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06/02/1991 | CJUE | N°C-361/88

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'Avocat général Mischo présentées le 6 février 1991., Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne., 06/02/1991, C-361/88


Avis juridique important

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61988C0361

Conclusions jointes de l'Avocat général Mischo présentées le 6 février 1991. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Directive - Nature de la mesure de transposition en droit interne - Pollution atmosphérique. - Affaires C-361/88 e

t C-59/89
Recueil de jurisprudence 1991 page I-02567

Conclusions de l'av...

Avis juridique important

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61988C0361

Conclusions jointes de l'Avocat général Mischo présentées le 6 février 1991. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Directive - Nature de la mesure de transposition en droit interne - Pollution atmosphérique. - Affaires C-361/88 et C-59/89
Recueil de jurisprudence 1991 page I-02567

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Les deux recours en manquement sur lesquels portent les présentes conclusions, bien qu' ils n' aient pas été joints et qu' ils aient pour objet la transposition incomplète en droit interne de deux directives distinctes, soulèvent, en substance, des problèmes très largement semblables, de sorte que je peux me permettre de les traiter ensemble, dans des conclusions communes . Les deux parties renvoient d' ailleurs elles-mêmes, dans l' affaire C-59/89, aux arguments qu' elles ont développés dans l'
affaire C-361/88 .

2 . L' affaire C-361/88 porte sur la directive 80/779/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l' anhydride sulfureux et les particules en suspension ( JO L 229, p . 30 ), tandis que l' affaire C-59/89 porte sur la directive 82/884/CEE du Conseil, du 3 décembre 1982, concernant une valeur limite pour le plomb contenu dans l' atmosphère ( JO L 378, p . 15 ). La Commission demande à la Cour de constater que la République
fédérale d' Allemagne a manqué à ses obligations en n' ayant pas arrêté toutes les mesures nécessaires à leur transposition correcte en droit interne, bien que les délais prescrits à cette fin, à savoir le 18 juillet 1982 pour la première et le 9 décembre 1984 pour la seconde, soient expirés depuis bien longtemps . Il résulte des réponses de la Commission aux questions que la Cour lui avait posées, et qui sont reproduites à la fin des rapports d' audience, que ne font plus partie de l' objet des
recours différents griefs que la Commission avait fait valoir au cours de la procédure précontentieuse et qui concernaient l' installation et le fonctionnement des stations de mesure dont les directives prescrivent la mise en place ainsi que la communication du plan d' amélioration de la qualité de l' air dans le Land de Berlin .

3 . L' objet du litige est dès lors limité, dans les deux cas, à la non-transposition des valeurs limites fixées par les directives au moyen de normes juridiques impératives, générales et claires, ainsi qu' à l' absence des mesures appropriées susceptibles d' en assurer le respect effectif .

4 . Selon la Commission, les deux directives exigeraient l' adoption de normes impératives assurant sur tout le territoire national le respect des valeurs limites qu' elles fixent . Plus concrètement, elles obligeraient les États membres, d' une part, à interdire expressément, au moyen d' une norme contraignante à portée générale, le dépassement desdites valeurs limites et, d' autre part, à adopter les mesures nécessaires pour garantir qu' elles soient effectivement respectées . Aucune des mesures
invoquées par la République fédérale d' Allemagne à cet égard ne satisferait à ces exigences .

5 . Selon la République fédérale d' Allemagne, par contre, l' objectif poursuivi par les directives en cause ne serait pas l' adoption, par chaque État membre, d' une norme interdisant expressément le dépassement des valeurs limites, mais bien le respect effectif de ces valeurs limites sur le territoire des États membres . Ce but serait atteint du moment que les valeurs limites ne sont pas dépassées en fait, ce qui serait le cas pour la République fédérale d' Allemagne, sur le territoire de laquelle
les nuisances constatées ces dernières années se situeraient largement en dessous des valeurs limites prescrites . Ce fait prouverait déjà, à lui seul, que les mesures prises en matière d' environnement par les autorités allemandes assureraient une transposition correcte des deux directives . La République fédérale d' Allemagne ajoute que, de toute manière, les valeurs limites en question auraient été transcrites dans des dispositions de droit interne ayant force obligatoire et s' appliquant sur
tout le territoire national .

