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19/03/1992 | CJUE | N°C-106/91

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 19 mars 1992., Claus Ramrath contre Ministre de la Justice, en présence de l'Institut des réviseurs d'entreprises., 19/03/1992, C-106/91


Avis juridique important

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61991C0106

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 19 mars 1992. - Claus Ramrath contre Ministre de la Justice, en présence de l'Institut des réviseurs d'entreprises. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg. - Réviseurs d'entreprises

- Exigence d'avoir un établissement professionnel dans un État membre. - A...

Avis juridique important

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61991C0106

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 19 mars 1992. - Claus Ramrath contre Ministre de la Justice, en présence de l'Institut des réviseurs d'entreprises. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg. - Réviseurs d'entreprises - Exigence d'avoir un établissement professionnel dans un État membre. - Affaire C-106/91.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-03351
édition spéciale suédoise page I-00101
édition spéciale finnoise page I-00145

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans la présente affaire, le Conseil d' État du Luxembourg vous demande de statuer à titre préjudiciel sur trois questions concernant la liberté d' exercer la profession de réviseur d' entreprises:

"1) a) Est-ce que les articles 52 et suivants, ou toute autre disposition du traité et des textes édictés en leur exécution, autorisent les autorités compétentes d' un État membre à considérer comme incompatible avec l' exercice, par une personne physique, de la profession de réviseur d' entreprises dans cet État membre l' établissement de la même personne en qualité de réviseur d' entreprises dans un autre État membre?

et en cas de réponse négative,

b) Est-ce qu' un État membre peut exiger d' une personne qui est habilitée à exercer la profession de réviseur d' entreprises dans un autre État membre, où elle a également un établissement professionnel, des conditions relatives à la permanence d' une infrastructure pour l' accomplissement de ses travaux, des conditions minimales relatives à la présence effective dans cet État membre et des conditions nécessaires au contrôle de l' observation des règles déontologiques?

2) Est-ce que les articles 52 et suivants du Traité de Rome ou toute autre disposition du traité et des textes édictés en leur exécution autorisent les autorités compétentes d' un État membre à n' agréer comme réviseur d' entreprises que les salariés d' une personne agréée conformément à leur législation nationale, à l' exclusion des salariés d' une personne agréée conformément à la législation d' un autre État membre?"

2. L' Institut des réviseurs d' entreprises (ci-après "institut"), qui est l' organisme professionnel régissant la profession de réviseur d' entreprises au Grand-Duché, est partie intervenante au principal et a, en outre, présenté des observations écrites devant la Cour.

3. Les questions déférées par le Conseil d' État luxembourgeois se posent dans le cadre d' un recours formé par M. Claus Ramrath contre le ministre de la Justice luxembourgeois (ci-après "ministre") et visant à contester la validité de la décision de retirer à M. Ramrath l' agrément ministériel pour exercer la profession de réviseur d' entreprises au grand-duché de Luxembourg. A l' origine, cet agrément avait été accordé le 11 février 1985, alors que M. Ramrath était salarié auprès de la société
civile Treuarbeit (ci-après "Treuarbeit Luxembourg") ayant son siège au Luxembourg, où elle est elle-même agréée comme réviseur d' entreprises. Toutefois, le 1er février 1988, M. Ramrath a déclaré à l' institut qu' il était dorénavant salarié auprès de la Treuarbeit AG, une société ayant son siège à Duesseldorf (ci-après "Treuarbeit Duesseldorf"). Le 8 août 1988, le ministre a informé M. Ramrath qu' en conséquence il était dans son intention de lui retirer l' agrément, tout en l' invitant à
présenter ses observations. Le 28 septembre 1988, Treuarbeit Luxembourg a adressé une lettre au ministre, dans laquelle elle précisait que, pour ses travaux au Luxembourg, M. Ramrath était engagé auprès d' elle. Malgré cette déclaration, l' agrément de M. Ramrath a été définitivement retiré le 19 mai 1989.

