Avis juridique important
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61990C0017
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 2 juillet 1991. - Pinaud Wieger Spedition GmbH contre Bundesanstalt für den Güterfernverkehr. - Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht - Allemagne. - Libre prestation de services - Transports de cabotage. - Affaire C-17/90.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-05253
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . L' entreprise Pinaud Wieger GmbH Spedition ( ci-après "Pinaud Wieger "), dont le siège se trouve à Cologne ( République fédérale d' Allemagne ), exerce des activités de transport intérieur de marchandises en Allemagne et dispose à cet effet d' un agrément délivré par les autorités nationales .
2 . Pinaud Wieger a souhaité conclure avec Transvenlo BV ( ci-après "Transvenlo "), entreprise de transport néerlandaise, des contrats pour lui confier des activités de transport de marchandises à grande distance à l' intérieur du territoire allemand, pour un prix inférieur aux tarifs fixés pour ce type de transports par les autorités allemandes . Transvenlo n' est pas établie en Allemagne et n' y bénéficie pas d' un agrément en vue d' effectuer des transports de marchandises à grande distance .
3 . Selon les indications de l' arrêt du Bundesverwaltungsgericht vous saisissant à titre préjudiciel, l' office fédéral pour le transport des marchandises à grande distance, défendeur dans le litige au principal, aurait estimé qu' un tel projet est illicite en menaçant, en cas d' infraction, d' intenter des poursuites au titre de la loi allemande relative aux transports routiers de marchandises ( le Gueterkraftsverkehrsgezetz, ci-après "GueKG ") et d' infliger des amendes .
4 . Pinaud Wieger a introduit alors un recours en justice afin de voir constater son droit de charger Transvenlo d' assurer des transports et de convenir à cet effet de rémunérations inférieures aux tarifs fixés par la législation en vigueur en Allemagne . Ce recours a été rejeté tant en première instance qu' en appel sur le fondement des dispositions du GueKG réservant les transports de marchandises intérieurs en République fédérale d' Allemagne aux entreprises implantées dans ce pays et ayant reçu
l' agrément nécessaire dans le cadre du quota maximal fixé par arrêté du gouvernement fédéral, et ce seulement aux tarifs fixés conformément à l' article 22 de ladite loi .
5 . Les décisions en cause ont également estimé que ces conditions légales n' avaient pas été affectées par le traité CEE . Plus particulièrement, la non-adoption par le Conseil depuis 1970, contrairement à ses obligations, de dispositions fondées sur l' article 75 du traité CEE, en ce qui concerne les transports internationaux et l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre ( ci-après "cabotage "), même après l' arrêt de la Cour de justice dans l' affaire
Parlement/Conseil ( 1 ) constatant cette carence, n' aurait pas eu pour conséquence de conférer un effet direct en matière de transports aux articles 59 et 60 du traité relatifs à la libre prestation de services à l' intérieur de la Communauté . La complexité de la situation dans le domaine des transports et la nécessité de règles restreignant la pleine liberté des prestations de services, nécessité reconnue par l' article 75, s' opposeraient à une libéralisation complète sur le fondement des
articles 59 et 60 .
6 . Son action ayant été ainsi rejetée, Pinaud Wieger a introduit une demande en "Revision" auprès du Bundesverwaltungsgericht . En substance, elle a alors développé une argumentation aux termes de laquelle les restrictions de la législation allemande en matière de cabotage effectué par une entreprise établie dans un autre État membre auraient été privées de leur validité par l' effet direct des articles 59 et 60 . Pinaud Wieger a indiqué être intéressée au premier chef à confier à Transvenlo des
activités de transport à des tarifs inférieurs à ceux fixés sur la base de l' article 22 du GueKG . Mais elle a, toutefois, précisé que, même pour le cas où, contrairement à sa thèse, elle serait tenue de respecter les tarifs en vigueur dans le cadre de cette législation, elle continuerait toujours d' être intéressée à ce que Transvenlo effectue pour son compte des prestations de transport en République fédérale d' Allemagne .
7 . Dans sa décision, le Bundesverwaltungsgericht a clairement exprimé son opinion à propos de la prétention principale de Pinaud Wieger de voir constater son droit à charger Transvenlo d' effectuer des transports à l' intérieur de l' Allemagne à des tarifs inférieurs à ceux en vigueur dans cet État . A cet égard, la juridiction nationale a estimé, tout d' abord, que le délai de plus de quatre ans écoulé depuis l' arrêt Parlement/Conseil constituait un délai approprié pour permettre au Conseil de s'
acquitter de ses obligations . Mais, même si l' on devait supposer que la carence du Conseil, consistant à ne pas avoir adopté de dispositions conformément à l' article 75 du traité, devait avoir pour conséquence l' applicabilité directe des articles 59 et 60, cela n' entraînerait pas pour autant la disparition pure et simple des systèmes tarifaires nationaux, dès lors qu' un "cadre directeur" communautaire n' a pas été fixé par le Conseil .
8 . Ensuite, le juge de renvoi, quoique semblant incliner également pour une réponse négative de ce point de vue, a exprimé des doutes quant au point de savoir si des transporteurs résidant dans un autre État membre et agréés seulement dans cet État pour l' activité de transport pourraient accéder, par l' effet des articles 59 et 60, à ces activités à l' intérieur de l' Allemagne aux conditions applicables dans cet État . En tout état de cause, la juridiction nationale vous adresse une question
préjudicielle ainsi libellée :
"La carence persistante du Conseil des Communautés européennes, consistant à omettre de garantir la libre prestation des services dans le domaine des transports internationaux et de fixer les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre, entraîne-t-elle l' applicabilité directe des articles 59 et 60 du traité CEE, en toute hypothèse jusqu' au point d' exclure qu' une entreprise située en République fédérale d' Allemagne se voie interdire de
charger un transporteur néerlandais de fournir pour elle des prestations de transports nationaux sur le territoire de la République fédérale d' Allemagne, aux tarifs qui y sont généralement en vigueur, avec des véhicules agréés aux Pays-Bas pour le transport de marchandises?"
9 . Observons à titre liminaire, que si cette question évoque tout d' abord tant les transports internationaux que le cabotage, le juge a quo, dans la partie finale de sa question, vous indique concrètement la situation juridique qu' il souhaite voir résolue : la participation d' un entrepreneur non résident au marché national des transports d' un État membre, c' est-à-dire une situation de cabotage . Il nous semble donc que le souci d' apporter une réponse utile au juge national doit vous conduire
à aborder la question de la "carence persistante" du Conseil dans le domaine du seul cabotage routier, étant précisé d' ailleurs que les observations des parties au principal, qui s' opposent dans un litige relatif à ce domaine, n' ont pas évoqué la situation des transports internationaux ( 2 ).
