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11/07/1991 | CJUE | N°C-78/90,

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 11 juillet 1991., Compagnie Commerciale de l'Ouest et autres contre Receveur principal des douanes de La Pallice Port., 11/07/1991, C-78/90,


Avis juridique important

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61990C0078

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 11 juillet 1991. - Compagnie Commerciale de l'Ouest et autres contre Receveur principal des douanes de La Pallice Port. - Demandes de décision préjudicielle: Cour d'appel de Poitiers - France. - Taxes parafiscales sur des pro

duits pétroliers. - Affaires jointes C-78/90, C-79/90, C-80/90, C-81/90...

Avis juridique important

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61990C0078

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 11 juillet 1991. - Compagnie Commerciale de l'Ouest et autres contre Receveur principal des douanes de La Pallice Port. - Demandes de décision préjudicielle: Cour d'appel de Poitiers - France. - Taxes parafiscales sur des produits pétroliers. - Affaires jointes C-78/90, C-79/90, C-80/90, C-81/90, C-82/90 et C-83/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-01847

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente procédure a pour objet un cas d' espèce qui revient assez souvent dans la jurisprudence de la Cour: les taxes parafiscales spécialement destinées à un organisme public pour financer ses activités institutionnelles.

L' impôt en question est constitué par une taxe perçue sur les produits pétroliers au moment de leur mise dans le commerce sur le marché français. Cette taxe a été instituée par la République française par deux décrets (le décret n 903, du 30 août 1978, et le décret n 1043, du 2 novembre 1978) afin de compenser la réduction des coûts pétroliers provoquée par une diminution du cours du dollar (monnaie qui régit les transactions pétrolières), de manière que les prix finals des produits pétroliers
demeurent inchangés.

Il faut relever que l' impôt était dû indépendamment de l' origine, nationale ou étrangère, du produit. D' autre part, aucune différence de régime n' était prévue entre produit national et produit importé en ce qui concerne l' assiette, le taux et les autres modalités de perception.

Toutefois, cet impôt, précisément en tant que taxe parafiscale, était soumis à une obligation de destination. Son produit était en effet attribué par la loi à l' Agence pour les économies d' énergie (ci-après "AEE"), organisme public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du ministre de l' Énergie. Sur la base des dispositions nationales en vigueur à l' époque, l' AEE était tenue d' utiliser les ressources financières provenant de l' impôt pour accomplir des actions visant à
réaliser des économies énergétiques et à rationaliser l' emploi des ressources énergétiques insuffisamment exploitées.

Estimant que le régime fiscal décrit présentait différents aspects d' illégalité tant du point de vue interne que communautaire, les demanderesses dans l' affaire principale, des entreprises qui importent et commercialisent en France des produits pétroliers, ont saisi l' autorité judiciaire en vue d' obtenir la répétition des sommes payées. Suite à cette demande, la cour d' appel de Poitiers a estimé nécessaire de surseoir à statuer et d' interroger la Cour au sujet de la conformité du régime fiscal
en question à un large éventail de dispositions du traité, et en particulier aux articles 3, 5, 6, 12, 13, 30, 31, premier alinéa, 32, premier alinéa, 37, 92 et 95.

Au-delà des références normatives indiquées dans les questions de la juridiction de renvoi, les points essentiels qu' elle demande à la Cour de clarifier apparaissent assez clairement. En réalité, il s' agit de statuer sur la compatibilité de la taxe parafiscale en question avec cinq groupes distincts de règles, relatives respectivement: aux principes de la Communauté, aux mesures d' effet équivalent, aux taxes d' effet équivalent et aux impositions intérieures discriminatoires, aux monopoles
commerciaux et, enfin, aux dispositions relatives aux aides publiques.

a) Les principes

L' examen de ce point de vue ne présente pas de difficultés excessives et nous estimons pouvoir y procéder assez rapidement. En premier lieu, il est évident que tant l' article 3, qui détermine les actions fondamentales de la Communauté, que l' article 6, qui prévoit le principe de la coordination des politiques économiques nationales, ont une nature programmatique et ne constituent donc pas des règles instituant des obligations précises et inconditionnées pour les États membres.

