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02/06/1992 | CJUE | N°C-370/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 2 juin 1992., Société générale d'entreprises électro-mécaniques SA (SGEEM) et Roland Etroy contre Banque européenne d'investissement., 02/06/1992, C-370/89


Avis juridique important

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61989C0370

Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 2 juin 1992. - Société générale d'entreprises électro-mécaniques SA (SGEEM) et Roland Etroy contre Banque européenne d'investissement. - Marché de travaux publics dans un État ACP - Cofinancement par la BEI - Responsab

ilité non contractuelle à l'égard d'un soumissionnaire non retenu - Compétence...

Avis juridique important

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61989C0370

Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 2 juin 1992. - Société générale d'entreprises électro-mécaniques SA (SGEEM) et Roland Etroy contre Banque européenne d'investissement. - Marché de travaux publics dans un État ACP - Cofinancement par la BEI - Responsabilité non contractuelle à l'égard d'un soumissionnaire non retenu - Compétence de la Cour. - Affaire C-370/89.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-06211
édition spéciale suédoise page 00059
édition spéciale finnoise page I-00207

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Une société française, la SGEEM (Société générale d' entreprises électro-mécaniques), et son directeur ont introduit un recours contre la Banque européenne d' investissement visant à faire condamner la Banque à réparer le préjudice que les requérants estiment avoir subi du fait du comportement délictueux de la Banque. Le recours est introduit au titre des dispositions combinées des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE. La Banque a conclu au rejet du recours comme non fondé. La
Commission est intervenue au soutien de la Banque.

La sixième chambre, à laquelle l' affaire avait été renvoyée, a considéré qu' il y avait lieu de faire application de l' article 95, paragraphe 3, du règlement de procédure et de renvoyer l' affaire devant la Cour plénière pour que celle-ci se prononce sur la recevabilité de l' affaire.

2. En bref, les faits de l' espèce sont les suivants:

La république du Mali prévoyait de faire construire une ligne électrique à haute tension entre deux villes. Le Mali souhaitait bénéficier d' une aide financière de la Communauté conformément aux règles de la convention de Lomé. La Communauté a décidé de financer une partie du projet sur les ressources du sixième Fonds européen de développement. Le Mali a sollicité ensuite un financement de la Banque européenne d' investissement (ci-après "Banque" ou "BEI") sous la forme du prêt de capitaux à risques
au titre de l' article 199 de la convention de Lomé. Le contrat de financement conclu entre le Mali et la BEI, qui agissait pour le compte de la Communauté, a été signé en 1988. Le projet a été mis en adjudication. La société requérante était un des soumissionnaires. Son offre était la moins disante. Les autorités compétentes au Mali avaient fait appel à une société canadienne pour préparer l' appel d' offres et pour fournir son assistance lors du choix de l' adjudicataire. Dans un premier temps, la
société canadienne a déconseillé d' attribuer le marché à la société requérante. Néanmoins, les autorités compétentes au Mali ont pris la décision, après avoir longuement réfléchi, d' attribuer le marché à la société requérante. La Banque a pris acte de cette décision, mais elle a fait savoir qu' elle ne pourrait pas financer le projet si l' offre de la société était acceptée. La Banque a motivé cela en indiquant qu' elle estimait que l' offre de la société posait certains problèmes.

Les autorités maliennes ont décidé ensuite de passer contrat avec une autre société que la requérante. Les requérants en l' espèce font valoir que c' est en raison du comportement de la Banque que la société ne s' est pas vu adjuger le marché et que ce comportement était illicite.

Remarques introductives concernant la compétence de la Cour pour connaître de l' affaire

3. L' article 178 du traité CEE dispose:

"La Cour de justice est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l' article 215, deuxième alinéa."

L' article 215, deuxième alinéa, du traité, dispose:

"En matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l' exercice de leurs fonctions."

Jusqu' ici la Cour de justice n' avait pas eu l' occasion de se prononcer sur le point de savoir si elle était compétente, en vertu des articles 178 et 215, deuxième alinéa, pour connaître d' actions en responsabilité non contractuelle introduites contre la BEI. Depuis que la Banque existe, c' est-à-dire depuis plus de 30 ans, aucune action de ce type n' avait été introduite auparavant devant la Cour de justice ou, à notre connaissance, devant d' autres juridictions.

Dans ces conditions, on ne peut pas affirmer qu' il s' agit d' une question présentant une grande importance pratique. En revanche, la question est importante du point de vue des principes, notamment parce qu' elle soulève la question de la situation particulière de la Banque dans le système du traité, qui peut également avoir une incidence dans d' autres domaines. La question fondamentale est de savoir si la Banque peut, dans le contexte de l' article 215, être considérée comme une des institutions
de la Communauté, qui peut en tant que telle mettre en jeu la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

4. Les parties à l' instance et la Commission s' accordent à considérer que la question appelle une réponse affirmative. Une telle unanimité retient certes l' attention, notamment parce que les arguments en faveur d' une réponse affirmative sont solides. Mais l' unanimité soulève également certaines difficultés. Il est manifeste que la question de la compétence de la Cour de justice est une question que la Cour doit trancher d' office et que, dans ce cadre, la Cour doit également examiner les
éventuels arguments en faveur d' une réponse négative. Il nous incombe dès lors également de nous demander s' il existe de tels arguments.

Les parties ont fait valoir qu' il résulte de la jurisprudence de la Cour que l' article 215, deuxième alinéa, peut être interprété de manière à englober également la Banque et qu' il n' y a pas d' arguments substantiels infirmant une telle interprétation, mais qu' il y a au contraire de bonnes raisons d' aboutir à ce résultat.

