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22/11/1990 | CJUE | N°C-281/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 22 novembre 1990., République italienne contre Commission des Communautés européennes., 22/11/1990, C-281/89


Avis juridique important

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61989C0281

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 22 novembre 1990. - République italienne contre Commission des Communautés européennes. - Apurement des comptes FEOGA - Exercice 1986 - Frais de coloration des céréales. - Affaire C-281/89.
Recueil de jurisprudence 19

91 page I-00347

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Pré...

Avis juridique important

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61989C0281

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 22 novembre 1990. - République italienne contre Commission des Communautés européennes. - Apurement des comptes FEOGA - Exercice 1986 - Frais de coloration des céréales. - Affaire C-281/89.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-00347

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le présent recours de la République italienne vise à obtenir l' annulation partielle de la décision 89/418/CEE de la Commission, du 26 juin 1989, modifiant la décision 88/630/CEE relative à l' apurement des comptes des États membres au titre des dépenses financées par le Fonds européen d' orientation et de garantie agricole ( FEOGA ), section "garantie", pour l' exercice financier 1986 ( JO L 192, p . 33 ).

2 . En ce qui concerne le détail des faits à l' origine du litige, nous nous permettons de ne mentionner que les éléments nécessaires à notre raisonnement et de renvoyer pour le reste au rapport d' audience .

3 . Le règlement ( CEE ) n 2794/83 ( 1 ) précise les modalités de la mise en vente sur le marché intérieur, à des fins d' utilisation dans l' alimentation animale, de 450 000 tonnes de froment tendre panifiable détenues par l' organisme d' intervention italien .

4 . En particulier, son article 5, deuxième alinéa, prévoit qu' afin de contrôler l' utilisation du froment en question

"l' organisme d' intervention concerné procède à une coloration permettant l' identification du produit . Cette coloration doit être effectuée aux moindres frais ".

C' est sur ce dernier point que porte le litige .

5 . En effet, en vertu des règles générales relatives au financement des interventions agricoles, ces frais sont à imputer au FEOGA, mais sont initialement exposés par les États membres, qui sont en droit d' en obtenir le remboursement dans le cadre de la procédure d' apurement des comptes pour l' exercice considéré .

6 . En l' espèce, la Commission a décidé, le 7 juin 1985, de procéder à un remboursement forfaitaire des frais de coloration en fixant un montant de 1,17 écu par tonne de céréales traitées, alors que l' organisme d' intervention italien avait évalué à 6,15 écus par tonne les frais occasionnés par l' opération de coloration prescrite par le règlement n 2794/83 et avait demandé le remboursement correspondant par le FEOGA . Le gouvernement italien ayant introduit un recours devant la Cour, celle-ci a,
par un arrêt du 4 février 1988 ( 2 ), annulé la décision du 7 juin 1985 pour autant qu' elle fixait un montant forfaitaire pour le remboursement des dépenses résultant de la coloration .

7 . Dans le cadre de l' exécution de cet arrêt, la Commission a cherché à obtenir des informations supplémentaires sur les frais effectivement encourus par les États membres . Estimant que les autorités italiennes ne lui avaient pas prouvé que la méthode retenue par elles ait été la moins coûteuse possible, elle a finalement décidé par l' acte entrepris de n' imputer au FEOGA la dépense déclarée par l' Italie que dans la limite d' un montant de 1,17 écu par tonne au lieu de 6,15 écus par tonne .

8 . C' est cet aspect de la décision que conteste la partie requérante, qui invoque deux moyens .

Quant au premier moyen

9 . Le gouvernement italien estime que la décision attaquée méconnaît l' autorité de la chose jugée découlant de l' arrêt précité du 4 février 1988 .

10 . Il expose que la Cour a alors tranché définitivement la question des frais de coloration résultant de l' opération prévue par le règlement n 2794/83 . En effet, il serait de principe que l' autorité de la chose jugée s' applique non seulement aux moyens invoqués au cours de l' instance concernée, mais également à ceux qui auraient pu l' être, dont fait partie celui sur lequel s' appuie la Commission en l' espèce, à savoir le caractère minimal de la dépense exposée . Une conception différente de
ce principe permettrait aux plaideurs de recommencer leurs procès à l' infini .