4. Le ministre a invoqué deux motifs pour justifier sa décision de retirer l' agrément de M. Ramrath. Premièrement, M. Ramrath ne disposait pas d' un établissement professionnel au Luxembourg, contrairement à la condition prévue à l' article 3, paragraphe 1, sous c), de la loi du 28 juin 1984 portant organisation de la profession de réviseur d' entreprises. Deuxièmement, M. Ramrath, du fait de son emploi auprès de Treuarbeit Duesseldorf, ne bénéficiait pas de l' indépendance professionnelle requise
par l' article 6 de ladite loi, qui interdit notamment qu' un réviseur d' entreprises occupe un emploi salarié auprès d' une personne non agréée comme réviseur d' entreprises au Luxembourg. L' agrément de M. Ramrath a donc été retiré non pas en raison de son établissement dans un autre État membre, mais parce que 1) il ne disposait pas d' un établissement professionnel au Luxembourg, et que 2) il était salarié auprès d' une société qui n' était pas elle-même agréée comme réviseur d' entreprises au
Luxembourg, à savoir Treuarbeit Duesseldorf.

5. Ni le ministre ni l' institut n' ont cherché à contester qu' il serait contraire au droit communautaire de retirer l' agrément au seul motif que le réviseur en question était établi en tant que réviseur dans un autre État membre. Ainsi que la Cour l' a déclaré dans l' arrêt du 12 juillet 1984, Klopp, point 19 (107/83, Rec. p. 2971):

"La considération que la liberté d' établissement ne se limite pas au droit de créer un seul établissement à l' intérieur de la Communauté trouve sa confirmation dans les termes mêmes de l' article 52 du traité, en vertu duquel la suppression progressive des restrictions à la liberté d' établissement s' étend également aux restrictions à la création d' agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d' un État membre établis sur le territoire d' un autre État membre. Cette règle doit
être considérée comme l' expression spécifique d' un principe général, applicable également aux professions libérales, en vertu duquel le droit d' établissement comporte également la faculté de créer et de maintenir, dans le respect des règles professionnelles, plus d' un centre d' activité sur le territoire de la Communauté."

En outre, comme la Cour l' a précisé dans l' arrêt du 4 décembre 1986, Commission/France (96/85, Rec. p. 1475), la liberté d' un membre d' une profession libérale d' exercer ses activités professionnelles dans plus d' un État membre inclut, en vertu de l' article 48 du traité, le droit de travailler en tant que salarié.

6. En conséquence, il ne nous paraît pas douteux que la première des trois questions déférées par le Conseil d' État luxembourgeois appelle une réponse négative. La question se pose donc de savoir quelles sont les restrictions qu' un État membre peut néanmoins imposer à l' exercice de la profession de réviseur d' entreprises sur son territoire. Un État membre peut-il exiger des conditions relatives, notamment, à la permanence d' une infrastructure et à une présence minimale? Peut-il exiger qu' un
réviseur d' entreprises ne soit salarié qu' auprès d' une personne agréée conformément à sa législation nationale? Dans les considérations développées ci-après, nous examinerons successivement chacune de ces questions. Bien que les questions posées à la Cour ne mentionnent spécifiquement que l' article 52 du traité, il est clair que la liberté d' exercer une profession libérale peut être garantie, selon les circonstances, par les articles 48 et 59 du traité, comme par l' article 52.

La condition de présence minimale

7. L' institut suggère dans ses observations écrites et a fait valoir à l' audience que la présence stable d' un réviseur d' entreprises sur le territoire de l' État membre où les travaux de révision sont effectués est nécessaire aux fins d' un contrôle approprié de la profession. Il soutient notamment que la nécessité de conserver les documents et archives et d' appliquer les règles de secret professionnel exige que la personne chargée des travaux de révision ait un établissement professionnel
stable sur le territoire de l' État membre d' accueil. Comme le ministre l' explique dans ses observations écrites, l' article 3, paragraphe 1, sous c), a été inséré dans la loi du 28 juin 1984 afin que les autorités fiscales et disciplinaires, dans l' exercice de leurs pouvoirs de contrôle, puissent avoir un recours contre une personne ayant une présence stable au Luxembourg. Dans les considérations qui suivent, nous partons du principe, qui n' a pas été contesté en l' espèce, que ces exigences
sont justifiées. Nous examinerons d' abord la valeur des arguments concernant la présence minimale, tels qu' ils se présentent si, comme Treuarbeit Luxembourg l' a déclaré au ministre, M. Ramrath était engagé auprès de cette société lors de ses prestations de services au Luxembourg. Toutefois, puisque le ministre conteste l' exactitude de cette déclaration, il faudra également envisager d' autres hypothèses.