Il s' agit par conséquent de règles qui ne produisent pas d' effets directs aux fins de la réglementation d' un rapport juridique déterminé.

La situation en ce qui concerne l' application de l' article 5 apparaît à peine plus complexe. L' effet direct de la disposition est en général exclu (1): à tort, à notre avis, sauf approfondissements que nous estimons inopportuns. En vérité, il nous semble au moins concevable que la disposition, et spécialement le second alinéa, puisse avoir une portée normative autonome en tant que source de situations juridiques subjectives. Par ailleurs, ll est certain que l' article 5 est de toute façon destiné
à ne revêtir de l' importance que de manière tout à fait résiduelle. Dans la normalité des cas, une mesure incompatible avec la disposition de l' article 5, deuxième alinéa, entrera dans le champ d' application d' une prescription différente et plus spécifique du traité. Dans ces cas, ce sera évidement la règle spéciale qui devra être appliquée et non pas l' interdiction prévue par l' article 5, deuxième alinéa. Or, telle semble être précisément la situation du cas d' espèce, du moment que le traité
prévoit des dispositions spécifiques permettant d' apprécier exactement la compatibilité du régime fiscal litigieux.

Nous estimons donc que, indépendamment du problème de son effet direct, l' article 5 ne revêt pas d' importance dans la présente affaire.

b) Les mesures d' effet équivalent

Les demanderesses dans l' affaire principale et la Commission estiment possible d' affirmer l' incompatibilité de la taxe parafiscale litigieuse avec l' article 30 du traité. En particulier, la Commission, tout en reconnaissant expressément que cet article n' est pas applicable à l' imposition en tant que telle, relève que celle-ci fait partie intégrante d' un régime de prix établis par l' administration, dont les éléments sont tous définis de manière autoritaire par le gouvernement français. En la
considérant dans ce contexte, il serait possible d' estimer que l' institution de la taxe en question aurait eu à tout le moins pour effet d' entraver les importations des produits en question.

Nous dirons tout de suite que nous n' estimons pas que cette argumentation puisse être admise, pour deux motifs: l' un relatif au rapport qui existe entre l' article 30 et d' autres dispositions du traité, parmi lesquelles en particulier celles qui concernent spécialement les mesures nationales ayant une nature fiscale, et l' autre relatif à la substance de l' argumentation développée par la Commission et par les demanderesses dans l' affaire principale.

En ce qui concerne le premier moyen, nous rappelons tout d' abord que, comme on le sait, l' article 30, règle fondamentale du régime de la libre circulation des marchandises, constitue une lex generalis par rapport à d' autres dispositions spécifiques parmi lesquelles, en particulier, celles relatives aux impositions fiscales et aux taxes d' effet équivalent. Comme la Cour l' a reconnu dans l' arrêt Iannelli et Volpi (2):

"Pour étendu que soit le champ d' application de l' article 30, il ne comprend cependant pas les entraves visées par d' autres dispositions spécifiques du traité. En effet, les conséquences juridiques de l' application ou d' une violation éventuelle de ces différentes dispositions devant être déterminées en raison de leur objet propre dans l' ensemble des objectifs du traité, ces conséquences peuvent être de nature différente, ce qui implique la nécessité de distinguer leurs champs d' application
respectifs, étant réservé cependant le cas des situations pouvant tomber simultanément sous l' application de deux ou plusieurs dispositions du droit communautaire. Les entraves de nature fiscale ou d' effet équivalent visées par les articles 9 à 12 et 95 du traité ne relèvent pas de l' interdiction de l' article 30."

Le texte de l' arrêt, constamment confirmé par la jurisprudence ultérieure, ne se prête à aucune équivoque. Il établit que l' article 30 s' applique de manière alternative aux règles relatives aux taxes d' effet équivalent et aux impositions intérieures discriminatoires; lorsque, par conséquent, les conditions prescrites par le traité sont remplies, ce seront les règles que nous venons de citer qui devront s' appliquer et non pas la disposition relative aux mesures d' effet équivalent.