6 . Pour prendre position au sujet de cette controverse, il est utile de rappeler, à titre préliminaire, quelques principes relatifs à la portée, en général, de l' obligation de transposition des directives, telle qu' elle découle de l' article 189, troisième alinéa, du traité et telle qu' elle a été précisée, au fil du temps, par la jurisprudence de la Cour . Celle-ci a été examinée de façon exhaustive dans des conclusions assez récentes de l' avocat général M . Van Gerven, présentées le 25
septembre 1990 dans l' affaire C-131/88, opposant les mêmes parties ( arrêt du 28 février 1991, Rec . p . I-825 ), auxquelles je me permets de puiser dans la mesure nécessaire pour la présente affaire et de renvoyer pour le surplus ( voir, en particulier, les points 7 à 11 des conclusions de M . Van Gerven ).

7 . Dans le présent contexte, il y a d' abord lieu de souligner qu' il ne suffit pas, pour qu' il y ait transposition correcte d' une directive, que celle-ci soit respectée en fait : il faut qu' en droit également la pleine application de la directive soit assurée en toutes circonstances ( 1 ). Dans son arrêt du 15 mars 1990, Commission/Pays-Bas, point 25 ( C-339/87, Rec . p . I-851 ), la Cour a ainsi déclaré que

"le fait qu' un certain nombre d' activités incompatibles avec les interdictions de la directive n' existent pas dans un État membre déterminé ne saurait justifier l' absence de dispositions légales en ce sens",

étant donné que,

"afin de garantir la pleine application des directives, en droit et non seulement en fait, les États membres doivent prévoir un cadre légal précis dans le domaine concerné ".

Le point 22 du même arrêt est libellé comme suit :

"L' inexistence d' une pratique incompatible avec la directive ne saurait libérer l' État membre concerné de son obligation de prendre des mesures législatives ou réglementaires afin d' assurer une transposition adéquate des dispositions de celle-ci . En effet, le principe de la sécurité juridique exige que les interdictions dont il s' agit soient reprises dans des dispositions légales contraignantes ."

8 . Il convient ensuite de rappeler qu' il ressort de l' article 189, troisième alinéa, du traité, selon lequel une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens, que

"la transposition en droit interne d' une directive n' exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de ses dispositions dans une disposition légale expresse et spécifique et peut, en fonction de son contenu, se satisfaire d' un contexte juridique général, dès lors que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive d' une façon suffisamment claire et précise, afin que, au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis
en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et de s' en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales" ( 2 ).

9 . Enfin, le jeu combiné de règles nationales existantes dénuées de précision, d' une part, et d' une pratique administrative, d' autre part, n' est généralement pas de nature à assurer la pleine application d' une directive avec la précision et la clarté requises afin de satisfaire à l' exigence de sécurité juridique ( 3 ). Cela vaut en particulier lorsqu' une directive contient une disposition prohibitive ( 4 ).

10 . Il résulte de ce qui précède que la portée concrète de l' obligation de transposition d' une directive dépend très largement de son contenu et notamment de la question de savoir si elle est de nature à déterminer des droits dont des particuliers pourraient éventuellement se prévaloir . Qu' en est-il des deux directives litigieuses en l' occurrence?

11 . En vertu de leur article 1er, elles ont toutes les deux pour objet de fixer des valeurs limites pour les concentrations des substances nocives contenues dans l' atmosphère sur lesquelles elles portent . Il résulte clairement de leur article 2 que la fixation de ces valeurs limites entraîne des interdictions : les "valeurs limites" sont des concentrations respectivement d' anhydride sulfureux et/ou de particules en suspension et de plomb ou qui ne doivent pas être dépassées pendant des périodes
déterminées et dans les conditions précisées par les directives .

12 . Certes, ces interdictions s' adressent en premier lieu aux États membres . Les articles 3 des deux directives prévoient que les États membres prennent les mesures appropriées ou nécessaires pour que, à partir des dates prévues, les concentrations des substances nocives en question ne soient pas supérieures aux valeurs limites fixées . Pour contrôler que tel soit le cas, ils doivent mettre sur pied un réseau de stations de mesure et procéder selon les méthodes d' échantillonnage et d' analyse
indiquées .

13 . Il est vrai aussi que les valeurs limites fixées par les directives sont des moyennes annuelles ou saisonnières et qu' il ne saurait donc être question d' une violation de la directive si, pendant quelques jours, ces valeurs sont dépassées .