11 . Les parties sont d' accord pour considérer comme fondamental en l' espèce le point 18 du jugement précité, aux termes duquel :

"L' opération de coloration ne pouvant pas s' analyser en une opération matérielle de sortie de stock ou de transformation, il convient de se référer à la seule disposition réglementaire qui traite des frais liés à l' opération de coloration, à savoir l' article 5 du règlement n 2794/83, qui dispose que 'cette coloration doit être effectuée aux moindres frais' . Un examen du libellé de cet article conduit à considérer que les frais liés à l' opération de coloration doivent faire l' objet d' un
remboursement intégral pour autant que la méthode retenue pour l' effectuer ait été la moins coûteuse possible, point qui n' a pas été soulevé dans le cadre du présent recours ."

12 . Contrairement à la requérante, nous estimons que cette dernière réserve indique très clairement que la Cour a affirmé ne pas trancher l' éventuel problème du caractère minimal des frais exposés, toute autre thèse faisant violence au sens commun des mots ( 3 ).

13 . Une autre raison pour laquelle nous ne pouvons pas nous rallier au point de vue de la partie requérante est le fait que nous estimons que le problème alors tranché par la Cour était entièrement différent . Il s' agissait de savoir si, au regard des règles générales gouvernant le financement des interventions effectuées au titre de la politique agricole commune, les dépenses litigieuses pouvaient être considérées comme relevant de la catégorie des dépenses susceptibles de faire l' objet d' un
remboursement forfaitaire ou si, au contraire, elles devaient faire l' objet d' un remboursement intégral . La Commission souligne à bon droit que la question de la preuve du caractère minimal de la dépense, qui fait l' objet du présent litige, est un autre problème qui ne peut se poser que lorsque le principe du paiement intégral est acquis .

14 . Nous sommes donc clairement en présence d' une affaire à l' objet différent de la précédente, et non pas de moyens qui auraient pu être invoqués à l' époque . Le principe de l' autorité de la chose jugée ne saurait dès lors être opposé ici à la Commission, la décision de celle-ci reposant sur une considération nouvelle, expressément exclue par la Cour du champ de son arrêt antérieur .

Quant au second moyen

15 . La partie requérante soutient que la Commission aurait dû prouver de façon exacte et détaillée la dépense minimale qui aurait pu être atteinte concrètement dans les circonstances particulières de l' Italie ou, à tout le moins, indiquer les raisons précises de l' inacceptabilité des données fournies par l' Italie .

16 . Il est certes exact qu' il ressort de la jurisprudence de la Cour ( 4 ) qu' il appartient à la Commission de prouver l' existence d' une violation des règles de l' organisation commune des marchés agricoles, l' État membre devant alors, le cas échéant, prouver l' erreur de la Commission sur les conséquences financières à en tirer . En l' espèce, cela tendrait à imposer à la Commission la charge de la preuve de l' irrégularité, à savoir le fait que les opérations n' ont pas eu lieu au meilleur
prix . Il y a toutefois lieu de constater que nous sommes ici dans un contexte différent, de ce point de vue, de celui de cette jurisprudence, dans la mesure où la distinction que la Cour y a opérée entre l' irrégularité et ses conséquences financières n' a pas lieu d' être en l' espèce, où les deux se confondent puisque l' infraction consiste justement en ce que le coût de l' opération litigieuse n' a pas été minimal .

17 . Il n' existe donc pas ici d' irrégularité à prouver dont l' existence pourrait être distinguée des conséquences financières à en tirer, domaine dans lequel la charge de la preuve incombe à l' État membre, comme le montre la jurisprudence que nous venons de rappeler .

