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20/05/1992 | CJUE | N°C-271/90,

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 20 mai 1992., Royaume d'Espagne, Royaume de Belgique et République italienne contre Commission des Communautés européennes., 20/05/1992, C-271/90,


Avis juridique important

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61990C0271

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 20 mai 1992. - Royaume d'Espagne, Royaume de Belgique et République italienne contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence dans les marchés des services de télécommunications. - Affaires jointes C-271/90, C

-281/90 et C-289/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-05833
éditi...

Avis juridique important

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61990C0271

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 20 mai 1992. - Royaume d'Espagne, Royaume de Belgique et République italienne contre Commission des Communautés européennes. - Concurrence dans les marchés des services de télécommunications. - Affaires jointes C-271/90, C-281/90 et C-289/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-05833
édition spéciale suédoise page I-00175
édition spéciale finnoise page I-00177

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans les présentes affaires, les requérants concluent à l' annulation, conformément à l' article 173 du traité CEE, de la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications (JO L 192, p. 10). Les requérants sont, dans l' affaire C-271/90, l' Espagne, dans l' affaire C-281/90, la Belgique et, dans l' affaire C-289/90, l' Italie. Dans l' affaire C-271/90, la France est intervenue au soutien de la partie requérante.
Lorsque nous nous référerons, dans les développements qui suivent, aux requérants, ce terme est à considérer comme englobant la France. Les trois affaires étant connexes, le président de la Cour a ordonné le 21 novembre 1991 leur jonction aux fins de la procédure orale et de l' arrêt.

2. Le problème fondamental dans chaque affaire est l' étendue des pouvoirs conférés à la Commission par l' article 90, paragraphe 3, du traité, en vertu duquel la directive 90/388 a été adoptée. L' article 90 dispose comme suit:

"1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n' édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 7 et 85 à 94 inclus.

2. Les entreprises chargées de la gestion de services d' intérêt économique général ou présentant le caractère d' un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l' application de ces règles ne fait pas échec à l' accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l' intérêt de la Communauté.

3. La Commission veille à l' application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres."

La directive 90/388

3. La directive 90/388 (ci-après "directive sur les services") s' inscrit dans la ligne des initiatives prises par la Commission pour promouvoir le développement du marché commun des services et équipements des télécommunications: voir à ce sujet le livre vert de la Commission du 30 juin 1987 ((COM(87) 290)) et son document du 9 février 1988 sur la mise en application de ce livre vert ((COM(88) 48)). Dans ses "Lignes directrices concernant l' application des règles de concurrence de la Communauté au
secteur des télécommunications" (JO 1991, C 233, p. 2), la Commission a affirmé qu' un des objectifs politiques majeurs de la Communauté "doit être le développement de réseaux et de services efficaces à l' échelle européenne, au coût le plus bas et de la meilleure qualité possible, afin de fournir au consommateur européen, dans le cadre du Marché unique de 1992, une infrastructure de base permettant une utilisation efficace". Elle a ajouté que "les opérateurs de télécommunications devraient être
autorisés et encouragés à établir les mécanismes de coopération nécessaires de façon à créer ou à garantir une interconnexion totale à l' échelle de la Communauté entre les réseaux publics et, au besoin, entre les services afin de permettre aux consommateurs européens de bénéficier d' une gamme plus large de services de télécommunications meilleurs et moins coûteux" (ibid.).

4. Ces objectifs bénéficient de l' appui général du Conseil: voir sa résolution du 30 juin 1988 (JO C 257, p. 1). En outre, les États membres ont convenu à Maastricht que, dans le domaine des télécommunications notamment, et "Dans le cadre d' un système de marchés ouverts et concurrentiels, l' action de la Communauté vise à favoriser l' interconnexion et l' interopérabilité des réseaux nationaux ainsi que l' accès à ces réseaux": voir le nouvel article 129 B, qui est destiné à être ajouté au traité
CEE.

5. Les "Lignes directrices" de la Commission visent essentiellement, aux termes du paragraphe 12, l' "application des règles de concurrence aux entreprises, c' est-à-dire des articles 85 et 86 du traité". Ce paragraphe poursuit en expliquant que les "Lignes directrices" ne se rapportent pas aux règles de concurrence "qui sont applicables aux États membres, et plus particulièrement les articles 5 et 90, paragraphes 1 et 3. Les principes qui régissent l' application de cet article aux
télécommunications sont définis dans les directives adoptées par la Commission conformément à l' article 90, paragraphe 3, pour la mise en oeuvre du Livre vert". Les "Lignes directrices" mentionnent deux de ces directives, l' une des deux étant la directive sur les services, dont la validité est contestée par les requérants en l' espèce.

6. Pour tenter de clarifier le raisonnement qui a présidé à l' adoption de la directive sur les services, la Commission explique dans ses mémoires que, à l' origine, seul l' exploitant d' un réseau de télécommunications offrait des services consistant en la transmission de signaux sur ce réseau. Toutefois, l' évolution technologique et commerciale a entraîné une augmentation du nombre des services qui peuvent être fournis par des entreprises distinctes de l' exploitant du réseau, au moyen d'
équipements connectés au réseau. Un exemple cité par la Commission est la distribution automatique de billets de banque. Ce service est fourni par des entreprises qui louent des lignes à un organisme de télécommunications pour connecter à leurs ordinateurs centraux des distributeurs automatiques de billets. Un autre exemple fourni par la Commission est le paiement électronique dans les points de vente. Lorsque ce système est employé, le paiement est effectué via un terminal connecté au réseau
téléphonique public. Le terminal lit magnétiquement une carte présentée par l' acheteur et transmet ensuite à l' ordinateur de l' établissement financier qui a émis la carte les informations relatives à l' acheteur et à l' achat effectué, par l' intermédiaire de lignes louées par cet établissement. Un autre exemple mentionné est la réservation de billets d' avion par ordinateur, qui suppose une ligne de télécommunications susceptible d' indiquer à l' opérateur quelles sont les places encore libres
sur tel ou tel vol. D' autres exemples fournis sont le télécontrôle des installations de production, le courrier électronique et le télé-achat.