8. En premier lieu, il est clair qu' une personne qui effectue des travaux de révision comptable dans le cadre de son emploi salarié auprès d' une société ayant son siège au Luxembourg fournit ces prestations pour le compte de son employeur, même si cet engagement n' est que temporaire. Il nous semble donc que toute condition nationale relative à la conservation et à la confidentialité des documents et archives peut être valablement appliquée à l' employeur au Luxembourg. De même, toute exigence
concernant le maintien d' un contact avec les clients ou avec les autorités nationales compétentes peut être satisfaite par l' employeur lui-même, ou par d' autres membres de son personnel, et est applicable à l' employeur en cas de carence. Enfin, toute règle déontologique indispensable est également applicable au salarié, qui sera présent au Luxembourg pour la durée des prestations de services qu' il est amené à y effectuer.

9. D' autre part, ni le ministre ni l' institut n' ont soutenu que la législation luxembourgeoise contient une disposition s' opposant à ce qu' un réviseur d' entreprises ayant un établissement professionnel stable au Luxembourg engage du personnel à titre temporaire. En conséquence, nous ne discernons pas comment on pourrait justifier une exigence qui aurait pour effet d' empêcher cet employeur d' engager, à titre temporaire, un réviseur d' entreprises habilité à exercer ses activités au
Luxembourg, mais qui est employé, à titre principal, auprès d' une société ayant son siège dans un autre État membre. Il nous semble donc qu' une telle exigence serait incompatible avec le principe de libre circulation énoncé à l' article 48 du traité, qui garantit l' accès à un emploi temporaire dans un autre État membre.

10. Dans certaines circonstances, cette exigence constituerait d' ailleurs une restriction à la faculté des sociétés établies sur le territoire d' un État membre de créer des succursales, des filiales ou des agences dans un autre État membre, faculté qui est garantie par l' article 52 du traité, puisqu' un transfert temporaire de personnel entre les services dans les différents États membres peut être indispensable au bon fonctionnement de l' organisation. Il ne résultait pas clairement de l'
ordonnance de renvoi si Treuarbeit Luxembourg est en fait une succursale, une agence ou une filiale de Treuarbeit Duesseldorf. A l' audience, le ministre a relevé que Treuarbeit Luxembourg, en tant que société ayant sa propre personnalité juridique autonome, ne saurait être considérée comme une "succursale" de la société de droit allemand, laquelle serait d' ailleurs elle-même la succursale d' une société ayant son siège social à Berlin et à Francfort. Il est cependant clair que cela n' empêche pas
Treuarbeit Luxembourg d' être, sinon une succursale, du moins une filiale ou une agence de la société allemande. Quoi qu' il en soit, les droits d' établissement de Treuarbeit Duesseldorf ne sont pas directement en cause en l' espèce.

11. Il résulte de la réponse que le ministre a donnée aux questions écrites posées par la Cour que celui-ci conteste l' affirmation de Treuarbeit Luxembourg selon laquelle M. Ramrath fournit des prestations de services au Luxembourg en tant que salarié de cette société. Les circonstances précises dans lesquelles M. Ramrath fournit ces prestations constituent naturellement une question de fait sur laquelle il appartient au seul juge national de se prononcer. Mais il est également indéniable que le
point de savoir quels critères il y a lieu d' appliquer pour déterminer si ces circonstances doivent ou non être considérées comme une relation de travail constitue une question relevant du droit communautaire: voir l' arrêt du 23 mars 1982, Levin, point 11 (53/81, Rec. p. 1035). En outre, comme nous le verrons, M. Ramrath peut en tout état de cause invoquer la libre prestation des services, en vertu de l' article 59 du traité, même s' il n' a pas la possibilité d' invoquer, en ce qui concerne son
engagement auprès de la société de droit luxembourgeois, la libre circulation des travailleurs prévue à l' article 48.