Il est vrai que, dans l' arrêt du 11 décembre 1990, Commission/Danemark (47/88, Rec. p. I-4509), la Cour a envisagé que, en présence de circonstances déterminées, une imposition intérieure non contraire à l' article 95 puisse également être appréciée conformément à l' article 30. Le cas qui fait l' objet de l' arrêt est cependant caractérisé par deux éléments précis: tout d' abord, l' imposition en question échappait à l' interdiction visée à l' article 95, dans la mesure où il n' existait aucune
production nationale qui fût concurrente ou similaire par rapport au produit importé grevé; en second lieu, il s' agissait d' établir si, dans ces circonstances, le montant de l' imposition était de toute façon tellement élevé qu' il compromettait la circulation des marchandises dans la Communauté. Nous estimons cependant que cette jurisprudence ne peut pas être étendue à des cas différents de celui décrit ici.

En particulier, si - comme dans la procédure qui nous occupe - il existe un produit intérieur similaire ou concurrent par rapport au produit importé grevé, on devra seulement établir si l' imposition a ou non des effets discriminatoires. La légalité de l' imposition elle-même devra donc être appréciée exclusivement à la lumière de l' article 95 (ou éventuellement des articles 9 et 12, comme nous l' expliquerons par la suite) et non pas à la lumière de l' article 30. Dans le cas contraire, on
élargirait démesurément cette dernière disposition, en la transformant en une règle passe-partout, sans aucune cohérence avec la systématique du traité, qui, compte tenu de la souveraineté fiscale des États membres, a prévu, aux articles 95 et suivants, un régime spécial pour les mesures nationales en matière fiscale.

A cet égard, nous ne cachons même pas notre perplexité devant l' orientation manifestée par la Cour dans l' arrêt Commission/Danemark sur le point où elle envisage l' applicabilité de l' article 30, sans même se poser le problème de l' importance éventuelle des articles 9 et 12, puisqu' il s' agit dans ce cas de charges pécuniaires, grevant les importations. Toutefois, nous estimons, en tout cas, que, en dehors de l' hypothèse exceptionnelle considérée dans l' arrêt Commission/Danemark, l' article
30 ne peut pas revêtir un caractère subsidiaire par rapport aux dispositions fiscales du traité.

En en venant au cas d' espèce, nous soulignons que tant la Commission que les demanderesses dans l' affaire principale ont été d' accord pour affirmer que la taxe parafiscale litigieuse entre dans le champ d' application tant des articles 9 et 12, que de l' article 95.

Nous estimons que cette remarque - qui nous semble en principe fondée - suffit à exclure que ladite taxe puisse être appréciée conformément à la disposition générale visée à l' article 30 du traité.

Mais, même si l' on ne veut pas souscrire à ces considérations de principe, il y a, comme nous l' avons dit, un autre motif qui nous incite à repousser l' applicabilité de l' article 30 dans le cas d' espèce. Afin de mieux en expliquer les raisons, il est opportun d' examiner attentivement l' argumentation élaborée en particulier par la Commission. Dans son mémoire, cette dernière a produit des données, relatives au régime de la fixation des prix des produits pétroliers, qui éclairent la situation
qui est apparue avant et après l' institution de la taxe litigieuse. Il résulte de ces données que, simultanément à l' introduction de la taxe, le "prix d' achat en raffinerie", qui constitue l' élément de base pour la définition du prix final, a été réduit d' un montant égal à l' incidence de la taxe elle-même.

Il faut encore relever que, ainsi qu' il résulte des décrets mêmes qui ont institué la taxe, cette réduction du "prix d' achat en raffinerie" ne constituait rien d' autre qu' une adaptation résultant de la réduction du prix du brut, provoquée à son tour par la diminution du cours du dollar. Malgré cela, cette évolution du prix fixé par l' administration française "allait à contre-courant" par rapport à celle des prix des produits pétroliers sur les marchés internationaux. Ainsi qu' il est apparu au
cours de la procédure, cette contradiction serait due au fait que, bénéficiant d' une conjoncture favorable, les opérateurs sur les marchés internationaux, non soumis aux régimes de réglementation des prix, auraient préféré maintenir inchangés les prix de vente des produits pétroliers (en augmentant les marges de bénéfice) plutôt que répercuter sur ces prix la diminution du coût du brut due à la fluctuation de la devise américaine.