7. Confrontée, d' une part, à cette évolution au plan technique et, d' autre part, au risque que l' existence dans les États membres d' organismes de télécommunications jouissant de droits spéciaux ou exclusifs en matière d' établissement de réseaux publics de télécommunications et de fourniture de services publics de télécommunications se traduise par un cloisonnement des marchés nationaux, la Commission a décidé qu' il était nécessaire de légiférer. Il était prévu que la législation envisagée
aurait deux volets principaux: en premier lieu, l' élimination rapide des infractions au droit communautaire dans le secteur des services de télécommunications et la prévention d' infractions futures; en second lieu, l' harmonisation des normes techniques applicables aux services de télécommunications. Le second de ces objectifs est poursuivi par la directive 90/387/CEE du Conseil, relative à l' établissement du marché intérieur des services de télécommunications par la mise en oeuvre de la
fourniture d' un réseau ouvert de télécommunications (JO L 192, p. 1), qui a été adoptée le même jour que la directive sur les services. Aux termes de l' article 1er, paragraphe 1, la directive 90/387 concerne l' "harmonisation des conditions d' accès et d' utilisation ouverts et efficaces en matière de réseaux publics de télécommunications et, le cas échéant, de services publics de télécommunications". La directive sur les services a pour but de contribuer à la réalisation du premier des deux
objectifs mentionnés. La Commission a estimé que les prestataires de services de télécommunications se heurtaient à un certain nombre d' obstacles dans toute la Communauté et qu' un acte de portée générale serait un moyen plus efficace et plus approprié de réaliser cet objectif que l' introduction de plusieurs procédures d' infraction contre les États membres concernés.

8. Le préambule à la directive sur les services comporte une explication détaillée du mal qu' elle a pour but de réparer. Selon le deuxième considérant, le droit d' établir et d' exploiter des réseaux de télécommunications dans les États membres et le droit de fournir les services y afférents sont généralement conférés à un ou plusieurs organismes de télécommunications qui détiennent des droits exclusifs ou spéciaux. Le quatrième considérant énonce que "tous les États membres ont soit adopté
eux-mêmes, soit permis aux organismes de télécommunications d' adopter des mesures administratives et réglementaires restreignant la libre prestation des services de télécommunications." De fait, selon le cinquième considérant, l' octroi de droits exclusifs ou spéciaux à des entreprises pour l' exploitation du réseau "restreint" (1) la prestation des services de télécommunications par d' autres entreprises au départ ou à destination d' autres États membres. Suivent quelques exemples de ce type de
restrictions, dont il est dit qu' elles sont en principe contraires à l' article 59 du traité, bien qu' il soit admis que certaines restrictions à la libre prestation des services puissent être justifiées. Lorsque tel n' est pas le cas, le douzième considérant énonce que "le maintien ou l' introduction de tout droit exclusif ou spécial ... constitue de ce fait une infraction à l' article 90 en liaison avec l' article 59".

9. Le préambule à la directive sur les services poursuit en exposant que des mesures doivent également être prises pour parer au risque que les organismes de télécommunications exploitent de façon abusive la position dominante pour l' établissement et l' exploitation du réseau dont ils jouissent du fait des droits spéciaux ou exclusifs qui leur ont été conférés par les États membres. De plus, selon le quinzième considérant, "lorsque les droits exclusifs ou spéciaux sont octroyés en matière de
services de télécommunications par l' État à des organismes qui disposent déjà d' une position dominante pour l' établissement et l' exploitation du réseau, ces droits ont pour effet de renforcer cette position dominante en l' étendant aux services". En conséquence, le dix-septième considérant énonce que "les droits exclusifs octroyés en matière de services de télécommunications aux entreprises publiques ou aux entreprises auxquelles les États membres ont accordé des droits spéciaux ou exclusifs
pour l' établissement du réseau de télécommunications sont incompatibles avec l' article 90, paragraphe 1, en liaison avec l' article 86". La Commission admet néanmoins que, comme dans le cas de l' article 59, certaines dérogations à l' article 86 du traité peuvent être justifiées dans le contexte de l' espèce.

10. Les principaux objectifs de la directive sur les services sont donc l' abolition des restrictions à la libre prestation des services imposées par les organismes de télécommunications auxquels les États membres ont accordé des droits spéciaux ou exclusifs et l' élimination des abus par ces organismes de la position dominante qu' ils détiendraient pour l' établissement et l' exploitation du réseau. Pour réaliser ces objectifs, la directive sur les services met certaines obligations spécifiques à
la charge des États membres, en ce qui concerne en particulier le rôle joué par les organismes de télécommunications dans la réglementation de la fourniture des services de télécommunications et en ce qui concerne les relations contractuelles entre ces entreprises et leurs clients.

11. Ainsi, le libellé du vingt-huitième considérant est le suivant:

"considérant que, généralement, les législations nationales attribuent à des organismes de télécommunications une fonction de réglementation des services de télécommunications concernant plus particulièrement l' attribution d' autorisations, le contrôle des agréments et des spécifications obligatoires d' interfaces, l' attribution des fréquences et la surveillance des conditions d' utilisation; que ces législations ne définissent parfois que des principes généraux pour l' exploitation des services
autorisés tout en laissant aux organismes de télécommunications le pouvoir de définir les conditions spécifiques d' application".

