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26/02/1991 | CJUE | N°C-292/89

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 26 février 1991., The Queen contre Immigration Appeal Tribunal, ex parte Gustaff Desiderius Antonissen., 26/02/1991, C-292/89


Avis juridique important

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61989J0292

Arrêt de la Cour du 26 février 1991. - The Queen contre Immigration Appeal Tribunal, ex parte Gustaff Desiderius Antonissen. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Libre circulation des travailleurs - Droit de séjour -

Recherche d'un emploi - Limitation dans le temps. - Affaire C-292/89.
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Avis juridique important

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61989J0292

Arrêt de la Cour du 26 février 1991. - The Queen contre Immigration Appeal Tribunal, ex parte Gustaff Desiderius Antonissen. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Libre circulation des travailleurs - Droit de séjour - Recherche d'un emploi - Limitation dans le temps. - Affaire C-292/89.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-00745
édition spéciale suédoise page I-00055
édition spéciale finnoise page I-00067

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1 . Libre circulation des personnes - Travailleurs - Droit de séjourner pour rechercher un emploi - Durée du séjour - Limitation à six mois par la législation d' un État membre - Admissibilité - Conditions

( Traité CEE, art . 48, § 3 )

2 . Droit communautaire - Interprétation - Actes des institutions - Déclaration du Conseil inscrite au procès-verbal - Prise en considération - Inadmissibilité en l' absence de support dans l' acte lui-même

Sommaire

1 . La liberté de circulation des travailleurs qu' institue l' article 48 du traité implique le droit pour les ressortissants des États membres de circuler librement sur le territoire des autres États membres et d' y séjourner aux fins d' y rechercher un emploi . La durée du séjour du demandeur d' emploi peut être limitée, mais, pour que l' effet utile de l' article 48 soit garanti, il faut que soit accordé à l' intéressé un délai raisonnable lui permettant de prendre connaissance, sur le territoire
de l' État membre où il s' est rendu, des offres d' emploi correspondant à sa qualification professionnelle et de prendre, le cas échéant, les dispositions nécessaires pour être engagé .

Le droit communautaire, à défaut de fixer la durée de ce délai, ne s' oppose pas à ce que la législation d' un État membre prévoie qu' un ressortissant d' un autre État membre, entré sur son territoire pour y chercher un emploi, puisse être contraint, sous réserve d' un recours, de quitter ce territoire s' il n' y a pas trouvé un emploi au bout de six mois, à moins que l' intéressé n' apporte la preuve qu' il continue à chercher un emploi et qu' il a des chances véritables d' être engagé .

2 . Une déclaration inscrite au procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle a été adoptée une disposition de droit dérivé ne saurait être retenue pour l' interprétation de celle-ci lorsque le contenu de cette déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n' a, dès lors, pas de portée juridique .

Parties

Dans l' affaire C-292/89,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, Londres, et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

The Queen

et

Immigration Appeal Tribunal, ex parte : Gustaff Desiderius Antonissen,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs et portant sur l' étendue du droit de séjour des ressortissants des États membres à la recherche d' un emploi dans un autre État membre,

LA COUR,

composée de MM . O . Due, président, G . F . Mancini, J . C . Moitinho de Almeida, G . C . Rodríguez Iglesias et M . Díez de Velasco, présidents de chambre, Sir Gordon Slynn, MM . C . N . Kakouris, R . Joliet, F . A . Schockweiler, F . Grévisse et M . Zuleeg, juges,

avocat général : M . M . Darmon

greffier : M . H . A . Ruehl, administrateur principal

considérant les observations écrites présentées :

- pour la partie demanderesse au principal, par M . Richard Plender, QC, et Mme Geraldine Clark, barrister, mandatés par Winstanley-Burgess and Co .,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M . J . E . Collins, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, assisté de M . David Pannick, barrister,

- pour le gouvernement de la République fédérale d' Allemagne, par MM . Ernst Roeder et Joachim Karl, respectivement Regierungsdirektor et Oberregierungsrat au ministère fédéral de l' Économie, en qualité d' agents,

- pour le Conseil des Communautés européennes, par Mme Marta Arpio, membre du service juridique, en qualité d' agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM . António Caeiro, conseiller juridique, et Nicholas Khan, membre du service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de la partie demanderesse au principal, du Royaume-Uni, du Conseil et de la Commission, à l' audience du 25 septembre 1990,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 8 novembre 1990,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par ordonnance du 14 juin 1989, parvenue à la Cour le 21 septembre suivant, la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, a posé, en application de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l' interprétation des dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs et portant sur l' étendue du droit de séjour des ressortissants des États membres à la recherche d' un emploi dans un autre État membre .

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' un litige opposant M . Gustaff Desiderius Antonissen, de nationalité belge, au Secretary of State for Home Affairs, qui a décidé, le 27 novembre 1987, de l' expulser du territoire du Royaume-Uni .