14 . Enfin, il faut constater que les dispositions relatives à la mise en oeuvre des deux directives sont particulièrement complexes . D' un côté, les directives prévoient, en effet, que les États membres doivent s' y conformer dans un délai de deux ans, c' est-à-dire avant le 18 juillet 1982 pour la directive 80/779 et avant le 9 décembre 1984 pour la directive 82/884 . D' un autre côté, l' article 3 de la directive 80/779 n' impose aux États membres de respecter les valeurs limites fixées par l'
article 2 qu' à partir du 1er avril 1983 ( paragraphe 1 ) et il leur permet même, sous certaines conditions, de reporter cette échéance jusqu' au 1er avril 1993 pour celles des zones de leur territoire pour lesquelles ils estiment qu' en dépit des mesures prises, les valeurs limites risquent d' être dépassées au-delà du 1er avril 1983 ( paragraphe 2 ). Il résulte du dossier que la République fédérale d' Allemagne a souhaité faire usage de cette faculté pour ce qui concerne le Land de Berlin, même si
elle n' en a informé la Commission que le 8 octobre 1982, soit avec un retard d' une semaine par rapport à la date prévue à cette fin, et si elle a omis de lui communiquer simultanément les plans d' amélioration de la qualité de l' air dans ce Land qu' elle était tenue d' établir et de mettre en oeuvre . Quant à la directive 82/884, le délai que son article 3 fixe aux États membres pour garantir que la valeur limite pour le plomb ne soit pas dépassée est même de cinq ans après la notification de la
directive ( paragraphe 1 ) et il peut éventuellement être étendu jusqu' à sept ans pour certains endroits de leur territoire ( paragraphes 2 et 3 ). Il est donc clair que la transposition des valeurs limites et leur respect effectif ne devaient pas nécessairement aller de pair .

15 . Il est, par conséquent, très douteux que la Commission aurait pu faire grief à un État membre de n' avoir pas transcrit les valeurs limites dans une règle de droit interne impérative avant l' expiration du délai qui lui était imparti pour garantir que ces valeurs limites ne soient pas dépassées . Il me semble par ailleurs exclu qu' elle pourrait exiger qu' une telle transcription soit valable pour tout le territoire d' un État membre qui aurait fait usage de la faculté de reporter, pour
certaines parties de son territoire, le délai en question de plusieurs années et, dans le cas de la directive 80/779, éventuellement jusqu' au 1er avril 1993 .

16 . Il n' en reste pas moins que la Commission ne fait pas grief à la République fédérale d' Allemagne de n' avoir pas transposé les directives litigieuses dans un délai déterminé, mais qu' elle demande à la Cour de constater qu' en tout cas, au moment de l' introduction de ses recours, leur transposition a encore été incomplète et incorrecte . Par ailleurs, il ne résulte pas du dossier que la République fédérale d' Allemange aurait fait usage de la faculté que lui réservait l' article 3,
paragraphes 2 et 3, de la directive 82/884, pour prolonger éventuellement jusqu' à sept ans le délai dans lequel le respect effectif de la valeur limite pour le plomb aurait dû être garanti, et la Commission n' a entamé la procédure précontentieuse que le 1er avril 1988, soit après l' expiration du délai de cinq ans prévu à l' article 3, paragraphe 1 . En outre, même dans l' hypothèse où la République fédérale d' Allemagne bénéficierait, pour le Land de Berlin, d' une prolongation du délai prescrit
pour assurer le respect effectif des valeurs limites fixées par la directive 80/779, la question des modalités correctes de sa transposition en droit interne continuerait à se poser pour le reste du territoire de la République fédérale d' Allemagne .

17 . Or, comme je l' ai rappelé plus haut, il résulte de la jurisprudence de la Cour que l' absence d' une violation de fait des prescriptions d' une directive ne suffit pas pour dispenser un État membre de créer un cadre légal susceptible d' assurer également en droit le respect de la directive . Le simple fait que les normes fixées par une directive soient respectées à un moment donné ne constitue pas une garantie suffisante qu' il en sera de même à un autre moment .