12. Selon le vingt-neuvième considérant:

"considérant que cette activité à la fois réglementaire et commerciale des organismes de télécommunications a une incidence directe sur l' activité des opérateurs économiques qui offrent des services de télécommunications en concurrence avec les organismes en question; que, en effet, par cette double activité, lesdits organismes déterminent ou, à tout le moins, influencent substantiellement la fourniture de services offerts par leurs concurrents; que le fait de déléguer à une entreprise qui dispose
d' une position dominante pour l' établissement et l' exploitation du réseau le pouvoir de réglementation de l' accès au marché des services de télécommunications constitue un renforcement de la position dominante que cette même entreprise détient sur ce marché; que ce fait, vu le conflit d' intérêts, est de nature à restreindre l' accès des concurrents au marché des services de télécommunications et à limiter la liberté de choix des utilisateurs ... que, dès lors, le cumul de ces activités
constitue un abus de position dominante des organismes de télécommunications en cause au sens de l' article 86 du traité; que, dans la mesure où ces comportements résultent d' une mesure instaurée par l' État, cette dernière est aussi incompatible avec l' article 90, paragraphe 1, en liaison avec l' article 86".

13. En outre, aux termes du trente-et-unième considérant:

"considérant que, pour la fourniture de services de télécommunications dorénavant ouverts à la concurrence, les détenteurs de droits exclusifs ou spéciaux en question ont, dans le passé, pu imposer à leurs clients des contrats de longue durée; que de tels contrats limiteraient de facto la possibilité pour de nouveaux concurrents éventuels d' offrir leurs services à ces clients et, pour ceux-ci, d' en bénéficier; que, dès lors, il doit être prévu que l' utilisateur puisse obtenir la résiliation de
son contrat dans un délai raisonnable".

14. Au trente-troisième considérant, la Commission explique comme suit le fait qu' elle ait eu recours à l' article 90, paragraphe 3, pour réaliser les objectifs de la directive sur les services:

"considérant que l' article 90, paragraphe 3, du traité impose des devoirs clairs et octroie des compétences bien définies à la Commission en ce qui concerne la surveillance des relations entre les États membres et leurs entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils ont octroyé des droits exclusifs ou spéciaux et, en particulier, en matière d' élimination des obstacles à la libre prestation des services, en matière de discriminations entre ressortissants des États membres et en matière de
concurrence; que, d' autre part, une approche globale s' impose pour mettre fin aux infractions qui persistent dans certains États membres et pour donner des indications claires aux États membres qui réexaminent leur législation afin d' éviter de nouvelles infractions; que, par conséquent, une directive au sens de l' article 90, paragraphe 3, du traité constitue le moyen le plus approprié à cette fin".

15. Les dispositions suivantes comptent au nombre des principales dispositions de la directive sur les services.

16. L' article 2, premier alinéa, impose aux États membres d' abolir les "droits exclusifs ou spéciaux pour la fourniture de services de télécommunications autres que le service de téléphonie vocale" et de prendre les "mesures nécessaires afin de garantir le droit de tout opérateur économique de fournir lesdits services de télécommunications".

17. En vertu de l' article 4, premier alinéa, "les États membres qui maintiennent des droits exclusifs ou spéciaux pour l' établissement et l' exploitation des réseaux publics de télécommunications prennent les mesures nécessaires pour rendre publiques, objectives et sans effets discriminatoires les conditions en vigueur pour l' accès aux réseaux".

18. L' article 6 impose notamment aux États membres d' abroger les restrictions existantes en ce qui concerne le traitement des signaux avant leur transmission sur le réseau public ou après leur réception, à moins que la nécessité de ces restrictions pour assurer le respect de l' ordre public ou des exigences essentielles ne soit démontrée (2). L' expression "exigences essentielles" est définie à l' article 1er, paragraphe 1, comme les "raisons d' intérêt général et de nature non économique qui
peuvent amener un État membre à limiter l' accès au réseau public de télécommunications ou aux services publics de télécommunications. Ces raisons sont la sécurité du fonctionnement du réseau, le maintien de son intégrité et, dans les cas où elles sont justifiées, l' interopérabilité des services et la protection des données".

19. L' article 7 impose aux États membres de veiller à ce que certaines fonctions administratives, techniques et de surveillance soient exercées par une entité qui est indépendante de tout organisme public ou privé auquel des droits spéciaux ou exclusifs ont été accordés pour l' établissement d' un réseau public de télécommunications ou la fourniture de services publics de télécommunications.

20. Aux termes de l' article 8:

"Les États membres assurent que les organismes de télécommunications donnent, à dater de l' abrogation des droits exclusifs ou spéciaux concernés, la possibilité à leurs clients, liés pour une durée supérieure à un an par un contrat de fourniture de services de télécommunications qui faisait au moment de sa conclusion l' objet de tels droits, de résilier celui-ci avec un préavis de six mois."

21. Enfin, les États membres sont tenus, en vertu de l' article 9, de communiquer à la Commission les informations nécessaires pour lui permettre d' établir des rapports réguliers sur l' application de la directive.

