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07/11/1991 | CJUE | N°C-301/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 7 novembre 1991., Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes., 07/11/1991, C-301/90


Avis juridique important

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61990C0301

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 7 novembre 1991. - Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes. - Coefficient correcteur spécifique pour Munich. - Affaire C-301/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-00221


Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieu...

Avis juridique important

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61990C0301

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 7 novembre 1991. - Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes. - Coefficient correcteur spécifique pour Munich. - Affaire C-301/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-00221

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Dans cette affaire, la Commission demande l' annulation partielle, en application de l' article 173 du traité CEE, du règlement ( Euratom, CECA, CEE ) n 2258/90 du Conseil, du 27 juillet 1990, rectifiant les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes et portant adaptation des coefficients correcteurs dont sont affectées les rémunérations et pensions de ces fonctionnaires et autres agents ( JO L 204, p . 1 ). La Commission ne demande l'
annulation de ce règlement que dans la mesure où il ne comporte pas la fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour le personnel affecté à Munich .

Contexte du litige

2 . La Commission et le Conseil sont en désaccord depuis un certain temps en ce qui concerne la nécessité de fixer un coefficient correcteur spécifique pour Munich, bien qu' il semble être constant que le coût de la vie est notablement plus élevé dans cette ville que dans le reste de l' Allemagne ( à l' exception de Berlin ). Dans le cadre de la procédure de révision annuelle des salaires, en juin 1989, la Commission a proposé de fixer un coefficient correcteur spécifique pour Munich, mais cette
proposition n' a pas été acceptée par le Conseil . En juin 1990, la Commission a soumis au Conseil une proposition de règlement comportant trois éléments : a ) une rectification générale des rémunérations des fonctionnaires et autres agents des Communautés, b ) une adaptation des coefficients correcteurs pour certains pays et c ) la fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour Munich . Lorsque cette proposition a été examinée par le Coreper, il est apparu qu' il existait une majorité
qualifiée en faveur des deux premiers éléments et qu' aucune des délégations n' appuyait le troisième élément . C' est pourquoi la Commission a accepté de détacher le troisième élément et d' en faire l' objet d' une proposition séparée, qui n' a pas été acceptée par le Conseil, alors que les deux autres éléments étaient adoptés sous la forme du règlement litigieux .

3 . On notera également que le défaut de fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour Munich a conduit plusieurs fonctionnaires affectés à Munich à engager une procédure contre la Commission devant le Tribunal de première instance . Dans l' affaire T-134/89, Hettrich, le Tribunal de première instance a rejeté le recours et la Cour de justice est à présent saisie d' un pourvoi . Dans l' affaire T-22/90, Brambilla, la procédure devant le Tribunal de première instance n' est pas encore
terminée .

La législation et la jurisprudence applicables

4 . L' article 64 du statut a la teneur suivante :

"La rémunération du fonctionnaire exprimée en francs belges, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d' un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d' affectation .

Ces coefficients sont fixés par le Conseil statuant, sur proposition de la Commission, à la majorité qualifiée prévue au paragraphe 2, deuxième alinéa, première éventualité, des articles 148 du traité instituant la Communauté économique européenne et 118 du traité instituant la Communauté économique de l' énergie atomique . Le coefficient correcteur, applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés aux sièges provisoires des Communautés est, à la date du 1er janvier 1962, égal à 100 %."

5 . L' article 65 du statut prévoit ce qui suit :

"1 . Le Conseil procède annuellement à un examen du niveau des rémunérations des fonctionnaires et des autres agents des Communautés . Cet examen aura lieu en septembre sur base d' un rapport commun présenté par la Commission et fondé sur la situation, au 1er juillet et dans chaque pays des Communautés, d' un indice commun établi par l' Office statistique des Communautés européennes en accord avec les services nationaux de statistiques des États membres .

