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15/01/1991 | CJUE | N°C-75/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 janvier 1991., Procédure pénale contre Roger Guitard., 15/01/1991, C-75/90


Avis juridique important

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61990C0075

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 janvier 1991. - Procédure pénale contre Roger Guitard. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel de Carcassonne - France. - Organisation commune du marché viti-vinicole - Degré alcoolique minimum d

u vin - Commercialisation d'un vin sans alcool. - Affaire C-75/90.
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Avis juridique important

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61990C0075

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 janvier 1991. - Procédure pénale contre Roger Guitard. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel de Carcassonne - France. - Organisation commune du marché viti-vinicole - Degré alcoolique minimum du vin - Commercialisation d'un vin sans alcool. - Affaire C-75/90.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-04205

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le tribunal correctionnel de Carcassonne a été saisi des poursuites engagées contre M . Guitard, en qualité de président de l' union des caves coopératives de l' ouest audois et du Razès ( ci-après "Uccoar "), pour les délits de tromperie et de publicité mensongère qui résulteraient de la commercialisation, à partir du mois de novembre 1988, d' une boisson à base de vin désalcoolisé sous la dénomination "vin sans l' alcool ".

Considérant que la qualification pénale des faits de l' espèce nécessite l' interprétation préalable de la définition communautaire du vin, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la question de savoir si

"les règlements CEE exigent que le vin défini au point 8 de l' annexe II du règlement n 337/79 et au point 10 de l' annexe I du règlement n 822/87 doit présenter lorsqu' il est distribué un degré alcoolique minimum ".

2 . Au départ, il nous paraît utile de faire deux observations . En premier lieu, il ressort du dossier et des interventions des parties à l' audience que la boisson en cause a été présentée au public comme étant complètement désalcoolisée ( sous l' étiquette "O vin sans l' alcool ") et que cette affirmation quant au degré de désalcoolisation n' a pas fait l' objet de poursuites pénales . Nous pouvons donc limiter notre examen à la question de savoir si le vin, au sens de la réglementation
communautaire, doit ou non présenter un degré alcoolique, sans devoir préciser, en cas de réponse affirmative à cette question, le degré alcoolique minimal à partir duquel une boisson constitue un vin au sens de cette réglementation .

En second lieu, nous relèverons que l' affaire au principal concerne la dénomination d' un produit français commercialisé sur le marché français . Il n' y a donc pas lieu d' examiner les éléments de droit communautaire qui régissent la commercialisation en France de produits originaires d' autres États membres sous la dénomination "vin sans alcool ".

3 . A l' annexe II, point 8, du règlement ( CEE ) n 337/79 du Conseil, du 5 février 1979, portant organisation commune du marché viti-vinicole ( 1 ), auquel le juge de renvoi se réfère en premier lieu dans la question posée, figurait la définition suivante du vin :

"8 . Vin, le produit obtenu exclusivement par la fermentation alcoolique, totale ou partielle, de raisins frais, foulés ou non, ou de moûts de raisins ."

Le règlement n 337/79 a été abrogé par le règlement ( CEE ) n 822/87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole ( 2 ), avec effet au 1er avril 1987 . L' annexe I, point 10, du règlement n 822/87 donne une définition du vin qui, mot pour mot ( 3 ), est identique à celle figurant à l' annexe II, point 8, du règlement abrogé n 337/79 . Les faits de l' affaire au principal ( commercialisation du "vin sans l' alcool" à partir de novembre 1988 ) se sont produits à un
moment où le règlement n 822/87 était déjà en vigueur . Nous nous référerons donc à la définition figurant dans le seul règlement n 822/87, étant entendu que son contenu n' a pas été modifié par rapport à la définition figurant dans le règlement n 337/79 .

4 . Selon cette définition, le vin est un produit à base de raisins frais ou de moûts de raisins qui ont fait l' objet d' une fermentation alcoolique . Aux termes du dictionnaire "Robert" ( 4 ), le terme "fermentation" désigne la "transformation chimique moléculaire d' une substance d' origine organique, se produisant sous l' influence d' un ferment qui semble ne subir lui-même aucune modification ". La notion de "fermentation alcoolique" est définie dans ce même dictionnaire comme la transformation
"qui donne de l' alcool à partir du sucre ".

Étant donné que, l' annexe I, point 10, du règlement n 822/87 se réfère exclusivement au processus de fermentation alcoolique pour désigner le produit obtenu au départ de raisins frais ou de moûts de raisins ( 5 ), il en résulte que le produit qui y est défini comporte nécessairement un certain degré d' alcool .