L' arrêt de la Cour C-202/88

22. En substance, l' argumentation des requérants consiste à soutenir que l' article 90, paragraphe 3, du traité ne conférait pas à la Commission le pouvoir d' adopter la directive sur les services. Cette prétention revêt plusieurs aspects, dont certains ont été abandonnés après l' arrêt de la Cour du 19 mars 1991, France/Commission (C-202/88, Rec. p. I-1223). Dans cette affaire, une contestation similaire avait été élevée par la France, soutenue par l' Italie, la Belgique, l' Allemagne et la Grèce,
quant à la validité de la seconde directive mentionnée dans les "Lignes directrices concernant l' application des règles de concurrence de la Communauté au secteur des télécommunications" de la Commission, précitées. La directive en question, qui a été adoptée plus de deux ans avant la directive sur les services, était la directive 88/301/CEE de la Commission, du 16 mai 1988, relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunication (JO L 131, p. 73). Comme la directive sur les
services, la directive 88/301 (ci-après "directive sur les terminaux") a été adoptée au titre de l' article 90, paragraphe 3, du traité. Ses principales dispositions, qui sont analogues à plusieurs égards à celles de la directive sur les services, sont les suivantes.

23. En vertu de l' article 2, les États membres qui octroient à des entreprises des droits spéciaux ou exclusifs d' importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service ou d' entretien d' appareils terminaux de télécommunications doivent assurer leur abolition et communiquer à la Commission les mesures prises à cet effet.

24. Aux termes de l' article 3, les États membres doivent assurer que "les opérateurs économiques ont le droit d' importer, de commercialiser, de raccorder, de mettre en service et d' entretenir les appareils terminaux". Les États membres sont toutefois autorisés, en l' absence de spécifications techniques, à refuser que soient raccordés et mis en service des appareils terminaux qui ne respectent pas certaines exigences et à exiger des opérateurs économiques une qualification technique appropriée
pour le raccordement, la mise en service et l' entretien d' appareils terminaux.

25. Conformément à l' article 6, les États membres doivent assurer qu' à partir du 1er juillet 1989 la formalisation des spécifications techniques et le contrôle de leur application ainsi que l' agrément sont effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens ou des services dans le domaine des télécommunications.

26. L' article 7 impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les contrats de location ou d' entretien d' appareils terminaux faisant l' objet de droits exclusifs ou spéciaux puissent être résiliés avec un préavis maximal d' un an.

27. En vertu de l' article 9, les États membres sont tenus de fournir à la Commission un rapport annuel lui permettant de constater si les articles 2, 3, 4, 6 et 7 sont respectés.

28. Dans l' affaire C-202/88, la requérante a invoqué un certain nombre de moyens qui fondaient, selon elle, l' invalidité de la directive sur les terminaux. Comme les présentes affaires, cette affaire portait sur l' interprétation de l' article 90 du traité et sur l' étendue des pouvoirs dont la Commission jouit en vertu de l' article 90, paragraphe 3. La portée de l' article 90, paragraphe 2, n' était pas litigieuse, car l' affirmation, au onzième considérant de la directive sur les terminaux,
selon laquelle les conditions d' application de cette disposition n' étaient pas remplies n' était pas contestée. La portée de l' article 90, paragraphe 2, n' est pas non plus litigieuse dans les présentes affaires, mais pour une raison légèrement différente. La Commission admet que certaines restrictions à la fourniture de services de télécommunications sont justifiées au titre de l' article 90, paragraphe 2 (voir par exemple le vingtième considérant de la directive sur les services). Les
requérants n' ont pas contesté le point de vue de la Commission sur l' effet de l' article 90, paragraphe 2, dans ces conditions et il ne sera donc pas nécessaire que la Cour aborde cette question.

29. Dans l' arrêt du 19 mars 1991, précité (C-202/88), la Cour a indiqué que l' article 90, paragraphe 3, conférait à la Commission le pouvoir d' édicter des règles générales précisant les obligations résultant du traité, qui s' imposent aux États membres en ce qui concerne les entreprises visées à l' article 90, paragraphes 1 et 2. L' issue du litige dépendait donc du point de savoir si la Commission était restée dans les limites du pouvoir normatif qui lui est conféré par le traité (voir les
points 14 et 15 de l' arrêt).

30. Le gouvernement français a soutenu que, dans la mesure où la directive avait pour but de mettre fin immédiatement à des mesures nationales particulières contraires au traité, la Commission aurait dû utiliser la procédure prévue à l' article 169 du traité et non celle de l' article 90, paragraphe 3. Cet argument a été rejeté par la Cour, qui a déclaré, aux points 17 et 18 de l' arrêt:

"A cet égard, il convient de constater que l' article 90, paragraphe 3, du traité confère à la Commission le pouvoir de préciser, de façon générale, par voie de directives, les obligations qui découlent du paragraphe 1 de cet article. La Commission met en oeuvre ce pouvoir lorsque, sans prendre en considération la situation particulière existant dans les différents États membres, elle concrétise les obligations qui s' imposent à ceux-ci en vertu du traité. Un tel pouvoir ne saurait, par sa nature
même, se prêter à faire constater qu' un État membre a manqué à une obligation déterminée qui lui incombe en vertu du traité.

Or, il résulte du contenu de la directive en cause en l' espèce que la Commission s' est bornée à déterminer, de façon générale, des obligations qui, conformément au traité, s' imposent aux États membres. En conséquence, elle ne saurait être interprétée comme constatant des manquements concrets d' États membres déterminés à des obligations dérivées du traité ..."

31. Le gouvernement français a soutenu par ailleurs que, en adoptant une directive prévoyant l' abolition complète des droits spéciaux ou exclusifs portant sur des terminaux de télécommunication, la Commission avait outrepassé les compétences de surveillance que lui confère l' article 90, paragraphe 3, qui présupposerait l' existence de droits spéciaux et exclusifs. Il a affirmé qu' estimer que le maintien de ces droits constituait en soi une "mesure" au sens de l' article 90, paragraphe 1, était
contraire aux termes de cette disposition.

