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26/09/1991 | CJUE | N°C-199/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 26 septembre 1991., Italtrade SpA contre Azienda di Stato per gli interventi nel mercato agricolo (AIMA)., 26/09/1991, C-199/90


Avis juridique important

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61990C0199

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 26 septembre 1991. - Italtrade SpA contre Azienda di Stato per gli interventi nel mercato agricolo (AIMA). - Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Roma - Italie. - Distillation du vin - Présentation

des preuves - Délai - Validité. - Affaire C-199/90.
Recueil de jurisp...

Avis juridique important

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61990C0199

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 26 septembre 1991. - Italtrade SpA contre Azienda di Stato per gli interventi nel mercato agricolo (AIMA). - Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Roma - Italie. - Distillation du vin - Présentation des preuves - Délai - Validité. - Affaire C-199/90.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-05545

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . En vue de soutenir le marché du vin, le règlement ( CEE ) n 337/79 du Conseil, du 5 février 1979 ( 1 ), a institué un système d' aide à la distillation préventive permettant de retirer du marché certaines quantités de vin en les faisant racheter par les distillateurs à un prix suffisamment attractif pour le producteur . Cette aide est versée par l' organisme d' intervention national au distillateur qui la reverse au producteur au moment où il achète le vin à distiller moyennant un "prix minimal
".

2 . Au cours de la campagne viti-vinicole 1983/1984, les distillateurs ont pu bénéficier d' une avance sur l' aide communautaire à la distillation préventive sous réserve de la constitution d' une caution . Le régime général de cette avance a été défini par le règlement ( CEE ) n 2179/83 du Conseil, du 25 juillet 1983 ( 2 ), dont l' article 9 dispose que "le distillateur ... peut demander qu' un montant égal à l' aide la moins élevée fixée pour la distillation en cause conformément à l' article 8
lui soit avancé, à condition qu' il ait constitué une caution égale à 110 % du montant de l' aide en faveur de l' organisme d' intervention" ( 3 ), la caution n' étant libérée que si la preuve est apportée dans des délais à déterminer que le vin a été distillé totalement et le prix d' achat payé au producteur dans les délais fixés .

3 . Les conditions de libération de la caution ont été précisées par l' article 8 du règlement ( CEE ) n 2373/83 de la Commission ( 4 ) qui dispose en son paragraphe 2 :

"Aux fins de libération de la caution visée au paragraphe 1, la preuve que la quantité totale de vin a été distillée ainsi que, le cas échéant, la preuve de paiement du prix d' achat du vin dans les délais prévus sont apportées au plus tard le 31 octobre 1984 .

Toutefois, si les preuves visées au premier alinéa sont apportées après l' échéance fixée audit alinéa, mais avant le 1er février 1985, le montant à libérer est égal à 80 % de la caution, la différence restant acquise .

Si ces preuves ne sont pas apportées avant le 1er février 1985, la caution reste acquise en totalité ."

4 . De nombreuses distilleries n' ayant pas été en mesure de respecter les délais prévus, ces deux dernières échéances ont été repoussées de deux mois, respectivement au 31 décembre 1984 et au 1er avril 1985 par le règlement ( CEE ) n 3501/83 de la Commission, du 12 décembre 1983 ( 5 ).

5 . Au cours de la campagne 1984, la société Italtrade a acheté d' importantes quantités de vin qu' elle a fait distiller . Sollicitant une avance sur l' aide communautaire, elle a constitué, en faveur de l' Azienda di Stato per gli interventi nel mercato agricolo ( ci-après "AIMA "), l' organisme d' intervention italien, les cautions requises par l' intermédiaire des Assicurazioni generali . Il n' est pas contesté par les parties au principal que les producteurs ont été payés et le vin
effectivement distillé .

6 . Pour une partie des contrats représentant environ vingt-huit mille hectolitres de vin, la société Italtrade a communiqué à l' AIMA les documents justificatifs du paiement du prix au producteur avec deux jours de retard, le 2 avril 1985 . En raison de ce retard, et conformément à l' article 8, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement n 2373/83, l' AIMA a retenu la totalité des garanties correspondant aux contrats concernés .

7 . C' est dans le cadre de la procédure en remboursement de ces cautions ( 6 ) intentée par Italtrade que le Tribunale civile di Roma vous demande en substance, d' une part, si la perte totale de la caution entraîne la perte du droit à solliciter l' aide ( première question ), d' autre part, si la sanction édictée par l' article 8 du règlement n 2373/83 est conforme au principe de proportionnalité ( deuxième et troisième questions ).