10 . Les aspects juridiques que soulève la présente affaire sont bien connus de vous puisque vous avez été conduits à plusieurs reprises à connaître des difficultés de mise en oeuvre de la politique commune des transports . Aussi, nous bornerons-nous de ce point de vue à un schématique rappel des étapes fondamentales dans ce domaine .
11 . L' arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil ( 3 ), tout d' abord . Dans cette décision, rappelons-le, vous avez constaté que le Conseil s' était abstenu, en violation du traité, d' assurer la libre prestation de services en matière de transports internationaux et de fixer les conditions de l' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre . Vous avez, en effet, relevé que les obligations imposées au Conseil à cet égard par l' article 75, paragraphe 1, sous
a ) et b ), comprennent celle de procéder à l' instauration de la libre prestation de services en matière de transport et que la portée de ces obligations est clairement définie par le traité ( 4 ). Et vous avez rappelé votre jurisprudence ( 5 ) selon laquelle, en vertu des articles 59 et 60, les impératifs de la libre prestation de services comportent, en effet, l' élimination de toute discrimination à l' encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu' il
est établi dans un État membre autre que celui où la prestation est fournie ( 6 ).
12 . Vous en avez déduit que, sur le point précis de la libre prestation de services, le Conseil ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire dont il peut se prévaloir dans d' autres domaines de la politique commune des transports, le résultat à atteindre étant fixé par le jeu combiné des articles 59, 60, 61 et 75, paragraphe 1, sous a ) et b ), et que seules les modalités pour mettre en place ce résultat, en tenant compte, conformément à l' article 75, des aspects spéciaux des transports, peuvent
donner lieu à l' exercice d' un certain pouvoir d' appréciation ( 7 ).
13 . Et vous avez constaté la carence du Conseil pour ne pas avoir étendu la liberté de prestation de services au secteur des transports avant l' expiration de la période de transition, conformément à l' article 75, paragraphe 1, sous a ) et b ), cette obligation visant les transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d' un État membre ou traversant le territoire d' un ou de plusieurs États membres ( régime des transports internationaux ) et les conditions de l'
admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre ( régime du cabotage ) ( 8 ).
14 . Mais nous devons ici évoquer deux autres aspects de l' arrêt Parlement/Conseil, qui revêtent un intérêt particulier dans le contexte de la présente question préjudicielle .
15 . Tout d' abord, le gouvernement néerlandais, intervenant dans l' affaire aux côtés du Conseil, avait développé l' analyse selon laquelle, depuis la fin de la période de transition, les articles 59 et 60 du traité auraient été d' applicabilité directe dans le domaine des transports, situation juridique rendant inutiles d' autres interventions du Conseil, lequel ne se serait donc pas trouvé en carence . Vous avez écarté cette thèse en rappelant que l' article 61, paragraphe 1, du traité prévoit
que la libre circulation de services en matière de transports est régie par la disposition du titre relatif aux transports et que, en conséquence, l' application du principe de liberté de prestations de services en ce domaine doit être réalisée par la mise en oeuvre de la politique commune des transports et, plus particulièrement, par la fixation des règles communes applicables aux transports internationaux et des conditions d' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux,
règles et conditions que vise l' article 75, paragraphe 1, sous a ) et b ) ( 9 ).
16 . Ensuite, le Parlement européen, la Commission et le gouvernement néerlandais avaient évoqué la situation juridique qui résulterait d' une abstention persistante du Conseil, après l' arrêt constatant le manquement . Plus particulièrement, la Commission avait estimé que, en cas de carence persistante du Conseil, en infraction au traité, pour adopter des dispositions en vue de l' application dans le secteur des transports du principe de la libre circulation des services, ce dernier devrait être
considéré comme applicable à l' expiration d' un "délai approprié" ( 10 ) résultant de la constatation d' un refus persistant de la part du Conseil de remplir ses obligations . Toujours selon la Commission, la preuve d' une telle attitude négative pourrait, par exemple, résulter du défaut par le Conseil d' adopter les mesures nécessaires, en vertu de l' article 176, pour se conformer à un arrêt constatant la carence .
17 . Vous ne vous êtes pas prononcés sur la pertinence de cette construction en observant le caractère hypothétique du problème . Vous avez relevé que l' article 176, qui oblige le Conseil à prendre les mesures que comporte l' exécution de votre décision constatant la carence, ne prévoit aucun délai et qu' il faut donc en déduire que le Conseil dispose à cet effet d' un "délai raisonnable ". Et vous n' avez pas estimé nécessaire d' examiner, dans le cadre de votre décision, les conséquences pouvant
résulter d' une éventuelle carence prolongée du Conseil .
18 . Quelque quatre années plus tard, votre arrêt Lambregts ( 11 ) allait vous conduire, en matière de transports routiers, à connaître à nouveau de l' application de la libre prestation de services dans le domaine des transports .
19 . Le litige au principal, survenu en 1982, opposait l' administration belge à une société néerlandaise de transports, laquelle invoquait l' effet direct des articles 59 et 60 à l' encontre d' une réglementation exigeant qu' un transporteur dispose d' "un centre d' opération" en Belgique pour obtenir les autorisations de transport national et international .
20 . Vous avez alors répondu nettement qu' à la date des faits la réglementation en vigueur n' autorisait pas de libre prestation de services dans le secteur des transports et que les articles 59 et 60 n' avaient pas produit d' effet direct par l' effet de l' expiration de la période de transition . Remarquons que, sur ce dernier point, votre arrêt se limitait à notre avis à confirmer la solution de votre décision Parlement/Conseil puisque vous aviez alors déjà établi l' absence d' effet direct des
articles 59 et 60 au 1er janvier 1970 dans le domaine des transports . Concernant une situation comprise entre cette date et le prononcé de votre arrêt Parlement/Conseil, ce sont donc les conséquences de cette décision que tirait votre arrêt Lambregts .
21 . Mais l' avocat général M . Jacobs, qui avait conclu à cette solution, avait, par ailleurs, évoqué subsidiairement la "carence persistante" du Conseil et ses éventuelles conséquences juridiques . Commentant à cet égard les observations que le gouvernement néerlandais avait présentées dans le cadre de cette affaire préjudicielle pour vous inviter à préciser à partir de quand le délai raisonnable auquel vous aviez fait allusion dans l' arrêt Parlement/Conseil serait expiré, votre avocat général
devait observer que cette décision
"peut effectivement être considéré(e ) comme laissant ouverte la possibilité que, en cas de carence persistante du Conseil à l' expiration d' un délai raisonnable à compter de la date de l' arrêt, les dispositions du traité soient considérées comme conférant, dans certaines limites, des droits dont les justiciables pourraient se prévaloir devant les juridictions nationales" ( 12 ).