Au cours de cet examen, le Conseil étudie s' il est approprié, dans le cadre de la politique économique et sociale des Communautés, de procéder à une adaptation des rémunérations . Sont notamment prises en considération l' augmentation éventuelle des traitements publics et les nécessités du recrutement .

6 . Le point II.1.1 de l' annexe à la décision du Conseil, du 15 décembre 1981, portant modification de la méthode d' adaptation des rémunérations des fonctionnaires et autres agents des Communautés ( 81/1061/Euratom, CECA, CEE ) ( JO L 386, p . 6 ) est libellé comme suit :

"Évolution du coût de la vie

L' Office statistique des Communautés européennes établit, en accord avec les services nationaux de statistiques des États membres, les indices communs permettant de mesurer l' évolution de la hausse des prix supportée par les fonctionnaires européens aux différents lieux d' affectation et permettant ainsi la mise à jour des coefficients correcteurs géographiques de l' article 64 du statut .

Tous les cinq ans, l' Office statistique des Communautés européennes vérifie, en accord avec les services statistiques des États membres, si les rapports entre coefficients correcteurs établissent correctement les équivalences de pouvoir d' achat entre les rémunérations payées aux personnels en service dans les capitales des États membres .

Il est procédé à une telle vérification à l' égard des autres lieux d' affectation, lorsque des éléments objectifs font apparaître un risque de distorsions importantes au regard des données constatées dans la capitale du pays concerné ."

7 . Les dispositions des articles 64 et 65 du statut ont fait l' objet d' un nombre considérable de litiges . La relation entre les deux dispositions a été décrite par la Cour, dans l' affaire 194/80, Benassi/Commission ( Rec . 1981, p . 2815 ), dans les termes suivants :

"... la fonction attribuée aux coefficients correcteurs mentionnés à l' article 64 du statut vise à assurer à tous les fonctionnaires une rémunération comportant le même pouvoir d' achat, quel que soit le lieu d' affectation . Par contre, le coefficient correcteur mentionné dans l' article 65 se présente comme un instrument dont le Conseil dispose pour procéder à l' adaptation des rémunérations de tous les fonctionnaires et agents des Communautés ."

8 . Le sens de l' expression "lieu d' affectation" à l' article 64 a été clarifié dans une série d' arrêts rendus en 1982 . Par exemple, dans l' affaire 158/79, Roumengous Carpentier/Commission ( Rec . p . 4379 ), la Cour a estimé que :

"... afin de respecter la règle de l' article 64 du statut, selon laquelle il doit être tenu compte des conditions de vie aux différents 'lieux d' affectation' , il convient d' entendre cette expression comme indiquant non pas les seules capitales des États membres, mais les lieux exacts où se déroule l' activité d' un nombre suffisamment important de fonctionnaires et agents des Communautés ."

Dans cette série d' arrêts, la Cour a jugé que les institutions communautaires auraient dû fixer un coefficient correcteur spécifique pour le personnel employé au Centre commun de recherche d' Ispra, dans la province de Varèse, où le coût de la vie était supérieur de 2,76 % à celui de Rome .

L' objet de la procédure

9 . Avant d' aborder le fond de l' affaire, il est nécessaire de traiter un point préliminaire soulevé par le Conseil en ce qui concerne la nature de l' acte litigieux . Le Conseil reproche à la Commission de demander l' annulation du règlement n 2258/90 dans la mesure où il ne comporte pas la fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour Munich . Le Conseil relève que, bien que la proposition d' origine de la Commission ait comporté un coefficient correcteur spécifique pour Munich, cette
partie de la proposition a été détachée au cours de la procédure d' adoption du règlement et présentée sous la forme d' une proposition séparée . Cette séparation a eu lieu, car il est apparu qu' à défaut d' une telle initiative la proposition risquait d' être rejetée dans sa totalité . Selon le Conseil, l' action en annulation devrait être dirigée contre la décision de rejeter la séparation proposée concernant le coefficient correcteur pour Munich, plutôt que contre le règlement finalement adopté .
A l' appui de son argument, le Conseil invoque le procès-verbal de la 1423e session du Conseil qui fait expressément état de deux propositions séparées . Le Conseil admet que le défaut allégué en ce qui concerne la délimitation de l' objet de la procédure n' est pas de nature à rendre le recours irrecevable, mais il estime néanmoins que ce défaut devrait être corrigé "pour la bonne forme ".

