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15/01/1991 | CJUE | N°C-10/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 15 janvier 1991., Maria Masgio contre Bundesknappschaft., 15/01/1991, C-10/90


Avis juridique important

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61990C0010

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 15 janvier 1991. - Maria Masgio contre Bundesknappschaft. - Demande de décision préjudicielle: Bundessozialgericht - Allemagne. - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Règles nationales anti-cumul - Égalité de trai

tement - Interprétation des articles 7 et 48 à 51 du traité CEE et de l'arti...

Avis juridique important

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61990C0010

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 15 janvier 1991. - Maria Masgio contre Bundesknappschaft. - Demande de décision préjudicielle: Bundessozialgericht - Allemagne. - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Règles nationales anti-cumul - Égalité de traitement - Interprétation des articles 7 et 48 à 51 du traité CEE et de l'article 3 du règlement (CEE) n. 1408/71. - Affaire C-10/90.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-01119

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La question préjudicielle qui vous est posée par le Bundessozialgericht trouve son origine dans la confrontation de la loi allemande sur les régimes de prévoyance des mineurs ( Reichsknappschaftsgesetz, ci-après "RKG ") avec les articles 7, 48 à 51 du traité CEE et 3 du règlement ( CEE ) n 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'
intérieur de la Communauté ( 1 ).

2 . Mme Maria Masgio, veuve d' un ressortissant italien, lequel a travaillé dans le secteur minier en Belgique et en République fédérale d' Allemagne, vient aux droits de son époux dans la procédure au principal, dont les étapes successives sont décrites au rapport d' audience ( 2 ).

3 . Il suffira, pour les besoins de la discussion de retenir les points suivants .

4 . M . Masgio percevait depuis 1972, versée par l' institution belge compétente, une rente pour silicose . Conformément à la législation belge, cette rente a été réduite en 1983, l' intéressé ayant, à compter de cette date, bénéficié d' une pension de vieillesse belge . Cette réduction n' est pas ici en cause .

5 . La même année, M . Masgio s' est vu reconnaître un droit à pension de vieillesse au titre du régime minier allemand . La situation des mineurs bénéficiant à la fois d' une telle pension et d' une rente d' accident est régie par le RKG, et plus spécialement par ses articles 75, paragraphe 1, et 76 a .

6 . L' article 75, paragraphe 1, dispose que la pension est "suspendue" dans la mesure où, avec la rente, elle vient à dépasser 95 % de la rémunération annuelle servant de base au calcul de la rente et de l' assiette de liquidation de la pension . En clair, on appliquera celui des deux plafonds qui permettra la plus faible réduction du montant de la prestation de vieillesse .

7 . L' article 76 a, paragraphe 2, de la RKG exclut de ce choix le pensionné titulaire d' une rente versée par un organisme situé en dehors de la République fédérale d' Allemagne . En pareil cas, "il n' y a pas à déterminer de rémunération annuelle" et seule sera prise en considération l' assiette de la liquidation de la pension de vieillesse .

8 . Cette absence d' option ayant, semble-t-il, nui à M . Masgio, donc à son épouse, le Bundessozialgericht vous demande si les textes communautaires précités sont à interpréter en ce sens que les assurés qui bénéficient en même temps d' une pension au titre des dispositions nationales et d' une rente d' accident versée par une institution d' un autre État membre ne doivent pas, lors du calcul de la suspension à opérer en application des dispositions nationales, faire l' objet d' un traitement moins
favorable que les assurés bénéficiant des deux prestations au titre de la législation nationale .

9 . L' article 7, premier alinéa, du traité dispose :

"Dans le domaine d' application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu' il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ."

10 . Ainsi qu' il ressort de votre arrêt du 14 juillet 1977, Sagulo ( 3 ),

"le principe général de l' article 7 ne peut s' appliquer que sous réserve des dispositions particulières prévues par le traité ".

Il n' y a donc pas lieu d' interpréter cet article, dès lors que des dispositions particulières du traité, notamment celles visées par le juge a quo, sont applicables en la matière .