8 . Au préalable, examinons l' argumentation d' Italtrade qui soutient que, faute d' y avoir été expressément autorisée par le Conseil, la Commission n' était pas habilitée à édicter, pour le retard dans la présentation des preuves, une sanction entraînant la perte de l' aide communautaire .

9 . Il résulte de la combinaison des articles 11, paragraphe 4, et 67, paragraphe 3, du règlement n 337/79 que la Commission a reçu du Conseil habilitation pour établir les modalités d' application de la distillation préventive, après avis d' un comité de gestion des vins .

10 . L' article 7, paragraphe 3, du règlement n 2179/83 du Conseil dispose que "... Les mesures à prendre en cas de défaut de paiement du prix minimal d' achat ou d' absence de la preuve du paiement de celui-ci sont arrêtées dans le cadre des modalités d' application" ( 7 ).

11 . Sur le point précis des avances, l' article 9, paragraphe 2, du même règlement prévoit que la caution constituée par le distillateur n' est libérée que s' il rapporte, dans des délais à déterminer, la preuve du paiement du prix au producteur et de l' accomplissement total des opérations de distillation .

12 . Autorisée expressément à édicter des sanctions pour défaut de preuve, la Commission était nécessairement habilitée à les prévoir dans le cas d' un retard dans la présentation des preuves, ce retard n' étant rien d' autre que le défaut de preuve à l' expiration du délai impérativement prévu pour la production de celle-ci .

13 . Le vingtième considérant du règlement n 2179/83 invitait, d' ailleurs, à prévoir une mesure de proportionnalité pour le cas où le distillateur, tout en ayant respecté ses obligations principales, en fournit la preuve avec retard .

14 . Les règlements susvisés du Conseil permettaient donc à la Commission de fixer une sanction en cas de non-respect des délais de présentation des preuves .

15 . La mesure édictée par l' article 8, paragraphe 2, du règlement n 2373/83 est-elle une simple pénalité pouvant aller jusqu' à la perte totale de la caution ou entraîne-t-elle de surcroît la déchéance du droit à l' aide? Telle est en substance la première question du juge a quo .

16 . Une distinction préalable s' impose . D' une part, les règlements n s 2179/83 et 2373/83 déterminent les conditions pour bénéficier de l' aide : le distillateur doit rapporter la preuve des opérations de distillation, l' aide étant versée dans les trois mois de la présentation de cette preuve ( 8 ). La preuve du paiement du prix au producteur doit intervenir dans les quatre mois de la présentation de la preuve des opérations de distillation . A défaut, l' aide est perdue partiellement ou en
totalité suivant l' importance du retard dans la production de ces preuves ( 9 ). C' est ce que l' on pourrait appeler le régime de l' aide . D' autre part, le distillateur peut bénéficier d' une avance égale à l' aide la moins élevée, la seule condition pour l' obtenir étant la constitution d' une caution ( 10 ). Tant la preuve des opérations de distillation que celle du paiement au producteur doivent être présentées avant le 31 décembre 1984 . La production des preuves après cette date est
sanctionnée par la perte partielle ou totale de l' aide suivant l' importance du retard ( 11 ). C' est ce que l' on pourrait appeler le régime de l' avance . La principale différence entre ces deux régimes est relative à la preuve de la distillation . Cette preuve ne doit être fournie qu' après le versement de l' avance . Elle est, au contraire, la condition du versement de l' aide .

17 . Très naturellement, le régime de l' avance prévoit la constitution d' une caution "afin de garantir que l' organisme d' intervention ne soit pas soumis à des risques injustifiés" ( 12 ).

18 . La caution est donc inhérente à l' avance et n' est qu' une modalité du préfinancement . Ainsi, le neuvième considérant du règlement n 2373/83 indique qu' "il convient de prévoir que le prix minimal assuré aux producteurs leur soit versé, en règle générale, dans des délais leur permettant d' en tirer un bénéfice comparable à celui qu' ils obtiendraient s' il s' agissait d' une vente commerciale; ... dans ces conditions, il est indispensable d' avancer le plus possible le versement des aides
dues pour la distillation en cause, tout en garantissant par un régime de caution approprié le bon déroulement des opérations" ( 13 ).