5. Il est certain à notre avis que la question n' est pas aussi simple que cela semble ressortir des mémoires des parties (1). La Banque s' est vu conférer une situation particulière dans le système organisationnel du traité et il y avait des raisons importantes à ce choix. Comme nous le verrons ci-après, la Cour de justice a mis en exergue la situation ambivalente de la Banque dans le système organisationnel du traité et il n' est pas tout à fait évident de savoir si la Banque est à considérer
comme une des institutions de la Communauté, dans le contexte de l' article 215, deuxième alinéa, ou s' il y a lieu de rejeter une telle interprétation. La première interprétation aurait pour conséquence que

- la Cour de justice serait exclusivement compétente pour connaître de toutes les actions en responsabilité non contractuelle intentées contre la Banque, si bien que les juridictions nationales (en tout cas celles des États membres) devraient décliner leur compétence à l' égard de telles actions intentées contre la Banque, et

- les règles de fond en fonction desquelles le litige doit être tranché seraient les "principes généraux communs aux droits des États membres".

Le choix de la seconde interprétation impliquerait que

- le requérant pourrait choisir d' intenter l' action au domicile de la Banque ou devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s' est produit (2), et

- les règles de fond permettant de trancher le litige seraient celles qui sont désignées par les règles de droit international privé applicables en vertu de la loi du for.

L' interprétation choisie peut donc avoir une réelle importance non seulement pour la Banque, mais aussi pour les personnes physiques et morales qui estiment avoir une créance d' indemnisation sur la Banque.

6. Le point de départ naturel d' une prise de position sur la question est l' article 29 des statuts de la Banque, qui figurent dans un protocole annexé au traité CEE. L' article 29 dispose:

"Les litiges entre la Banque d' une part, et d' autre part ses prêteurs, ses emprunteurs ou des tiers sont tranchés par les juridictions nationales compétentes, sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice.

La Banque doit élire domicile dans chacun des États membres. Toutefois, elle peut, dans un contrat, procéder à une élection spéciale de domicile ou prévoir une procédure d' arbitrage."

La disposition correspond dans son principe à l' article 183 du traité CEE, qui dispose:

"Sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice par le présent traité, les litiges auxquels la Communauté est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales."

Le traité part donc du principe que les institutions et organes mis en place par le traité ne bénéficient pas de l' immunité de juridiction. L' action peut être intentée devant les juridictions nationales, à moins qu' il ne résulte du traité que les actions doivent être intentées devant la Cour de justice.

7. Sur ce point aussi, l' ordre juridique communautaire se distingue nettement des règles applicables aux organisations internationales. Il est d' usage que les États, en créant des organisations internationales, leur confèrent une large immunité de juridiction, qui s' applique que les organisations agissent juri imperii ou juri gestionis. Cependant, il y a en tout cas une exception importante à cela. Les organisations financières internationales ne jouissent pas de l' immunité de juridiction. Dans
certaines limites, elles peuvent être actionnées devant les juridictions nationales. Cela est généralement expliqué par le fait qu' un tel régime juridique est nécessaire pour s' assurer la confiance des prêteurs dans le cadre des emprunts émis par les institutions financières (3). En dépit de cette explication, il est admis que toute action peut être intentée contre les institutions financières, c' est-à-dire aussi celles qui n' ont pas leur source dans des relations contractuelles. Ce statut est,
par exemple, celui de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement ("Banque mondiale"), qui a été créée en 1947, et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, qui a été créée en 1990 (4).

On pourrait soutenir dans ces conditions qu' en matière procédurale la situation juridique de la BEI devrait être la même que celle des organisations financières internationales, la Banque pouvant, tout comme les organisations financières internationales, être actionnée devant les juridictions nationales. Mais on méconnaîtrait alors le fait que, en vertu de l' article 29 des statuts de la Banque, les juridictions nationales ne sont compétentes à l' égard de la Banque que "sous réserve des
compétences attribuées à la Cour de justice".

8. Par conséquent, la principale question qui se pose en ce qui concerne la Banque n' est pas de savoir si son comportement échappe au contrôle des tribunaux, mais de savoir si ce contrôle doit être le fait de la Cour de justice ou des juridictions nationales. Il ressort du libellé de l' article 29 qu' il faut résoudre cette question en interprétant les dispositions du traité CEE qui attribuent compétence à la Cour de justice.

Cela implique que c' est de l' interprétation de l' article 215, deuxième alinéa, du traité que dépend le point de savoir si la Cour de justice est compétente pour connaître des actions en responsabilité non contractuelle intentées contre la Banque.

La Banque est-elle visée par l' article 215, deuxième alinéa, du traité?

9. La jurisprudence de la Cour comporte des éléments importants pour la compréhension de la position de la Banque dans le système juridictionnel et, plus généralement, organisationnel de la Communauté.

10. Dans l' arrêt du 15 juin 1976, Mills/BEI (5), la Cour de justice a pris position sur le point de savoir si l' article 179 du traité, aux termes duquel "la Cour de justice est compétente pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents ...", vise également les litiges opposant la Banque à ses agents. La Cour de justice a décidé à cet égard que sa compétence pour trancher ces litiges n' était pas exclue par les dispositions de l' article 180 du traité, qui confèrent expressément à la
Cour de justice la compétence de trancher certains litiges auxquels la Banque est partie. La Cour de justice a déclaré à ce sujet que

"cette disposition se limite à reconnaître au Conseil d' administration de la Banque des pouvoirs analogues à ceux reconnus par l' article 169 à la Commission et à soumettre les délibérations du Conseil des gouverneurs et celles du Conseil d' administration à une même compétence de la Cour de justice que celle attribuée par l' article 173 à l' égard des actes du Conseil et de la Commission;

que ce caractère complémentaire de l' article 180 confirme donc la conclusion qu' en mentionnant la Communauté l' article 179 du traité n' en exclut pas la Banque" (points 16 et 17).