5 . Il est vrai que la définition communautaire du vin ne prescrit pas explicitement un titre alcoométrique minimal, contrairement à ce qui est prévu pour certaines sortes de vin, notamment pour le "vin apte à donner du vin de table" ( 6 ), pour le "vin de table" ( 7 ) et pour les "vins de qualité" ( 8 ). L' absence d' indication d' un titre alcoométrique dans la définition du vin en général ne permet cependant pas de considérer qu' une boisson sans alcool produite au départ de raisins serait visée
par cette définition . En effet, comme indiqué ci-avant, une des caractéristiques essentielles du vin est sa teneur en alcool .

6 . Il est vrai également que le "vin sans l' alcool" dont il s' agit dans l' affaire au principal est une boisson produite à partir de vin auquel, par application d' un procédé particulier, l' alcool a été soustrait . Nous estimons cependant que le produit qui subsiste après désalcoolisation du vin, c' est-à-dire après que ce vin a perdu une de ses caractéristiques essentielles, ne peut plus être qualifié de vin au sens de la réglementation communautaire . Il en est d' autant plus ainsi que le
processus de désalcoolisation ne constitue pas une pratique oenologique admise au sens du titre II du règlement n 822/87 . Un vin qui a été désalcoolisé doit donc être considéré comme ne relevant plus du champ d' application du règlement n 822/87 .

7 . La réglementation communautaire comporte néanmoins quelques dispositions relatives à l' utilisation de la dénomination "vin" qui, dans le souci d' éviter une confusion dans l' esprit du consommateur ( 9 ), s' appliquent également à des boissons autres que le vin au sens de la définition communautaire . Bien que la juridiction nationale ne fasse pas référence à ces dispositions dans l' ordonnance de renvoi, il paraît opportun, compte tenu des éléments du dossier et en vue de donner à la
juridiction nationale tous les éléments de droit communautaire qui pourraient être utiles pour la solution de l' affaire au principal, d' examiner également la portée desdites dispositions .

8 . En vertu de l' article 45, paragraphe 1, sous a ), du règlement ( CEE ) n 355/79 du Conseil, du 5 février 1979, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins ( 10 ), disposition applicable au moment des faits de l' affaire au principal ( 11 ), la dénomination "vin" est réservée aux produits qui répondent à la définition figurant à l' annexe II, point 8, du règlement n 337/79 et donc, au moment des faits de l' affaire au principal, à l'
annexe I, point 10, du règlement n 822/87 . L' article 45, paragraphe 2, du règlement n 355/79 prévoit cependant l' assouplissement suivant :

"2 . Sans préjudice des dispositions d' harmonisation des législations, les dispositions du paragraphe précédent n' affectent toutefois pas la possibilité pour les États membres d' admettre :

- l' utilisation du mot 'vin' accompagné d' un nom de fruit et sous forme de dénominations composées pour la désignation de produits obtenus à partir de la fermentation de fruits autres que le raisin,

- d' autres dénominations composées comportant le mot 'vin' .

En cas d' utilisation de dénominations composées à l' alinéa précédent, toute confusion avec les produits visés au paragraphe 1 doit être exclue ."

9 . La portée de l' article 45, paragraphe 2, du règlement n 355/79 a été précisée par l' article 20 du règlement ( CEE ) n 997/81 de la Commission, du 26 mars 1981, portant modalités d' application pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins ( 12 ). Selon le paragraphe 1, sous b ), de cette disposition, les États membres peuvent admettre, tant pour des boissons provenant de leur propre production que pour des boissons originaires d' autres États membres ou importées, l'
utilisation du mot "vin" dans des dénominations composées, notamment "British wine" ou "Irish wine ". Le paragraphe 2 de l' article 20 précité donne, en outre, la précision suivante :

"2 . Pour exclure toute confusion des termes visés au paragraphe 1 avec les mots 'vin' et 'vin de table' les États membres veillent à ce que :

- le mot 'vin' ne soit utilisé que dans une dénomination composée et en aucun cas sous forme isolée,

- les dénominations composées, visées au premier tiret, soient indiquées sur l' étiquetage en caractères de même type, de même couleur et d' une hauteur qui permette de les faire ressortir clairement d' autres indications ."

10 . Comme la Commission l' a précisé à l' audience sans être contredite par les autres parties, les termes "vin sans alcool" constituent une dénomination composée . En conséquence, la dénomination "vin sans alcool" peut être utilisée pour désigner une boisson obtenue par désalcoolisation de vin, dans la mesure où l' État membre a fait usage de la faculté ouverte par l' article 45 du règlement abrogé n 355/79, actuellement l' article 43 du règlement n 2392/89 . Il appartient aux États membres,
lorsqu' ils font usage de cette faculté, de veiller à ce que le mot "vin" soit utilisé dans le respect des conditions fixées par la disposition précitée et par l' article 20 du règlement n 997/81, ceci afin d' éviter toute confusion dans l' esprit des consommateurs .