18 . Ensuite, ce ne sont pas les pouvoirs publics et leurs émanations qui sont les ( principaux ) producteurs des substances nocives en question . Même si ce sont les États membres qui doivent faire en sorte que les valeurs limites, telles que fixées dans les deux directives, ne soient pas dépassées et que l' interdiction de les dépasser s' adresse donc à eux, ils ne sont, toutefois, ( principalement ) concernés qu' en leur qualité d' autorités publiques chargées de veiller à ce que les pollutions
et nuisances dans leur ensemble, telles qu' elles sont générées par des activités de tout ordre, publiques mais surtout privées, restent dans les limites prescrites . Les directives en question imposent donc à l' État-pouvoir public, responsable de la coordination des diverses actions entreprises ou devant être entreprises pour lutter contre la pollution atmosphérique, de se doter des moyens d' action nécessaires lui permettant d' assurer que la somme des nuisances provenant de toutes les sources de
pollution sur lesquels il peut exercer un contrôle ne soit pas supérieure aux valeurs prescrites . Parmi ceux-ci devra certainement figurer le pouvoir d' interdire des activités qui sont génératrices de telles nuisances et risquent ainsi de contribuer à ce que lesdites valeurs soient dépassées, ainsi que, normalement, celui de subordonner l' exercice de ces activités à l' obtention d' une autorisation préalable prescrivant le respect de certaines limites . A cette fin, il importe que les autorités
administratives qui doivent prendre de telles décisions d' interdiction ou d' autorisation individuelles puissent se baser sur des règles de droit nationales fixant impérativement des valeurs limites à respecter . Indirectement, en tout cas, la fixation de valeurs limites par les directives est donc de nature à imposer des contraintes aux particuliers, personnes physiques ou morales . Il va sans dire qu' en contrepartie de ces contraintes les particuliers gagneraient également à pouvoir se prévaloir
de règles impératives pour pouvoir s' opposer à toute éventuelle décision arbitraire en la matière .

19 . Une illustration parfaite de ce qui précède est, d' ailleurs, fournie par la loi allemande relative à la protection contre les effets nocifs sur l' environnement de la pollution de l' air, des bruits, des vibrations et autres types de nuisances, du 15 mars 1974 ( BGBl . I, p . 721, ci-après "loi relative à la lutte contre les pollutions "), à laquelle la République fédérale d' Allemagne se réfère et à laquelle nous aurons à revenir ultérieurement . Cette loi ( 5 ) distingue entre les
installations soumises à autorisation et les installations non soumises à autorisation . Pour les deux types d' installation, la loi prévoit qu' elles doivent être construites et exploitées de manière à ce que, notamment, les effets nocifs sur l' environnement soient évités ( article 5, paragraphe 1, point 1 ) ou, s' ils ne sont pas évitables, soient réduits au minimum ( article 22, paragraphe 1, points 1 et 2 ). A l' article 3, la loi allemande définit les effets nocifs sur l' environnement comme
étant

"les nuisances qui, en raison de leur type, de leur importance ou de leur durée sont de nature à entraîner des dangers, des inconvénients importants ou des nuisances importantes pour l' environnement ou pour le voisinage ".

Elle ne définit toutefois pas le niveau ou le seuil à partir duquel ces nuisances doivent être considérées comme nocives pour l' environnement . En vertu de l' article 48, il incombe au gouvernement fédéral d' arrêter, selon une procédure spéciale, les dispositions administratives générales (" allgemeine Verwaltungsvorschriften ") nécessaires, notamment, à cette fin . Par ailleurs, les articles 7 et 23 autorisent le gouvernement fédéral à adopter, selon la même procédure spéciale, des dispositions
réglementaires (" Rechtsverordnung ") prescrivant, notamment, que les rejets provenant d' installations soumises ou non à autorisation ne dépassent pas certaines valeurs limites . Pour les installations soumises à autorisation, celle-ci n' est alors accordée que s' il est garanti que notamment ces valeurs sont respectées ( article 6 ). Enfin, en vertu des articles 20, 21 et 25, les autorités compétentes peuvent soit interdire totalement ou partiellement, temporairement ou définitivement, l'
exploitation des installations, soumises ou non à autorisation, qui ne respecteraient pas, entre autres, les valeurs limites fixées en application des articles 7 et 23, soit retirer, sous certaines conditions, l' autorisation accordée .