Et s' agissant de l' expiration du délai raisonnable, il estimait enfin :
"Nous croyons tout à fait probable que, à l' heure actuelle, alors que plus de quatre ans ont passé depuis le prononcé de cet arrêt ( et presque vingt ans depuis la fin de la période transitoire ), nous aurons bientôt atteint le point où ce délai expirera, s' il n' a pas déjà expiré" ( 13 ).
Relevons que M . Jacobs avait présenté ses conclusions le 15 juin 1989 .
22 . Le 9 novembre 1989, le Bundesverwaltungsgericht vous interrogeait à titre préjudiciel .
23 . Le 21 décembre 1989, le Conseil adoptait le règlement ( CEE ) n 4059/89 fixant les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre ( 14 ).
24 . Telle est, succinctement rappelée, la chronologie qui permet désormais de se consacrer à l' examen de la question préjudicielle du juge a quo . Celle-ci comporte un présupposé : la "carence persistante" du Conseil dont le Bundesverwaltungsgericht vous demande d' indiquer si elle aurait entraîné une application directe des articles 59 et 60 du traité . Or, postérieurement à cette question, est intervenu le règlement n 4059/89 . Du fait de l' adoption de ce texte, le royaume d' Espagne conclut
que la question préjudicielle est devenue sans objet, alors que la Commission estime pour sa part inutile de déterminer si le délai raisonnable avait précédemment expiré .
25 . Ces points de vue nous semblent à écarter .
26 . Sans doute, le recours introduit devant la juridiction nationale est une action en constatation qui, selon les propres indications du juge a quo, impose de trancher le litige conformément à l' état du droit applicable au moment de la décision judiciaire .
27 . Pour autant, la réponse que vous donnerez ne peut se borner à renvoyer purement et simplement au règlement n 4059/89 en tenant pour acquis que, à la date de l' adoption de ce texte, le délai raisonnable n' ait pas expiré et que certaines conséquences juridiques ne se soient pas de ce fait produites . A cet égard, vous devez apprécier le bien-fondé de la thèse de la société Pinaud Wieger, telle qu' elle a été exposée à l' audience .
28 . Selon la requérante au principal, depuis le 22 mai 1987 ( 15 ), soit à l' expiration d' un délai de deux ans à compter de votre arrêt dans l' affaire Parlement/Conseil, les articles 59 et 60 s' appliqueraient directement dans le domaine des transports . Il en résulterait que le Conseil n' aurait pu remettre en question les droits qui en découleraient au profit des particuliers par l' adoption d' un règlement aussi "rudimentaire" que le règlement n 4059/89 .
29 . Afin de vous prononcer sur cette analyse, il convient à notre avis d' adopter la démarche suivante . La première question à résoudre porte sur le point de savoir si, lors de l' adoption du règlement n 4059/89, le "délai raisonnable" était expiré . Si tel n' est pas le cas, encore faut-il se prononcer sur le point de savoir dans quelle mesure ledit règlement peut être considéré comme l' exécution de votre arrêt Parlement/Conseil dans le domaine du cabotage . En revanche, si le "délai
raisonnable" était expiré dès avant l' adoption du règlement n 4059/89, il conviendrait ensuite de déterminer si cette situation aurait eu pour conséquence d' entraîner l' applicabilité directe des articles 59 et 60, applicabilité directe faisant ensuite obstacle à ce que le Conseil adopte le règlement en cause .
30 . Première étape de notre examen en conséquence : le règlement n 4059/89 a-t-il été adopté alors que le délai raisonnable pour que le Conseil prenne les mesures d' exécution de votre arrêt du 22 mai 1985 dans le domaine du cabotage était déjà expiré?
31 . Il ne fait aucun doute à notre avis que vos arrêts, qu' ils constatent un manquement dans le chef d' un État ou la carence dans le chef d' une institution, doivent être immédiatement exécutés .
32 . S' agissant de vos arrêts constatant un manquement, votre jurisprudence indique que
"( l )' article 171 du traité CEE ne précise pas le délai dans lequel l' exécution d' un arrêt doit intervenir . Toutefois, il est constant que la mise en oeuvre de l' exécution d' un arrêt doit être entamée immédiatement et qu' elle doit aboutir dans les délais les plus brefs possibles" ( 16 ).
33 . En présence de décisions de votre Cour constatant une situation contraire au droit communautaire - et tel est le cas pour les arrêts constatant la carence dans le chef d' une institution -, aucun retard ne peut être admis . Tel est, pensons-nous, le principe qui doit être rappelé au seuil de l' examen du délai écoulé en l' occurrence .
34 . Cependant, si votre jurisprudence affirme la nécessité de respecter les "délais les plus brefs", votre arrêt Parlement/Conseil a évoqué pour sa part un "délai raisonnable ".
35 . Manifestement, cette formulation n' est pas synonyme de celle de "délais les plus brefs ". Nous estimons, d' ailleurs, que l' on ne pourrait pas interpréter le passage en cause de votre décision comme signifiant d' une manière générale que les institutions communautaires disposent d' un délai raisonnable pour exécuter vos arrêts constatant la carence en leur chef . Vous avez indiqué :
"L' article 176 oblige le Conseil à prendre les mesures que comporte l' exécution du présent arrêt; aucun délai n' ayant été prévu par cette disposition, il faut en déduire que le Conseil dispose à cet effet d' un délai raisonnable" ( 17 ).
36 . A notre avis, ce délai concerne l' exécution de cette décision précise, celle par laquelle vous avez constaté que le Conseil n' avait pas, en violation du traité, assuré la libre prestation de services en matière de transports .
37 . Mais, pour limitée qu' elle soit à l' exécution de l' arrêt en cause, la notion de délai raisonnable n' en a pas moins été par vous formulée et traduit à l' évidence la prise en compte des "aspects spéciaux des transports" qui vous ont, par ailleurs, conduits à admettre que, tout en étant tenu par le résultat à atteindre, le Conseil disposait, cependant, d' un pouvoir d' appréciation quant aux modalités de la mise en oeuvre de la libre prestation de services en ce domaine .
38 . Il faut, tout d' abord, admettre que l' appréciation du délai raisonnable est conduite ici alors que l' interprète sait qu' en définitive l' institution a agi . Cette circonstance, il serait vain de le dissimuler, modifie inévitablement les perspectives . A cet égard, la notion même de délai raisonnable fait appel à un spectre de considérations relevant du jugement pratique qui exclut tout critère abstrait, prédéfini et rigide . Il ne peut s' agir ici que du résultat d' une analyse conduite "in
concreto ".