Il semble certain, pour la même raison, que l' existence de l' article 180 du traité n' exclut pas non plus que la Banque puisse être visée par la compétence que la Cour de justice détient au titre des dispositions combinées des articles 178 et 215, deuxième alinéa.

La Cour de justice a d' ailleurs fondé sa compétence pour statuer en vertu de l' article 179 sur les litiges opposant la Banque à ses agents sur le fait que le personnel de la Banque était placé, par l' article 22 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, dans une situation juridique identique à celle du personnel des institutions de la Communauté.

L' arrêt, qui est manifestement correct, montre que la Cour de justice est prête à appliquer également à la Banque les dispositions attributives de compétence du traité, en tout cas lorsque la situation de la Banque et des institutions communautaires est comparable en ce qui concerne les aspects pertinents.

Il importe également de relever que la Cour de justice a souligné dans l' affaire Mills que la Banque était un organisme communautaire, tout en mettant en exergue la distinction que le traité établit entre les institutions de la Communauté, d' une part, et la Banque, d' autre part. La Cour de justice a déclaré au point 14:

"attendu qu' il y a donc lieu de conclure que, par les termes 'tout litige entre la Communauté et ses agents' , l' article 179 ne se limite pas aux seules institutions de la Communauté et leur personnel, mais comprend également la Banque en tant qu' organisme communautaire institué et revêtu de personnalité juridique par le traité" (6).

Il y a peut-être lieu à ce stade de mentionner le fait que les dispositions qui confèrent de manière certaine à la Cour de justice compétence pour connaître des affaires à laquelle la Banque est partie, c' est-à-dire les articles 179 et 180, concernent des litiges qui portent sur des situations internes à la Communauté. La présente espèce est la première dans laquelle la Cour de justice doit se prononcer sur le point de savoir si des actions peuvent être intentées devant la Cour de justice contre la
Banque en ce qui concerne les relations externes de cette dernière, c' est-à-dire ses relations avec des personnes physiques et morales qui ne font pas partie du système organisationnel de la Communauté.

11. Dans son arrêt du 3 mars 1988, Commission/BEI (7), la Cour de justice a eu l' occasion d' analyser la position occupée par la Banque dans le système organisationnel et fonctionnel du traité. L' affaire portait sur le point de savoir dans quelle mesure l' impôt payé par le personnel de la Banque était perçu au profit de la Banque ou au profit de la Communauté. Il ne faisait guère de doute que les dispositions en question concernant l' impôt étaient à interpréter en ce sens que l' impôt devait
revenir à la Communauté. Mais la Banque a fait valoir à l' encontre de cette interprétation

"... qu' elle n' est ni une institution ni un service des Communautés, mais qu' elle jouit à l' égard de celles-ci d' une place autonome de par son statut juridique, sa composition et sa structure institutionnelle ainsi que par la nature et l' origine de ses ressources, qui ne doivent rien au budget des Communautés" (point 27).

La Cour a notamment déclaré à ce sujet:

"Il est vrai que la Banque est dotée, en vertu de l' article 129 du traité, d' une personnalité juridique distincte de celle de la Communauté et qu' elle est administrée et gérée par ses propres organes selon les règles de son statut. Pour s' acquitter des tâches qui lui sont confiées par l' article 130 du traité, la Banque doit être en mesure d' agir en toute indépendance sur les marchés financiers, à l' instar de toute autre banque. En effet, le financement de la Banque n' est pas assuré par un
budget, mais par ses ressources propres, notamment par le capital versé par les États membres, d' une part, et par des fonds empruntés sur les marchés financiers, d' autre part. Enfin, la Banque établit un bilan annuel ainsi qu' un compte de pertes et profits, qui sont vérifiés chaque année par un comité nommé par le conseil des gouverneurs.

Toutefois, la reconnaissance à la Banque d' une telle autonomie fonctionnelle et institutionnelle n' a pas pour conséquence de la détacher totalement des Communautés et de l' exempter de toute règle du droit communautaire. En effet, il ressort notamment de l' article 130 du traité que la Banque est destinée à contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté et qu' elle s' inscrit donc, en vertu du traité, dans le cadre communautaire.

La position de la Banque est dès lors ambivalente en ce sens qu' elle est caractérisée par une indépendance quant à la gestion de ses affaires, notamment dans le domaine des opérations financières, d' une part, et par un lien étroit avec la Communauté quant à ses objectifs, d' autre part. Il est tout à fait compatible avec ce caractère ambivalent que les dispositions généralement applicables à l' imposition du personnel au niveau communautaire soient également valables pour le personnel de la
Banque. Cette constatation est notamment vraie à l' égard de la règle selon laquelle l' impôt litigieux est perçu au projet du budget des Communautés. En effet, cette affectation n' est pas susceptible, contrairement aux allégations du conseil des gouverneurs, de mettre en cause l' autonomie fonctionnelle et la réputation de la Banque en tant qu' organisme indépendant sur les marchés financiers, dès lors que le capital et la gestion même de la Banque n' en sont pas affectés" (points 28 à 30).