20 . Certes, la loi relative à la lutte contre les pollutions ne définit pas elle-même les seuils de nuisance et valeurs limites qui ne doivent pas être dépassés et elle n' impose pas au gouvernement fédéral une obligation formelle d' adopter des dispositions réglementaires ou administratives générales en la matière ni, a fortiori, d' adopter les valeurs fixées par les directives . En outre, la position du gouvernement allemand que nous sommes en train d' examiner ici est précisément qu' il n' est
pas obligé de traduire ces valeurs dans des dispositions juridiques générales et contraignantes . Mais il n' en reste pas moins que la loi allemande en matière de lutte contre les pollutions qui, selon le gouvernement allemand lui-même, constitue l' instrument juridique de base lui permettant d' assurer le respect effectif des valeurs limites fixées par les deux directives, démontre que ce respect ne saurait être atteint a priori sans la possibilité d' un recours à des interdictions, autorisations
et retraits d' autorisation adressés à des particuliers .

21 . La directive 80/779 elle-même fournit d' ailleurs un indice de ce que ses dispositions sont nécessairement de nature à affecter les droits et obligations de particuliers . Il résulte, en effet, de son deuxième considérant que le rapprochement des législations nationales qu' elle vise à réaliser a été entrepris en raison de ce

"qu' une disparité entre les dispositions déjà applicables ou en cours de préparation dans les différents États membres en ce qui concerne l' anhydride sulfureux et les particules en suspension dans l' air peut créer des conditions de concurrence inégales et avoir, de ce fait, une incidence directe sur le fonctionnement du marché commun ".

Cette directive vise donc à instaurer des conditions de concurrence égales entre les entreprises qui, dans les différents États membres, se livrent à des activités productrices des deux substances polluantes en question .

22 . Il est vrai que la directive 82/884 ne contient pas de pareil considérant . Elle n' est d' ailleurs pas basée sur l' article 100 du traité, mais sur le seul article 235 . Cela n' empêche, toutefois, pas que ses dispositions puissent également affecter des entreprises . C' est ce que le gouvernement fédéral admet implicitement lorsqu' il affirme, dans le contexte de la controverse concernant la portée de la première disposition administrative générale de mise en oeuvre de la loi relative à la
lutte contre les pollutions, du 27 février 1986 ( GMBl ., p . 95, ci-après "circulaire technique 'air' "), sur laquelle nous reviendrons également ultérieurement, que

"les installations industrielles qui émettent des rejets de plomb significatifs sont généralement des installations soumises à autorisation" ( voir au milieu de la page 25 de la version ronéotypée du rapport d' audience dans l' affaire C-59/89 ).

De même, dans la réponse à la quatrième question que la Cour lui avait posée dans cette affaire, le gouvernement allemand fait valoir que, pour lutter efficacement contre le dépassement de la valeur limite pour le plomb,

"il y a lieu d' appliquer les mesures relatives aux installations"

que constituent notamment les articles 17 et 25 de la loi relative à la lutte contre les pollutions ( voir le dernier alinéa à la page 33 de la version ronéotypée du rapport d' audience ). En outre, il n' y a pas de doute que, en obligeant les États membres, en vertu de son article 4, à installer des stations de mesure

"à des endroits où des personnes peuvent être exposées de façon continue pendant une longue période et où ils considèrent que les articles 1er et 2 ( qui fixent la valeur limite pour le plomb ) risquent de ne pas être respectés",

la directive ne vise pas seulement des lieux où la circulation automobile est particulièrement dense et, partant, le risque d' une concentration de plomb dans l' air due à la consommation d' essence particulièrement important, mais également les environs d' installations industrielles qui émettent régulièrement des rejets de plomb d' une certaine importance .

23 . Enfin, il est certain qu' à côté des personnes physiques ou morales qui, en raison de leurs activités, constituent des sources de pollution potentielles, auxquelles les deux directives litigieuses imposent surtout des contraintes, il y a les particuliers, simples citoyens, qui en tirent le droit à ce que l' air qu' ils respirent soit conforme aux normes de qualité fixées . Il résulte des considérants des directives litigieuses que, outre à protéger l' environnement, elles visent à protéger la
santé de l' homme et à améliorer la qualité de la vie . L' obligation des États membres d' assurer que les concentrations dans l' air des substances en cause ne dépassent pas les niveaux jugés comme admissibles a pour corollaire le droit des particuliers de se prévaloir desdites normes de qualité lorsqu' il y est porté atteinte, soit en fait, soit par les mesures adoptées par les autorités publiques .