3 M . Antonissen, arrivé au Royaume-Uni en octobre 1984, n' y avait pas encore trouvé d' emploi lorsque, le 30 mars 1987, il a été condamné par la Crown Court de Liverpool à deux peines d' emprisonnement pour détention illégale de cocaïne et détention de cette drogue dans l' intention de la revendre . Il a été libéré sur parole (" on parole ") le 21 décembre 1987 .

4 L' expulsion a été ordonnée sur la base de l' article 3, paragraphe 5, sous b ), de l' Immigration Act 1971 ( ci-après "loi de 1971 "), qui autorise le Secretary of State à expulser des ressortissants étrangers lorsque leur expulsion "est dans l' intérêt public ".

5 M . Antonissen a formé un recours contre la décision susmentionnée du Secretary of State devant l' Immigration Appeal Tribunal . Devant cette juridiction, M . Antonissen a fait valoir qu' étant ressortissant communautaire il devait bénéficier de la protection qu' établit la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées pour des raisons d' ordre public, de sécurité publique et de santé
publique ( JO 56, p . 850 ). Le tribunal a estimé que, dès lors qu' il était à la recherche d' un emploi sur le territoire britannique depuis plus de six mois, il ne pouvait plus être assimilé à un travailleur communautaire et prétendre à l' application de cette directive . La juridiction nationale s' est fondée à cet égard sur l' article 143 du Statement of Changes in Immigration Rules, pris en exécution de l' Immigration Act, qui permet d' expulser le ressortissant d' un État membre qui, six mois
après son admission sur le territoire britannique, n' a pas encore trouvé d' emploi et n' exerce pas une autre activité professionnelle .

6 Son recours ayant été rejeté, M . Antonissen a alors saisi la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, qui a sursis à statuer pour poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1 ) Aux fins de déterminer si un ressortissant d' un État membre doit être traité comme un 'travailleur' au sens de l' article 48 du traité CEE lorsqu' il cherche un emploi sur le territoire d' un autre État membre, de sorte qu' il ne peut faire l' objet d' une expulsion sauf dans les conditions prévues par la directive 64/221 du Conseil, du 25 février 1964, le législateur du second État membre peut-il prévoir qu' un tel ressortissant peut être contraint de quitter le territoire de cet État ( sous
réserve d' un recours ) si, six mois après son admission sur ce territoire, il n' a pas trouvé d' emploi?

2 ) Dans le cadre de la réponse à la question qui précède, quelle est, le cas échéant, l' importance qu' une juridiction d' un État membre doit attacher à la déclaration figurant au procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle le Conseil a adopté la directive 68/360?"

7 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation applicable ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

8 Par les questions préjudicielles, la juridiction nationale vise en substance à savoir si les dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs font obstacle à ce que la législation d' un État membre prévoie qu' un ressortissant d' un autre État membre, entré sur son territoire pour y chercher un emploi, puisse être contraint, sous réserve d' un recours, de quitter ce territoire s' il n' y a pas trouvé un emploi au bout de six mois .

9 A cet égard, il a été soutenu qu' à s' en tenir à la lettre de l' article 48 du traité le droit des ressortissants communautaires de se déplacer librement sur le territoire des États membres n' est accordé qu' en vue de répondre à des emplois effectivement offerts (( paragraphe 3, sous a ) et b ) )), alors que celui de séjourner sur le territoire de ces États est lié à l' exercice d' un emploi (( paragraphe 3, sous c ) )).

10 Une telle interprétation qui exclurait le droit pour un ressortissant d' un État membre de se déplacer librement et de séjourner sur le territoire des autres États membres aux fins d' y rechercher un emploi ne saurait être retenue .

11 En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, la libre circulation des travailleurs fait partie des fondements de la Communauté et, dès lors, les dispositions qui consacrent cette liberté doivent être interprétées largement ( voir, entre autres, arrêt du 3 juillet 1986, Kempf, point 13, 139/85, Rec . p . 1741 ).

12 En outre, une interprétation stricte du paragraphe 3 de l' article 48 compromettrait les chances réelles d' un ressortissant d' un État membre qui est à la recherche d' un emploi d' en trouver un dans les autres États membres et priverait, dès lors, cette disposition de son effet utile .

13 Il s' ensuit que le paragraphe 3 de l' article 48 doit être interprété en ce sens qu' il énonce de façon non limitative certains droits dont bénéficient les ressortissants des États membres dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et que cette liberté implique également le droit pour les ressortissants des États membres de circuler librement sur le territoire des autres États membres et d' y séjourner aux fins d' y rechercher un emploi .

14 Cette interprétation du traité correspond d' ailleurs à celle du législateur communautaire, comme l' indiquent les dispositions prises pour la mise en oeuvre du principe de libre circulation, notamment les articles 1er et 5 du règlement ( CEE ) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté ( JO L 257, p . 2 ), dispositions qui supposent le droit pour les ressortissants communautaires de se déplacer pour rechercher un
emploi dans un autre État membre et, par conséquent, le droit d' y séjourner .