19 . Il s' ensuit que la caution n' a pas d' autre objet que de garantir le remboursement de l' avance sur l' aide pour le cas où il apparaîtrait ultérieurement que cette aide n' était pas due .

20 . L' avance et l' aide obéissent donc à des régimes de preuve différents . Aucun texte, cependant, n' exclut formellement le bénéficiaire de l' avance sanctionné par la perte totale de la caution du bénéfice de l' aide . De simples considérations de délais peuvent, en revanche, lui en interdire l' accès .

21 . En effet, les opérations de distillation ne pouvaient avoir lieu après le 31 août 1984 ( 14 ), le producteur devant être payé dans les trois mois de l' entrée en distillerie, soit au plus tard le 30 novembre 1984 . La preuve de ce paiement du prix au producteur devait être apportée dans les quatre mois de la preuve de la distillation et au plus tard le 28 février 1985 ( 15 ). A compter de cette date, l' aide était récupérée en totalité par l' organisme d' intervention ( 16 ). L' article 7,
deuxième alinéa, du règlement n 2373/83, tel que modifié par le règlement n 3501/83, est à cet égard formel .

22 . Il en résulte que le bénéficiaire de l' avance, qui fournissait les preuves requises après le 28 février 1985, perdait la caution ( au moins partiellement ) et était forclos pour solliciter l' aide . Rappelons qu' Italtrade n' a rapporté la preuve du paiement au producteur que le 2 avril 1985 .

23 . Nous vous proposons, par conséquent, de répondre à la première question que la perte de la caution prévue par l' article 8, paragraphe 2, modifié du règlement n 2373/83 n' implique pas par elle-même la perte du droit de solliciter l' aide, mais que l' aide ne peut plus être demandée après l' expiration des délais prévus par l' article 7, deuxième alinéa, modifié, du même règlement .

24 . Les deuxième et troisième questions vous conduisent l' une et l' autre à vérifier la compatibilité de l' article 8, paragraphe 2, précité, avec le principe de proportionnalité . Nous vous proposons de les examiner ensemble et de leur donner une réponse commune .

25 . Rappelons que, se conformant aux prescriptions du règlement n 2179/83 du Conseil dont le vingtième considérant énonce qu' "il est ... indiqué de prévoir une mesure de proportionnalité pour le cas où le distillateur, tout en ayant respecté ses obligations principales, en fournit la preuve avec retard", l' article 8, paragraphe 2, du règlement n 2373/83 de la Commission prévoit que, en cas de retard inférieur ou égal à trois mois dans la production des preuves du paiement aux producteurs, la
caution n' est perdue qu' à hauteur de 20 % et en totalité en cas de retard supplémentaire .

26 . Il est à noter que, de manière tout à fait symétrique, le distillateur qui, sans passer par le régime de l' avance et de la caution, a bénéficié de l' aide perd celle-ci soit à hauteur de 20 %, soit totalement, selon l' importance du retard dans la présentation de la preuve du paiement au producteur ( 17 ).

27 . Vous considérez, en présence d' une sanction telle qu' une non-libération de caution pour non-respect d' un délai de présentation de preuves, qu' il y a lieu d' examiner si elle

"dépasse les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché" ( 18 ).

28 . C' est à cet examen que vous vous êtes livrés dans l' affaire Fromançais SA/FORMA ( Fonds d' orientation et de régularisation des marchés agricoles ) ( 19 ). Afin d' écouler les excédents de beurre, le règlement ( CEE ) n 1259/72 permettait à certaines entreprises de transformation de la Communauté d' acheter du beurre à prix réduit, selon un système d' adjudication . En contrepartie de la réduction de prix, l' adjudicataire s' engageait à transformer le beurre en produits déterminés . Il
devait payer le prix réduit et constituer une caution de transformation couvrant la différence entre le prix du marché du beurre et le prix minimal de vente . Une partie du beurre acheté par la société Fromançais n' ayant pas été transformée dans les délais, le FORMA a refusé de libérer une partie des cautions constituées par la société . Vous avez jugé que

"Afin d' établir si une disposition de droit communautaire est conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier, en premier lieu, si les moyens qu' elle met en oeuvre pour réaliser l' objectif qu' elle vise s' accordent avec l' importance de celui-ci et, en second lieu, s' ils sont nécessaires pour l' atteindre .

Les dispositions prévoyant la perte totale de la caution dans le cas d' un dépassement du délai de transformation visent à empêcher que les adjudicataires du beurre vendu à prix réduit puissent constituer des réserves à des fins spéculatives" ( 20 ).