Cette combinaison de circonstances aurait cependant eu l' effet pervers de mettre en grande difficulté les importateurs sur le marché français. En effet, ces derniers se sont trouvés dans l' obligation de faire face à des prix d' achat inchangés sur les marchés internationaux (alors que le prix d' achat en raffinerie sur le marché intérieur français avait été réduit, comme nous l' avons indiqué, pour tenir compte du fléchissement du dollar) et, dans le même temps, ils ont vu leur marge de bénéfice
réduite par la taxe parafiscale litigieuse. Devant cette situation, par conséquent, les importateurs se seraient trouvés dans l' impossibilité de vendre dans des conditions rémunératrices au niveau de prix établi par le gouvernement français et auraient donc dû réduire leurs importations de manière drastique.

Tout en tenant compte de cet arrière-plan complexe de faits (qu' il appartient en définitive a la juridiction nationale de vérifier), nous ne croyons pas que l' on puisse en déduire l' incompatibilité de la taxe en question avec l' article 30. En effet, le reproche adressé au gouvernement français est d' avoir fixé le prix des produits pétroliers à un niveau trop bas pour que les importations soient rémunératrices. Or, même si le prix final s' est effectivement situé, au cours de la période
considérée, à un niveau insuffisamment rémunérateur pour les importations, cela semble être dû exclusivement à la décision du gouvernement de réduire le "prix d' achat en raffinerie" afin de tenir compte du fléchissement du dollar. C' est en effet la raison indiquée dans les décrets adoptés par les autorités françaises et aucun élément n' a été présenté dans l' affaire pour prouver que la réduction du prix d' achat a été motivée par d' autres raisons ou a été de toute façon disproportionnée par
rapport à la fluctuation monétaire qui s' était produite.

Quant à la décision adoptée simultanément par le gouvernement d' introduire la taxe parafiscale, il s' agit d' une mesure qui est assez fréquente dans des conjonctures de ce genre. Plutôt que de laisser la réduction du prix d' achat se traduire par une augmentation de la marge bénéficiaire des commerçants ou par un bénéfice pour les consommateurs, le gouvernement a préféré destiner au fisc les économies réalisées à la suite de la diminution du prix d' achat lui-même. Dans cette perspective, qui est
celle qui résulte des éléments de la procédure, nous ne voyons pas comment il est possible d' imputer au gouvernement français le préjudice subi par les importateurs. En vérité, ces derniers ont été grevés par la taxe dans la même mesure que les opérateurs nationaux; ce qui, en réalité, a défavorisé les importateurs ce n' est pas la taxe, mais le fait qu' ils ont dû acheter les produits sur les marchés internationaux, où le prix d' achat libre n' a pas été réduit par les entreprises pétrolières
malgré le fléchissement du dollar.

