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28/02/1991 | CJUE | N°C-266/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 28 février 1991., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 28/02/1991, C-266/89


Avis juridique important

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61989C0266

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 28 février 1991. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Manquement d'État - Relève statistique des transports de marchandises par route - Non-exécution d'un arrêt de la Cour. - Affaire C-

266/89.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-02411

Conclusions de l'avoca...

Avis juridique important

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61989C0266

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 28 février 1991. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Manquement d'État - Relève statistique des transports de marchandises par route - Non-exécution d'un arrêt de la Cour. - Affaire C-266/89.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-02411

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Par arrêt du 11 juillet 1985 ( 1 ), vous avez constaté un manquement à l' encontre de la République italienne résultant de l' omission par cet État d' avoir procédé au relevé statistique des transports de marchandises par route, selon les modalités prévues par la directive 78/546/CEE du Conseil, du 12 juin 1978, relative au relevé statistique des transports de marchandises par route dans le cadre d' une statistique régionale ( 2 ).

2 . La Commission vous demande aujourd' hui de constater que, en continuant à ne pas procéder au relevé statistique des transports de marchandises par route selon les modalités de la directive en cause, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 171 du traité .

3 . Par lettre du 22 juin 1988, la Commission a mis en demeure le gouvernement italien au motif que les données fournies par ce dernier au cours de la période de juillet 1985 à mars 1988 ne permettaient pas de reconstituer un ou plusieurs des six tableaux prévus par la directive . Par lettres des 4 et 18 juillet 1988, la représentation permanente de l' Italie a fait parvenir plusieurs tableaux à la Commission .

4 . En dépit de ces informations, la Commission a estimé que les données fournies par le gouvernement italien ne permettent de reconstituer que partiellement les transports nationaux et aucunement les transports internationaux exprimés en tonnes selon les modalités de la directive en cause . Elle a adressé, le 10 avril 1989, un avis motivé à l' Italie, qui a fait parvenir, le 28 juin 1989, des données supplémentaires que la Commission estime toujours incomplètes tant en ce qui concerne les
transports nationaux que les transports internationaux . Le présent recours a été introduit le 21 août 1989 .

5 . C' est seulement à l' audience que le gouvernement défendeur a invoqué l' irrecevabilité de ce recours en ce que, étant fondé sur l' article 171 du traité CEE, il ne saurait reposer sur des comportements postérieurs à votre arrêt du 11 juillet 1985, précité . Selon la République italienne, il s' agirait, en effet, de manquements nouveaux et différents par rapport à ce qui aurait constitué l' objet de la chose jugée .

6 . La Commission considère que, compte tenu du stade auquel cette exception a été soulevée, vous devez l' écarter du débat comme tardive . Elle l' estime, en tout état de cause, non fondée .

7 . Tout d' abord, s' agit-il là d' une fin de non-recevoir? En effet, l' article 171 n' institue pas une voie de droit spécifique, mais impose une obligation déterminée à la charge de l' État concerné : adopter les mesures que comporte l' exécution de votre arrêt . Et c' est toujours une action au titre de l' article 169 qui est introduite lorsque la Commission prétend qu' un État n' a pas correctement exécuté un arrêt . Mais l' obligation dont il vous est alors demandé de constater le non-respect
n' est plus celle dont la violation a été constatée par votre premier arrêt, mais celle qui impose à l' État concerné d' adopter les mesures que comporte l' exécution de vos décisions . Or, en soutenant que le présent recours vise à tort l' article 171, l' Italie allègue qu' en réalité des comportements postérieurs à votre arrêt ne peuvent être, en l' espèce, invoqués comme constitutifs d' une non-exécution de celui-ci . En d' autres termes, l' obligation dont la violation est alléguée ne
permettrait pas d' établir un manquement . Ne s' agit-il pas là, en définitive, de contester que les éléments constitutifs du manquement ne sont pas réunis et donc que le recours n' est pas fondé? Mais il est vrai que dans l' arrêt Commission/Belgique ( 3 ), alors que cet État avait soulevé l' irrecevabilité d' un recours visant l' article 171 en ce qu' il aurait concerné un manquement différent de celui qui avait fait l' objet du premier arrêt, vous n' avez apparemment pas remis en cause qu' il s'
agisse là d' une fin de non-recevoir . Et, au demeurant, il s' agit de s' opposer à l' examen d' une nouvelle action fondée sur le non-respect des effets d' un arrêt au motif que précisément ce dernier ne peut avoir la portée que la requérante lui prête : en quelque sorte une exception de la "chose non jugée ". Dès lors, on pourrait être porté à considérer qu' il s' agit d' une fin de non-recevoir qui, par ailleurs, pourrait être soulevée d' office par votre Cour à l' instar de l' exception de chose
jugée ( 4 ).