Vous en avez déduit qu' était proportionnée à cette finalité la non-libération de l' entière caution pour dépassement de délais .

29 . Votre approche est la même en matière de restitutions à l' exportation . C' est ainsi que dans l' affaire Man Sugar ( 21 ) l' exportateur, bénéficiaire d' une adjudication pour l' exportation de sucre vers des pays tiers, avait constitué une caution pour bénéficier de restitutions à l' exportation . Le retard dans la présentation de demandes de certificats d' exportation était sanctionné par la perte totale de la caution . C' est après avoir constaté que ces certificats n' étaient utiles que
pour suivre les mouvements d' exportation et ne fournissaient pas de renseignements nouveaux essentiels que la Cour en a déduit que :

"Si dans un souci de bonne gestion administrative, la Commission était en droit d' instituer un délai aux fins de présenter les demandes de certificat d' exportation, elle aurait dû frapper le non-respect de ce délai par une sanction sensiblement moins lourde pour les opérateurs économiques, que celle prévoyant la perte totale de la caution, et mieux adaptée aux effets pratiques d' une telle omission" ( 22 ).

30 . Dans notre affaire, l' objectif de la fixation d' un délai impératif pour le dépôt de la preuve de la distillation et du paiement du prix aux producteurs est énoncé au vingtième considérant du règlement n 2179/83, aux termes duquel "... pour bénéficier de l' aide, les intéressés doivent présenter une demande accompagnée d' un certain nombre de pièces justificatives; ... pour assurer un fonctionnement uniforme du système dans les États membres, il convient de prévoir que la présentation de la
demande ainsi que le versement de l' aide due aux distillateurs se fassent dans des délais à déterminer" ( 23 ). La fixation de délais impératifs pour présenter à l' organisme d' intervention la preuve du bon déroulement des opérations a donc pour justifications déclarées la bonne gestion administrative du système des avances et le respect du principe de l' égalité de traitement entre opérateurs économiques . Ces délais ont une autre raison d' être . Pendant leur cours, la caution est immobilisée
entre les mains du fidéjusseur et l' organisme d' intervention a versé une avance dont il ne peut pas encore vérifier le bien-fondé et qu' il ne peut pas récupérer . Dans le cas où l' avance se révèle indue, l' organisme d' intervention ne peut percevoir la caution qu' à l' échéance du délai pour présenter les preuves . Afin de préserver les intérêts financiers de la Communauté, il fallait donc prévoir un délai raisonnable pour la présentation de celles-ci et assortir le retard d' une sanction
suffisamment dissuasive pour qu' un distillateur ne cherche pas à obtenir une avance qu' il ne pourra pas justifier ou qu' il justifiera dans des délais excessifs, sans que la caution couvre l' avance et les frais supportés par la Communauté .

31 . La perte de la caution est-elle adaptée à ces objectifs si on tient compte de la nature de l' obligation violée ( non-respect des délais de production de preuve )?

32 . Dans l' arrêt Buitoni ( 24 ), vous avez établi une importante distinction suivant la nature des obligations en cause . L' article 3 du règlement ( CEE ) n 499/76 de la Commission ( 25 ) sanctionnait de la perte totale de la caution garantissant l' obligation d' exporter le non-respect du délai imparti pour la présentation de certificats d' importation, imposée dans un but de bonne gestion administrative, alors que la non-réalisation de l' obligation principale d' exporter n' était pénalisée que
de manière proportionnelle à cette non-réalisation . Bénéficiaire de certificats d' importation, la société Buitoni avait effectué les opérations d' importation dans les délais . Mais les preuves de celles-ci avaient été produites avec retard . Le FORMA avait refusé de libérer la caution . Vous avez jugé que :

"... cette sanction forfaitaire, qui frappe une violation nettement moins grave que celle, pénalisée par une sanction à caractère essentiellement proportionnel, du non-accomplissement de l' obligation que la caution elle-même est destinée à garantir, doit être qualifiée de trop rigoureuse par rapport au but d' une bonne gestion administrative dans le cadre du système de certificats d' importation et d' exportation" ( 26 ).