A notre avis, deux indications possibles découlent de l' ensemble de ces considérations. En premier lieu, il ne nous semble pas qu' il existe des éléments pour estimer que l' intervention sur les prix effectuée par le gouvernement français a constitué un obstacle aux importations, et cela dans la mesure où cette intervention s' est limitée à compenser la fluctuation de la devise américaine. En second lieu, même en admettant qu' il n' en soit pas ainsi, on ne pourrait pas de toute façon estimer
incompatible avec l' article 30 la taxe parafiscale sur la légalité de laquelle la juridiction nationale nous interroge. En fait, ce qui aurait éventuellement pu avoir une incidence sur les importations, ce n' est pas la taxe en tant que telle, mais la décision d' accompagner son institution d' une réduction du prix d' achat des produits. Tant il est vrai que si, simultanément à la taxe, le gouvernement avait décidé de ne pas réduire le prix d' achat fixé par l' administration, voire l' avait
augmenté, les importations ne se seraient pas trouvées en difficulté sur le marché français. Il s' ensuit que ce fut la décision de réduire le prix d' achat en raffinerie qui a éventuellement entravé les importations et qui pourrait le cas échéant être contrôlée à la lumière de l' article 30. Mais, même si l' on parvenait à la conclusion que cette réduction du prix d' achat constitue une mesure d' effet équivalent, cela n' aurait aucune conséquence en ce qui concerne l' autre décision, relative à l'
institution de la taxe. En d' autres termes, même si l' article 30 avait imposé au gouvernement français de ne pas réduire les prix dans le cas d' espèce et de les maintenir à un niveau suffisant pour garantir le caractère rémunérateur des importations, les importateurs, tout en devant agir dans des conditions plus conformes à leurs intérêts, auraient de toute façon dû payer la taxe et ne pourraient donc formuler aucune demande de répétition.

En définitive, nous estimons donc que sur ce point il est possible de formuler les conclusions suivantes. De deux choses l' une: ou bien la taxe litigieuse n' a pas eu, pour les motifs qui seront examinés ci-après, la neutralité qu' elle doit avoir par rapport aux importations, et alors cette situation devra être examinée exclusivement sous l' angle non pas de l' article 30, mais des autres règles du traité spécialement pertinentes (les articles 9 et 12, ou l' article 95); ou bien la taxe
parafiscale a été parfaitement neutre, et alors le préjudice prétendument subi par les importations devra être mis en rapport non pas avec la taxe comme telle, mais avec la décision spécifique du gouvernement de réduire le prix d' achat en raffinerie (plutôt que de le maintenir inchangé, voire de l' augmenter); mais, comme nous l' avons relevé, cette seconde hypothèse sort du cadre du présent litige, qui concerne uniquement la répétition de la taxe considérée comme illégale et non pas le régime des
prix des produits pétroliers.

c) Les taxes d' effet équivalent et les impositions intérieures discriminatoires

C' est donc par rapport aux articles 9 et 12, ou à l' article 95, que l' on doit examiner la compatibilité de la taxe en question avec le droit communautaire.

Nous rappelons que la taxe est perçue tant sur le produit national que sur le produit importé et selon des modalités non discriminatoires. A première vue, par conséquent, elle ne remplit donc pas les conditions pour être qualifiée soit de taxe d' effet équivalent soit d' imposition intérieure discriminatoire. Toutefois, il est bien connu que, pour garantir la pleine effectivité des règles du traité sur la circulation des marchandises, on doit aller au-delà de l' examen du régime instituant la taxe,
afin d' analyser la destination du produit qui en provient. En effet, les taxes parafiscales sont destinées à financer l' activité de certains organismes publics ou parapublics qui, ensuite, exercent fréquemment des activités qui profitent de quelque manière au produit national grevé par ladite taxe.

En ce cas, la charge effectivement supportée par le produit national est inférieure, voire nulle, par rapport à la charge qui grève les produits importés. C' est précisément cette distorsion de la concurrence et des échanges qui fait l' objet des articles 9 et 12 ou 95.

La nécessité de tenir compte de la destination du produit de la taxe, pour sa qualification par rapport au traité, a été tout d' abord affirmée par la Cour pour ramener à la notion de taxe d' effet équivalent à un droit de douane des impôts que les États présentaient comme entrant dans un système d' imposition intérieure grevant, dans les mêmes termes, les produits nationaux et les produits importés, et qui ne pouvaient donc être appréciés qu' à la lumière de l' article 95. Déjà, dans l' arrêt
Capolongo (3), la Cour a dû affirmer que:

"Dans l' interprétation de la notion 'taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation' , il peut y avoir lieu de tenir compte de la destination des charges pécuniaires perçues. En effet, lorsqu' une telle charge pécuniaire ou contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement aux produits nationaux imposés, il peut en résulter que la contribution générale prélevée selon les mêmes critères sur le produit importé et le produit national
constitue néanmoins pour l' un une charge pécuniaire supplémentaire nette, tandis que pour l' autre elle constitue réellement la contrepartie à des avantages ou aides reçus.