8 . Cependant, il n' est peut-être pas indispensable que vous vous prononciez sur la nature juridique de l' "exception" soulevée par le gouvernement défendeur . S' agirait-il d' un moyen de fond, vous devriez examiner la substance de cette argumentation nonobstant le stade auquel l' Italie l' a invoquée . En effet, il nous semble évident que vous êtes tenus, en tout état de cause, de vérifier l' existence des éléments constitutifs du manquement, même si l' État défendeur s' abstenait d' invoquer le
caractère erroné de l' obligation dont le non-respect est allégué .

9 . Nous constaterons, en premier lieu, que la Commission, dans l' avis motivé, avait visé un manquement tant à la directive qu' à l' article 171 . En revanche, le recours lui-même ne vise que le non-respect de ce dernier texte qui résulterait de la non-application persistante de la directive en cause .

10 . Celle-ci prévoit notamment, rappelons-le, la communication annuelle par chaque État membre à la Commission de données statistiques annuelles sur les transports effectués par les véhicules immatriculés dans cet État membre sur le territoire de cet État ( transports nationaux ) et entre cet État et un autre État membre ou un État tiers ( transports internationaux ). Les États membres devaient adopter les mesures nécessaires pour se conformer à cette directive au plus tard le 1er janvier 1979 .

11 . Votre arrêt de 1985 a constaté que l' Italie avait manqué à ces obligations en omettant de procéder au relevé statistique . La Commission avait alors affirmé, sans être contestée par le gouvernement italien ( qui invoquait les difficultés persistantes résultant d' un attentat ayant détruit, à la fin de 1979, le centre de traitement des données statistiques du ministère des Transports ), que l' État défendeur n' avait fourni que des données incomplètes pour les années 1979 et 1980 en ce qui
concerne les transports internationaux . Aucune donnée concernant les transports nationaux n' avait été communiquée à la Commission .

12 . Si l' on retient la thèse du gouvernement italien, votre arrêt n' aurait donc aucun effet quant au respect de ces obligations pour la période postérieure à son prononcé . Son seul effet consisterait, en définitive, à obliger de "réparer" la violation de ses obligations pour la période qui a précédé l' arrêt ( ou l' avis motivé, voire la lettre de mise en demeure ). En l' espèce, quel serait l' intérêt d' une telle "réparation" accomplie avec plusieurs années de retard?

13 . Le caractère singulièrement restrictif que la République italienne semble prêter à l' article 171 du traité contraste avec la fermeté des termes que vous avez utilisés pour rappeler les effets d' un arrêt de manquement :

"La constatation, dans un arrêt revêtu de l' autorité de la chose jugée à l' égard de l' État membre concerné, d' un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire implique pour les autorités nationales compétentes prohibition de plein droit d' appliquer une prescription nationale reconnue incompatible avec le traité et, le cas échéant, obligation de prendre toutes dispositions pour faciliter la réalisation du plein effet du droit communautaire . Il s' ensuit que, par
le seul effet de l' arrêt portant constatation du manquement, l' État membre concerné est tenu de prendre, sans pouvoir opposer aucun obstacle de quelque nature qu' il soit, toutes les mesures propres à éliminer le manquement" ( 5 ).

14 . Nous ne pensons pas solliciter cette décision en estimant que l' exécution d' un arrêt constatant la violation d' une obligation incombant à un État au titre d' une directive qui lui impose un comportement déterminé consiste à mettre fin définitivement à cette violation en adoptant toutes les mesures nécessaires pour obtenir le résultat qui lui est prescrit . Tant que la violation des obligations, établie par l' arrêt de la Cour, persiste, l' État n' a pas exécuté ce dernier . Cette analyse ne
saurait varier lorsque l' obligation doit s' exécuter non pas de manière instantanée ( exemple : l' adoption ou la modification d' une législation ), mais successivement, comme tel est le cas en l' espèce .

