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28/02/1991 | CJUE | N°C-332/89

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 28 février 1991., Procédure pénale contre André Marchandise, Jean-Marie Chapuis et SA Trafitex., 28/02/1991, C-332/89


Avis juridique important

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61989J0332

Arrêt de la Cour du 28 février 1991. - Procédure pénale contre André Marchandise, Jean-Marie Chapuis et SA Trafitex. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Mons - Belgique. - Interprétation des articles 3, sous f, 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité CEE - Lég

islation nationale interdisant l'occupation de travailleurs dans les commerce...

Avis juridique important

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61989J0332

Arrêt de la Cour du 28 février 1991. - Procédure pénale contre André Marchandise, Jean-Marie Chapuis et SA Trafitex. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Mons - Belgique. - Interprétation des articles 3, sous f, 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité CEE - Législation nationale interdisant l'occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche après 12 h. - Affaire C-332/89.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-01027
édition spéciale suédoise page I-00087
édition spéciale finnoise page I-00099

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d' effet équivalent - Réglementation relative au repos dominical des salariés dans le secteur du commerce de détail - Admissibilité - Dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et à la concurrence - Inapplicabilité

(( Traité CEE, art . 3, sous f ), 5, 30, 34, 59 à 66 et 85 ))

Sommaire

L' article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l' interdiction qu' il prévoit ne s' applique pas à une réglementation nationale interdisant d' occuper des travailleurs salariés dans les commerces de détail le dimanche après 12 heures .

En effet, une telle réglementation, qui n' a pas pour objet de régir les échanges et qui affecte aussi bien la vente de produits nationaux que celle de produits importés, poursuit un but justifié au regard du droit communautaire, étant donné que, en visant à assurer une répartition des heures de travail et de repos adaptée aux particularités socioculturelles nationales ou régionales, elle constitue l' expression de certains choix politiques et économiques . Les effets restrictifs sur les échanges
qui peuvent éventuellement en découler n' apparaissent pas comme excessifs au regard du but poursuivi .

Il en va de même pour l' interdiction que prévoit l' article 34 du traité, dès lors que pareille réglementation s' applique en fonction de critères objectifs à l' ensemble des commerces d' un secteur déterminé, sans opérer de distinction entre les marchandises que le consommateur entend utiliser sur place et celles qu' il souhaite exporter .

Ni les articles 59 à 66, ni les dispositions combinées des articles 3, sous f ), 5 et 85 du traité ne lui sont par ailleurs applicables .

Parties

Dans l' affaire C-332/89,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par la cour d' appel de Mons ( Belgique ) et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

André Marchandise,

Jean-Marie Chapuis,

SA Trafitex,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des articles 3, sous f ), 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité CEE,

LA COUR,

composée de MM . O . Due, président, J . C . Moitinho de Almeida, G . C . Rodríguez Iglesias et M . Díez de Velasco, présidents de chambre, R . Joliet, F . Grévisse et M . Zuleeg, juges,

avocat général : M . W . Van Gerven

greffier : Mme D . Louterman, administrateur principal

considérant les observations écrites présentées :

- pour MM . André Marchandise, Jean-Marie Chapuis et la SA Trafitex, par Me Francis Bauduin, avocat au barreau de Bruxelles, et par Me Jean Wagener, avocat au barreau de Luxembourg,

- pour la Commission, par MM . René Barents, membre du service juridique, et Hervé Lehman, fonctionnaire français mis à la disposition du service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de MM . A . Marchandise, J.-M . Chapuis et de la SA Trafitex, représentés par Mes F . Bauduin et Tailleur, avocats au barreau de Bruxelles, et de la Commission, à l' audience du 26 septembre 1990,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 22 novembre 1990,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par arrêt du 5 octobre 1989, parvenu à la Cour le 27 octobre suivant, la cour d' appel de Mons ( Belgique ) a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l' interprétation des articles 3, sous f ), 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 de ce même traité en vue d' apprécier la compatibilité avec ces dispositions d' une réglementation nationale interdisant l' occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche après 12 heures .

2 Selon les dispositions combinées des articles 11 et 14, paragraphe 1, de la loi belge du 16 mars 1971 sur le travail, il est interdit d' employer des travailleurs dans les commerces de détail le dimanche après 12 heures . L' article 53 de cette loi précise que le non-respect de cette règle expose l' employeur à des peines d' emprisonnement et d' amende .