39 . En l' espèce, la Commission a présenté, le 5 décembre 1985 ( 18 ), une proposition de règlement fixant les conditions de l' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre . Cette proposition prévoyait, d' une part, le principe de l' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises par route à compter du 1er janvier 1987, d' autre part, la possibilité, à partir de la même date, d' effectuer en
retour dans un État membre autre que celui de l' établissement deux opérations de cabotage consécutives ( transports sur le trajet du retour vers le pays d' immatriculation ou de provenance ). Selon son article 8, ce texte serait entré en vigueur le 1er juillet 1986 .
40 . L' avis du Parlement européen a été rendu le 12 septembre 1986 ( 19 ). Dans une "résolution sur la libéralisation et l' harmonisation dans le domaine des transports" de la même date ( 20 ), il s' affirmait "conscient des efforts importants" à déployer en vue d' aboutir à l' achèvement du marché intérieur en 1992 et des difficultés que représente la mise en oeuvre d' une politique commune et cohérente des transports dans la pratique . Par ailleurs, il constatait que la Commission avait, un an
après votre arrêt du 22 mai 1985, introduit quatre propositions spécifiques pour l' exécution de votre décision en ayant omis cependant de soumettre au Conseil un plan d' ensemble des mesures à prendre et des échéances pour leur entrée en vigueur . Le Parlement qualifiait cette situation de négligence qui aurait créé un climat d' incertitude auprès des entreprises, des personnels et des utilisateurs de transport et hypothéqué gravement l' adoption rapide des propositions de législation communautaire
présentées par la Commission . S' agissant spécifiquement du cabotage, le Parlement mettait l' accent sur la nécessité d' une démarche de libéralisation progressive, liée à l' harmonisation parallèle des conditions de concurrence, notamment en matière fiscale .
41 . Mais le Parlement demeurait convaincu que l' exécution de votre arrêt Parlement/Conseil devait permettre "de sortir de l' impasse dans laquelle se trouve depuis plus d' un quart de siècle ( la ) mise en place d' une politique commune ".
42 . Pour sa part, le Comité économique et social, dans son avis du 11 mars 1987 sur la proposition de règlement ( 21 ), invitait la Commission "à mettre le Conseil en mesure de statuer simultanément sur ( ce projet ) et sur les mesures d' harmonisation mentionnées" ( 22 ). Il observait à cet égard : "Le seul bon sens politique commande de s' engager sur cette voie, sans quoi, en raison des intérêts représentés au Conseil, les propositions de la Commission risquent de se heurter à une série de
difficultés" ( 23 ).
43 . Plus de deux ans et demi se sont écoulés entre ce constat et l' adoption du règlement n 4059/89 .
44 . Il n' est pas douteux que le cabotage constitue un "aspect extrêmement délicat d' une politique commune des transports" ( 24 ) et on estime même que l' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre représente "la plus sensible" des mesures que le Conseil doit adopter par application de l' article 75 du traité ( 25 ).
45 . A cet égard, il n' est un secret pour personne que deux conceptions opposées partageaient le Conseil sur le point de savoir si la libéralisation en la matière doit ou non être subordonnée à l' harmonisation préalable des conditions de la concurrence . "L' éternelle querelle entre partisans de la libéralisation et avocats de l' harmonisation d' abord" ( 26 ) ne s' était pas estompée avec votre arrêt Parlement/Conseil . Ce clivage politique, évident facteur d' immobilisme en l' absence d' un
compromis, est indéniable . Mais, du point de vue juridique, votre arrêt du 22 mai 1985 avait très clairement circonscrit les termes de l' obligation pesant sur le Conseil : réaliser la libre prestation de services ( 27 ).
46 . Or, la prise en considération des difficultés politiques auxquelles se trouvaient confrontés les travaux du Conseil aux fins de déterminer le caractère raisonnable du délai réintroduirait à ce stade l' appréciation du degré de difficulté de l' obligation faite à l' institution, circonstance dont vous avez expressément exclu qu' elle puisse être de nature à revêtir une quelconque incidence quant à l' existence de la carence ( 28 ).
47 . Nous paraphraserions notre collègue, l' avocat général M . Jacobs, en rappelant qu' à la date de l' adoption du règlement n 4059/89 quelque vingt années séparaient ce texte du 1er janvier 1970 alors que vous aviez constaté la violation par le Conseil de ses obligations quatre années et sept mois plus tôt . La zone grise était désormais très sombre ou, pour retenir les termes mêmes du juge a quo, "le délai de plus de quatre ans écoulé depuis le 22 mai 1985 ( constituait ) un délai approprié
pendant lequel le Conseil aurait pu s' acquitter de son obligation ". En indiquant que le Conseil disposait en l' espèce d' un délai raisonnable, vous avez pris en compte les aspects spéciaux des transports . Vous n' avez pas pour autant abandonné aux aléas de négociations politiques le soin de fixer l' échéance raisonnable à respecter en la matière .
48 . La tentation qu' il y aurait à admettre que le délai raisonnable n' était pas expiré en décembre 1989 comporterait des ferments menaçants pour l' autorité de vos arrêts, la rigueur avec laquelle ils doivent être ramenés à exécution et, en définitive, le respect par les institutions de leurs obligations .
49 . Telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes d' avis qu' il n' est pas possible d' admettre que le règlement n 4059/89 ait été adopté avant l' expiration du délai raisonnable .
50 . Si telle doit être votre conclusion sur ce point, vous devrez ensuite déterminer s' il en résultait, dans le domaine du cabotage, l' applicabilité directe des articles 59 et 60 du traité .
51 . Faisant suite à ces dispositions, l' article 61, paragraphe 1, du traité prévoit, rappelons-le :
"La libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports ."
Il ressort de ce texte, comme vous l' avez indiqué dans votre arrêt Parlement/Conseil, que
"( l )' application des principes de liberté des prestations de services, tels qu' établis en particulier par les articles 59 et 60 du traité, doit donc être réalisée, selon le traité, par la mise en oeuvre de la politique commune des transports et, plus particulièrement, par la fixation des règles communes applicables aux transports internationaux et des conditions d' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux, règles et conditions visées par l' article 75, paragraphe 1, sous
a ) et b ), et concernant nécessairement la liberté de prestation de services" ( 29 ).