10 . Point n' est besoin de nous consacrer trop longtemps à cette objection du Conseil . Il est clair que la proposition de la Commission qui a abouti en définitive à l' adoption du règlement n 2258/90 prévoyait la fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour Munich et qu' à la date à laquelle la procédure d' adoption du règlement a porté ses fruits, cette partie de la proposition avait disparu sans laisser de traces . Le moment où et les raisons pour lesquelles la référence à un
coefficient correcteur spécifique pour Munich a cessé de figurer dans la proposition de règlement n' a aucune influence sur la question soumise à la Cour et il importe peu de savoir si l' action en annulation est dirigée contre le défaut d' inclure un tel coefficient correcteur dans le règlement adopté ou le défaut d' y avoir pourvu dans un instrument distinct . La seule question soumise à la Cour est de savoir si, une fois saisi de la proposition de la Commission, le Conseil était tenu de fixer un
coefficient correcteur spécifique pour Munich .

11 . On peut remarquer que le Conseil n' a soulevé aucune objection quant au fait que la Commission a agi sous la forme d' un recours en annulation au titre de l' article 173 du traité, et ce bien que ce recours soit essentiellement fondé sur une omission du Conseil, pour laquelle une procédure fondée sur l' article 175 pouvait sembler plus appropriée . A notre avis, c' est à juste titre que la procédure a été engagée sur la base de l' article 173 . La procédure au titre de l' article 175, qui ne
peut être engagée qu' après que l' institution concernée a préalablement été invitée à agir et a omis de définir sa position, ne serait pas appropriée dans le cas où, comme dans la présente espèce, le Conseil a agi mais où il est allégué qu' il a agi de manière illicite en omettant d' adopter une partie de la mesure proposée par la Commission . Dans une telle hypothèse, même s' il peut paraître inhabituel de demander l' annulation d' un règlement dans la mesure où celui-ci ne contient pas une
disposition particulière, une objection éventuelle ne pourrait être que purement formelle; en substance, le problème est le même qu' un règlement soit illicite parce qu' il contient une disposition particulière ou parce qu' une telle disposition a été omise . Dans la présente espèce, il est prétendu que le règlement litigieux, qui s' applique à tout le personnel des institutions communautaires, fait subir une discrimination à ceux affectés à Munich . Peu importe que cette discrimination résulte d'
une disposition spécifique ou de l' absence d' une disposition spécifique; à notre avis, les deux hypothèses permettent de contester le règlement lui-même . C' est pourquoi, à notre avis, la Cour a le droit d' examiner une telle action au titre de l' article 173 du traité et, si celle-ci est bien fondée, de déclarer le règlement nul dans la mesure où il ne comporte pas la disposition en cause . L' annulation d' une mesure pour autant qu' elle ne comporte pas une disposition particulière ne constitue
d' ailleurs rien d' entièrement nouveau : voir par exemple l' affaire 46/85, Royaume-Uni/Commission ( Rec . 1987, p . 5197 ).

Le fond de l' affaire

12 . La Commission fait valoir quatre moyens distincts : a ) infraction à l' article 64 du statut, b ) violation de l' obligation de motivation, c ) violation de règles que le Conseil s' est imposées et d ) violation du principe général de non-discrimination .

13 . L' article 64 étant fondé sur le principe de non-discrimination ( puisqu' il vise à assurer que la rémunération du personnel ait le même pouvoir d' achat quel que soit le lieu d' affectation ), il semble logique d' examiner conjointement le premier et le quatrième moyens .