3 M . André Marchandise, administrateur de la société Trafitex, et M . Jean-Marie Chapuis, employé de ladite société, ont été poursuivis par le ministère public pour avoir, à diverses reprises entre le 14 septembre 1986 et le 14 décembre 1986, occupé neuf travailleurs le dimanche, après 12 heures, dans un magasin de détail, en contravention avec les dispositions de la loi du 16 mars 1971 sur le travail .

4 Le 1er juin 1988, le tribunal correctionnel de Charleroi a reconnu les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés et les a condamnés à des peines d' amende et, subsidiairement, d' emprisonnement, la peine étant assortie du sursis pour Jean-Marie Chapuis . Par le même jugement, la sociéte Trafitex a été déclarée civilement responsable des condamnations pécuniaires .

5 L' ensemble des parties ayant interjeté appel de ce jugement, la quatrième chambre de la cour d' appel de Mons, siégeant en matière correctionnelle, a rendu un arrêt par lequel elle a déféré à la Cour une question préjudicielle visant à savoir :

"si les dispositions des articles 1er, 11, 14, paragraphe 1, 53, 54, 57, 58 et 59 de la loi du 16 mars 1971, modifiée notamment par la loi du 20 juillet 1978 et par l' arrêté royal n 15 du 23 octobre 1978, contiennent violation des articles 3, sous f ), 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité de Rome du 25 mars 1957 ".

6 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

7 A titre liminaire, il y a lieu d' observer que, s' il n' appartient pas à la Cour, dans le cadre de la procédure préjudicielle, de se prononcer sur la compatibilité d' une disposition nationale avec le traité, elle est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d' interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d' apprécier cette compatibilité pour le jugement de l' affaire dont elle est saisie .

Sur l' article 30 du traité CEE

8 La juridiction nationale cherche en substance à savoir si des dispositions interdisant l' occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche constituent une mesure d' effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens de l' article 30 du traité .

9 Il y a lieu, d' abord, de relever qu' une réglementation nationale interdisant l' occupation de travailleurs salariés le dimanche dans les commerces de détail n' a pas pour objet de régir les échanges . Elle est néanmoins susceptible d' entraîner des effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises . En effet, même s' il est peu probable que la fermeture de certaines catégories de magasins le dimanche amène les consommateurs à renoncer définitivement à acquérir des produits qui sont
disponibles pendant les autres jours de la semaine, il n' en reste pas moins que l' interdiction en cause peut avoir des conséquences négatives sur le volume des ventes et, par conséquent, des importations .

10 Il convient de constater ensuite qu' une réglementation de ce genre affecte aussi bien la vente des produits nationaux que celle des produits importés . En principe, la commercialisation des produits importés d' autres États membres n' est donc pas rendue plus difficile que celle des produits nationaux ( voir, dans ce sens, l' arrêt de la Cour du 23 novembre 1989, Torfaen Borough Council/B & Q plc, C-145/88, Rec . p . 3851 ).

11 Dans cet arrêt, la Cour a jugé en substance, à propos d' une réglementation nationale similaire, interdisant à des commerces de détail d' ouvrir le dimanche, qu' une telle interdiction n' est compatible avec le principe de la libre circulation des marchandises prévu par le traité qu' à la condition que les entraves éventuelles qu' elle cause aux échanges communautaires n' aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé et que cet objectif soit justifié au regard du
droit communautaire .

12 Dans ces conditions, il faut constater, en premier lieu, qu' une réglementation telle que celle qui est en cause poursuit un but justifié au regard du droit communautaire . En effet, la Cour a déjà considéré dans son arrêt du 23 novembre 1989, précité, que les réglementations nationales régissant les horaires de vente au détail constituent l' expression de certains choix politiques et économiques en ce qu' elles visent à assurer une répartition des heures de travail et de repos adaptée aux
particularités socioculturelles nationales ou régionales dont l' appréciation appartient, dans l' état actuel du droit communautaire, aux États membres .

13 Il convient de constater, en second lieu, que les effets restrictifs sur les échanges qui peuvent éventuellement découler d' une telle réglementation n' apparaissent pas comme excessifs au regard du but poursuivi .

14 Il convient donc de répondre à la question posée que l' article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l' interdiction qu' il prévoit ne s' applique pas à une réglementation nationale interdisant d' occuper des travailleurs salariés le dimanche après 12 heures .

Sur l' article 34 du traité CEE

15 Par ailleurs, la question préjudicielle vise aussi à savoir si la mesure en cause constitue une restriction quantitative à l' exportation au sens de l' article 34 du traité .