En conséquence, une contribution relevant d' un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères peut néanmoins constituer une taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation, lorsque cette contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement au produit national appréhendé."

La ratio decidendi de cette jurisprudence est parfaitement indiquée dans les conclusions présentées par notre illustre prédécesseur, l' avocat général M. Trabucchi, dans l' affaire ultérieure IGAV (4), où, à propos d' une taxe parafiscale destinée à financer les activités de l' Ente nazionale per la cellulosa e la carta, il affirme:

"La nécessité d' avoir, au-delà de la donnée formelle, une vision réaliste du phénomène de la vie économique afin de garantir l' adéquation la meilleure du droit au fait et, par là, la poursuite la plus efficace des objectifs du traité, justifie, dans ce cas bien précis, que l' on retire du champ d' application de l' article 95 une taxe qui, selon une considération strictement formelle, y entrerait, afin de la placer dans le cadre de l' article 13, lequel s' adapte mieux à la réglementer, compte
tenu de la nature effective de cette taxe, considérée dans le cadre du mécanisme particulier dont elle constitue une partie essentielle."

Cette orientation jurisprudentielle a été ultérieurement confirmée dans une série de décisions parmi lesquelles nous nous limiterons à rappeler les arrêts Steinike et Weinlig (5), Cucchi (6), Interzuccheri (7) et Kortmann (8).

Cette même orientation a été ensuite confirmée également en ce qui concerne spécialement l' application de l' article 95. Dans l' arrêt Commission/Italie (9), la Cour a en effet précisé que:

"Toutefois, dans l' interprétation de la notion 'd' impositions intérieures' au sens de l' article 95, il peut y avoir lieu de tenir compte de la destination du produit de l' imposition. En effet, lorsque le produit d' une telle imposition est destiné à alimenter des activités qui profitent spécialement aux produits nationaux imposés, il peut en résulter une taxation discriminatoire, dans la mesure où la charge fiscale grevant les produits nationaux est neutralisée par des avantages qu' elle sert à
financer, tandis que celle grevant les produits importés représente une charge nette."

Il faut cependant rappeler que, en vertu d' une jurisprudence tout aussi établie, les dispositions relatives aux impositions intérieures discriminatoires et aux taxes d' effet équivalent ne peuvent pas être appliquées cumulativement, comme la Cour l' a déjà affirmé dans l' arrêt IGAV (10):

"Une même imposition ne saurait, dans le système du traité, appartenir simultanément aux deux catégories mentionnées, étant donné que les taxes visées par l' article 13, paragraphe 2, doivent être purement et simplement supprimées, alors que, pour l' application des impositions intérieures, l' article 95 prévoit seulement l' élimination de toute forme de discrimination, directe ou indirecte, dans le traitement des produits nationaux d' un État membre et des produits originaires des autres États
membres."

Il faut donc définir un critère distinctif entre les deux hypothèses. En référence au cas de taxes parafiscales, la discrimination se fonde sur le critère suivant, synthétisé par la Cour dans l' affirmation selon laquelle "doivent être considérées comme taxes d' effet équivalent, les contributions dont le produit est exclusivement destiné au financement d' activités qui bénéficient de façon spécifique au produit national taxé". Ces conditions ont été encore mieux précisées dans les arrêts Cucchi
(11) et Interzuccheri (12), où la Cour reconnaît qu' une contribution

"entrant dans le régime général des taxes intérieures appréhendant aussi bien les produits nationaux que les produits importés, selon les mêmes critères, ne peut constituer une taxe d' effet équivalant à un droit de douane à l' importation qu' à condition qu' elle soit exclusivement destinée au financement d' activités qui bénéficient de façon spécifique au produit national taxé, qu' il y ait identité entre le produit taxé et le produit national bénéficiaire et que les charges pesant sur le produit
national soient intégralement compensées".