14 . La Commission déduit des textes et de la jurisprudence citée ci-avant ( paragraphes 4 à 8 ) qu' avant que la fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour un lieu d' affectation autre qu' une capitale ne devienne nécessaire, deux conditions doivent être réunies :

a ) il faut qu' un nombre suffisamment important de fonctionnaires ou autres agents des Communautés y soit affecté;

b ) ( nous paraphrasons ) il doit exister une différence significative dans le coût de la vie .

Le Conseil adhère expressément à cette analyse .

15 . Les parties sont également d' accord sur le fait que le second de ces deux critères est satisfait dans la présente espèce . Ce point laisse d' ailleurs peu de place à la discussion . Les études de prix effectuées par l' Office statistique des Communautés européennes, en collaboration avec le Statistisches Bundesamt, ont montré qu' à la fin de 1987 le coût de la vie était plus élevé de 8 % à Munich qu' à Bonn, qui était alors et a été pendant toute la période pertinente pour la présente affaire,
la capitale de la République fédérale . La Commission souligne qu' un coefficient correcteur spécifique a récemment été introduit pour Culham ( un coefficient de 99,3 comparé à celui de 103,9 pour Londres ) et pour Berlin ( un coefficient de 109 contre 99,3 en ce qui concerne Bonn ). De surcroît, dans l' arrêt Roumengous Carpentier ainsi que dans les autres arrêts de la même série, la Cour a estimé qu' une différence de 2,76 % suffisait à justifier la fixation d' un coefficient correcteur spécifique
. A notre avis, le fait que la Cour se soit référée alors à l' article 65, paragraphe 2, du statut et non, comme on aurait pu s' y attendre, à son article 64, n' a aucune importance .

16 . Le litige entre les parties est centré sur l' application du premier des deux critères mentionnés ci-avant, qui consiste à exiger, pour que la fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour un endroit devienne nécessaire, qu' un nombre suffisamment important de fonctionnaires ou autres agents des Communautés soit affecté à cet endroit . Les deux parties font état d' une pratique administrative selon laquelle la présence de 50 fonctionnaires ou autres agents a été jugée suffisante pour
justifier la fixation d' un coefficient correcteur spécifique . Nous désignerons cette pratique par l' expression "règle des 50 personnes ". Bien qu' en l' espèce, à l' époque pertinente, 16 fonctionnaires et autres agents des Communautés seulement aient été affectés à Munich, la Commission n' en a pas moins estimé que la fixation d' un coefficient correcteur spécifique pour Munich était justifiée, car ce coefficient s' appliquerait également à environ 100 professeurs de l' École européenne à Munich
. Même si ces professeurs ne sont pas des fonctionnaires des Communautés, leurs salaires sont adaptés en fonction du coefficient correcteur fixé pour ces derniers, conformément à une décision du Conseil supérieur des Écoles européennes . La Commission fait état également du personnel de l' Office européen des brevets . Il ne semble pas que leur rémunération serait affectée par un coefficient correcteur fixé pour les fonctionnaires communautaires, mais la Commission estime que leur présence à Munich
est pertinente, du point de vue de la population statistique à prendre en considération, car leurs habitudes de consommation sont proches de celles des fonctionnaires communautaires et qu' ils garantissent ainsi un échantillon suffisamment important de personnes présentant les caractéristiques de salaires appropriées pour permettre une étude du coût de la vie .