Et vous en avez déduit que la thèse selon laquelle l' expiration de la période de transition avait pour effet que les dispositions des articles 59 et 60 seraient d' application directe même dans le secteur des transports ne saurait être accueillie . Or, il nous paraît toujours impossible que les articles 59 et 60 puissent, en tant que tels, se trouver applicables par l' effet de l' expiration du délai raisonnable, lequel ne peut avoir pour conséquence de soumettre à l' empire des règles de "droit
commun" un domaine qui leur est expressément soustrait par l' article 61 .
52 . Cependant, l' analyse doit être poussée plus avant . Le traité a sans doute clairement exclu que les articles 59 et 60 s' appliquent dans le domaine des transports . Il a tout aussi clairement prévu la réalisation de la libre prestation de services dans ce domaine .
53 . De ce point de vue, votre arrêt du 22 mai 1985 a affirmé sans aucune ambiguïté qu' il existait dans le chef du Conseil l' obligation de réaliser la libre prestation de services dans le domaine des transports .
54 . Or, cette obligation ne comporte à notre avis aucune incertitude quant au but que le Conseil est tenu d' atteindre en ce qui concerne le cabotage : assurer en définitive la possibilité pour les transporteurs non résidents d' accéder aux transports nationaux dans les autres États membres aux conditions des transporteurs de l' État membre concerné sans discrimination . Sans doute est-ce là une exigence postulée pour la libre prestation de services par l' article 60 qui prévoit que "le prestataire
peut, ... exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants ".
55 . Mais, même si l' article 60 ne s' applique pas en toute hypothèse dans le domaine des transports, en revanche l' obligation d' assurer dans ce même domaine la libre prestation de services est indiscutable . Or, il ne peut être question de libre prestation de services sans que la règle du traitement national, qui n' est en définitive qu' une application particulière du principe de non-discrimination, soit mise en oeuvre . En effet, à défaut de traitement national, il n' existe pas de véritable
libre prestation de services alors que celle-ci doit être réalisée dans le domaine des transports .
56 . En d' autres termes, les auteurs du traité, en prévoyant la libre circulation des services dans le domaine des transports et notamment en ce qui concerne le cabotage, ont imposé au Conseil de parvenir en tout cas à la règle du traitement national en la matière . Tel est le résultat que le Conseil est, de toute façon, tenu d' obtenir en définitive .
57 . Et c' est précisément la question de savoir si ce résultat pourrait être invoqué par les particuliers qui se pose si vous estimez que le délai raisonnable était expiré .
58 . De très sérieuses considérations militent en faveur d' une telle possibilité . S' il n' existe aucune conséquence juridique liée à l' inaction du Conseil après expiration d' un délai raisonnable concret à compter du constat de la carence par votre Cour, les particuliers n' auraient aucune garantie de pouvoir invoquer la libre prestation de services ( en ce qu' elle touche ici au cabotage ), dont l' affirmation est pourtant indiscutablement formulée par le traité . Dès lors, pèserait sur le
Conseil une obligation dont le non-respect persistant laisserait les particuliers totalement "désarmés", contraints à attendre indéfiniment une hypothétique action du Conseil . Dans ces conditions, c' est le caractère obligatoire de la réalisation de la libre prestation de services qui disparaîtrait puisque sa non-réalisation ne comporterait aucune sanction juridique .
59 . Sans doute, l' article 75, paragraphe 1, confère-t-il au Conseil le pouvoir d' arrêter les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre . Et vous avez reconnu à cet égard dans votre arrêt Parlement/Conseil que
"les modalités pour mettre en place ce résultat en tenant compte, conformément à l' article 75, des aspects spéciaux des transports peuvent donner lieu à l' exercice d' un certain pouvoir d' appréciation" ( 30 ).
Mais il pèse clairement sur le législateur communautaire une obligation de résultat qui doit aboutir en définitive à réaliser la libre prestation de services, c' est-à-dire en tout cas à éliminer toute discrimination .
60 . Il n' existe donc pas de contradiction entre l' obligation de réaliser la libre prestation de services en la matière et le pouvoir d' en apprécier les modalités . A cet égard, le pouvoir de fixer les conditions comporte notamment la possibilité d' arrêter des mesures graduelles, en d' autres termes, de prévoir une progressivité dans la réalisation de la libre prestation de services . Mais, le résultat final doit aboutir en tout état de cause à l' admission des transporteurs non résidents aux
transports nationaux dans un État membre dans un régime de libre prestation de services, c' est-à-dire sans discrimination .
61 . En clair, ce résultat est inconditionnel . Et le droit pour un particulier de s' en prévaloir, dans le contexte qui serait celui de l' expiration du délai raisonnable après constatation par votre Cour de la carence du Conseil, constituerait, dès lors, une indispensable garantie pour ce particulier et la sanction du non-respect d' une obligation de résultat pesant indiscutablement sur le Conseil .
62 . L' avocat général M . Jacobs, dans ses conclusions sur l' arrêt Lambregts, avait estimé que votre arrêt Parlement/Conseil avait laissé ouverte la possibilité, en cas de carence persistante du Conseil à l' expiration du délai raisonnable, que
"les dispositions du traité soient considérées comme conférant, dans certaines limites, des droits dont les justiciables pourraient se prévaloir devant les juridictions nationales" ( 31 ).
63 . Nous ne solliciterons pas les termes utilisés par notre collègue, mais nous ne pouvons écarter l' éventualité qu' il ait par là entrevu une solution analogue à celle que nous proposons ici .
64 . Mais vous devrez ensuite préciser comment articuler une telle conséquence avec les dispositions du règlement n 4059/89 . En effet, se plaçant dans cette perspective, la société Pinaud Wieger estime que le Conseil ne pouvait revenir sur l' effet direct des articles 59 et 60 qui, seuls, régiraient désormais le cabotage . Mutatis mutandis, cette argumentation conduirait à considérer que, si le principe du traitement national peut être invoqué par les particuliers, il en résulterait que le Conseil
n' aurait pu ensuite instaurer, comme en l' espèce, un contingent du cabotage ouvert aux transporteurs non résidents, contingent réparti entre États . En effet, dès lors qu' un contingent est prévu pour les transporteurs non résidents, est sans doute méconnu le principe d' égalité d' accès aux transports nationaux .
65 . En laissant expirer un délai raisonnable, le Conseil serait-il désormais définitivement privé de la possibilité d' adopter la moindre progressivité pour devoir réaliser au contraire uno actu la libre prestation de services?
66 . En faveur de cette solution, on pourrait estimer qu' il n' est guère satisfaisant que l' intervention du Conseil ait pour conséquence d' établir un régime de cabotage qui pourrait provisoirement être moins libéral que celui qui aurait pu prévaloir après expiration du délai raisonnable .