32. La Cour a également rejeté cet argument, en relevant que le pouvoir de surveillance confié à la Commission par l' article 90, paragraphe 3, l' autorisait à préciser les obligations incombant aux États membres en vertu du traité (voir le point 21 de l' arrêt). L' étendue de ce pouvoir dépendait par conséquent de la portée des règles dont la Commission cherchait à assurer le respect. Même si l' article 90 présupposait l' existence d' entreprises titulaires de droits spéciaux ou exclusifs, il ne s'
ensuivait pas que tous ces droits devaient nécessairement être considérés comme compatibles avec le traité. La question de leur compatibilité avec le traité dépendait des règles auxquelles l' article 90, paragraphe 1, renvoie.

33. En outre, la Cour n' a pas estimé qu' on pouvait considérer que la Commission avait empiété sur les compétences du Conseil: l' éventualité d' une réglementation édictée par le Conseil en application d' un pouvoir général qu' il détient en vertu du traité (par exemple l' article 100 A ou l' article 87) dans un des domaines couverts par l' article 90 ne fait pas obstacle à l' exercice par la Commission de la compétence que cet article lui confère (voir arrêt du 6 juillet 1982, France, Italie et
Royaume-Uni/Commission, 188/90 à 190/80, point 14, Rec. p. 2545).

34. La validité des articles 2, 6, 7 et 9 de la directive sur les terminaux a également été contestée, au motif que ces dispositions étaient basées à tort sur une violation, par les États membres, des articles 30, 37, 59 et 86 du traité. La Cour n' a retenu ce moyen qu' à deux égards.

35. En premier lieu, la Cour a affirmé que, s' agissant des droits spéciaux mentionnés à l' article 2, ni le préambule ni les dispositions de la directive n' indiquaient clairement quels droits spéciaux étaient visés et en quoi ces droits seraient contraires au traité. Il en résultait que la Commission n' avait pas justifié l' obligation, mise à la charge des États membres, d' abolir les droits spéciaux d' importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service et d' entretien d'
appareils terminaux de télécommunication. En conséquence, l' article 2 de la directive a été annulé dans la mesure où il visait l' abolition de ces droits.

36. En second lieu, la Cour a annulé l' article 7 de la directive, qui imposait aux États membres de faciliter la résiliation de certains types de contrats, au motif que les pouvoirs conférés à la Commission par l' article 90 du traité se limitaient aux mesures prises par les États membres. Les comportements anticoncurrentiels adoptés par les entreprises de leur propre initiative ne pouvaient être mis en cause par la Commission que par des décisions individuelles prises en application des articles
85 et 86 du traité. La directive ne faisant pas apparaître que les détenteurs des droits spéciaux ou exclusifs avaient été contraints ou incités par des réglementations étatiques à conclure des contrats de longue durée, l' article 90 ne pouvait pas être considéré comme une base appropriée pour faire disparaître les obstacles à la concurrence érigés par ces contrats.

37. La Cour a également annulé l' article 9 de la directive dans la mesure où il imposait aux États membres de fournir un rapport permettant à la Commission de constater si les dispositions de l' article 2 visant les droits spéciaux et les dispositions de l' article 7 avaient été respectées. La Cour a toutefois conclu à la validité de l' article 2, en ce qu' il vise les droits exclusifs, et des articles 6 et 9.

La validité de la directive sur les services

38. A notre avis, l' arrêt C-202/88 répond en substance aux arguments avancés au cours de la procédure écrite dans les présentes affaires. Cet arrêt a établi que la Commission a le pouvoir, en vertu de l' article 90, paragraphe 3, d' adopter des directives précisant les obligations incombant aux États membres en vertu du traité dans des domaines particuliers. Le fait que l' article 169 du traité constitue un autre moyen d' action à l' égard des États membres pris individuellement ne l' empêche pas
d' exercer ce pouvoir. En outre, il ne résulte pas de l' article 90, paragraphe 1, que l' existence d' entreprises auxquelles les États membres ont accordé des droits spéciaux ou exclusifs est nécessairement compatible avec le traité. Toutefois, les pouvoirs conférés à la Commission par l' article 90 se limitent aux mesures prises par les États membres et elle n' est pas autorisée à adopter au titre de cet article des mesures qui sont destinées à répondre au comportement de particuliers.

39. A l' audience, toutefois, un certain nombre de points nouveaux ont été soulevés à la lumière de la décision de la Cour dans l' affaire C-202/88. Le gouvernement belge a soutenu que la Commission n' était autorisée à appliquer des dispositions du droit communautaire au moyen d' une directive adoptée en vertu de l' article 90, paragraphe 3, que lorsque leur effet dans un contexte donné était suffisamment clair. Selon le gouvernement belge, l' application de l' article 59 dans le secteur des
services de télécommunications est une question d' une telle complexité que la Commission n' a pas le pouvoir de l' appliquer dans ce secteur au titre de l' article 90, paragraphe 3, en l' absence d' une directive du Conseil clarifiant sa portée.

40. Nous ne saurions accepter cet argument, qui n' est corroboré ni par le texte de l' article 90 ni par les termes de l' arrêt C-202/88. Au contraire, au point 21 de cet arrêt, sur lequel le gouvernement belge se fonde, la Cour a expressément reconnu que la Commission avait le pouvoir, en se plaçant dans le cadre de l' article 90, paragraphe 3, de préciser les obligations imposées aux États membres par le traité. En tout état de cause, il serait extrêmement difficile, voire impossible, d' appliquer
en pratique le critère défendu par le gouvernement belge, car il y aurait toujours matière à controverse sur le point de savoir si une disposition déterminée du droit communautaire est suffisamment claire pour justifier le recours à l' article 90, paragraphe 3. Ce critère, s' il était adopté, porterait donc atteinte tant à la sécurité juridique qu' à l' efficacité des pouvoirs de la Commission au titre de cette disposition.

41. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la Commission est autorisée, pour autant que cela n' empiète pas sur les compétences du Conseil, à agir en vertu de l' article 90, paragraphe 3, pour veiller, dans le cas des entreprises qui relèvent du champ d' application de l' article 90, paragraphes 1 et 2, à ce que les États membres s' acquittent de toutes les obligations qui leur incombent en vertu du traité. Nous ne considérons pas qu' il est loisible à un État membre d' affirmer qu' il y a
lieu d' annuler une mesure adoptée sur cette base parce que la portée des dispositions de droit communautaire en question n' était pas claire auparavant. On peut noter que, en l' espèce, le gouvernement belge n' a pas contesté le point de vue de la Commission quant à l' effet de l' article 59 sur le marché des services de télécommunications.

42. En ce qui concerne l' article 86, le gouvernement belge a admis à l' audience qu' il avait l' effet invoqué par la Commission et qu' il était suffisamment clair pour être appliqué dans le cadre de l' article 90, paragraphe 3. Néanmoins, le gouvernement belge maintient qu' il est possible d' envisager plusieurs façons pour les États membres de s' acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de l' article 86 dans le domaine couvert par la directive sur les services et que, dans ces
conditions, la Commission n' était pas en droit d' imposer aux États membres un moyen particulier de parvenir à ce résultat. A titre d' exemple, le gouvernement belge affirme qu' il est possible de satisfaire à l' article 7 de la directive de plusieurs façons. Mais, loin de corroborer l' argument du gouvernement belge, cela implique que l' article 7 impose simplement aux États membres le résultat à atteindre, en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens,
conformément à l' article 189 du traité. Le gouvernement belge n' a pas indiqué d' autres points sur lesquels la directive aurait pu être assouplie tout en offrant des garanties équivalentes contre des infractions à l' article 86. Nous proposons dès lors de rejeter l' argument selon lequel la Commission a excédé les pouvoirs qu' elle détient au titre de l' article 90, paragraphe 3, en fixant un cadre trop rigide à l' élimination des infractions à l' article 86.

43. Le gouvernement italien a soutenu à l' audience que le simple fait pour un État membre de créer une position dominante en accordant des droits spéciaux ou exclusifs au sens de l' article 90, paragraphe 1, n' était pas en soi incompatible avec l' article 86. Le gouvernement italien a cité, pour étayer cette proposition, l' arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova (C-179/90, Rec. p. I-5889). Selon le gouvernement italien, l' article 86 n' est enfreint que lorsqu' il y a
exploitation abusive d' une position dominante. Il était, dès lors, incompatible avec le principe de proportionnalité que la Commission exige l' abolition de tous les droits spéciaux et exclusifs pour la fourniture de services de télécommunications autres que le service de téléphonie vocale: elle aurait simplement dû prendre des mesures à l' égard des cas particuliers d' exploitation abusive des positions dominantes détenues par les entreprises qui bénéficient de tels droits.

44. Nous observerons toutefois que la Cour a reconnu dans l' affaire C-179/90 qu' un État membre enfreignait les dispositions combinées de l' article 90, paragraphe 1, et de l' article 86 lorsqu' une entreprise à laquelle il avait accordé des droits exclusifs était amenée, par le simple exercice de ces droits, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque les droits en question étaient susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise était amenée à commettre de tels
abus (voir le point 17 de l' arrêt).

45. En outre, un argument analogue à celui qui a été avancé en l' espèce par le gouvernement italien a été rejeté dans l' arrêt du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM (C-18/88, Rec. p. I-5941). En l' occurrence, la Cour était invitée à statuer à titre préjudiciel sur la compatibilité avec les articles 30 et 86 du traité d' un régime national confiant à un organisme public, sous l' autorité du ministre compétent, la responsabilité de l' établissement et de l' exploitation du réseau public de téléphone et
lui octroyant le droit de fournir des téléphones et le pouvoir d' agréer, en vue de leur raccordement au réseau, les appareils téléphoniques qu' il n' avait pas fournis lui-même. Au cours de la procédure, il a été soutenu que la désignation comme autorité d' agrément d' un organisme concurrent des entreprises qui demandent l' agrément ne constituait pas en soi un abus au sens de l' article 86 en l' absence de cas concrets d' abus, tels que l' application discriminatoire des règles relatives à l'
octroi de l' agrément. Cet argument a été rejeté par la Cour, qui a jugé que l' extension, sans justification objective, du monopole de l' établissement et de l' exploitation du réseau téléphonique au marché des appareils téléphoniques était prohibée comme telle par l' article 86 et, lorsque l' extension était le résultat d' une mesure adoptée par l' État, par les dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 86 (voir le point 24 de l' arrêt).