Le fait que la Cour de justice indique, dans ces motifs, que la position de la Banque dans le système du traité est ambivalente est important. Il est incontestable qu' il ressort du traité, et notamment de l' article 130 de celui-ci, que la Banque est destinée à contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté et qu' elle s' inscrit donc dans le cadre communautaire, et il est tout aussi incontestable que la Banque est dotée, en vertu de l' article 129 du traité, d' une personnalité
juridique distincte de celle de la Communauté, dont la personnalité juridique découle de l' article 210 du traité. La Cour de justice indique que la personnalité juridique distincte de la Banque s' explique par la nécessité de permettre à la Banque d' agir en toute indépendance, à l' instar de toute autre banque, sur les marchés financiers, pour qu' elle puisse s' acquitter des tâches qui lui sont confiées par l' article 130 du traité. Le raisonnement de la Cour montre que, en interprétant les
dispositions communautaires concernées, elle attache de l' importance à la question de savoir si l' application de ces règles à la Banque peut porter préjudice à l' autonomie financière de la Banque ou à sa réputation d' organe indépendant sur les marchés financiers.

12. Les deux arrêts fournissent dès lors un apport important, mais non déterminant à l' interprétation de l' article 215, deuxième alinéa, en cause en l' espèce.

13. Le premier élément important pour l' interprétation est que la Cour de justice a considéré la Banque comme un organisme communautaire. Cela implique à notre sens que la personnalité juridique distincte de la Banque ne s' oppose pas en elle-même à une interprétation de l' article 215, deuxième alinéa, selon laquelle la Banque peut faire jouer la responsabilité de la Communauté - avec la limite évidente que la mise en oeuvre concrète de la responsabilité, c' est-à-dire le paiement d' éventuels
dommages-intérêts, doit être effectuée sur les fonds propres de la Banque et non sur le budget de la Communauté.

14. Il est plus problématique de surmonter la difficulté qui réside dans le fait que la Communauté, d' après la lettre de l' article 215, deuxième alinéa, n' est responsable que des dommages causés par ses institutions ou ses agents (8). Comme nous l' avons indiqué, dans l' affaire Mills, la Cour de justice est partie du principe, à juste titre à notre avis, que la Banque n' était pas une institution de la Communauté. L' énumération des institutions de la Communauté à l' article 4 du traité n'
inclut pas la Banque et elle n' est d' ailleurs pas non plus mentionnée à l' heure actuelle dans la cinquième partie du traité sur les institutions de la Communauté. Les dispositions fondamentales relatives à la Banque figurent aux articles 129 et 130 dans le titre IV de la troisième partie du traité, qui traite de la politique de la Communauté. Cette distinction entre la Banque, d' une part, et les institutions de la Communauté, d' autre part, est une conséquence naturelle de la position
particulière de la Banque dans le système organisationnel du traité, qui est mise en évidence par sa personnalité juridique distincte. Cette situation n' est pas remise en cause par les modifications du traité qui ont été décidées dans le traité sur l' Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992. Certes, les dispositions introductives du traité sont complétées par une nouvelle disposition à l' article 4 B, selon lequel il est institué une Banque européenne d' investissement, et les
articles 129 et 130 du traité sont transférés dans la cinquième partie du traité, relative aux institutions de la Communauté. Mais la Banque n' est toujours pas qualifiée d' institution de la Communauté au sens de l' article 4 et l' inclusion de la Banque dans la cinquième partie du traité a lieu dans un chapitre 5 séparé, distinct du chapitre 1, qui concerne les institutions de la Communauté.

Par conséquent, la Banque ne peut pas être considérée comme une des institutions de la Communauté, au sens où cette notion est définie à l' article 4 du traité, et il est tout naturel de supposer que c' est cette notion qui a également été utilisée à l' article 215, deuxième alinéa (9).

Cependant, il n' est pas exclu, à notre avis, que l' article 215, deuxième alinéa, soit susceptible d' une interprétation extensive, selon laquelle la Banque serait assimilée aux institutions de la Communauté pour les besoins de l' application de la disposition. Les dispositions du traité relatives à la compétence de la Cour de justice ont dans une certaine mesure, limitée, été interprétées extensivement, lorsque la Cour de justice a jugé qu' il y avait des motifs sérieux de le faire (voir par
exemple l' arrêt du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (10)). En conséquence, nous estimons qu' une interprétation extensive de l' article 215, deuxième alinéa, serait justifiée s' il y a des raisons positives de traiter la Banque de la même façon que les institutions de la Communauté et s' il n' y a pas d' arguments pertinents contraires à une telle assimilation.

15. Avant de passer à l' examen de cette question, il nous faut mentionner un argument que la Banque a avancé pour démontrer qu' elle était visée par l' article 215, deuxième alinéa. Elle s' est référée au fait que la disposition suivante avait été insérée dans l' article 215, en tant que nouveau troisième alinéa, par le traité sur l' Union européenne:

"Le deuxième alinéa s' applique selon les mêmes conditions aux dommages causés par la Banque centrale européenne ou par ses agents dans l' exercice de leurs fonctions."

La Banque indique qu' il n' y a pas lieu de traiter différemment les deux banques pour ce qui est de l' article 215, deuxième alinéa, et qu' il est compréhensible que les États membres n' aient pas expressément mentionné la BEI dans le traité sur l' Union européenne, cette Banque ayant existé dès l' adoption du traité initial et la question de sa responsabilité extra contractuelle n' ayant jamais posé de problèmes auparavant (11).