12. Dans sa réponse à la question de la Cour, le ministre soutient que le seul fait que M. Ramrath ait été mis à la disposition de Treuarbeit Luxembourg par Treuarbeit Duesseldorf afin d' effectuer des prestations de services ponctuelles n' équivaut pas à un engagement de M. Ramrath auprès d' une société de droit luxembourgeois. Cela est peut-être exact, mais la question décisive est, selon nous, de savoir non pas si M. Ramrath exerce ses activités en tant que salarié au Luxembourg, mais uniquement
s' il peut invoquer l' une des deux libertés garanties, respectivement, par les articles 48 et 59 du traité. Ces deux articles, le cas échéant en combinaison avec l' article 52, doivent en effet être considérés comme couvrant à eux seuls toutes les situations possibles dans lesquelles une personne fournit des prestations de services en se déplaçant d' un État membre à l' autre. Il importe donc de savoir si les conditions de la législation luxembourgeoise visant à réglementer l' activité de réviseur
d' entreprises peuvent être satisfaites dans le cas d' un réviseur qui est temporairement mis à la disposition d' une société ayant son siège au Luxembourg. Comme nous l' avons déjà indiqué, pour que ces exigences soient satisfaites, il nous paraît suffisant que les prestations de services fournies par M. Ramrath à des clients au Luxembourg l' aient été, par lui-même, pour le compte d' une société qui est elle-même établie dans cet État, parce qu' en pareil cas n' importe laquelle des conditions de
contrôle pertinentes peut être valablement appliquée: voir point 8 ci-avant. En conséquence, peu importe, selon nous, que M. Ramrath soit ou non engagé auprès de la société de droit luxembourgeois, tant que cette société peut être tenue pour responsable des activités de M. Ramrath.

13. Lorsque des travaux de révision sont effectués par M. Ramrath au nom de Treuarbeit Luxembourg, il convient peut-être de considérer qu' il s' agit d' une prestation de services de la société à ses clients et non pas d' une prestation fournie par M. Ramrath lui-même, même s' il n' est pas un salarié de cette société. En pareil cas, il nous semble toutefois qu' il existe également une prestation de services de M. Ramrath à la société en question. S' il était objecté que M. Ramrath, lorsqu' il
fournit ces prestations de services, agit en fait au nom de son employeur, Treuarbeit Duesseldorf, de sorte que la prestation de services est fournie par la société de droit allemand à la société de droit luxembourgeois et non pas par M. Ramrath lui-même, on pourrait répliquer que, dans ce cas, M. Ramrath peut invoquer l' article 48, qui lui garantit la libre prestation de services au Luxembourg dans l' exécution de ses obligations contractuelles vis-à-vis de son employeur allemand, de même que
Treuarbeit Duesseldorf pourrait en effet invoquer l' article 59.

14. En conséquence, quelle que soit l' analyse de la situation, il paraît clair que le droit de M. Ramrath d' exercer sa profession au Grand-Duché est couvert par le traité. Toute exigence légitime, requise par la législation luxembourgeoise, en ce qui concerne l' établissement professionnel au Luxembourg peut, selon nous, être satisfaite tant qu' il existe une société de réviseurs d' entreprises, établie au Luxembourg, qui assume la responsabilité de la conduite et des résultats des travaux de
contrôle effectués par M. Ramrath.