24 . Je déduis des considérations qui précèdent qu' il ne suffit pas que les valeurs limites fixées par les directives 80/779 et 82/884 ne soient pas dépassées en fait, mais que la transposition correcte de celles-ci nécessite l' adoption d' une norme juridique générale et contraignante qui interdit également en droit leur dépassement, et sert ainsi de base juridique claire et précise, d' une part, aux actions des autorités administratives qui sont chargées de leur application et, d' autre part, aux
particuliers qui estimeraient que leurs prescriptions ne sont pas respectées .

25 . Il convient, dès lors, d' examiner si les dispositions de droit interne invoquées par la République fédérale d' Allemagne sont susceptibles d' assurer une transposition des deux directives qui soit conforme à ces exigences .

26 . A cet égard, la République fédérale d' Allemagne fait valoir successivement que les valeurs limites se retrouvent dans le régime juridique allemand, qu' elles ont un caractère contraignant en droit allemand et qu' elles ont un champ d' application général, couvrant l' ensemble du territoire national . Qu' en est-il?

27 . Il y a lieu d' observer en premier lieu, et la Commission ne le conteste pas, que les valeurs fixées au point 2.5.1 de la circulaire technique "air" sont conformes à celles prescrites par les deux directives . Cette circulaire a été adoptée sur base de l' article 48 de la loi relative à la lutte contre les pollutions qui, je le rappelle, charge le gouvernement fédéral d' arrêter les "dispositions administratives générales ... relatives, notamment, aux seuils de nuisances qui ne doivent pas être
dépassés pour atteindre l' objectif mentionné à l' article 1er", c' est-à-dire combattre toute espèce d' "effets nocifs sur l' environnement ".

28 . Les deux parties portent, cependant, des appréciations diamétralement opposées sur la nature juridique, et notamment le caractère contraignant, ainsi que sur la portée exacte de la circulaire technique "air ". Selon le gouvernement fédéral, elle tirerait sa force contraignante du fait qu' elle a été adoptée sur la base de l' habilitation expresse de l' article 48, précité de la loi relative à la lutte contre les pollutions et ne ferait donc, en quelque sorte, que concrétiser les dispositions de
cette loi . Elle n' aurait d' ailleurs pu être adoptée qu' après l' audition des milieux intéressés, conformément à l' article 51 de la loi, et qu' avec l' approbation du Bundesrat . En outre, le caractère contraignant des dispositions administratives générales en matière technique serait admis en jurisprudence, de sorte que tout citoyen pourrait invoquer les valeurs limites fixées par la circulaire technique "air" devant le juge administratif et exiger qu' en soit assuré le respect à son lieu d'
habitation et dans son milieu de travail . Enfin, selon la République fédérale d' Allemagne, malgré le fait que la circulaire technique "air" ne s' applique, en vertu de son point 1, qu' aux installations soumises à autorisation et que pour certaines mesures administratives relatives à de telles installations, les valeurs limites qu' elle fixe auraient un champ d' application général, car la notion d' "effets nocifs pour l' environnement" qu' elle viserait à concrétiser devrait nécessairement
recevoir la même interprétation dans tout le domaine d' application de la loi relative à la lutte contre les pollutions . De surcroît, dans la mesure où la santé de l' homme serait en cause, l' article 2, paragraphe 2, de la loi fondamentale, qui dispose que "chacun a droit à la vie et à l' intégrité physique", ne permettrait pas à l' administration de tolérer un quelconque dépassement des valeurs limites ainsi fixées, qu' il y ait autorisation ou non ou qu' il s' agisse d' autres mesures .

29 . La Commission conteste ces diverses affirmations de la République fédérale d' Allemagne . Elle fait état de plusieurs arrêts du Bundesverfassungsgericht et du Bundesverwaltungsgericht d' où il résulterait que les dispositions administratives générales n' auraient pas le caractère de normes impératives au même titre que les lois et règlements . Quant à l' arrêt du Bundesverwaltungsgericht du 19 décembre 1985, relatif à la centrale nucléaire de Wyhl ( 6 ), dans lequel celui-ci aurait expressément
reconnu l' existence de dispositions administratives "concrétisant une norme juridique" qui s' imposeraient aux tribunaux administratifs dans les limites fixées par la norme à concrétiser, il serait particulier au domaine nucléaire et ne se prononcerait pas sur la question de "l' étendue concrète du caractère obligatoire" de la circulaire en cause dans cette affaire ( qui, de sucroît, n' aurait pas été adoptée sur base de l' article 48 de la loi relative à la lutte contre les pollutions ); si le
Bundesverfassungsgericht a fait allusion, dans une ordonnance du 31 mai 1988 ( 7 ), à cet arrêt et au "cas particulier de l' autorisation prévue en droit nucléaire", il aurait, toutefois, précisé expressément que

"les circulaires administratives générales ... ne sont pas des lois au sens de l' article 20, paragraphe 3, et de l' article 97, paragraphe 1, de la loi fondamentale ( en ce sens que la loi s' impose au juge )".