Il est certain selon nous qu' on ne peut en tout état de cause pas tirer argument de la nouvelle disposition pour soutenir que la BEI relève de la compétence de la Cour en vertu de l' article 215, deuxième alinéa. Le nouveau traité insère de nouvelles dispositions dans le traité CEE, intitulées articles 4 A et 4 B, selon lesquelles il est institué une Banque centrale européenne et une Banque européenne d' investissement respectivement, qui agiront dans les limites des attributions qui leur sont
conférées par le traité et leurs statuts. Les deux banques ne figurent pas dans l' énumération des institutions de la Communauté, qui se trouve toujours à l' article 4. Cet état de fait explique vraisemblablement pourquoi on a estimé nécessaire de mentionner expressément la Banque centrale à l' article 215. Il est significatif que les deux banques, qui sont traitées de façon parallèle dans les dispositions introductives du traité, ne sont pas traitées de façon parallèle dans l' article 215. Il est
possible que la raison de cette façon de faire soit celle que la Banque avance. Mais l' explication peut également en être que les motifs qui ont conduit à assimiler la Banque centrale européenne aux institutions de la Communauté en matière de responsabilité extra contractuelle n' ont pas joué pour la Banque européenne d' investissement, si bien qu' on a jugé bon de traiter les deux banques de façon différente dans le contexte de l' article 215. La Banque centrale européenne s' est vu confier dans
le nouveau traité des tâches et des attributions qui, en raison de leur caractère de droit public, ont rendu nécessaire l' inclusion de la Banque centrale dans les règles du traité sur la compétence de la Cour de justice (voir les modifications des articles 173, 175, 177 et 180 du traité) et qui font qu' il est naturel d' assimiler la Banque centrale aux institutions de la Communauté en matière de responsabilité extra contractuelle. Le nouveau traité ne modifie pas les tâches de la Banque européenne
d' investissement, qui n' impliquent pas, ou seulement dans une faible mesure, l' exercice d' attributions de droit public au sens étroit.

Même si on peut se demander dans quelle mesure il est justifié d' interpréter des règles existantes à la lumière d' un nouveau traité, qui n' est pas encore ratifié, on peut en tout cas constater que, du point de vue de la technique législative, il n' est pas très rationnel d' inclure uniquement une disposition relative à la Banque centrale dans l' article 215 si on veut que cette disposition vise également la BEI. Si l' article 215, deuxième alinéa, doit être interprété comme le soutient la BEI, il
aurait en tout état de cause été souhaitable et rationnel de traiter les deux banques de la même façon, et ce également du point de vue formel, lors de la rédaction de l' article 215.

Quoiqu' il en soit, nous estimons cependant que les éléments d' interprétation qu' on pourrait tirer de la nouvelle disposition figurant à l' article 215 en ce qui concerne la Banque centrale sont si vagues qu' on ne saurait considérer qu' ils sont déterminants pour l' interprétation de la disposition existante à l' égard de la BEI.

16. A notre avis, ce qui demeure déterminant pour cette interprétation, c' est, comme nous l' avons indiqué plus haut, la question de savoir si, en s' appuyant sur des considérations de fond découlant des tâches de la Banque et de sa position dans le système organisationnel du traité, il y a des raisons positives de faire relever la Banque de la compétence de la Cour au titre de l' article 215, deuxième alinéa, et de savoir si on peut avancer des arguments pertinents allant à l' encontre d' une
telle solution.

17. La Banque a fait valoir avec force qu' une réponse affirmative à la question constituerait la meilleure garantie de son indépendance et est par ailleurs souhaitable, car cela permettrait, dans l' intérêt de la sécurité juridique, une appréciation uniforme du comportement de la Banque et, partant, une prise en compte suffisante du fait que la Banque agit en tant qu' organisme communautaire dans le cadre de la réalisation des objectifs de la Communauté.

Comme nous l' avons indiqué, la Cour de justice s' est attachée, dans l' affaire Commission/BEI, précitée, au fait de savoir si l' acceptation des conclusions de la Commission serait "susceptible ... de mettre en cause l' autonomie fonctionnelle et la réputation de la Banque en tant qu' organisme indépendant sur les marchés financiers". Il est difficile d' imaginer que quelqu' un puisse soutenir que l' autonomie ou la réputation de la Banque pourraient être mises en cause si les actions en
responsabilité non contractuelle intentées contre la Banque devaient être portées devant la Cour de justice.

Il nous semble également qu' il y a de bonnes raisons d' admettre les autres arguments de la Banque, selon lesquels il peut être opportun d' attribuer à la Cour de justice la compétence pour statuer sur toutes les affaires en responsabilité non contractuelle.

18. Mais cela n' est pas nécessairement décisif pour la solution du problème. On ne peut pas exclure que le statut particulier de la Banque dans le système organisationnel de la Communauté a pu avoir des motifs différents et d' une plus grande portée que ceux que nous venons d' évoquer ou qu' il peut y avoir des arguments qui militent en faveur de la compétence des juridictions nationales.

La Cour de justice a relevé, dans les points précités de l' arrêt Commission/BEI, que, "à l' instar de toute autre banque", la Banque devait être en mesure d' agir en toute indépendance sur les marchés financiers. Les raisons en sont développées dans les conclusions présentées par l' avocat général M. Mancini dans cette affaire. L' avocat général M. Mancini a déclaré au point 11 de ses conclusions:

"La réponse (à la question de savoir pourquoi la législation originaire a conféré à la BEI la personnalité juridique et l' autonomie financière) n' est pas difficile. Entre l' hypothèse, avancée à la conférence de Messine, de confier la promotion des investissements en Europe à un fonds spécial et la proposition de poursuivre cet objectif par la création d' une véritable banque, cette dernière a prévalu pour toute une série de raisons: ainsi, la résistance des États riches sur lesquels reposerait de
façon prépondérante la charge de financer le fonds, la sphère - bien plus ample que dans le cas de la CECA - des missions assumées par la nouvelle Communauté et la volonté de parvenir à une solution calquée sur des précédents internationaux (on pense à la Banque pour la reconstruction et le développement). Toutefois, après que le choix se fut porté sur l' option BEI, faire de cette entité un sujet doté de la capacité d' agir correspondait à une démarche évidente et en quelque sorte obligatoire, ne
serait-ce que pour mettre le nouvel organisme en mesure d' opérer à l' intérieur des divers États membres comme n' importe quel autre institut de crédit."