15. Nous estimons donc qu' un État membre ne saurait imposer des conditions relatives à la permanence d' une infrastructure ou à la continuité de la présence, ou appliquer des règles déontologiques qui auraient pour effet d' empêcher un réviseur d' entreprises, qui serait sinon habilité à exercer au Luxembourg, d' occuper un emploi temporaire auprès d' une personne ou d' une société établie au Luxembourg, ou d' y fournir des prestations de services au nom de cette personne ou société, même si le
réviseur d' entreprises n' a pas d' autre établissement au Luxembourg.

L' emploi auprès d' une personne non agréée

16. Rappelons que le second motif avancé pour justifier la décision du ministre de retirer l' agrément de M. Ramrath était que celui-ci était salarié auprès d' une personne elle-même non agréée comme réviseur d' entreprises selon la législation luxembourgeoise, en violation de l' article 6 de la loi du 28 juin 1984. Le ministre et l' institut soutiennent que la condition prévue par l' article 6 est nécessaire pour assurer l' indépendance professionnelle des réviseurs d' entreprises au Luxembourg.

17. L' exigence d' indépendance professionnelle prévue à l' article 6 de la loi luxembourgeoise semble être destinée à mettre en oeuvre l' article 24 de la huitième directive 84/253/CEE du Conseil, du 10 avril 1984, fondée sur l' article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CEE, concernant l' agrément des personnes chargées du contrôle légal des documents comptables (JO L 126, p. 20). Les États membres étaient tenus de mettre en oeuvre la huitième directive avant le 1er janvier 1988 par des
dispositions applicables au plus tard à partir du 1er janvier 1990. Les articles 23 et 24 de la directive prévoient, respectivement:

"Les États membres prescrivent que les personnes agréées pour le contrôle légal des documents visés à l' article 1er, paragraphe 1, exécutent ce contrôle avec conscience professionnelle."

"Les États membres prescrivent que ces personnes ne peuvent effectuer un contrôle légal lorsqu' elles ne sont pas indépendantes selon le droit de l' État membre qui l' impose."

Le Grand-Duché avait assurément le droit de mettre en oeuvre l' article 24 en interdisant qu' un réviseur d' entreprises occupe un emploi salarié auprès d' une personne ou d' une société qui ne soit pas elle-même réviseur d' entreprises. Toutefois, il paraît moins certain qu' il fût fondé à exclure, pareillement, l' engagement auprès d' une personne ou d' une société agréée comme réviseur d' entreprises selon la législation d' un autre État membre. Il faut présumer qu' à partir du 1er janvier 1990,
et peut-être même avant cette date, cet État membre a mis en vigueur des dispositions d' exécution de la huitième directive, y compris les obligations prévues aux articles 23 et 24. L' article 3 de la directive prévoit en outre que:

"Les autorités d' un État membre n' accordent leur agrément qu' à des personnes honorables et n' exerçant aucune activité incompatible, en vertu du droit de cet État membre, avec le contrôle légal des documents visés à l' article 1er, paragraphe 1."

18. Il est certes exact que la définition de la notion d' activité incompatible avec le contrôle légal et celle des critères relatifs à l' indépendance professionnelle (à l' exception peut-être des critères relatifs à la conscience professionnelle) peuvent varier d' un État membre à l' autre, comme le suggère la référence au droit national dans les articles 3 et 24 de la directive. En conséquence, s' il était démontré que les conditions particulières de l' emploi d' un réviseur d' entreprises auprès
d' une personne ou d' une société agréée dans un autre État membre sont de nature à porter atteinte aux exigences d' indépendance professionnelle applicables au Grand-Duché ou à d' autres exigences légitimes, cela pourrait justifier qu' on demande qu' il soit mis fin à cet emploi. De même, un tel emploi pourrait exclure que le réviseur d' entreprises en question exerce certains contrôles, en raison de l' existence d' un lien entre la société contrôlée et son employeur. Il appartiendra donc dans
chaque cas à la juridiction nationale de décider si une telle infraction aux règles professionnelles a eu lieu. En revanche, il ne nous semble pas qu' un État membre soit fondé à affirmer, sans preuve à l' appui, que l' engagement auprès d' un réviseur d' entreprises agréé dans un autre État membre constitue à lui seul une violation de ses règles professionnelles. C' est plutôt à l' État membre qu' il incombe de démontrer que l' aptitude du réviseur d' entreprises à exercer des contrôles sur son
territoire avec l' indépendance et la conscience professionnelles requises a été compromise.