11 . Les articles 48 à 51 du traité constituent le fondement, le cadre et les limites des dispositions des règlements adoptés en matière de sécurité sociale ( 4 ), notamment du règlement n 1408/71 qui édicte les principales règles d' application du traité en cette matière . Son article 3, paragraphe 1, est ainsi libellé :

"Les personnes qui résident sur le territoire de l' un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement ."

12 . Le Landessozialgericht du Land de Rhénanie-du-Nord - Westphalie avait observé dans sa décision entreprise devant le juge a quo ( 5 ) que "les désavantages pouvant résulter du régime des prestations sociales ne constituaient pas un aspect objectivement déterminant pour le choix du lieu de travail ". Au contraire, le représentant de la requérante au principal a remarqué, lors de la procédure orale, qu' il conviendrait de déconseiller à une personne qui a été accidentée hors du territoire allemand
de s' y installer pour travailler puis prendre sa retraite, étant donné que les effets de la suspension de pension y seraient plus rigoureux pour elle que pour les ressortissants nationaux, lesquels peuvent opter pour le système de calcul le plus avantageux . Cela étant, selon votre jurisprudence, il n' est pas besoin de démontrer la réalité d' un élément objectivement déterminant pour le choix du lieu de travail ( 6 ). Ce qui importe est de veiller à la réalisation des buts énoncés dans les
articles 48 à 51 du traité, et notamment au respect de la règle de l' égalité de traitement ( 7 ) que consacre l' article 3, paragraphe 1, du règlement n 1408/71 ( 8 ).

13 . A cet égard, votre jurisprudence s' est toujours affranchie du critère formel de la nationalité pour apprécier si les autres critères utilisés pouvaient aboutir à des discriminations équivalentes ( 9 ). Vous avez affirmé en particulier dans votre arrêt du 12 juillet 1979, Toia ( 10 ), que

"les règles d' égalité de traitement, consacrées par l' article 3, paragraphe 1, du règlement, prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité des bénéficiaires des régimes de sécurité sociale, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d' autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ".

14 . Plus récemment ( 11 ), vous aviez à examiner certaines dispositions communautaires combinées avec celles de la législation allemande qui ne permettaient pas de prendre en compte, pour la détermination d' une qualification servant de référence à un droit à pension, des activités non soumises à l' assurance obligatoire en Allemagne . Vous avez observé que cet obstacle, bien qu' applicable indépendamment de la nationalité du travailleur, concernait essentiellement des travailleurs migrants
originaires d' autres États membres, ayant occupé successivement des emplois dans ces États et en République fédérale d' Allemagne . Par suite, vous avez constaté que ces dispositions conduisaient à défavoriser certains de ces travailleurs migrants qui avaient atteint dans un autre État membre une qualification supérieure à celle obtenue en République fédérale d' Allemagne en ce qu' elles ne leur permettaient pas de se prévaloir de cette dernière qualification lorsqu' ils demandaient à bénéficier de
leur droit à pension .

15 . Les enseignements que l' on peut ainsi tirer des arrêts Toia et Roviello paraissent devoir être déterminants au regard de la situation dont est saisi le juge a quo . Certes, l' article 76 a, paragraphe 2, première phrase, de la RKG ne comporte aucun critère de nationalité . Mais il y a tout lieu de penser, ce qu' il appartient au juge national de vérifier, que, pour reprendre les termes de votre seconde décision, son application "concerne essentiellement des travailleurs migrants originaires d'
autres États membres qui ont occupé successivement des emplois dans ces États et en République fédérale d' Allemagne ".