15 . Il serait singulièrement paradoxal que, en raison du caractère "continu" de l' obligation qui lui incombe, l' État concerné puisse invoquer l' absence d' effets de l' arrêt postérieurs à son prononcé .

16 . Sans doute, en l' espèce, les mesures que comporte l' exécution de l' arrêt coïncident exactement avec le respect des obligations que la directive impose de toute façon . En conséquence, le non-respect de ces dernières révèle précisément l' absence de mesures d' exécution de l' arrêt : il n' est pas mis fin à la violation de la même obligation .

17 . Certes, la question reste ouverte de savoir si l' article 171 pourrait être invoqué à l' encontre d' un État qui, après avoir véritablement mis fin à la violation de ses obligations pendant un laps de temps significatif, recommencerait ultérieurement à les méconnaître . En pareil cas, on pourrait discuter du point de savoir si les effets de l' arrêt ne sont pas "épuisés ". Mais, en revanche, aucune hésitation n' est autorisée lorsque se trouve en cause, comme en l' espèce, le non-respect
continu par un État membre de la même obligation .

18 . Il reste donc précisément à examiner si l' Italie a adopté les mesures d' exécution que comportait votre arrêt .

19 . Nos observations seront succinctes à cet égard .

20 . Le gouvernement italien n' a pas véritablement contesté le manquement et admet ne pas avoir fourni complètement toutes les données requises . Ses conclusions ont d' ailleurs consisté en une invitation faite à la Commission de se désister de son recours, compte tenu des initiatives désormais entreprises . Celles-ci - c' est-à-dire l' enquête qu' aurait entamée l' Institut central des statistiques - ne peuvent avoir évidemment aucune incidence quant à la constatation du manquement puisque,

"même si l' article 171 du traité ne précise pas le délai dans lequel l' exécution d' un arrêt doit intervenir, il est constant que cette exécution doit être entamée immédiatement et doit aboutir dans des délais aussi brefs que possible" ( 6 ).

21 . Quant à l' importance réduite que revêtiraient les données non fournies, nous nous bornerons à observer que l' État défendeur considère lui-même, d' une part, que les données relatives au transport local sont fournies dans leurs "composantes générales", d' autre part, que les données relatives au transport international par groupe de pays sont absentes .

22 . Deux observations à cet égard .

23 . En premier lieu, la Commission souligne à juste titre que les statistiques qui ne sont pas complètes ou exactes à 100 % sont inutilisables et que, en tout état de cause, la règle "de minimis" ne saurait trouver application dans le cadre de la procédure de l' article 169 du traité .

24 . En second lieu, la République italienne explique que l' absence de données par groupe de pays découle de l' organisation même de l' enquête effectuée à l' époque . Rappelons simplement ici que,

"selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait exciper des dispositions, pratiques ou situations de son ordre interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit communautaire" ( 6 ) .

25 . En conséquence, nous vous invitons à constater que, en continuant à ne pas appliquer la directive 78/546 du Conseil, du 12 juin 1978, relative au relevé statistique des transports de marchandises par route dans le cadre d' une statistique régionale, malgré l' arrêt de la Cour de justice du 11 juillet 1985, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 171 du traité CEE et à condamner l' État défendeur aux dépens .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Commission/Italie ( 101/84, Rec . p . 2629 ).

( 2 ) JO L 168, p . 29 .

( 3 ) Arrêt du 4 février 1988 ( 391/85, Rec . p . 579 ).

( 4 ) Ordonnance du 1er avril 1987, Ainsworth e.a ., points 3 et 4 ( 159/84, 267/84, 12/85 et 264/85, Rec . p . 1579 ).

( 5 ) Ordonnance du 28 mars 1980, Commission /France ( 24/80 et 97/80 R, Rec . p . 1319, souligné par nous ).

( 6 ) Voir en dernier lieu, arrêt du 19 février 1991, Commission/Belgique ( C-375/89, Rec . p . I-383 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-266/89
Date de la décision : 28/02/1991
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'État - Relève statistique des transports de marchandises par route - Non-exécution d'un arrêt de la Cour.

Transports


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:92

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