La mention de la Banque pour la reconstruction et le développement (la Banque mondiale) est intéressante, surtout si on tient compte du fait, mentionné plus haut, qu' on peut intenter des actions en matière de responsabilité tant contractuelle qu' extra contractuelle contre cette Banque devant des juridictions nationales. Il semble naturel de supposer qu' on a entendu réserver à la BEI le même traitement qu' aux autres instituts de crédit, et ce également d' un point de vue procédural.

A cela s' ajoute qu' il semble moins nécessaire d' attribuer à la Cour de justice la compétence de statuer sur les litiges concernant un comportement délictueux de la Banque. La principale raison pour laquelle on a confié à la Cour de justice cette compétence pour les institutions de la Communauté réside probablement dans le fait qu' une appréciation juridique uniforme de ces actes juridiques est nécessaire eu égard à leur caractère de droit public (12). L' action de la BEI, conformément aux tâches
qui lui sont confiées, s' exerce surtout dans le domaine du droit privé, dans lequel il n' y a pas le même besoin d' une appréciation juridique uniforme de ses actes par la Cour de justice à la lumière des considérations particulières qui s' appliquent au sein de l' ordre juridique communautaire.

19. Enfin, on ne saurait négliger le fait que l' intérêt de la victime peut justifier qu' on fasse relever de la compétence des juridictions nationales les affaires concernant la responsabilité extra contractuelle de la Banque. Toutes choses étant égales par ailleurs, la victime peut avoir un intérêt légitime à pouvoir attraire l' auteur du délit devant les tribunaux du lieu où le fait dommageable s' est produit.

20. Au regard de ce qui précède, il nous semble douteux qu' il existe des raisons suffisamment impérieuses d' interpréter extensivement l' article 215, deuxième alinéa, pour ce qui est de la Banque.

En revanche, il est selon nous à la fois possible et opportun que la Cour de justice ne prenne pas position sur cette question de principe.

Possible, car la présente espèce peut être considérée comme recevable eu égard au cadre juridique particulier, au sein du droit communautaire, dans lequel la Banque a agi en ce qui concerne le prêt au Mali.

Opportun, car on peut difficilement exclure tout à fait que de nouvelles considérations sur la question s' ajoutent à celles sur la base desquelles la Cour doit prendre sa décision, et ce dans le cadre d' une nouvelle affaire dans laquelle la question de principe devrait nécessairement être tranchée - ce qui pourrait avoir lieu dans le cadre d' une question préjudicielle posée par une juridiction nationale devant laquelle une action en responsabilité contre la Banque aurait été portée. A cela s'
ajoute qu' on ne saurait pas davantage négliger tout à fait la possibilité que la question soit expressément résolue dans le cadre d' une révision ultérieure du traité, ce qui serait souhaitable notamment si on considère la disposition expresse relative à la Banque centrale à l' article 215 (13).

La Banque a agi en l' espèce "pour le compte de la Communauté "

Il a été soutenu, notamment par la Commission, mais aussi, directement ou indirectement, par les parties à l' instance, que l' article 215, deuxième alinéa, est en tout état de cause applicable en l' espèce, si on considère le cadre juridique particulier dans lequel la Banque a agi.

21. La Banque a agi sur le fondement de règles fixées, en premier lieu, dans la convention de Lomé (14), en second lieu, dans un accord interne relatif au financement et à la gestion des aides de la Communauté (15) et, en troisième lieu, dans le règlement financier applicable au sixième Fonds européen de développement (16). L' aide qui est fournie entre autres sous la forme du prêt de capitaux à risques est fournie sur les fonds de la Communauté. Les règles précitées prévoient une répartition des
compétences entre la Commission et la Banque en ce qui concerne la gestion de l' aide. Les prêts faisant l' objet du contrat de financement considéré en l' espèce concernaient des capitaux à risques et il résulte des dispositions pertinentes que de tels prêts sont gérés par la Banque pour le compte de la Communauté (17). Il ressort d' ailleurs expressément du contrat de financement qu' il a été conclu entre la république du Mali et la BEI "agissant au présent contrat pour le compte de la Communauté
Économique Européenne". Il ressort des articles 22 et 23 de l' accord interne que la Banque gère le financement par capitaux à risques en coopération étroite avec un comité composé de représentants des gouvernements des États membres.

Il résulte des règles de la convention de Lomé sur la coopération financière et technique que, à défaut de convention contraire dans des cas particuliers, la Banque est soumise aux mêmes règles que la Commission (voir à ce sujet l' article 193, paragraphe 10, de la convention). Tant la Banque que la Commission doivent par exemple veiller à ce que soit assurée l' élimination des discriminations dans le dossier d' appel d' offres et à ce que l' offre économiquement la plus avantageuse soit choisie
(voir les articles 226 et 236, paragraphe 1, de la convention).

22. Au vu de ce qui précède, il y a de bonnes raisons de soutenir qu' il y a lieu d' assimiler en l' espèce la Banque aux institutions de la Communauté en ce qui concerne l' article 215, deuxième alinéa. La Banque prête des fonds de la Communauté. La Banque gère les fonds pour le compte de la Communauté, ce qui est d' ailleurs clairement indiqué au monde extérieur. La Banque les gère sur le fondement des règles du droit communautaire, si bien que ses pouvoirs propres de décision sont limités par
rapport aux pouvoirs dont elle dispose lorsqu' elle prête sur ses propres fonds sur le fondement du traité CEE. A cela s' ajoute que la Commission et la Banque agissent dans ce secteur sur le fondement d' une réglementation identique pour l' essentiel et qu' il est donc particulièrement opportun que la Cour de justice connaisse des actions en responsabilité non contractuelle intentées non seulement contre la Commission, mais aussi contre la Banque. Nous estimons que ces éléments imposent d'
assimiler la Banque aux institutions de la Communauté dans le domaine considéré, aux fins de l' application de l' article 215, deuxième alinéa (18). Il convient, dès lors, que la Cour de justice conclue à la recevabilité de la présente affaire au titre de l' article 215, deuxième alinéa. Même si la Banque gère des fonds de la Communauté et même si elle agit pour le compte de la Communauté, il est à notre avis à la fois nécessaire et possible d' interpréter l' article 215, deuxième alinéa, en ce sens
que la Banque, si elle était condamnée à des dommages-intérêts, devrait payer cette indemnisation sur ses propres fonds.