67 . Observons cependant que l' examen de votre jurisprudence révèle au moins une hypothèse qui présenterait certaines analogies avec cette situation . Dans l' affaire Kirk ( 32 ), en effet, vous avez estimé que, à l' expiration de la période de dix ans prévue par les articles 100 et 101 de l' acte d' adhésion de 1972 permettant dérogation au principe de l' égalité des conditions d' accès aux eaux des États membres pour les navires des États membres, ledit principe d' égalité était de pleine
application alors même que, postérieurement, le Conseil devait adopter, sur le fondement de l' article 103 dudit acte d' adhésion, une décision autorisant le maintien de régimes dérogatoires . En d' autres termes, le principe fondamental de non-discrimination s' était trouvé applicable en tant que tel pendant un laps de temps avant que n' entrent en vigueur des mesures dérogatoires à celui-ci .
68 . En toute hypothèse, il nous semble que la possibilité pour un particulier de se prévaloir de la règle du traitement national constituerait ici l' "ultima ratio" tirant les conséquences de ce que le Conseil n' aurait adopté aucune mesure visant à atteindre le résultat précis qu' il lui incombe d' obtenir .
69 . Cependant, s' il sort de l' inaction, le Conseil ne doit pas pour autant être privé de son pouvoir d' appréciation dans la fixation des modalités permettant de parvenir au résultat qui lui est assigné . Mais encore convient-il que l' acte par lui alors arrêté permette de considérer qu' il a véritablement concrétisé les obligations pesant sur lui en la matière pour que cessent par là même les conséquences juridiques que son inaction avait entraînées dans le chef des particuliers . Il convient
donc d' examiner à cet égard la teneur du règlement n 4059/89 pour déterminer si seul ce texte doit être considéré comme régissant le cabotage .
70 . Procédons, tout d' abord, au rappel de ses considérants qui permettent de résumer la démarche adoptée par le législateur dans ce texte . Le premier considérant indique que l' instauration d' une politique commune des transports comporte, entre autres, selon les termes de l' article 75, paragraphe 1, sous b ), du traité l' établissement des conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre, c' est-à-dire le "cabotage ". Et le deuxième
considérant précise que la libre prestation de services en trafic national qu' implique ladite disposition comporte l' élimination de toutes restrictions à l' égard du prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu' il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie . Toutefois, selon le troisième considérant, pour permettre une mise en oeuvre souple et sans heurts de cette liberté de prestation de services, il convient d' appliquer un
régime transitoire de cabotage avant d' en arrêter le régime définitif . Enfin, le dernier considérant prévoit qu' il conviendra d' établir, dans le respect du traité, le régime définitif du cabotage qui sera applicable à partir de la date d' expiration du présent règlement .
71 . Si l' on examine désormais les dispositions normatives du texte, on constate en premier lieu que l' article 1er prévoit qu' à compter du 1er juillet 1990 tout transporteur de marchandises par route pour compte d' autrui, établi dans un État membre conformément à la législation de celui-ci et habilité par celle-ci à effectuer des transports internationaux de marchandises par route, est admis à effectuer à titre temporaire des transports nationaux de marchandises par route pour compte d' autrui
dans un autre État membre sans y disposer d' un siège ou d' un autre établissement, et ce, aux conditions fixées par le règlement .
72 . A cet égard, l' article 2 dispose que le cabotage s' effectue dans le cadre d' un contingent communautaire comprenant 15 000 autorisations de cabotage d' une durée de deux mois, autorisations que le paragraphe 3 du même article répartit entre les États membres . Par ailleurs, il est prévu que la Commission augmente chaque année, à partir du 1er juillet 1991, le contingent en fonction de l' évolution du trafic routier, étant précisé que cette augmentation ne peut être inférieure à 10 %. En
outre, en cas de perturbation grave du marché des transports intérieurs d' une zone géographique déterminée, qui serait due à l' activité de cabotage, tout État membre peut saisir la Commission en vue de l' adoption de mesures de sauvegarde qui peuvent aller jusqu' à l' exclusion temporaire de la zone concernée du champ d' application du règlement .
73 . L' article 3 prévoit que les autorisations de cabotage donnent à leur titulaire le libre accès au territoire des États membres d' accueil pour lui permettre d' effectuer tout transport routier de marchandises pour compte d' autrui . Il est précisé que l' autorisation de cabotage, établie au nom d' un transporteur qui ne peut la transférer à un tiers, ne peut être utilisée que pour un véhicule à la fois .
74 . L' article 5 pose le principe selon lequel l' exécution du cabotage est soumise, sous réserve de l' application de la réglementation communautaire, aux dispositions législatives, réglementaires et administratives en vigueur dans l' État d' accueil, en ce qui concerne les prix et les conditions régissant le contrat de transport, le poids et les dimensions des véhicules routiers, les prescriptions relatives aux transports de certaines catégories de marchandises ( marchandises dangereuses, denrées
périssables, animaux vivants ), le temps de conduite et de repos, la TVA sur les services de transport . Par ailleurs, les normes techniques auxquelles doivent satisfaire les véhicules utilisés pour effectuer des opérations de cabotage sont celles qui sont imposées aux véhicules admis à la circulation en transport international .
75 . Toujours selon l' article 5, les dispositions en vigueur dans l' État d' accueil indiquées ci-avant doivent être appliquées aux transporteurs non résidents dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants, afin d' empêcher d' une manière effective toute discrimination fondée sur la nationalité ou le lieu d' établissement .
76 . Enfin, l' article 9, après avoir prévu que le règlement entre en vigueur le 1er juillet 1990 et se trouve applicable jusqu' au 31 décembre 1992, indique que "le Conseil, statuant dans les conditions prévues par le traité, adopte, avant le 1er juillet 1992, sur proposition de la Commission présentée au plus tard le 31 décembre 1991, un règlement définissant le régime définitif du cabotage qui entrera en vigueur le 1er janvier 1993 ".
77 . Telles sont les dispositions essentielles du règlement en cause .
78 . A l' audience, la partie requérante au principal, qui déclare qu' il s' agit là tout au plus d' un premier pas, mais très modeste, vers l' établissement d' un cabotage communautaire, estime que ce texte encourt deux critiques fondamentales . D' une part, le système d' autorisation de cabotage limite l' effectivité de celui-ci, et il s' agit en conséquence d' un cabotage "rudimentaire ". D' autre part, le règlement n 4059/89 vient à expiration au 31 décembre 1992 sans que l' on soit certain qu'
à cette date un règlement "cabotage" sera adopté . Pinaud Wieger a estimé, par ailleurs, que, si le règlement n 4059/89 devait être considéré comme légal, il présenterait néanmoins des lacunes en ne comportant pas de dispositions relatives aux conditions et aux prix de transport et qu' en conséquence il y aurait liberté de prestation de services aux conditions de la jurisprudence "Cassis de Dijon ". Dans le cas d' espèce, le système des transports néerlandais et la réglementation allemande devraient
donc être mis en concurrence .