Vous avez rappelé les conséquences de cette distinction entre obligations principales et obligations accessoires de manière particulièrement nette dans l' arrêt Man Sugar, précité :

"lorsqu' une réglementation communautaire établit une distinction entre une obligation principale, dont l' accomplissement est nécessaire pour atteindre l' objectif visé, et une obligation secondaire, à caractère essentiellement administratif, elle ne peut, sans méconnaître le principe de proportionnalité, sanctionner aussi sévèrement la méconnaissance de l' obligation secondaire et celle de l' obligation principale" ( 27 ).

33 . Vous noterez à cet égard que le règlement n 2373/83 dont la validité de certaines dispositions est contestée par Italtrade ne prévoit de sanctions progressives qu' en cas de non-respect des obligations de preuve, que vous qualifiez d' obligations accessoires .

34 . Mais, vous avez atténué la portée initialement tirée de la distinction entre obligations principales et obligations accessoires . Vous vous êtes, notamment, refusés à toute automaticité en indiquant qu' il ne pouvait y avoir de proportionnalité de principe des pertes totales - d' aide ou de caution - en tant que sanction des obligations principales . Ainsi, dans l' arrêt Lingenfelser ( 28 ) concernant le règlement de la Commission organisant la distillation préventive de vin pour la campagne
1982/1983, vous avez jugé que la perte totale de l' aide accordée au distillateur pour sanctionner le léger dépassement d' un délai de trois mois pour régler le producteur était disproportionnée eu égard à l' objectif fixé alors même qu' il s' agissait de l' inexécution par le distillateur de son obligation principale :

"Il convient de rappeler, à cet égard, que l' objectif de la fixation d' un délai pour le paiement du prix d' achat par le distillateur au producteur ... est de prévoir que le prix minimal assuré au producteur lui soit versé, en règle générale, dans des délais lui permettant d' en tirer un bénéfice comparable à celui qu' il obtiendrait s' il s' agissait d' une vente commerciale . La fixation d' un délai pour le paiement du prix d' achat par le distillateur au producteur est ainsi destinée à inciter
ce dernier à offrir à la distillation des vins qui risquent de porter atteinte au niveau qualitatif élevé des vins mis sur le marché .

Dans ces conditions, un dépassement du délai de paiement, qui n' a pas pour conséquence que l' opération se déroule dans des conditions sensiblement différentes de celles de transactions commerciales normales, au point de décourager le producteur d' offrir son vin à la distillation, ne peut être considéré comme compromettant l' objectif même du régime de distillation" ( 29 ).

Il est à noter que dans cette affaire le dépassement du délai fixé était sanctionné directement par la perte totale de l' aide sans délai intermédiaire permettant une perte seulement partielle de celle-ci, et donc sans aucun élément de proportionnalité .

35 . Symétriquement, dans votre arrêt Philipp Brothers ( 30 ), vous avez jugé que la perte totale de la restitution à l' exportation perçue d' avance pouvait valablement sanctionner la violation d' une obligation secondaire . Le règlement ( CEE ) n 2730/79 de la Commission, du 21 novembre 1979, permettait aux États membres d' avancer à l' exportateur tout ou partie du montant de la restitution dès l' accomplissement des formalités douanières d' exportation à condition que soit garanti, par la
constitution d' une caution, le montant de cette avance majoré de 15 %. Philipp Brothers avait obtenu des certificats d' exportation de blé, procédé aux exportations et, moyennant la constitution d' une caution, perçu des avances sur restitution . Présentant les preuves requises ( et, notamment, les formalités douanières d' exportation ) hors délai, cet exportateur avait été poursuivi en paiement d' une somme égale au montant de la caution libérée à tort . Vous avez décidé que

"... l' instauration d' un délai impératif pour le dépôt des documents nécessaires pour rapporter la preuve de l' exportation est une mesure nécessaire pour éviter que l' exportateur ne bénéficie d' un avantage indu" ( 31 ).

"... dans l' hypothèse où les documents réglementaires ne seraient pas déposés dans un délai de six mois, la sanction consistant dans la perte de la caution ou le paiement d' un montant correspondant lorsque la caution a été libérée n' est pas disproportionnée par rapport aux finalités de la réglementation en cause et aux exigences inhérentes à la gestion administrative des dossiers relatifs aux restitutions préfinancées" ( 32 ).

Vous avez donc admis, dans ce cas, que, pour non-respect des délais de présentation des preuves, l' exportateur doit rembourser la restitution majorée de 15 %, donc subir une perte .