La Commission constate, d' autre part, que l' interprétation de la République fédérale d' Allemagne, selon laquelle le champ d' application de la circulaire technique "air" ne se limiterait pas seulement aux installations soumises à autorisation, mais s' étendrait à toutes les sources possibles de pollution atmosphérique, serait contraire à la lettre même de cette circulaire .

30 . Au vu de la jurisprudence de la Cour relative à la portée de l' obligation de transposition des directives et du contenu des deux directives litigieuses, tels que je viens de les décrire, il me semble que pour pouvoir se prononcer sur le bien-fondé du premier grief de la Commission, il n' est pas nécessaire d' examiner laquelle de ces deux appréciations est correcte . En effet, le moins que l' on puisse dire est que la situation en droit allemand est loin d' être claire et précise .

31 . Le gouvernement allemand n' a pas pu faire état d' une jurisprudence de la Cour constitutionnelle ou des juridictions administratives applicable sans distinction aux dispositions administratives générales, et dont il résulterait, d' une manière certaine, que la circulaire technique "air" revêtirait un caractère contraignant . La Commission a, de son côté, présenté une série d' arguments qui font naître un doute assez sérieux au sujet de la validité de la construction juridique avancée par le
gouvernement allemand quant au caractère obligatoire des valeurs limites et quant au champ d' application de la circulaire technique .

32 . Dans ces conditions, il n' est pas possible de considérer les mesures adoptées comme constituant une mise en oeuvre des deux directives "avec la précision et la clarté requises afin de satisfaire pleinement à l' exigence de sécurité juridique" ( 8 ), ni comme étant de nature à créer "une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux ( particuliers ) de connaître leurs droits et de s' en prévaloir" ( 9 ).

33 . Il y a, dès lors, lieu de constater que la République fédérale d' Allemagne n' a pas correctement transposé en droit national les valeurs limites fixées par les directives 80/779 et 82/884 du Conseil .

34 . Pour ce qui concerne les obligations découlant de l' article 3 des deux directives, qui imposent aux États membres de prendre les mesures appropriées pour assurer que les valeurs limites prescrites soient effectivement respectées, les discussions des deux parties ont essentiellement porté sur les articles 44 à 47 de la loi relative à la lutte contre les pollutions qui prescrivent aux autorités des Laender, dans certaines circonstances, de définir des "zones exposées" ( Belastungsgebiete ) ou,
depuis la modification adoptée par le Bundestag, le 11 mai 1990 ( BGBl . du 22.5.1990, I, p . 870 ), des "zones de contrôle" ( Untersuchungsgebiete ) et d' établir pour celles-ci des plans de pureté de l' air .

35 . Or, à cet égard, force est de constater que l' article 3 des deux directives prévoit uniquement l' établissement de "plans" ou de "projets" visant à améliorer progressivement la qualité de l' air dans certaines "zones" ( directive anhydride sulfureux ) ou certains "endroits" ( directive plomb ) dans les cas où un État membre estime que dans ces "zones" ou "endroits" les concentrations des substances concernées risquent, en dépit des mesures prises, de dépasser les valeurs limites fixées par les
directives au-delà de la date prescrite pour le respect de ces valeurs, à condition que l' État membre en informe la Commission avant la date en question . Dans le cadre de la directive 80/779, la République fédérale d' Allemagne a fait une telle notification à propos du Land de Berlin, mais la Commission n' a pas maintenu le grief qu' elle avait formulé à l' origine à propos de cette question .

36 . Pour ce qui est de toutes les autres parties de la République fédérale d' Allemagne, il y a lieu de rappeler la distinction que fait l' article 189, paragraphe 3, du traité CEE entre le résultat à atteindre sur la base d' une directive et la compétence laissée aux instances nationales quant aux moyens à mettre en oeuvre .