18 . En outre, une telle solution ne serait pas seulement contraire au principe actori incumbit probatio, mais elle imposerait de plus à la Commission une preuve négative très difficile à rapporter, alors que l' on peut raisonnablement attendre de l' État membre défendeur concerné, par hypothèse informé des conditions dans lesquelles il a fait procéder aux opérations en cause, qu' il soit en mesure de rapporter la preuve positive .

19 . De plus, la Commission a fourni, dans le cas d' espèce, des éléments de preuve si nombreux et variés qu' il faut considérer que les apparences sont contre la partie requérante et que ce commencement de preuve entraînerait, si besoin était, le renversement de la charge de celle-ci .

20 . Il appartenait donc bien à l' Italie de prouver que sa méthode était la moins onéreuse possible . Or, force est de constater que le gouvernement italien, s' il prouve bien qu' il a effectué une certaine dépense, n' a pas démontré que celle-ci représente le coût effectif des opérations en cause et encore moins que c' était le coût minimal réalisable . En effet, il se contente de soumettre des calculs justifiant le montant du remboursement forfaitaire opéré par l' organisme d' intervention
italien sans que soit déterminé le coût effectif intégral de l' opération de coloration, alors qu' il ressort de l' arrêt du 4 février 1988, précité, que c' est uniquement celui-ci qui peut être mis à la charge du FEOGA .

21 . Il faut également souligner que le gouvernement requérant ne fournit pas le moindre élément de nature à permettre des comparaisons entre diverses possibilités d' effectuer la coloration . Or, la Commission souligne à bon droit que, par le fait même d' exiger que la coloration se fasse "aux moindres frais", l' article 5, deuxième alinéa, du règlement n 2794/83 suppose une analyse comparative, à laquelle les autorités italiennes n' ont pas procédé en l' espèce .

22 . Ces dernières ont certes raison de soutenir qu' elles n' étaient pas obligées de procéder à une adjudication . Mais il existe d' autres possibilités de faire jouer la concurrence, par exemple en sollicitant des offres de plusieurs entreprises, comme cela a notamment été fait au Royaume-Uni . Quant à l' argument selon lequel le temps aurait manqué, il paraît difficile à accepter, les opérations de livraison des céréales colorées s' étant déroulées sur trois ans, du 26 octobre 1983 au 6 octobre
1986, selon l' affirmation non contestée de la Commission . De plus, on ne saurait justifier la violation d' un règlement communautaire par une simple contrainte de délais .

23 . Il est également vrai qu' il faut tenir compte de l' existence de situations différentes dans les divers États membres . Cette considération ne saurait toutefois à elle seule expliquer l' écart de 1 à 34 entre les coûts de la coloration dans l' État membre où elle a été la moins onéreuse et les coûts en Italie . De plus, la Commission invoque le fait que le colorant utilisé en Italie était nettement plus cher que celui employé ailleurs dans la Communauté, tout comme l' était le recours à une
société privée pour opérer le contrôle des opérations de coloration, par rapport à l' appel à des fonctionnaires nationaux, préféré par d' autres États membres . Enfin, il faut souligner que l' existence de situations différentes dans les États membres ne dispensait en rien les autorités italiennes de rechercher le moindre coût compte tenu des circonstances régnant en Italie .

24 . Or, comme nous l' avons vu, elles n' allèguent aucun élément de nature à faire croire qu' une telle analyse comparative, exigée par l' article 5, précité, ait eu lieu . Tout au plus se bornent-elles à expliquer que le fait de confier, comme elles l' ont fait, la coloration aux opérateurs chargés de l' entreposage des grains présentait des avantages pratiques . Mais elles ne démontrent pas en quoi cette solution serait nécessairement la moins chère, ni que d' autres possibilités ont été
envisagées .

25 . Nous ne pouvons donc pas considérer que la partie requérante a rapporté la preuve que la coloration fut effectuée "aux moindres frais ". La Commission était dès lors en droit de refuser la totalité de la dépense déclarée ou bien de n' en accepter qu' une partie, comme le lui permet la jurisprudence de la Cour ( 5 ).