Il appartient donc à la juridiction nationale de vérifier si la réglementation française autorise l' utilisation des termes "vin sans alcool" pour désigner un produit autre que du vin au sens de la réglementation communautaire . A cet égard, le gouvernement français a cependant indiqué dans les observations qu' il a présentées devant la Cour que le législateur français n' avait pas fait usage de cette faculté .

11 . Il nous reste à examiner un dernier point relatif au moyen de défense, évoqué dans l' ordonnance de renvoi, selon lequel les viticulteurs français subiraient un préjudice discriminatoire du fait qu' une boisson obtenue par désalcoolisation de vin pourrait être commercialisée sous la désignation "vin sans alcool" dans d' autres États membres . A cet égard, il y a lieu de constater que la situation particulière des viticulteurs français découle de ce que la réglementation communautaire prévoit la
faculté mais non l' obligation pour les États membres d' admettre l' utilisation du mot "vin" pour des produits autres que le vin . Il en résulte qu' en s' abstenant de faire usage de ladite faculté, un État membre peut subordonner la commercialisation sur son territoire de boissons qui en sont originaires à des dispositions plus rigoureuses que celles qui sont en vigueur dans d' autres États membres ( 13 ). Conformément à la jurisprudence constante de la Cour ( 14 ), le droit communautaire ne fait
pas obstacle à une telle différence de traitement .

Conclusion

12 . Nous vous proposons de répondre comme suit à la question posée par la juridiction nationale :

"Le point 10 de l' annexe I du règlement ( CEE ) n 822/87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole, doit être interprété en ce sens que le vin qui y est défini doit contenir un certain degré d' alcool . Toutefois, si l' article 45, paragraphe 1, sous a ), du règlement ( CEE ) n 355/79 du Conseil, du 5 février 1979, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins, réserve la dénomination 'vin' aux
produits répondant à la définition figurant au point 10 précité, le paragraphe 2 de ce même article permet aux États membres d' admettre l' utilisation de la dénomination composée 'vin sans alcool' pour désigner des produits à base de vin ayant subi un processus de désalcoolisation complète ."

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) JO L 54, p . 1 .

( 2 ) JO L 84, p . 1 .

( 3 ) Relevons néanmoins une différence dans la version française, à savoir le mot "foulée" qui grammaticalement ne se rapporte pas aux raisins frais comme dans le règlement n 337/79 mais à la fermentation alcoolique . Au vu des autres versions et compte tenu du contexte, il s' agit là manifestement d' une erreur matérielle .

( 4 ) Robert, P .: Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 1975 .

( 5 ) Le point 2 de la même annexe I du règlement n 822/87 admet pour les moûts de raisins un titre alcoométrique acquis n' excédant pas 1 % vol .

( 6 ) Annexe I, point 12, du règlement n 822/87 .

( 7 ) Annexe I, point 13, du règlement n 822/87 .

( 8 ) Article 7 du règlement ( CEE ) n 823/87 du Conseil, du 16 mars 1987, établissant des dispositions particulières relatives aux vins de qualité produits dans des régions déterminées ( JO L 84, p . 59 ).

( 9 ) Voir arrêt du 25 février 1981 ( 56/80, Weigand, Rec . p . 583 ).

( 10 ) JO L 54, p . 99 .

( 11 ) Le règlement n 355/79 a été abrogé par le règlement ( CEE ) n 2392/89 du Conseil, du 24 juillet 1989, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins ( JO L 232, p . 13 ), qui est entré en vigueur le 4 septembre 1989, donc postérieurement aux faits de l' affaire au principal . La disposition correspondant à l' article 45 du règlement n 355/79 se trouve actuellement à l' article 43 du règlement n 2392/89 .

( 12 ) JO L 106, p . 1 . L' article 20 du règlement n 997/81 est resté applicable à la suite de l' entrée en vigueur du règlement n 2392/89 abrogeant le règlement n 355/79 .

( 13 ) Comme indiqué au point 2, les éléments du dossier ne justifient pas d' examiner les dispositions de droit communautaire régissant le commerce intracommunautaire de produits commercialisés sous la dénomination "vin sans alcool ".

( 14 ) Voir notamment l' arrêt du 14 février 1990, Delacre/Commission, point 40 ( C-350/88, Rec . p . I-395 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-75/90
Date de la décision : 15/01/1991
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel de Carcassonne - France.

Organisation commune du marché viti-vinicole - Degré alcoolique minimum du vin - Commercialisation d'un vin sans alcool.

Agriculture et Pêche

Vin


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Roger Guitard.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Sir Gordon Slynn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:15

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