79 . Cette thèse nous semble devoir être écartée pour les motifs suivants . Tout d' abord, le caractère transitoire du régime institué par le règlement ne nous paraît pas juridiquement irrégulier, compte tenu du pouvoir d' appréciation que vous avez reconnu au Conseil quant aux modalités à mettre en oeuvre pour obtenir la libre prestation de services en matière de transports . Si, en définitive, le Conseil doit parvenir à ce résultat, il détient en revanche une certaine discrétion quant aux moyens à
mettre en oeuvre à cette fin . Nous l' avons déjà dit, le caractère graduel ou progressif de la démarche qu' il adopte en la matière relève précisément d' une telle appréciation destinée à tenir compte des "aspects spéciaux des transports ".
80 . Ensuite, le système d' un contingent communautaire réparti entre États membres, retenu dans le cadre de ce régime transitoire, comporte inévitablement une restriction pour les transporteurs non résidents quant à l' accès aux transports nationaux . Mais, d' une part il substitue à l' impossibilité "pour une entreprise d' effectuer des opérations de transport à l' intérieur d' un autre État membre, où elle ne ( possède ) pas d' établissement" ( 33 ), le droit d' y procéder désormais dans des
limites quantitatives . S' il n' existe pas encore véritablement de libre prestation de services, la situation juridique concrète s' est cependant modifiée . D' autre part, pour la mise en oeuvre des possibilités de cabotage ainsi créé, le règlement interdit que l' application des dispositions nationales puisse donner lieu à toute discrimination directe ou indirecte . Le règlement instaure donc un régime d' ouverture effective, quoique limitée, du cabotage, qui, dans les bornes qu' il trace,
respecte le principe fondamental de non-discrimination . Au demeurant, la progressivité de ce régime est garantie par le seuil minimal d' augmentation annuelle du contingent prévu à l' article 2 .
81 . Par ailleurs, le règlement prévoit une date précise pour l' adoption d' un régime définitif et un calendrier à cette fin . Observons, tout d' abord, que les considérants du règlement sont parfaitement dénués d' ambiguïté sur les exigences auxquelles le régime définitif doit satisfaire : l' élimination de toutes restrictions en raison de la nationalité du prestataire de services ou de la circonstance qu' il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie . A la
date où nous prononçons ces conclusions, il nous semble que votre Cour peut prendre acte de ces indications sans qu' elle ait à se prononcer sur les conséquences qui s' attacheraient à la non-adoption du régime définitif qui doit entrer en vigueur au lendemain du 31 décembre 1992 .
82 . Indiquons enfin que nous ne pouvons partager la thèse de la requérante au principal selon laquelle, si le règlement "devait être un acte normatif à respecter", l' absence de dispositions relatives aux conditions et au prix des transports constituerait des lacunes entraînant l' application des articles 59 et 60, lesquels permettraient que le prestataire se livre à son activité aux conditions de l' État d' origine .
83 . La Commission et la partie défenderesse au principal soutiennent très justement à cet égard que les domaines considérés ne relèvent pas de l' article 75, paragraphe 1, sous b ), mais de l' article 75, paragraphe 1, sous c ) (" toutes autres dispositions utiles "). Cette disposition est distincte de l' obligation pour le Conseil d' instaurer la libre prestation de services . Or, votre arrêt du 22 mai 1985 a constaté la carence du Conseil en ce qui concerne seulement les obligations visées à l'
article 75, paragraphe 1, sous a ) et b ), mais a, en revanche, considéré que l' absence d' une politique commune "en tant que telle" ne constituait pas une carence dont la nature serait suffisamment définie pour être justiciable de l' article 175 . En conséquence, la carence du Conseil ne peut être invoquée en ce qui concerne l' absence d' une réglementation commune des conditions et des prix de transport .
84 . A cet égard, nous partageons l' opinion de la Commission selon laquelle des conditions nationales non discriminatoires en matière de prix des transports - dont l' article 5 du règlement n 4059/89 prévoit l' application -, dès lors évidemment qu' elles sont, par ailleurs, conformes aux dispositions du traité et notamment à ses règles de concurrence, sont compatibles avec les exigences de la libre prestation de services en la matière .
85 . Nous observerons au surplus que si vous deviez considérer, contrairement à nos conclusions sur ce point, que le Conseil ne pouvait plus, par l' effet de l' expiration du délai raisonnable, adopter le régime transitoire que comporte le règlement n 4059/89, il en découlerait à notre avis la possibilité pour les particuliers de se prévaloir de la règle du traitement national, mais non des articles 59 et 60 . En d' autres termes, à supposer que ces derniers doivent être interprétés conformément à
la thèse de Pinaud Wieger qui tire de ces dispositions le droit pour un prestataire de se livrer à ses activités aux conditions de son État d' origine, il n' en résulterait nullement dans le domaine du cabotage une telle conséquence, mais la faculté d' accéder aux transports nationaux sans discrimination par rapport aux conditions que l' État d' accueil prévoit pour les transporteurs résidents .
86 . Examinant le règlement n 4059/89, on constate donc une ouverture effective et progressive réelle, quoique limitée, du cabotage . Dans le cadre provisoire ainsi tracé, le respect du principe du traitement national est assuré . Des dispositions claires prévoient l' adoption d' un régime définitif réalisant la libre prestation de services en la matière à une date précise .
87 . En conséquence, nous estimons que votre Cour peut constater que, par l' adoption du règlement en cause, le Conseil a enclenché le processus d' exécution de votre arrêt Parlement/Conseil dans le domaine du cabotage . Mais la teneur du régime transitoire en vigueur et la circonstance que le régime définitif, conforme aux exigences du traité en la matière, reste à adopter empêchent de considérer que la carence a été complètement éliminée . Cependant, cette constatation doit être mesurée à l' aune
du pouvoir d' appréciation dont dispose le Conseil pour fixer les modalités destinées à réaliser la libre prestation de services dans le domaine des transports . C' est la raison pour laquelle nous vous invitons à constater que l' adoption du règlement n 4059/89 constitue un commencement d' exécution des obligations que l' article 75 du traité impartit au Conseil et que, dès lors, l' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux relève exclusivement du régime transitoire prévu
par le règlement, jusqu' au 31 décembre 1992, date à laquelle le texte cessera d' être applicable pour être remplacé par le régime définitif du cabotage . A cet égard, nous nous abstiendrons ici de tout développement consacré à la situation juridique qui résulterait de l' absence d' un régime définitif du cabotage au 31 décembre 1992 .