16 . Dans votre arrêt Toia, vous avez cependant ajouté que de telles discriminations indirectes pourraient être justifiées par des différences objectives ( 12 ). A cet égard, le Landessozialgericht du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie avait fait remarquer ( 13 ) que le traitement particulier appliqué aux bénéficiaires de rentes d' accident étrangères "pouvait être objectivement justifié par le fait que, dans de tels cas, il était souvent impossible de déterminer une rémunération annuelle ". La
Commission ( 14 ) et la partie requérante au principal ( 15 ) ont justement observé que le manque d' information sur une rémunération annuelle dans le cas de rente d' accident étrangère ne pouvait suffire à justifier cette discrimination, étant donné la possibilité de calculer une rémunération annuelle fictive . Aussi bien, l' évolution récente de la législation allemande ( 16 ) l' a démontré puisqu' à partir du 1er janvier 1992 le montant maximal pourra être calculé sur la base d' une rémunération
annuelle fictive obtenue en multipliant le montant mensuel de la rente d' accident par un coefficient de 18 . Bien entendu, les autorités allemandes connaissent le montant de cette dernière puisqu' elles procèdent à une suspension de la pension lorsque le cumul de la rente et de la pension atteint un certain montant . Au surplus, ainsi que la Commission l' a relevé, les retards de procédure et les imprécisions dans la détermination des facteurs de calcul nécessaires, pas plus que la rareté des
discriminations possibles et le peu d' importance des désavantages subis, ne pourraient justifier une discrimination indirecte ( 17 ).

17 . En conséquence, nous vous proposons de dire pour droit :

"Les articles 48 à 51 du traité CEE ainsi que l' article 3, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n 1408/71 doivent être interprétés en ce sens que le travailleur migrant qui bénéficie d' une pension au titre des dispositions nationales de l' État membre d' accueil et de prestations au titre d' une assurance contre les accidents versées par une institution d' un autre État membre ne peut, lors du calcul de la suspension à opérer en application des dispositions nationales du premier État membre, faire
l' objet d' un traitement moins favorable que le travailleur bénéficiant des deux prestations au titre des dispositions nationales de l' État membre d' accueil ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) JO L 149, p . 2; réglementation modifiée par le règlement ( CEE ) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 ( JO L 230, p . 6 ).

( 2 ) Point I b ).

( 3 ) 8/77, point 11, paragraphe 2, Rec . p . 1495 .

( 4 ) Arrêt du 5 juillet 1967, Ciechelski ( 1/67, Rec . p . 235, 244 ); arrêt du 21 octobre 1975, Petroni, point 11 ( 24/75, Rec . p . 1149 ).

( 5 ) Ordonnance de renvoi préjudiciel, p . 4 de la traduction française .

( 6 ) Exemples : arrêt du 15 janvier 1986, Pinna ( 41/84, Rec . p . 1 ); arrêt du 7 juin 1988, Roviello ( 20/85, Rec . p . 2805 ).

( 7 ) Point 24 ( 41/84, précité ).

( 8 ) Arrêt du 16 décembre 1976, Inzirillo, point 14 ( 63/76, Rec . p . 2057 ).

( 9 ) 41/84, précité, point 23 .

( 10 ) 237/78, Rec . p . 2645, point 12 .

( 11 ) 20/85, précité, points 15 et 16 .

( 12 ) 237/78, précité, point 14 .

( 13 ) Ordonnance de renvoi préjudiciel, p . 4 de la traduction française .

( 14 ) Observations de la Commission, point 26 .

( 15 ) Observations de la partie requérante au principal, p . 3 de la traduction française .

( 16 ) Article 93, paragraphe 4, première phrase, point 4, et troisième phrase, du Sozialgesetzbuch, livre VI ( code social allemand ); loi du 18 décembre 1989 ( BGBl . I, p . 2261 ).

( 17 ) Observations de la Commission, point 28 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-10/90
Date de la décision : 15/01/1991
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundessozialgericht - Allemagne.

Sécurité sociale des travailleurs migrants - Règles nationales anti-cumul - Égalité de traitement - Interprétation des articles 7 et 48 à 51 du traité CEE et de l'article 3 du règlement (CEE) n. 1408/71.

Sécurité sociale des travailleurs migrants

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : Maria Masgio
Défendeurs : Bundesknappschaft.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:13

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