Malgré certaines différences du texte jurisprudentiel, on aperçoit clairement quel est le trait distinctif fondamental des deux hypothèses de taxe d' effet équivalent et d' impositions intérieures discriminatoires: il faut vérifier si, en vertu de la destination particulière de la recette de la taxe, le produit national taxé a bénéficié, par rapport au produit importé, d' une compensation totale ou partielle de la charge.

Une constatation de fait qu' il appartient à la juridiction nationale d' effectuer s' impose donc. Elle devra vérifier, en l' espèce, si et dans quelle mesure les activités exercées par l' AEE se sont traduites par l' attribution aux sociétés pétrolières nationales de ressources de valeur équivalant au montant de la taxe parafiscale supportée par ces dernières.

En conséquence, compte tenu du produit global de la taxe au cours de la période considérée, on devra comparer les recettes résultant de la mise dans le commerce du produit pétrolier national avec les avantages obtenus par les entreprises qui ont écoulé les produits pétroliers nationaux, grâce aux interventions effectuées par l' AEE en leur faveur.

Si ces avantages compensent intégralement la charge supportée lors de la mise dans le commerce du produit national, on devra conclure que la taxe qui grève le produit importé constitue une taxe d' effet équivalent. Si, au contraire, ces avantages ne compensent qu' une partie de la charge grevant le produit national, on devra conclure que le régime en question crée une discrimination fiscale incompatible avec l' article 95. Cette seconde hypothèse se réalisera selon toute probabilité si le produit de
la taxe n' est pas destiné exclusivement à favoriser le produit national imposé et si, par conséquent, il n' y a pas identité entre produit national imposé et produit national destinataire des avantages financés au moyen du produit de cette taxe. Une telle situation s' est précisément présentée dans l' affaire IGAV (13), où - comme l' avocat général M. Trabucchi l' a clairement illustré - les aides versées par l' Ente nazionale per la cellulosa e la carta devaient bénéficier à une série de
catégories d' entreprises, parmi lesquelles figuraient également des opérateurs sur l' activité desquels la taxe parafiscale en question n' avait aucune incidence.

Enfin, dans cette seconde hypothèse, il est clair que la taxe payée par les importateurs est illégale non pas en tant que telle, mais uniquement dans la mesure où elle est discriminatoire, c' est-à-dire supérieure à la charge nette supportée par le produit national. Dans ce cas, il appartiendra à la juridiction nationale d' établir dans quelle mesure les importateurs ont le droit de répéter les sommes versées.

d) L' article 37

Quant aux aspects relatifs à l' application de l' article 37, il faut en premier lieu souligner que, à l' époque des faits, il existait un régime monopolistique pour l' importation et l' écoulement des produits pétroliers. Toutefois, la Commission relève avec raison que le régime fiscal en cause n' est lié en aucune manière à ce monopole; en effet, d' une part, ce régime ne constitue pas une modalité d' organisation du monopole et, d' autre part, il pourrait exister - comme cela se produit souvent -
même en l' absence de situations monopolistiques.

Nous estimons que la taxe en question ne peut pas être considérée comme une modalité liée de manière spécifique à l' exercice, par le monopole national, de ses droits d' exclusivité (voir arrêt du 13 mars 1979, Hansen, point 8, 91/78, Rec. p. 935) et que, en conséquence, il n' est pas possible d' envisager l' application de l' article 37 dans la présente affaire.

e) Les aides d' État

La juridiction nationale interroge enfin la Cour à propos de la compatibilité de la taxe controversée avec les règles relatives aux aides d' État.

Disons schématiquement que, selon une jurisprudence bien établie, remontant à l' arrêt du 15 juillet 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1141), la seule disposition du régime des aides qui ait un effet direct est celle prévue par l' article 93, paragraphe 3, dernière phrase, c' est-à-dire la disposition qui oblige les États membres à ne pas mettre les aides à exécution avant que les institutions communautaires aient constaté et déclaré leur compatibilité avec le marché commun.