88 . Une dernière observation . Le juge a quo est saisi d' une action en constatation de droit qui, nous l' avons vu, le conduit à statuer conformément à l' état du droit applicable au moment de sa décision .
89 . Dès lors, même si nous sommes d' avis que le délai raisonnable était expiré à la date d' adoption du règlement n 4059/89, il n' est pas nécessaire de fixer en outre la date précise à laquelle ce délai avait expiré, puisque la situation juridique qui en a résulté - la possibilité pour les particuliers d' invoquer le traitement national - ne constitue plus l' état actuel du droit qui seul est utile pour le Bundesverwaltungsgericht dans cette affaire .
90 . Au terme de ces observations, nous vous proposons de dire pour droit :
"1 ) En adoptant le règlement ( CEE ) n 4059/89, du 21 décembre 1989, le Conseil a commencé à exécuter les obligations qui lui incombent au titre de l' article 75, paragraphe 1, sous b ), du traité CEE en ce qui concerne les transports routiers .
2 ) L' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux par route dans un État membre autre que celui où ils sont établis relève du régime transitoire instauré par le règlement ( CEE ) n 4059/89, du 21 décembre 1989, jusqu' au 31 décembre 1992, date à laquelle ce texte cessera d' être applicable .
3 ) Conformément à l' article 5 du règlement précité, l' exécution des transports de cabotage routier est soumise aux dispositions nationales relatives aux prix et aux conditions régissant le contrat de transport en vigueur dans l' État où la prestation s' effectue, dispositions qui doivent être appliquées aux transporteurs non résidents dans les mêmes conditions que celles que cet État membre impose à ses propres ressortissants, étant précisé que lesdites dispositions doivent, par ailleurs,
respecter les règles du traité, et notamment celles relatives au droit de la concurrence ."
(*) Langue originale : le français .
( 1 ) Arrêt du 22 mai 1985 ( 13/83, Rec . p . 1513 ), conclusions de l' avocat général M . Lenz .
( 2 ) La Commission a, pour sa part, évoqué les transports internationaux dans ses observations pour affirmer que, par l' adoption du règlement ( CEE ) n 1841/88, du 21 juin 1988, le Conseil avait mis fin à sa carence . Rappelons que ce règlement prévoit la suppression des contingents communautaires, des contingents bilatéraux et des contingents applicables en transit à destination et en provenance des pays tiers à compter du 1er janvier 1993, date à laquelle l' accès au marché des transports
transfrontières sera régi par un système d' autorisations communautaires accordées sur la base de critères qualitatifs .
( 3 ) Précité, note 1 .
( 4 ) Point 64 .
( 5 ) Arrêt du 17 décembre 1981, Webb ( 279/80, Rec . p . 3305 ).
( 6 ) Précité, note 4 .
( 7 ) Point 65 .
( 8 ) Point 67 .
( 9 ) Point 62 .
( 10 ) Voir référence au rapport d' audience ( Rec . p . 1582 ).
( 11 ) Arrêt du 13 juillet 1989 ( 4/88, Rec . p . 2583 ), conclusions de l' avocat général M . Jacobs .
( 12 ) Point 20 .
( 13 ) Point 21 .
( 14 ) JO L 390, p . 3; ce règlement a fait l' objet d' un recours en annulation introduit par le Parlement européen ( JO 1990, C 110, p . 5 ), recours actuellement pendant devant votre Cour ( affaire C-65/90 ).
( 15 ) Dans ses observations écrites, la requérante au principal avait fait référence à la date du 1er juillet 1987 .
( 16 ) Arrêt du 6 novembre 1985, Commission/Italie, point 7 ( 131/84, Rec . p . 3531 ); voir également arrêt du 5 novembre 1986, Commission/Italie ( 160/85, Rec . p . 3245 ); arrêt du 14 janvier 1988, Commission/Belgique ( 227/85 à 230/85, Rec . p . 1 ); arrêt du 12 février 1987, Commission/Italie ( 69/86, Rec . p . 773 ); arrêt du 27 avril 1988, Commission/Italie ( 225/86, Rec . p . 2271 ); arrêt du 13 juillet 1988, Commission/France ( 169/87, Rec . p . 4093 ); arrêt du 19 février 1991,
Commission/Belgique ( C-375/89, Rec . p . I-0000 ).
( 17 ) Point 69, souligné par nous .
( 18 ) JO C 349, p . 26 .
( 19 ) JO C 255, p . 234 .
( 20 ) Ibidem, p . 227 .
( 21 ) Avis sur la proposition de règlement du Conseil fixant les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux des marchandises par route dans un État membre ( JO C 180, p . 37 ).
( 22 ) JO C 180, p . 38 .
( 23 ) Ibidem .
( 24 ) La politique commune des transports de la CEE dans la perspective du marché unique de 1992, Prométhée, p . 7 .
( 25 ) Ibidem .
( 26 ) Résolution du Parlement européen précitée ( p . 228 ).
( 27 ) Rappelons que vous avez estimé que le Conseil était tenu d' assurer la libre prestation de services alors que vous n' avez pas constaté sa carence au titre des autres aspects de la politique commune des transports, en estimant que la nature de la carence sur ce point ne serait pas suffisamment définie pour être justiciable de l' article 175; le Comité économique et social analyse ainsi votre arrêt : "La Cour de justice des Communautés européennes a déclaré que l' introduction de la libre
prestation des services dans le domaine des transports ne peut être subordonnée juridiquement à une harmonisation préalable des conditions de concurrence" (( avis sur la "proposition de règlement du Conseil fixant les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux des marchandises par route dans un État membre" ( JO C 180, p . 37 )).
( 28 ) "A cet égard, il y a d' abord lieu d' observer que les difficultés objectives qui font, selon la thèse du Conseil, obstacle aux progrès nécessaires sur le chemin conduisant à une politique commune des transports sont sans pertinence dans le cadre du présent litige . En vertu de l' article 175, il appartient à la Cour, le cas échéant, de constater la violation du traité que constitue le fait, pour le Conseil ou la Commission, de s' abstenir de statuer dans une situation où cette institution y
était tenue . Le degré de difficulté de l' obligation faite à l' institution en cause n' est pas pris en considération par l' article 175", point 48 de l' arrêt Parlement/Conseil .
( 29 ) Point 62 .
( 30 ) Point 65 .
( 31 ) Point 20 des conclusions, souligné par nous .
( 32 ) Arrêt du 10 juillet 1984 ( 63/83, Rec . p . 2689 ).
( 33 ) Arrêt Lambregts, point 13 .