19. Certes, pour assurer le respect des règles pertinentes de déontologie et d' indépendance, il ne suffit peut-être pas toujours de comparer simplement les réglementations existant en la matière dans les deux États membres concernés. Ainsi, même si les règles allemandes régissant l' indépendance professionnelle des réviseurs d' entreprises contiennent des exigences analogues à celles prévues au Luxembourg, il se peut néanmoins que les autorités luxembourgeoises aient à examiner dans un cas
particulier si la condition d' indépendance professionnelle est effectivement respectée. Dans le cas d' un contrôle effectué par M. Ramrath, les autorités luxembourgeoises ont notamment le droit d' exiger qu' il n' existe entre la société contrôlée et Treuarbeit Duesseldorf aucun lien de nature à compromettre l' indépendance de M. Ramrath et, aux fins de l' observation de ces exigences, il peut paraître nécessaire que les autorités compétentes des deux États coopèrent et échangent des éléments d'
information. Quoi qu' il en soit, il ne nous semble pas excessif de demander que les autorités luxembourgeoises s' engagent, le cas échéant, dans une telle procédure de coopération. La coopération entre les autorités compétentes des différents États membres sera souvent indispensable pour garantir la libre circulation en ce qui concerne les professions libérales. En tout état de cause, il est cependant clair que la simple éventualité d' un conflit d' intérêt résultant d' un engagement dans un autre
État membre n' est pas suffisante pour justifier une interdiction d' exercer au Luxembourg. Il nous paraît donc manifestement disproportionné que le grand-duché de Luxembourg interdise de façon absolue et a priori l' emploi par une société de réviseurs d' entreprises établie dans un autre État membre.

Conclusion

20. Nous sommes donc d' avis qu' il convient de répondre comme suit aux questions posées par le Conseil d' État du Luxembourg:

"1) Les articles 48, 52 et 59 du traité s' opposent à ce que les autorités compétentes d' un État membre refusent d' agréer un ressortissant communautaire comme réviseur d' entreprises au motif que ce dernier est établi en qualité de réviseur d' entreprises dans un autre État membre ou (sous réserve de la réponse formulée au point 3 ci-après) au motif qu' il est employé dans cet État membre.

2) Les articles 48 et 59 du traité s' opposent à ce qu' un État membre exige des conditions relatives à la permanence d' un infrastructure ou des conditions minimales relatives à la présence effective dans cet État membre, ou applique des règles déontologiques, lorsqu' elles ont pour effet d' empêcher un ressortissant communautaire, par ailleurs habilité à agir en cette qualité, qui est établi ou employé comme réviseur d' entreprises dans un autre État membre soit i) d' occuper un emploi à titre
temporaire auprès d' une personne ou d' une société établie comme réviseur d' entreprises dans le premier État membre, soit ii) de fournir temporairement des prestations de services pour le compte de cette personne ou société.

3) Les articles 48, 52 et 59 du traité s' opposent à ce que les autorités compétentes d' un État membre empêchent un ressortissant communautaire d' agir en qualité de réviseur d' entreprises au motif qu' il est employé par une personne ou une société habilitée à agir en cette qualité en vertu de la législation d' un autre État membre, à moins qu' il n' ait été démontré que cet engagement est incompatible, dans les circonstances de l' espèce, avec sa conscience professionnelle ou son indépendance."

(*) Langue originale: l' anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-106/91
Date de la décision : 19/03/1992
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Grand-Duché de Luxembourg.

Réviseurs d'entreprises - Exigence d'avoir un établissement professionnel dans un État membre.

Libre circulation des travailleurs

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Claus Ramrath
Défendeurs : Ministre de la Justice, en présence de l'Institut des réviseurs d'entreprises.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Mancini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1992:141

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