46. Il résulte donc de la jurisprudence que la Commission est autorisée, dans l' exercice des pouvoirs que lui confère l' article 90, paragraphe 3, à imposer aux États membres d' abolir les droits exclusifs qu' ils avaient accordés précédemment lorsque l' exercice de ces droits est susceptible d' enfreindre l' article 86 ou lorsqu' ils ont pour effet de renforcer une position dominante existante. La Commission n' est pas tenue de se borner à prendre des mesures à l' égard des abus concrets commis
par l' entreprise en position dominante. En outre, l' argument du gouvernement italien n' aborde pas la question de savoir s' il était nécessaire d' exiger l' abolition des droits spéciaux et exclusifs en question pour mettre fin aux infractions à l' article 59 du traité. La Cour a reconnu dans l' arrêt du 18 juin 1991, ERT, point 20 (C-260/89, Rec. p. 2925), que, bien que l' existence d' un monopole de prestation de services ne soit pas, en tant que telle, incompatible avec le droit communautaire,
il en serait ainsi si le monopole était aménagé d' une façon telle qu' il porte atteinte à la libre prestation des services. Le gouvernement italien ne conteste pas l' appréciation de la Commission selon laquelle cela risquerait d' être l' effet de l' octroi de droits spéciaux ou exclusifs pour la fourniture de certains types de services de télécommunications.

47. Toutefois, à la lumière de la décision de la Cour C-202/88, il est permis de douter de la validité d' un certain nombre de dispositions de la directive sur les services. Nous traiterons tout d' abord des dispositions de cette directive qui concernent les droits spéciaux et nous examinerons ensuite l' article 8 de la directive.

48. La décision de la Cour C-202/88 souligne l' importance de la distinction entre les droits spéciaux et les droits exclusifs dans le contexte de l' article 90. C' est le fait que la Commission n' ait pas expliqué quels types de droits spéciaux étaient concernés ou en quoi ils étaient susceptibles d' être contraires au traité qui a conduit à l' annulation de l' article 2 de la directive sur les terminaux dans la mesure où il s' étendait à ces droits.

49. On relèvera que, bien que l' article 1er de la directive sur les terminaux se réfère aux "droits spéciaux ou exclusifs d' importation, de commercialisation, de raccordement, de mise en service d' appareils terminaux de télécommunications et/ou d' entretien de tels appareils", cette directive ne comporte pas de définition de l' expression "droits spéciaux ou exclusifs". La directive sur les terminaux peut être opposée à cet égard à la directive sur les services, dont le deuxième considérant se
lit:

"considérant que, dans tous les États membres, l' établissement et l' exploitation du réseau de télécommunications ainsi que la fourniture de services y afférents sont généralement délégués, par l' octroi de droits exclusifs ou spéciaux, à un ou plusieurs organismes de télécommunications; que ces droits sont caractérisés par le pouvoir discrétionnaire que l' État exerce à des degrés divers en ce qui concerne l' accès au marché des services de télécommunications".

En outre, l' article 1er de la directive sur les services définit les "droits spéciaux ou exclusifs" comme les "droits octroyés par un État membre ou une autorité publique à un ou plusieurs organismes publics ou privés au moyen de tout instrument législatif, réglementaire ou administratif leur réservant la fourniture d' un service ou l' exploitation d' une activité déterminée".

50. En conséquence, il est relativement clair que lorsqu' un État membre accorde à une entreprise unique un monopole en ce qui concerne l' exploitation d' un réseau public de télécommunications ou la fourniture de services de télécommunications, cette entreprise jouit d' un droit exclusif au sens de la directive sur les services. Lorsque le droit d' exploiter le réseau ou de fournir des services de télécommunications est accordé à plus d' une entreprise, mais que le nombre de ces entreprises est
limité, ces entreprises jouissent de droits spéciaux au sens de cette directive. Cette interprétation de l' expression "droits spéciaux ou exclusifs" a été confirmée à l' audience par la Commission, qui a expliqué que les droits spéciaux étaient les droits détenus par un nombre limité d' organismes de télécommunications choisis de façon discrétionnaire et subjective par l' État concerné. Nous considérons dès lors que la distinction établie par la directive sur les services entre les droits spéciaux
et les droits exclusifs a été définie de façon suffisamment claire.

51. On observera que le préambule à la directive sur les services se réfère abondamment tant aux droits exclusifs qu' aux droits spéciaux et tire les mêmes conclusions pour les deux types de droits quant à leur compatibilité avec les articles 59 et 86. Même si nous admettons que l' octroi de droits spéciaux et l' octroi de droits exclusifs peuvent avoir des effets tout aussi nuisibles pour la libre prestation des services, il se peut qu' une entreprise qui détient des droits spéciaux au sens dans
lequel ce terme est utilisé dans la directive ne détienne pas de position dominante sur le marché en cause. De fait, cela a été admis à l' audience par la Commission, qui a expressément abandonné le point de vue selon lequel l' octroi par un État membre de droits spéciaux dans ce secteur était contraire aux dispositions combinées de l' article 86 et de l' article 90, paragraphe 1, bien qu' elle continue à considérer que l' octroi de tels droits est incompatible avec les dispositions combinées de l'
article 59 et de l' article 90, paragraphe 1.

52. Cependant, le préambule à la directive ne distingue pas à cet égard entre l' octroi de droits spéciaux et l' octroi de droits exclusifs: l' octroi de tous ces droits est traité comme s' il enfreignait tant l' article 59 que l' article 86. A l' audience, la Commission a indiqué que cette difficulté pouvait être surmontée en rayant tout simplement du préambule certaines phrases qui laissaient entendre que l' octroi de droits spéciaux était incompatible avec l' article 86. Nous ne sommes pas
convaincu que le problème puisse être résolu aussi facilement. Étant donné que la Commission est la seule institution qui intervient dans l' adoption de directives ou de décisions au titre de l' article 90, paragraphe 3, il est à notre avis particulièrement important qu' une telle réglementation soit amplement motivée. Dans son état actuel, le préambule à la directive sur les services doit donc être considéré comme ne satisfaisant pas aux exigences de l' article 190 du traité. Il est dès lors
nécessaire d' examiner l' effet sur la validité de la directive du défaut de motivation que nous avons constaté.