17 . La Commission souligne que la règle des 50 personnes n' a jamais été considérée comme une règle de droit rigide . A son avis, il convient de mettre en balance, d' une part, le droit de chaque fonctionnaire de bénéficier de la même rémunération, quel que soit son lieu d' affectation et, d' autre part, le coût et les inconvénients inhérents aux enquêtes de prix visant à établir si le coût de la vie dans un lieu d' affectation est notablement plus élevé que dans la capitale . La Commission fait
valoir que les deux critères - à savoir le nombre de personnes affectées à un endroit particulier et la mesure dans laquelle le coût de la vie à cet endroit dépasse le coût de la vie dans la capitale - doivent être examinés conjointement . Un écart particulièrement important en ce domaine doit justifier la fixation d' un coefficient spécifique, même s' il concerne moins de 50 fonctionnaires ou agents de la Communauté ( au moins lorsqu' en fait le coefficient correcteur sera appliqué à d' autres
personnes, telles que des professeurs de l' École européenne, de sorte à porter le nombre total des personnes concernées au-delà du seuil de 50 ); au contraire, un coefficient correcteur spécifique peut être justifié dans le cas d' un écart bien moins important en matière de coût de la vie, lorsque le nombre de personnes affectées est très important .

18 . Le Conseil fait valoir que, même si la règle des 50 personnes n' a jamais été consacrée en tant que règle de droit, elle n' en constitue pas moins une pratique reconnue par les deux institutions et la Commission s' en est prévalue lorsqu' elle a rejeté les réclamations formées par les fonctionnaires affectés à Munich . Selon le Conseil, la Commission n' a présenté aucun argument convaincant justifiant que l' on s' écarte, dans la présente espèce, de la pratique établie . En particulier, le
Conseil conteste que les professeurs de l' École européenne de Munich devraient compter aux fins de la règle des 50 personnes, puisque ce ne sont pas des agents de la Communauté . Le Conseil admet que l' article 64 du statut est fondé sur le principe de l' égalité de traitement, dans la mesure où il cherche à assurer que les fonctionnaires ou agents de la Communauté ont le même pouvoir d' achat quel que soit leur lieu d' affectation . Le Conseil se demande toutefois s' il est possible d' assurer une
égalité de traitement parfaite dans un tel domaine . Citant les conclusions de l' avocat général M . Capotorti dans l' affaire Roumengous Carpentier et les affaires connexes ( Rec . 1982, p . 4379, 4412, 4413 ), il suggère que le législateur communautaire est uniquement tenu de garantir "une correspondance substantielle et rationnelle, en tolérant d' éventuelles différences d' importance modeste ".

19 . Notre avis sur ces questions est le suivant : tout d' abord, si la règle des 50 personnes est un critère valable, nous ne pensons pas que l' on puisse dire qu' il est satisfait dans la présente espèce, puisque 16 fonctionnaires des Communautés seulement étaient employés à Munich à l' époque pertinente . Contrairement à ce qui semble être l' avis de la Commission, nous ne voyons pas comment on peut faire entrer en compte, aux fins de cette règle, les professeurs de l' École européenne de Munich
. Comme la Commission le prétend, ils pourraient avoir bénéficié indirectement d' un coefficient correcteur fixé pour les fonctionnaires ou agents des Communautés employés à Munich, commme conséquence des instruments juridiques qui régissent les conditions de leur emploi . Il n' en reste pas moins qu' ils ne font pas partie du personnel employé par les Communautés . Alors que l' on peut trouver des arguments pour considérer à certaines fins les professeurs des Écoles européennes de Bruxelles et de
Luxembourg comme des agents des Communautés, puisque ces écoles ont été créées en vue de scolariser les enfants du personnel des Communautés, il n' en va pas de même de l' école de Munich qui ne peut avoir été créée en vue de scolariser les enfants des 16 fonctionnaires ou agents communautaires affectés à Munich .