15 Il convient dès lors de vérifier si le droit de séjour exercé aux fins de rechercher un emploi, tel qu' il résulte de l' article 48 et des dispositions du règlement n 1612/68, précité, peut faire l' objet d' une limitation temporelle .

16 A cet égard, il y a lieu de relever, tout d' abord, que l' effet utile de l' article 48 est garanti dans la mesure où la législation communautaire, ou, à défaut de celle-ci, la législation d' un État membre, accorde aux intéressés un délai raisonnable qui leur permette de prendre connaissance, sur le territoire de l' État membre concerné, des offres d' emplois correspondant à leurs qualifications professionnelles et de prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires aux fins d' être engagés .

17 La juridiction nationale a fait état de la déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil lors de l' adoption du règlement n 1612/68, précité, et de la directive 68/360/CEE, du même jour, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l' intérieur de la Communauté ( JO L 257, p . 13 ), et qui est rédigée comme suit :

"Les ressortissants d' un État membre visés à l' article 1er ( de la directive ) qui se rendent dans un autre État membre pour y rechercher un emploi disposent à cette fin d' un délai minimal de trois mois; au cas où ils n' auraient pas trouvé d' emploi à l' expiration de ce délai, il pourrait être mis fin à leur séjour sur le territoire de ce deuxième État .

Toutefois, si les personnes susvisées devaient être prises en charge par l' assistance publique ( aide sociale ) du deuxième État au cours de la période précitée, elles pourraient être invitées à quitter le territoire de ce deuxième État ."

18 Toutefois, une telle déclaration ne saurait être retenue pour l' interprétation d' une disposition du droit dérivé lorsque, comme dans la présente affaire, le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n' a, dès lors, pas de portée juridique .

19 Pour leur part, le gouvernement britannique et la Commission observent qu' il résulte de l' article 69, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n 1408/71 du Conseil relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté (( version codifiée de ce règlement par le règlement ( CEE ) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 ( JO L 230, p . 6 ) )) que les États membres
peuvent limiter à trois mois le séjour sur leur territoire des ressortissants d' un autre État membre à la recherche d' un emploi . Selon la disposition susmentionnée, un travailleur en chômage qui a acquis un droit aux prestations dans un État membre et qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi conserve le droit à ces prestations pendant une période maximale de trois mois .

20 Cet argument ne saurait être accueilli . Comme l' avocat général l' a observé à juste titre, il n' y a pas de lien nécessaire entre le droit aux prestations de chômage dans l' État membre d' origine et le droit de séjour dans l' État membre d' accueil .

21 En l' absence de disposition communautaire fixant un délai pour le séjour des ressortissants communautaires à la recherche d' un emploi dans un État membre, un délai de six mois, tel que celui établi par la législation nationale visée en l' espèce au principal, n' apparaît pas, en principe, comme insuffisant pour permettre aux intéressés de prendre connaissance, dans l' État membre d' accueil, des offres d' emplois correspondant à leurs qualifications professionnelles et de prendre, le cas
échéant, les mesures nécessaires aux fins d' être engagés, et, dès lors, un tel délai ne met pas en cause l' effet utile du principe de libre circulation . Si, après l' écoulement du délai en question, l' intéressé apporte la preuve qu' il continue à chercher un emploi et qu' il a des chances véritables d' être engagé, il ne saurait toutefois être contraint de quitter le territoire de l' État membre d' accueil .

22 Il y a dès lors lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale que les dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs ne font pas obstacle à ce que la législation d' un État membre prévoie qu' un ressortissant d' un autre État membre entré sur son territoire pour y chercher un emploi puisse être contraint, sous réserve d' un recours, de quitter ce territoire s' il n' y a pas trouvé un emploi au bout de six mois, à moins que l' intéressé
apporte la preuve qu' il continue à chercher un emploi et qu' il a des chances véritables d' être engagé .

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

23 Les frais exposés par les gouvernements britannique et allemand ainsi que par le Conseil et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens .

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, par ordonnance du 14 juin 1989, dit pour droit :

Les dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs ne font pas obstacle à ce que la législation d' un État membre prévoie qu' un ressortissant d' un autre État membre, entré sur son territoire pour y chercher un emploi, puisse être contraint, sous réserve d' un recours, de quitter ce territoire s' il n' y a pas trouvé un emploi au bout de six mois, à moins que l' intéressé apporte la preuve qu' il continue à chercher un emploi et qu' il a des chances véritables
d' être engagé .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-292/89
Date de la décision : 26/02/1991
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.

Libre circulation des travailleurs - Droit de séjour - Recherche d'un emploi - Limitation dans le temps.

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : The Queen
Défendeurs : Immigration Appeal Tribunal, ex parte Gustaff Desiderius Antonissen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Moitinho de Almeida

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:80

Source

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