23. Le litige doit être tranché au fond par la sixième chambre, les parties ayant développé leurs points de vue sur cette question devant cette chambre lors de l' audience du 23 octobre 1991.

Conclusions

24. En conséquence, nous proposons à la Cour de justice de constater qu' elle est compétente pour trancher la présente affaire au fond en application des dispositions combinées des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE.

(*) Langue originale: le danois.

(1) Parmi les auteurs qui ont pris position sur le problème, la majorité estime que la Banque n' est pas visée par l' article 215, deuxième alinéa, voir par exemple Wohlfarth, dans Wohlfarth et autres: Die Europaeische Wirtschaftsgemeinschaft, 1960, p. 566, ainsi que Grabitz dans son commentaire du traité, note 20 in fine sur l' article 215. Dans le Kommentar zum EGW-Vertrag, 1983, publié sous la direction de Groeben, Gilsdorf fait valoir que la Cour de justice n' est pas compétente, mais que les
juridictions nationales compétentes doivent appliquer les principes généraux communs, au sens de l' article 215, à la responsabilité de la Banque, voir note 19 sur l' article 215. Certains auteurs estiment qu' il y a lieu d' interpréter l' article 215, deuxième alinéa, en ce sens que la Banque est visée par la disposition, voir par exemple Hilf: Die Organisationsstruktur der Europaeischen Gemeinschaften, 1982, p. 41, et Henrion dans Les Novelles, Droit des Communautés européennes, 1969, p. 971.

(2) En vertu de l' article 29 de ses statuts, la Banque doit élire domicile dans chacun des États membres.

Le droit pour le requérant de choisir, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, entre le tribunal du domicile du défendeur et le tribunal du lieu où le fait dommageable s' est produit résulte, on le sait, de la convention concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale (convention de Bruxelles, voir JO 1990, C 189, p. 2).

(3) Voir notamment Duffar, J.: Contribution à l' étude des privilèges et immunités des organisations internationales, 1982, p. 59 à 68; Bowett, D. W.: The law of international institutions, 1982, p. 345 à 353, et Lavalle, R.: La banque mondiale et ses filiales, 1972, p. 118 et 119.

(4) L' article VII, section 3, de l' accord relatif à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Recueil des traités des Nations unies, vol. 2, 1947, p. 135 et suiv.) dispose:

"Il ne pourra être intenté d' action en justice contre la Banque que devant un tribunal dont la compétence s' étend aux territoires d' un État membre dans lesquels elle possède un bureau ou dans lesquels elle a nommé un agent aux fins de recevoir les assignations ou significations d' ordre judiciaire ou dans lesquels elle a émis ou garanti des valeurs. Toutefois, aucune action en justice ne pourra être intentée par des États membres ou par des personnes agissant pour le compte desdits États en
faisant valoir des droits qu' ils tiennent de ceux-ci ..."

L' article 46 de l' accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (l' accord est annexé à la décision 674/90/CEE du Conseil, du 19 novembre 1990, concernant la conclusion de cet accord, voir JO L 372, p. 1) dispose:

"Il ne peut être intenté d' action en justice contre la Banque que devant un tribunal compétent sur le territoire d' un pays où celle-ci possède un bureau ou a nommé un agent aux fins de recevoir toute assignation en justice ou sommation, ou a émis et garanti des titres. Aucune action en justice ne peut cependant être intentée contre la Banque par des membres ou par des personnes agissant pour le compte desdits membres, ou détenant d' eux des créances ..."

(5) 110/75, Rec. p. 955.

(6) La langue de procédure dans l' affaire Mills était le français. L' expression "la Banque en tant qu' organisme communautaire" a été traduite, de façon quelque peu malheureuse, dans la version anglaise de l' arrêt, par "the Bank as a Community institution". Cependant, dans l' arrêt, évoqué ci-après, 85/86, Commission/BEI, qui reproduit au point 24 le point précité de l' arrêt Mills, cette traduction a été modifiée et remplacée par "the Bank as a Community body".

(7) 85/86, Rec. p. 1281.

(8) La Banque a fait valoir que l' article 215, deuxième alinéa, devait pouvoir lui être appliqué, même si elle n' était pas à considérer comme une des institutions de la Communauté. Elle a fait valoir qu' elle était en tout état de cause visée par la notion d' "agents de la Communauté". Nous n' estimons pas qu' il y ait lieu d' examiner plus avant cet argument. A notre avis, il est clair que la question cruciale consiste à savoir si la Banque est une des institutions de la Communauté, au sens de l'
article 215, deuxième alinéa, ou si elle peut être assimilée aux institutions.

