fait, en pratique, il se peut que cela lui soit impossible. En outre, il se peut en tout état de cause qu' une telle migrante ne sache pas qu' elle est sur le point d' être enceinte. Il ne nous semble pas que le système de surveillance médicale institué par la législation luxembourgeoise serait compromis en quoi que ce soit si les exigences qu' il comporte n' étaient pas appliquées aux femmes se trouvant dans une telle situation.
22. Il y a également lieu de relever qu' il n' est pas nécessaire que le premier examen médical prévu par la loi du 20 juin 1977 soit effectué avant la fin du troisième mois de la grossesse. Il est vrai que l' examen dentaire doit avoir lieu dès que la grossesse est confirmée, mais, même dans ce cas, il apparaît que le délai impératif est le troisième mois. Par conséquent, à strictement parler, une période de résidence de seulement six mois serait suffisante pour accomplir le nombre requis d'
examens. Or, comme nous l' avons constaté, la condition de résidence se rapporte en fait à toute l' année précédant la naissance. Une migrante peut, par conséquent, arriver au grand-duché de Luxembourg, y établir son domicile, devenir ou découvrir qu' elle est enceinte, se soumettre à tous les examens médicaux et dentaire requis et accoucher au grand-duché de Luxembourg sans pour autant avoir droit aux deux premières tranches de l' allocation de naissance.
23. En outre, une femme enceinte peut émigrer au grand-duché de Luxembourg au cours de sa grossesse, après avoir subi des examens médicaux dans un autre État membre. Or, la loi du 20 juin 1977 ne semble pas prévoir la reconnaissance d' examens médicaux équivalents effectués dans un autre État membre. Il y a également lieu d' observer que la condition de résidence énoncée à l' article 12 de la loi peut être satisfaite soit par la future mère, soit par l' autre parent; toutefois, le gouvernement
luxembourgeois n' a pas réussi à expliquer quelle était l' incidence du lieu de résidence du père sur la santé de la mère dans ce cas. De même, les conditions attachées à la dérogation prévue à l' article 16 de la loi ne semblent pas avoir de portée médicale.
24. Dans sa duplique, le gouvernement luxembourgeois tente de justifier la condition de résidence attachée à la seconde tranche de la prestation en insistant sur la nécessité d' un suivi médical. Nous rappellerons que, en vertu des articles 5 et 12 de la loi du 20 juin 1977, la mère doit se soumettre à un examen postnatal dans un délai de huit semaines à compter de la naissance. Le gouvernement luxembourgeois affirme que l' exigence d' un suivi médical rigoureux et efficace ne peut être satisfaite
que si l' examen postnatal est effectué par le même médecin que celui qui a procédé aux cinq examens prénatals et que la mère doit, par conséquent, avoir résidé au grand-duché de Luxembourg tant durant la grossesse qu' après la naissance. Toutefois, comme la Commission l' a relevé à l' audience, les femmes enceintes jouissent d' un droit à la libre circulation en vertu du traité comme tout autre bénéficiaire de ce droit; en principe, il appartient aux femmes elles-mêmes de décider d' exercer ou non
ce droit, même si le faire implique un changement de médecin de confiance. En tout état de cause, la continuité de la surveillance médicale peut dans une large mesure être assurée par un échange d' informations approprié entre médecins. En outre, le gouvernement luxembourgeois n' a pas expliqué comment une telle continuité était garantie lorsque seul le père avait résidé au grand-duché de Luxembourg pendant l' année précédant la naissance, ce qui, comme nous l' avons vu, est une possibilité
alternative envisagée par l' article 12. En conséquence, la raison pour laquelle une mère qui, pour des raisons qui peuvent être indépendantes de sa volonté, a émigré au grand-duché de Luxembourg au cours de sa grossesse devrait être financièrement pénalisée parce qu' elle a dû changer de médecin n' est absolument pas claire.
25. Le gouvernement luxembourgeois est, certes, en droit d' exiger des femmes enceintes qui résident au grand-duché de Luxembourg qu' elles se soumettent à des examens médicaux périodiques, bien que, même dans le cas de celles qui résident au grand-duché de Luxembourg pendant toute la durée de leur grossesse, il soit douteux qu' il puisse refuser de reconnaître des examens équivalents effectués dans un autre État membre. Il est également en droit, à notre avis, d' exiger que les femmes bénéficiant
de l' allocation de naissance résident au grand-duché de Luxembourg au moment de la naissance, car sinon des femmes enceintes résidant ailleurs pourraient faire en sorte d' accoucher au grand-duché de Luxembourg dans le seul but de toucher l' allocation. Toutefois, à notre avis, les conditions de résidence énoncées aux articles 11, 12 et 16 de la loi du 20 juin 1977 vont bien plus loin que ce qui est nécessaire pour empêcher de tels abus. Nous estimons, par conséquent, que ces conditions sont
incompatibles avec l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68. Selon nous, les mêmes considérations sont d' ailleurs applicables au cas des travailleurs non salariés et à leur famille qui ont droit, en vertu de l' article 52 du traité, à un traitement égal à celui dont bénéficient les ressortissants luxembourgeois.