37 . Nous avons vu plus haut que le résultat visé par les deux directives ne peut être atteint que si les valeurs limites qu' elles fixent sont transposées telles quelles dans une disposition de droit interne à caractère obligatoire, applicable, en principe, à tout le territoire national . Les États membres doivent, par ailleurs, installer des stations de mesures, ce qui a été fait en République fédérale d' Allemagne ( article 6 de la directive 80/779 et article 4 de la directive 82/884 ).

38 . Par contre, le choix des moyens par lesquels les États membres assurent le respect des valeurs limites est laissé à l' appréciation de ceux-ci .

39 . Il leur appartient, en particulier, d' évaluer l' acuité avec laquelle un problème de pollution se pose dans les différentes régions du pays, ainsi que la nécessité d' étendre ou non certaines mesures à l' ensemble du territoire .

40 . Sous peine de vider cette compétence des États membres de sa substance, les institutions de la Communauté ne sauraient critiquer la façon de procéder de ceux-ci que s' il apparaît dans les faits que les moyens mis en oeuvre ne sont pas suffisamment efficaces pour atteindre le but recherché . Or, en l' occurrence, il est constant que les valeurs limites n' ont pas été dépassées en République fédérale d' Allemagne depuis le moment où elles devaient être respectées .

41 . Dans ces conditions, le grief de la violation de l' article 3 des deux directives ne peut pas être retenu .

42 . En conclusion, je vous propose de retenir uniquement le grief de la non-transposition des valeurs limites par une disposition nationale contraignante et applicable, en principe, à tout le territoire national, et de constater que la République fédérale d' Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE en n' ayant pas arrêté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition complète en droit interne
respectivement de la directive 80/779/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l' anhydride sulfureux et les particules en suspension ( affaire C-361/88 ), et de la directive 82/884/CEE du Conseil, du 3 décembre 1982, concernant une valeur limite pour le plomb contenu dans l' atmosphère ( affaire C-59/89 ).

43 . Comme, à mon avis, seul l' un des deux griefs de la Commission peut être retenu, j' estime que chacune des deux parties devrait supporter ses propres dépens .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Voir le point 8 des conclusions de M . Van Gerven ainsi que le renvoi fait à l' arrêt de la Cour du 9 avril 1987, Commission/Italie, point 12 ( 363/85, Rec . p . 1733 ), d' où il résulte que, "en l' absence d' incidence pratique effectivement constatée ..., il faut examiner si une incidence négative est, du moins théoriquement, possible ".

( 2 ) Voir le point 7 des conclusions de M . Van Gerven . La citation provient de l' arrêt de la Cour du 9 avril 1987, précité à la note 1, point 7 .

( 3 ) Voir également le point 8 des conclusions de M . Van Gerven ainsi que le renvoi fait à l' arrêt de la Cour du 23 mai 1985, Commission/Allemagne, points 28 et 31 ( 29/84, Rec . p . 1661 ). Voir aussi l' arrêt de la Cour du 3 mars 1988, Commission/Italie, point 21 ( 116/86, Rec . p . 1323 ).

( 4 ) Voir le renvoi fait par M . Van Gerven à l' arrêt de la Cour du 27 avril 1988, Commission/France, point 19 ( 252/85, Rec . p . 2243 ), ainsi qu' à l' arrêt, précité, du 15 mars 1990, Commission/Pays-Bas, points 35 et 36 .

( 5 ) Sauf indication contraire, nous nous référerons au texte de cette loi tel qu' il a été en vigueur avant les modifications y apportées par la troisième loi portant modification de la loi relative à la lutte contre les pollutions, adoptée le 11 mai 1990 et entrée en vigueur le 1er septembre 1990 ( BGBl . I, p . 870 ).

( 6 ) BVerwG 72, p . 300, 316 et suiv .

( 7 ) BVerfG 78, p . 214, 227 .

( 8 ) Voir l' arrêt du 17 septembre 1987, Commission/Pays-Bas, point 15 ( 291/84, Rec . p . 3483 ).

( 9 ) Voir l' arrêt du 23 mai 1985, précité à la note 3, point 28 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-361/88
Date de la décision : 06/02/1991
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Directive - Nature de la mesure de transposition en droit interne - Pollution atmosphérique.

Rapprochement des législations

Environnement

Données provisoires


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République fédérale d'Allemagne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Joliet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:43

Source

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