16 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans l' arrêt du 8 novembre 1979, Groenveld ( 15/79, Rec . p . 3409 ), la Cour a considéré en substance que n' était pas incompatible avec l' article 34 du traité une mesure nationale qui s' applique objectivement à la production de marchandises d' un certain type sans faire une distinction selon que celles-ci sont destinées au marché national ou à l' exportation .

17 Il convient donc de répondre à cette branche de la question préjudicielle qu' une réglementation nationale interdisant l' occupation de travailleurs le dimanche après 12 heures n' est pas incompatible avec l' article 34 du traité puisqu' elle n' a pas pour objet de régir les courants d' échanges entre les États membres et qu' elle s' applique, en fonction de critères objectifs, à l' ensemble des commerces d' un secteur déterminé sans opérer de distinction entre les marchandises que le
consommateur entend utiliser sur place et celles qu' il souhaite exporter .

Sur les articles 59 à 66 du traité CEE

18 La juridiction nationale soulève également une question relative à l' appréciation de la mesure en cause au regard des articles 59 à 66 du traité . A ce sujet, il y a lieu d' observer d' abord que ces articles visent à instaurer la libre prestation des services à l' intérieur de la Communauté . L' article 60 du traité précise que les prestations fournies normalement contre rémunération sont considérées comme services, à l' exclusion notamment des cas dans lesquels elles sont régies par les
dispositions relatives à la libre circulation des marchandises .

19 Il convient d' indiquer ensuite qu' il s' agit, dans le cas d' espèce, d' une réglementation concernant les modalités d' exercice des activités de vente au détail qui poursuit un objectif de protection sociale . Étant donné ces caractéristiques, cette réglementation doit être examinée au regard de l' article 30 du traité, ainsi que la Cour l' a souligné dans l' arrêt Torfaen Borough Council/B & Q plc, précité . En conséquence, les dispositions relatives à la libre circulation des services ne
sauraient s' appliquer .

Sur les articles 3, sous f ), 5 et 85 du traité CEE

20 Enfin, la juridiction nationale demande d' examiner les dispositions nationales en cause au regard des articles 3, sous f ), 5 et 85 du traité .

21 La question posée par la juridiction nationale à l' égard de ces dispositions doit être comprise comme visant, en substance, à savoir si une réglementation nationale interdisant l' occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche est compatible ou non avec les obligations découlant pour les États membres de l' article 5 du traité CEE, en liaison avec les articles 3, sous f ), et 85 du même traité .

22 Il convient de rappeler, à cet égard, que, par eux-mêmes, les articles 85 et 86 du traité concernent uniquement le comportement des entreprises et ne visent pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres . Il résulte cependant d' une jurisprudence constante de la Cour que les articles 85 et 86, lus en combinaison avec l' article 5 du traité, imposent aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire,
susceptibles d' éliminer l' effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises . Tel est le cas, en vertu de cette même jurisprudence, lorsqu' un État membre soit impose ou favorise la conclusion d' ententes contraires à l' article 85 ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d' intervention en matière économique ( voir arrêt du 21 septembre
1988, van Eycke/Aspa, point 16, 267/86, Rec . p . 4769 ).

23 Il y a lieu de constater qu' en l' espèce aucun élément du dossier ne permet de conclure que la réglementation en cause vise à renforcer les effets d' une entente préexistante . Par ailleurs, aucun des éléments de cette réglementation n' est de nature à lui retirer son caractère étatique .

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

24 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens .

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par la cour d' appel de Mons, par l' arrêt du 5 octobre 1989, dit pour droit :

1 ) L' article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens que l' interdiction qu' il prévoit ne s' applique pas à une réglementation nationale interdisant d' occuper des travailleurs salariés le dimanche après 12 heures .

2 ) L' article 34 du traité doit être interprété en ce sens que l' interdiction qu' il prévoit ne s' applique pas à une telle réglementation .

3 ) Ni les articles 59 à 66 du traité ni les dispositions combinées des articles 3, sous f ), 5 et 85 du traité ne sont applicables à une telle réglementation .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-332/89
Date de la décision : 28/02/1991
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Mons - Belgique.

Interprétation des articles 3, sous f, 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité CEE - Législation nationale interdisant l'occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche après 12 h.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent

Ententes

Libre prestation des services

Concurrence


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : André Marchandise, Jean-Marie Chapuis et SA Trafitex.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Díez de Velasco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:94

Source

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