20 . La Commission essaie également de faire fond sur la présence à Munich des membres du personnel de l' Office européen des brevets, au motif que leur salaire et leurs habitudes de consommation sont comparables à ceux des fonctionnaires de la Communauté . Ils assuraient ainsi la présence à Munich d' une population statistique suffisamment importante pour permettre une estimation appropriée du coût de la vie pour les fonctionnaires des Communautés . Cet argument n' emporte pas, lui non plus, notre
conviction . Si la règle des 50 personnes est un critère valable, c' est parce que le coût administratif de la mesure du niveau de la vie en un endroit particulier ne serait pas justifié si moins de 50 personnes étaient concernées . Ce n' est pas parce qu' il est impossible, statistiquement, de mesurer le coût de la vie de manière exacte dans un endroit où sont affectés moins de 50 fonctionnaires internationaux que cette règle a été adoptée . C' est ce que confirme le fait que, comme la Commission
le souligne, des coefficients correcteurs sont fixés pour des villes de pays tiers où sont affectés une poignée de fonctionnaires des Communautés . Il est probable que de telles villes ne sont pas toutes le siège d' une institution internationale offrant un nombre suffisant de fonctionnaires pour fournir des éléments de comparaison exacts .

21 . Bien que la Commission ait essayé de faire concorder la position qu' elle adopte en ce qui concerne Munich avec la règle des 50 personnes, la véritable question dans cette affaire est, à notre avis, la validité de cette règle .

22 . Il semble que la règle des 50 personnes a été extraite par la Commission, et acceptée par le Conseil, des arrêts de la Cour dans l' affaire Roumengous Carpentier et les affaires connexes . La Cour, rappelons-le, avait alors estimé que la référence aux "lieux d' affectation" à l' article 64 du statut devait être interprétée comme signifiant "non pas les seules capitales des États membres, mais les lieux exacts où se déroule l' activité d' un nombre suffisamment important de fonctionnaires et
agents des Communautés ". Même s' il semble que la règle a été appliquée par la Commission et par le Conseil depuis presque dix ans et a été invoquée comme motif pour rejeter des réclamations formées par des fonctionnaires, nous ne pensons pas que l' on puisse considérer qu' elle lie le législateur communautaire de quelque manière que ce soit . Elle ne constitue rien de plus qu' une pratique dont les institutions peuvent, ou même doivent, s' écarter si les circonstances l' exigent .

23 . Il est vrai que la Cour a parfois estimé que, lorsque les institutions ont adopté des directives internes régissant leur pratique administrative pour des questions de personnel, elles ne peuvent s' écarter de ces directives sans exposer les raisons spéciales de cette attitude : voir par exemple l' affaire 190/82, Blomefield/Commission ( Rec . 1983, p . 3981, 3993 ). Mais la Cour a expliqué sa décision en ce sens par le motif que, dans le cas contraire, le principe de l' égalité de traitement
serait violé . Dans la présente espèce, la question est de savoir si l' application même de la règle en cause enfreindrait ce principe . Qui plus est, comme la Cour l' a remarqué dans l' arrêt Blomefield, des directives de la nature de celle qui nous occupe ne peuvent en aucun cas déroger aux dispositions du statut .

24 . Il est évident à notre avis qu' au moins dans certaines circonstances, l' application de la règle des 50 personnes enfreindrait le principe d' égalité . Comme la Cour l' a dit clairement dans l' arrêt Benassi, l' article 64 du statut est fondé sur ce principe . Son objectif est de garantir que la rémunération réelle des fonctionnaires communautaires ne diffère pas selon leur lieu d' affectation . Or, si c' est là la base qui sous-tend l' article 64, il est difficile de voir une justification à
la règle des 50 personnes dans des circonstances où elle conduit à une inégalité importante . La thèse selon laquelle le droit d' un fonctionnaire individuel d' invoquer le principe d' égalité de traitement dépend de la condition qu' il soit victime de la discrimination en compagnie d' au moins 49 autres fonctionnaires nous apparaît à l' évidence comme indéfendable .