53. La directive comporte un certain nombre de dispositions qui sont fondées, selon le préambule, sur la proposition selon laquelle une entreprise à laquelle des droits spéciaux ont été accordés dans le secteur visé par la directive détient une position dominante sur le marché en cause. Les articles 2 et 4 mentionnent expressément les droits spéciaux et, à l' instar de l' article 2 de la directive sur les terminaux, devraient à notre avis être annulés dans la mesure où ils s' étendent à ces droits.
Il suffira effectivement pour cela de biffer les références aux droits spéciaux.

54. De plus, les articles 3, 6 et 7 imposent aux États membres un certain nombre d' obligations spécifiques en ce qui concerne les "organismes de télécommunications". Ceux-ci sont définis par l' article 1er, paragraphe 1, premier tiret (3), comme les "entités publiques ou privées - y compris leurs filiales contrôlées - auxquelles un État membre octroie des droits spéciaux ou exclusifs pour l' établissement de réseaux publics de télécommunications et, le cas échéant, la fourniture de services de
télécommunications". Les articles 3, 6 et 7 sont donc eux aussi, tout comme les articles 2 et 4, partiellement fondés sur des affirmations figurant dans le préambule et relatives à l' effet de l' article 86 que la Commission ne cherche plus à défendre. A la différence des articles 2 et 4, les dispositions des articles 3, 6 et 7 concernant les droits spéciaux ne peuvent pas être séparées des autres dispositions de ces articles. Toutefois, à notre avis, le champ d' application des trois articles
concernés peut être restreint aux entreprises auxquelles des droits exclusifs ont été accordés en supprimant la mention des droits spéciaux dans la définition des organismes de télécommunications figurant à l' article 1er, paragraphe 1, de la directive. Il suffirait effectivement pour cela de rayer les termes "spéciaux ou" qui suivent le terme "droits" dans cette définition.

55. Enfin, nous en arrivons à l' article 8 de la directive. Cet article impose aux États membres de faire en sorte que certains types de contrats puissent être résiliés, mais l' arrêt C-202/88 établit que les comportements anticoncurrentiels auxquels des entreprises se sont livrées de leur propre initiative ne peuvent être contestés par la Commission qu' au moyen de décisions individuelles adoptées en application des articles 85 et 86 du traité. La Cour a indiqué que l' article 90 permettait
uniquement à la Commission d' agir à l' égard des mesures adoptées par les États membres.

56. La Commission a déclaré à l' audience qu' elle avait tiré les conséquences nécessaires de la décision de la Cour C-202/88 et qu' elle envisageait de prendre des mesures au titre du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d' application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204), contre des entreprises qui avaient imposé des contrats du type en question à leurs clients. Elle a ajouté qu' elle examinait également la mesure dans laquelle les législations des
États membres imposaient ou encourageaient la conclusion de tels contrats. Elle se demanderait ensuite, à la lumière de cet examen, s' il y avait lieu d' abroger l' article 8 ou de modifier les motifs qui le sous-tendent.

57. Bien que la Commission ne soit pas allée jusqu' à admettre que l' article 8 de la directive est invalide, il nous semble clair que tel est en fait le cas. Tout comme la directive sur les terminaux, la directive sur les services n' indique pas que les entreprises auxquelles des droits spéciaux ou exclusifs ont été octroyés ont été contraintes ou encouragées par des mesures étatiques à conclure des contrats du type mentionné à l' article 8. Il s' ensuit que la Commission n' avait pas le pouvoir d'
adopter une telle disposition en application de l' article 90, paragraphe 3. En conséquence, il y a lieu d' annuler l' article 8 de la directive.

Conclusion

58. Nous concluons dès lors qu' il y a lieu de:

1) annuler les dispositions suivantes de la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990:

- l' article 1er, paragraphe 1, premier tiret, dans la mesure où il inclut dans la définition des "organismes de télécommunications" des entités publiques ou privées - y compris leurs filiales contrôlées - auxquelles un État membre octroie des droits spéciaux pour l' établissement de réseaux publics de télécommunications et, le cas échéant, la fourniture de services de télécommunications;

- les articles 2 et 4, dans la mesure où ils s' étendent aux droits spéciaux;

- l' article 8;

2) rejeter les recours pour le surplus;

3) laisser les parties et la partie intervenante supporter leurs propres dépens.

(*) Langue originale: l' anglais.

(1) Le texte anglais de la directive ajoute "inévitablement", mais aucune des autres versions linguistiques ne contient de terme correspondant à cet adverbe.

(2) Le texte anglais de l' article 6 est tronqué, mais il ressort clairement des autres versions linguistiques que tel est le sens qu' on a voulu lui donner. Il est tout à fait inadmissible que la réglementation communautaire soit publiée sous une forme qui est tout simplement inintelligible si on ne se reporte pas aux autres versions linguistiques.

(3) Le texte anglais du premier tiret de l' article 1er, paragraphe 1, utilise le mot "télécommunication" au singulier, mais il ressort des autres versions linguistiques que la définition porte sur l' expression "organismes de télécommunications" utilisée par ailleurs dans la directive.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-271/90,
Date de la décision : 20/05/1992
Type de recours : Recours en annulation - fondé, Recours en annulation - non fondé

Analyses

Concurrence dans les marchés des services de télécommunications.

Concurrence

Télécommunications

Ententes


Parties
Demandeurs : Royaume d'Espagne, Royaume de Belgique et République italienne
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Zuleeg

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1992:226

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