36 . Ce dernier arrêt présente un certain nombre de points communs avec notre affaire . Il s' agit dans les deux cas d' un système d' avance sur une aide communautaire dont le distillateur ou l' exportateur n' est pas le seul bénéficiaire final . En effet, l' avance versée au distillateur lui permet d' acheter du vin à un prix suffisamment attractif pour le producteur . De même, la restitution permet à l' exportateur de blé de compenser la différence entre les prix communautaires et les prix - moins
élevés - du marché mondial et d' abaisser le prix de vente au niveau des pays tiers concurrents, ce qui, indirectement, bénéficie au producteur communautaire .

37 . La caution versée par Philipp Brothers était égale à l' avance obtenue majorée de 15 %. La caution versée par Italtrade correspondait à 110 % du montant de l' aide, étant rappelé que l' avance est toujours égale au montant de l' aide la moins élevée . Dans ces deux hypothèses, en cas de non-présentation des preuves, la sanction correspondant à la perte de la caution est donc directement fonction du montant de l' avance obtenue .

38 . La SA Philipp Brothers pouvait obtenir, au-delà de six mois, des délais supplémentaires pour justifier de l' accomplissement des formalités douanières d' exportation en prouvant qu' elle avait fait diligence pour se procurer ces justifications dans les délais prescrits ( 33 ).

39 . Les distillateurs visés par le règlement n 2373/83 n' ont pas réellement bénéficié d' une prorogation de délai . En effet, si le règlement n 3501/83 de la Commission a repoussé les échéances initialement fixées pour produire les preuves, il a également reculé la date limite pour distiller : ce sont donc toutes les opérations qui ont été décalées de deux mois .

40 . En revanche, comme tous les distillateurs concernés, Italtrade bénéficiait automatiquement d' un délai de huit mois pour présenter les preuves sans avoir à faire de démarche . Le règlement n 2373/83 édicte donc un régime plus favorable à l' opérateur que celui auquel était soumis Philipp Brothers qui ne favorisait que l' opérateur diligent qui demandait des délais supplémentaires .

41 . Dans l' affaire Philipp Brothers, le lien entre le montant de la caution et celui de l' avance et l' atténuation de la rigueur des délais par des possibilités de prorogation constituaient autant d' éléments de proportionnalité qui vous ont conduits à juger valide la sanction prévue .

42 . L' article 8, paragraphe 2, du règlement n 2373/83 vous propose un autre type de sanction et une autre forme de proportionnalité . La sanction n' est plus seulement fonction du montant de l' avance, elle est aussi proportionnelle au retard, le dépassement d' une première échéance étant sanctionné par la perte partielle de la caution, le dépassement d' une seconde échéance l' étant par sa perte totale . Un dépassement de délai minime - notamment celui qui peut s' expliquer par une simple
négligence - fait donc l' objet d' une sanction minime . Nous ne sommes plus dans le cas d' une sanction forfaitaire que vous avez condamnée dans l' arrêt Buitoni ( 34 ).

43 . La sanction de la perte totale de la caution nous paraît être la contrepartie de délais particulièrement longs accordés au distillateur pour présenter les preuves . Jusqu' au 31 décembre 1984, le distillateur ne s' exposait à aucune sanction . Jusqu' au 1er avril 1985, la sanction n' était qu' une perte partielle . Ce n' est qu' à compter de cette dernière date que la caution était totalement perdue .

44 . Le distillateur n' avait que des preuves documentaires simples à présenter - il n' avait, notamment, pas de documents douaniers à produire - et le règlement n 2179/83 réservait le cas de la force majeure ( 35 ).

45 . Enfin, l' économie générale du règlement litigieux vise à rapprocher les modalités d' octroi des aides communautaires ( et notamment les délais ) des pratiques commerciales normales ( 36 ). Il ne semble pas, à cet égard, qu' un délai de huit mois pour justifier les opérations de distillation et de paiement aux producteurs soit inférieur aux délais généralement pratiqués pour ce type d' opération .

46 . Rappelons un point capital : en percevant une avance sur l' aide à la distillation, le distillateur bénéficiait d' un avantage financier supplémentaire puisqu' il pouvait disposer de sommes correspondant à une aide non encore exigible moyennant la seule constitution d' une caution . Il pouvait ainsi payer les producteurs sans faire l' avance de fonds . De plus, le régime de l' avance était un régime volontaire dont le distillateur connaissait les conditions, les avantages et les contraintes et
qu' il acceptait librement .