(9) Peu importe à notre avis qu' on puisse invoquer des cas d' assimilation expresse de la Banque aux institutions de la Communauté. A titre d' exemple, on peut citer l' assimilation de la Banque aux institutions de la Communauté dans le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, précité. On peut également citer l' assimilation de la Banque aux institutions de la Communauté à l' article 1er du règlement de procédure de la Cour de justice. Ces exemples, et d' autres
encore, montrent qu' il a été estimé opportun de procéder à l' assimilation dans un certain nombre d' hypothèses. Mais on ne peut pas en déduire qu' une telle assimilation serait correcte dans tous les cas. Il est peut-être même possible de faire valoir que ces exemples - si tant est qu' ils soient pertinents en l' espèce - confirment d' une part la distinction entre la Banque et les institutions de la Communauté et montrent d' autre part qu' on a considéré qu' il était nécessaire d' énoncer
expressément qu' il y avait lieu de traiter la Banque de la même façon que les institutions de la Communauté dans les hypothèses considérées.

(10) C-70/88, Rec. p. I-2041.

(11) La Banque a également fait valoir qu' il est expressément prévu, à l' article 9 des statuts du Fonds européen de coopération monétaire, qui a été institué en 1973 par le règlement (CEE) n 907/73 du Conseil, du 3 avril 1973 (JO 1973, L 89, p. 2) et doté d' une personnalité juridique distincte, que l' article 215, deuxième alinéa, s' applique à la responsabilité non contractuelle du Fonds. La Banque fait valoir que le Conseil ne peut attribuer de nouvelles compétences à la Cour et que le Conseil
a, dès lors, nécessairement interprété l' article 215, deuxième alinéa, comme visant déjà le Fonds monétaire. Cet argument n' est pas défendable, ne serait-ce que parce qu' il repose sur une prémisse erronée. La pratique du Conseil montre que la Cour de justice se voit attribuer de nouvelles compétences sans modification du traité. Cette pratique a été considérée comme licite par la Cour de justice dans un autre contexte, dans son avis du 14 décembre 1991 concernant le projet d' accord portant sur
la création de l' Espace économique européen, point 59 (C-1/91, Rec. p. I-6079).

(12) En règle générale, on explique de la façon suivante le traitement différent, à l' article 215, des actions en responsabilité contractuelle et des actions en responsabilité non contractuelle:

"Généralement, les organisations internationales jouissent de l' immunité de juridiction dans les États membres. Cette immunité a pour objet de garantir leur indépendance. Pour sa part, la CEE ne jouit pas d' une immunité complète: en ce qui concerne ses relations contractuelles, elle peut être attraite devant les tribunaux des États membres. Les systèmes nationaux de la responsabilité contractuelle sont suffisamment semblables pour que des différences considérables de traitement ne soient pas à
craindre. Il n' existerait donc pas de raison majeure pour priver les juridictions nationales de leur juridiction dans ce domaine. En revanche, les litiges en matière de responsabilité délictuelle mettent en cause de manière beaucoup plus directe la politique de la Communauté, puisqu' ils impliquent un jugement sur le caractère illicite ou fautif du comportement qui est à leur origine. Il était dès lors logique de soustraire ces litiges à la compétence des juridictions nationales pour les soumettre
à celle de la Cour de justice." Voir Mégret, J., et autres: Le droit de la Communauté économique européenne, 1983, volume 10, p. 266. Voir, dans le même sens, Schermers, H. G.: Judicial Protection in the European Communities, 1983, p. 287 et suiv.

(13) Si on devait souhaiter établir la compétence de la Cour de justice au titre de l' article 215, deuxième alinéa, on pourrait apporter à la disposition une modification comparable à celle qui a été faite en ce qui concerne la Banque centrale. Si on devait souhaiter énoncer la solution contraire, on pourrait y parvenir en clarifiant l' article 29 des statuts de la Banque.

(14) JO 1986, L 86, p. 3.

(15) JO 1986, L 86, p. 210.

(16) JO 1986, L 325, p. 42.

(17) L' article 10 de l' accord interne relatif au financement et à la gestion des aides de la Communauté dispose que le prêt de capitaux à risques est géré "par la Banque, pour le compte de la Communauté, conformément à ses statuts et selon les modalités fixées par le règlement financier visé à l' article 28".

L' article 14, paragraphe 2, de l' accord dispose: "La Banque assure, pour le compte de la Communauté, l' exécution financière des opérations effectuées sur les ressources du Fonds sous la forme de capitaux à risques. Dans ce cadre, la Banque agit au nom et aux risques de la Communauté. Celle-ci est titulaire de tous les droits qui en découlent, notamment à titre de créancier ou propriétaire".

(18) Selon nous, il n' est pas décisif qu' il y ait des dispositions, parmi lesquelles l' article 52, paragraphe 2, du règlement financier précité, qui disposent expressément que la Banque agit "comme mandataire de la Communauté". Il n' y a pas lieu de s' attacher en l' espèce au fait que la Banque peut être qualifiée de mandataire de la Communauté au sens étroit. D' une part, il nous semble douteux qu' il soit adéquat d' utiliser le régime de droit privé du mandat pour qualifier les relations entre
la Banque et la Communauté dans le domaine considéré et, d' autre part, il nous semble douteux qu' une telle relation de mandataire fonde en elle-même l' application de l' article 215, deuxième alinéa.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-370/89
Date de la décision : 02/06/1992
Type de recours : Recours en responsabilité - décision interlocutoire

Analyses

Marché de travaux publics dans un État ACP - Cofinancement par la BEI - Responsabilité non contractuelle à l'égard d'un soumissionnaire non retenu - Compétence de la Cour.

Fonds européen de développement (FED)

Relations extérieures

Dispositions institutionnelles

Responsabilité non contractuelle

Marchés publics de l'Union européenne


Parties
Demandeurs : Société générale d'entreprises électro-mécaniques SA (SGEEM) et Roland Etroy
Défendeurs : Banque européenne d'investissement.

Composition du Tribunal
Avocat général : Gulmann
Rapporteur ?: Murray

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1992:234

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