26 . Du moment qu' elle optait pour cette dernière possibilité, la Commission aurait-elle au moins dû retenir, en ce qui concerne l' Italie, le montant le plus élevé retenu en ce qui concerne un autre État membre, en l' occurrence la Belgique, c' est-à-dire 2,00 écus par tonne? Dans son document de travail préparatoire du 6 mars 1985, elle avait suivi cette méthode et estimé les coûts supportés par les autorités italiennes en se référant à ceux de l' État membre dans lequel, après l' Italie, le coût
de l' opération avait été le plus élevé, à savoir l' Allemagne . Elle avait ainsi abouti à une estimation de 1,38 écu par tonne .

27 . Toutefois, ce montant avait ensuite été incorporé dans le calcul d' une moyenne pondérée pour toute la Communauté, qui, dans un premier temps, était de 1,14 écu par tonne, mais qui était ensuite, sur la base de nouveaux renseignements, relevée à 1,17 écu par tonne . C' est ce montant établi en 1985 dans le but de rembourser les États membres sur une base forfaitaire ( décision annulée par la Cour ) qui réapparaît maintenant pour servir de base à un "remboursement gracieux" accordé à l' Italie (
et à la France ).

28 . La Commission aurait-elle dès lors dû établir une moyenne pondérée nouvelle, fondée sur les données les plus récentes, et appliquer celle-ci aux États membres qui n' avaient pas démontré avoir effectué les opérations de coloration "aux moindres frais"?

29 . Nous ne le pensons pas . Il résulte en effet de la jurisprudence de la Cour que la Commission, en l' absence de preuve contraire par les États membres, dispose, lorsqu' une irrégularité a été commise, d' une latitude considérable pour estimer les dépenses à la charge du FEOGA, ce calcul étant nécessairement hypothétique ( 6 ). En fin de compte, nous estimons donc qu' on ne saurait reprocher à la Commission d' avoir retenu le chiffre de 1,17 écu par tonne, qui avait l' avantage de correspondre à
la dépense déjà imputée au FEOGA .

30 . Pour toutes ces raisons, nous vous proposons de rejeter le présent recours et de condamner la requérante aux dépens .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Règlement ( CEE ) n 2794/83 de la Commission, du 6 octobre 1983, concernant la mise en vente sur le marché intérieur de 450 000 tonnes de froment tendre panifiable détenues par l' organisme d' intervention italien et modifiant le règlement ( CEE ) n 1687/76 ( JO L 274, p . 18 ).

( 2 ) République italienne/Commission ( 256/85, Rec . p . 521 ).

( 3 ) Voir les conclusions de l' avocat général M . Roemer dans l' affaire Barge/Haute Autorité de la CECA ( 14/64 ) et l' arrêt du 16 février 1965 ( Rec . p . 1, vol . XI 4 .) dont il ressort que bénéficient de l' autorité de la chose jugée les éléments que la Cour n' a pas expressément réservés .

( 4 ) Arrêt du 24 mars 1988, Royaume-Uni/Commission, point 14 ( 347/85, Rec . p . 1749 ). Voir aussi l' arrêt du 2 février 1989, Pays-Bas/Commission, point 21 ( 262/87, Rec . p . 225 ), et arrêt du 10 juillet 1990, République hellénique/Commission, point 14 ( C-335/87, Rec . p . I-2875 ).

( 5 ) Arrêt du 25 novembre 1987, Italie/Commission, points 19 et 20 ( 342/85, Rec . p . 4677 ); arrêt Royaume-Uni/Commission, précité, aux points 15 et 16 .

( 6 ) Voir, en ce sens, l' arrêt du 10 juillet 1990, République hellénique/Commission, point 13 ( C-334/87, Rec . p . I-2849 ), et arrêt précité, du même jour, mêmes parties, point 14 ( C-335/87, Rec . p . I-2875 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-281/89
Date de la décision : 22/11/1990
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Apurement des comptes FEOGA - Exercice 1986 - Frais de coloration des céréales.

Céréales

Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA)

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : République italienne
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:417

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