47 . Nous estimons donc que la sanction prévue par l' article 8, paragraphe 2, même si elle peut consister dans la perte totale de la caution, n' est pas disproportionnée avec le principal objectif visé : assurer un fonctionnement satisfaisant du système très spécifique de l' avance en préservant le principe de l' égalité entre les opérateurs et les intérêts financiers de la Communauté .

48 . Nous concluons, dès lors, à ce que vous disiez pour droit que :

1 ) La perte de la caution prévue par l' article 8, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n 2373/83 de la Commission, du 22 août 1983, modifié par l' article 1er, paragraphe 3, du règlement ( CEE ) n 3501/83 de la Commission, du 12 décembre 1983, n' implique pas par elle-même la perte du droit de solliciter l' aide; mais l' aide ne peut plus être demandée après l' expiration des délais prévus par l' article 7, deuxième alinéa, du règlement ( CEE ) n 2373/83, modifié par l' article 1er, paragraphe 2, du
règlement ( CEE ) n 3501/83, précité;

2 ) L' examen des deuxième et troisième questions n' a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l' article 8 du règlement n 2373/83 de la Commission, du 22 août 1983, modifié par l' article 1er du règlement n 3501/83, précité .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Règlement portant organisation commune du marché viti-vinicole ( JO L 54, p . 1 ).

( 2 ) Règlement établissant les règles générales relatives à la distillation des vins et des sous-produits de la vinification ( JO L 212, p . 1 ).

( 3 ) Souligné par nous .

( 4 ) Règlement du 22 août 1983 établissant les modalités d' application de la distillation prévue à l' article 11 du règlement ( CEE ) n 337/79 pour la campagne viticole 1983/1984 ( JO L 232, p . 5 ) .

( 5 ) Règlement modifiant le règlement ( CEE ) n 2373/83 précité ( JO L 350, p . 5 ).

( 6 ) Et d' autres retenues étrangères aux questions préjudicielles posées .

( 7 ) Souligné par nous .

( 8 ) Article 7, paragraphe 3, du règlement n 2179/83 .

( 9 ) Article 7, paragraphe 1, du règlement n 2373/83 .

( 10 ) Article 9, paragraphe 1, précité, du règlement n 2179/83 .

( 11 ) Article 8, paragraphe 2 modifié, précité, du règlement n 2373/83 .

( 12 ) Huitième considérant du règlement n 2179/83 .

( 13 ) Souligné par nous .

( 14 ) Article 3 modifié du règlement n 2373/83 .

( 15 ) Article 7, deuxième alinéa, du règlement n 2373/83, modifié par l' article 1er, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n 3501/83 .

( 16 ) Ibidem .

( 17 ) Article 7, deuxième alinéa, du règlement n 2373/83 .

( 18 ) Arrêt du 20 février 1979, Buitoni, point 16 ( 122/78, Rec . p . 677 ); voir également arrêt du 17 mai 1984, Denkavit, point 25 ( 15/83, Rec . p . 2171 ).

( 19 ) Arrêt du 23 février 1983 ( 66/82, Rec . p . 395 ).

( 20 ) Points 8 et 9 .

( 21 ) Arrêt du 24 septembre 1985 ( 181/84, Rec . p . 2889 ).

( 22 ) Point 30, souligné par nous .

( 23 ) Souligné par nous .

( 24 ) Arrêt 122/78, précité .

( 25 ) Règlement du 5 mars 1976 modifiant le règlement ( CEE ) n 193/75 portant modalités communes d' application du régime de certificats d' importation, d' exportation et de préfixation pour les produits agricoles ( JO L 59, p . 18 ).

( 26 ) Point 20, souligné par nous .

( 27 ) Point 20 .

( 28 ) Arrêt du 27 juin 1990 ( C-118/89, Rec . p . I-2637 ).

( 29 ) Points 13 et 14 .

( 30 ) Arrêt du 12 juillet 1990 ( C-155/89, Rec . p . I-3265 ).

( 31 ) Point 38 .

( 32 ) Point 40 .

( 33 ) Article 31 du règlement ( CEE ) n 2730/79 .

( 34 ) Arrêt 122/78, précité .

( 35 ) Article 23 .

( 36 ) Voir le neuvième considérant du règlement n 2373/83 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-199/90
Date de la décision : 26/09/1991
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Roma - Italie.

Distillation du vin - Présentation des preuves - Délai - Validité.

Vin

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Italtrade SpA
Défendeurs : Azienda di Stato per gli interventi nel mercato agricolo (AIMA).

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:353

Source

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