Cela veut dire que, devant une juridiction nationale, il ne sera pas possible de faire valoir l' incompatibilité de l' aide pour violation de l' article 92 (appréciation réservée aux institutions communautaires et, in primis, à la Commission), mais uniquement son exécution irrégulière, pour violation de l' article 93, paragraphe 3 (ou pour violation d' une décision, adoptée par la Commission sur la base de l' article 93, paragraphe 2, déclarant l' incompatibilité de l' aide).

Cela étant établi, il faut toutefois souligner que la présente procédure a pour objet une taxe parafiscale et non pas les aides versées par l' AEE grâce au produit de cette taxe. Or, même si ces aides avaient été irrégulièrement versées, cela n' aurait pas d' influence sur la légalité de la taxe en tant que telle; cette dernière demeurerait donc due et les sujets imposés ne pourraient en aucune manière en demander la répétition en justice.

Conclusion

A la lumière des observations exposées ci-avant, nous estimons qu' il faut répondre à la juridiction nationale dans les termes suivants:

"1) Les articles 3, 5, 6, 30, 37 et 92 du traité ne font pas obstacle à la perception d' une taxe parafiscale comme celle qui fait l' objet de la présente procédure.

2) Dans le cas d' une taxe parafiscale qui frappe, selon les mêmes modalités, les produits nationaux et importés, pour apprécier sa compatibilité avec les règles relatives aux taxes d' effet équivalent et aux impositions intérieures discriminatoires, il appartient à la juridiction nationale de prendre en considération la destination du produit de ladite taxe. Si ce produit est destiné à financer des activités qui bénéficient spécifiquement à des produits nationaux taxés, de manière à compenser in
toto la charge grevant ces produits en raison de la perception de la taxe, cette dernière devra être qualifiée de "taxe d' effet équivalant à un droit de douane" au sens des articles 9 et 12 du traité. Si ce produit est destiné à financer des activités qui bénéficient de façon spécifique également à des produits différents des produits nationaux taxés, de manière à ne compenser que in parte la charge grevant les produits nationaux en raison de la perception de la taxe, cette dernière devra être
qualifiée d' imposition intérieure discriminatoire au sens de l' article 95 du traité."

(*) Langue originale: l' italien.

(1) Voir réponse à la question parlementaire n 1144/82 (JO C 312, p. 23); dans la jurisprudence, voir en particulier l' arrêt du 24 octobre 1973, Schluetter (9/73, Rec. p. 1162), qui, toutefois, à une lecture plus attentive, ne nous semble pas décisif sur ce point.

(2) Arrêt du 22 mars 1977, point 9 (74/76, Rec. p. 577).

(3) Arrêt du 19 juin 1973, points 13 et 14 (77/72, Rec. p. 611).

(4) Arrêt du 18 juin 1975 (94/74, Rec. p. 699); conclusions p. 715, 720.

(5) Arrêt du 22 mars 1977 (78/76, Rec. p. 595).

(6) Arrêt du 25 mai 1977 (77/76, Rec. p. 987).

(7) Arrêt du 25 mai 1977 (105/76, Rec. p. 1029).

(8) Arrêt du 28 janvier 1981 (32/80, Rec. p. 251).

(9) Arrêt du 21 mai 1980, point 15 (73/79, Rec. p. 1533).

(10) Arrêt du 18 juin 1975, précité, point 13.

(11) Arrêt du 25 mai 1977, précité, point 19.

(12) Arrêt du 25 mai 1977, précité, point 12.

(13) Arrêt du 18 juin 1975, précité, en particulier p. 720.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-78/90,
Date de la décision : 11/07/1991
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Cour d'appel de Poitiers - France.

Taxes parafiscales sur des produits pétroliers.

Mesures d'effet équivalent

Restrictions quantitatives

Fiscalité

Libre circulation des marchandises

Aides accordées par les États

Impositions intérieures

Concurrence

Union douanière

Monopoles d'État à caractère commercial

Taxes d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Compagnie Commerciale de l'Ouest et autres
Défendeurs : Receveur principal des douanes de La Pallice Port.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:313

Source

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