26. Nous en concluons, par conséquent, qu' il y a lieu d' adjuger à la Commission ses conclusions en ce qui concerne l' allocation de naissance. Nous en arrivons ainsi à l' examen des conclusions concernant l' allocation de maternité.
L' allocation de maternité
27. L' allocation de maternité luxembourgeoise est accordée en vertu de la loi du 30 avril 1980. Aux termes de l' article 1er de cette loi, toute femme enceinte et toute femme accouchée a droit à une allocation de maternité à condition qu' elle soit domiciliée au Luxembourg, et soit 1) qu' elle y ait eu son domicile pendant toute l' année précédant la date de l' ouverture du droit, soit 2) que son conjoint y ait été domicilié pendant les trois années précédentes. En vertu de l' article 2, la
prestation est accordée pour une période maximale de seize semaines, qui court à compter de la huitième semaine précédant la date présumée de l' accouchement. L' article 3 dispose que le ministre de la Famille peut accorder une dispense de ces conditions de résidence si la mère déclare avoir l' intention de continuer à résider au grand-duché de Luxembourg et d' y élever son enfant.
28. Le gouvernement luxembourgeois ne conteste pas que, si l' allocation de maternité est une prestation relevant du règlement n 1408/71, il est tenu, en vertu de l' article 18, paragraphe 1, du règlement, de tenir compte des périodes de résidence accomplies sous la législation d' un autre État membre. En conséquence, une mère ayant accouché au grand-duché de Luxembourg et résidant désormais dans ce pays aurait droit à l' allocation, même si elle avait résidé dans un autre État membre pendant l'
année précédant l' accouchement. Le gouvernement luxembourgeois soutient, toutefois, que, au moment où la Commission a introduit son recours, le règlement n 1408/71 ne s' étendait pas encore à l' allocation de maternité luxembourgeoise. Le gouvernement luxembourgeois estime donc nécessairement soit que l' allocation de maternité ne peut pas être considérée comme une "prestation de maternité" aux fins de l' application de l' article 4, paragraphe 1, du règlement, soit qu' elle doit être considérée
comme relevant de l' "assistance sociale" au sens de l' article 4, paragraphe 4, ce qui la ferait échapper au champ d' application du règlement. Le gouvernement luxembourgeois reconnaît cependant que, en vertu de la modification apportée par le règlement n 1247/92, il serait maintenant tenu de prendre en compte les périodes de résidence accomplies sur le territoire d' autres États membres: voir le nouvel article 10 bis, paragraphe 2, et la nouvelle annexe II bis insérés par le règlement n 1247/92,
cités ci-dessus au point 10.
29. La Commission, pour sa part, soutient que l' allocation de maternité luxembourgeoise relevait déjà du règlement n 1408/71, même avant cette récente modification, et qu' elle n' a été incluse dans la nouvelle annexe II bis insérée par le règlement n 1247/92 que pour faire disparaître tout doute.
30. A notre avis, le gouvernement luxembourgeois n' a avancé aucune raison convaincante de considérer l' allocation de maternité comme relevant de l' assistance sociale au sens de l' article 4, paragraphe 4, du règlement n 1408/71 plutôt que comme une prestation de sécurité sociale. Il y a lieu de relever, en particulier, que pour décider si une prestation doit être considérée comme relevant de l' assistance sociale, d' une part, ou de la sécurité sociale, d' autre part, le critère décisif n' est
pas de savoir si la prestation a un caractère contributif ou non; de fait, l' article 4, paragraphe 2, inclut expressément les régimes non contributifs. Le critère est plutôt de savoir si la législation en question confère un droit à la prestation, sans prise en compte des besoins et des situations individuels: voir arrêt du 24 février 1987, Giletti e.a. (379/85 à 381/85 et 93/86, Rec. p. 955, points 7 à 11). Par conséquent, dès lors que la prestation concerne l' un des risques expressément énumérés
à l' article 4, paragraphe 1, du règlement, il suffit qu' elle soit octroyée en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels: voir arrêt du 16 juillet 1992, Hughes (C-78/91, Rec. p. I-4839).