25 . Il est vrai que, dans l' affaire Roumengous Carpentier, la Cour semble avoir suggéré que des coefficients correcteurs spécifiques ne devaient être fixés que pour des endroits où un nombre important de personnes étaient affectées . Mais nous ne pensons pas que la Cour avait l' intention de créer une règle rigide à cet effet ou de fournir la base d' une pratique consistant à fixer automatiquement un coefficient correcteur spécifique pour un endroit où travaillent 50 fonctionnaires au moins,
chaque fois qu' il existe une différence appréciable dans le coût de la vie, et à refuser automatiquement la fixation d' un tel coefficient pour un endroit où travaillent moins de 50 fonctionnaires, même si la différence du coût de la vie est réellement substantielle . De surcroît, nous ne pensons pas que, lorsque l' avocat général M . Capotorti a parlé de "correspondance substantielle et rationnelle de traitement, en tolérant d' éventuelles différences d' importance modeste", il voulait suggérer
que des fonctionnaires pouvaient se voir imposer une discrimination flagrante à certains endroits, pourvu qu' ils se trouvent en petit nombre . Il voulait simplement dire que des variations mineures dans le coût de la vie pouvaient être ignorées aux fins de l' article 64 du statut, sans enfreindre pour autant le principe de l' égalité de traitement; comme il le déclare dans le même passage, le but du législateur communautaire n' est pas de garantir une "parfaite identité de traitement ". En outre,
il a estimé, comme l' a fait la Cour ( point 22 de l' arrêt ), que la différence de 2,76 % dont il était question en l' espèce était substantielle . A notre avis, alors qu' il peut être légitime d' ignorer une différence relativement réduite concernant un très petit nombre de personnes, il y a toutefois nécessairement un point où la différence est si grande qu' elle ne peut être tolérée, quel que soit le nombre de personnes concernées .

26 . Dans la présente espèce, il est constant que le coût de la vie était de 8 % plus élevé à Munich qu' à Bonn . La conséquence en est que 16 fonctionnaires affectés à Munich se trouvaient dans une situation moins favorable de 8 %, en termes de pouvoir d' achat, que les fonctionnaires en poste à Bonn, Bruxelles, Luxembourg ou un quelconque autre endroit pour lequel a été fixé un coefficient correcteur spécifique . Étant donné l' importance de cet écart, le Conseil était, à notre avis, tenu d'
empêcher que ces 16 fontionnaires ne subissent une discrimination importante en fixant un coefficient correcteur spécifique pour Munich . Alors que des arguments fondés sur le coût administratif disproportionné que comporte le fait de devoir effectuer des études du coût de la vie pour un nombre de personnes relativement petit peuvent avoir un certain poids dans des circonstances normales, ils perdent leur valeur lorsque l' on sait en réalité qu' il existe une différence importante dans le coût de la
vie .

Conclusion

27 . Pour toutes ces raisons, il convient de faire droit au recours de la Commission, sans qu' il ne soit nécessaire d' examiner ses deuxième et troisième moyens, et le règlement litigieux devrait être déclaré nul dans la mesure où aucun coefficient correcteur spécifique n' y est fixé pour Munich . A notre avis, la demande supplémentaire de déclaration que les dispositions du règlement continuent de produire leurs effets jusqu' à l' adoption d' un nouveau règlement est inutile . Si la Cour se
contente d' annuler le règlement dans la mesure où il lui manque une disposition particulière, les dispositions mises en place par le règlement continueront logiquement de produire leurs effets en toute hypothèse . Enfin, on peut noter que puisqu' aucune des parties n' a demandé le remboursement de ses dépens, il convient que chacune d' entre elles supporte les siens .

28 . En conséquence, nous estimons que la Cour devrait :

"1 ) déclarer que le règlement ( CEE ) n 2258/90 du Conseil, du 27 juillet 1990, rectifiant les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes et portant adaptation des coefficients correcteurs dont sont affectées les rémunérations et pensions de ces fonctionnaires et autres agents, est nul dans la mesure où aucun coefficient correcteur spécifique applicable aux rémunérations du personnel affecté à Munich n' y est fixé;

2 ) condamner les parties à supporter leurs propres dépens ."

(*) Langue originale : l' anglais .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-301/90
Date de la décision : 07/11/1991
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Coefficient correcteur spécifique pour Munich.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jacobs
Rapporteur ?: Mancini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:420

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