31. De surcroît, le gouvernement luxembourgeois n' a pas réussi à démontrer que l' allocation de maternité échappait au champ d' application de l' article 4, paragraphe 1, du règlement n 1408/71. Cette disposition mentionne expressément, au titre des branches de sécurité sociale visées par le règlement, les "prestations de maternité", terme qui est susceptible d' inclure, en particulier, l' allocation de maternité. Contrairement au point de vue du gouvernement luxembourgeois, il ne nous semble pas
que l' allocation de maternité se distingue des "régimes classiques de sécurité sociale par son champ d' application personnel, ses objectifs et ses modalités d' application" (voir mémoire en défense, p. 13). Le gouvernement luxembourgeois n' a indiqué aucune caractéristique de l' allocation de maternité luxembourgeoise qui la distinguerait d' autres régimes de prestations de maternité, prétendument plus classiques. Il est à supposer que tous ces régimes visent au bien-être de la mère et du
nouveau-né et octroient une prestation pendant une période de temps limitée à tous ceux qui satisfont aux conditions auxquelles le bénéfice de la prestation est subordonné.
32. Comme le relève la Commission, même si l' allocation de maternité ne relevait pas du règlement n 1408/71, il faudrait, en tout état de cause, la considérer comme un avantage social au sens du règlement n 1612/68 (voir le point 15 ci-dessus), proposition qui a été acceptée par le gouvernement luxembourgeois à l' audience.
33. On peut également observer que, même si l' on admet que l' allocation de maternité relève du règlement n 1408/71, le refus d' accorder l' allocation à des familles de travailleurs salariés peut constituer une violation du règlement n 1612/68 plutôt que du règlement n 1408/71. Cela est dû au fait que le règlement n 1408/71 ne s' applique aux prestations octroyées aux membres de la famille des travailleurs salariés ou non salariés que si le droit à la prestation est tiré du lien de parenté avec le
travailleur; il ne s' étend pas aux droits conférés directement au membre de la famille: voir les arrêts du 17 décembre 1987, Zaoui (147/87, Rec. p. 5511, points 12 et 13), et du 8 juillet 1992, Taghavi (C-243/91, Rec. p. I-4401, points 7 à 9). Or, l' allocation de maternité est une prestation qui est accordée à la mère de son propre chef, et non pas du fait d' un droit tiré de sa qualité de membre de la famille. Il en résulte que, dans le cas d' une mère qui n' est pas elle-même un travailleur
salarié ou non salarié et qui est membre de la famille d' un salarié exerçant le droit à la libre circulation, les conditions de résidence attachées à l' allocation de maternité devraient être examinées au regard de l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68, qui s' étend aux prestations accordées au membre de la famille d' un salarié: voir arrêt Hoeckx, précité au point 15 (point 22). Les conditions seraient alors incompatibles avec cette disposition, car elles constituent manifestement une
discrimination indirecte à l' égard des ressortissants d' autres États membres.
34. Dans le cas des familles de travailleurs non salariés, d' autre part, les conditions de résidence constitueraient, pour des raisons similaires, une violation de l' article 52 du traité. Bien qu' il puisse y avoir un doute, au vu de la procédure précontentieuse, sur le point de savoir si la Commission avait ou non tenté initialement de se fonder sur l' article 52 pour ce qui est de l' allocation de maternité, les débats ont eu lieu dans ce cadre. Cela peut, par conséquent, être interprété en ce
sens que la Commission soutient que les conditions de résidence attachées à l' allocation de maternité sont constitutives d' une violation de l' article 52 du traité ainsi que du règlement n 1612/68 et du règlement n 1408/71.
35. Comme nous l' avons constaté, ce point de vue emporte, à notre avis, l' adhésion et, en conséquence, il y a également lieu d' adjuger à la Commission ses conclusions en ce qui concerne l' allocation de maternité.
Conclusion
36. En conséquence, nous sommes d' avis qu' il convient que la Cour
1) constate que, en subordonnant l' octroi de l' allocation de naissance et de l' allocation de maternité à des conditions de résidence qui ne tiennent pas compte des périodes de résidence accomplies dans un autre État membre, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 52 du traité, de l' article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la
Communauté, et de l' article 18, paragraphe 1, du règlement (CEE) n 1408/71, du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983;
2) condamne le grand-duché de Luxembourg aux dépens.
(*) Langue originale: l' anglais.