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14/11/1990 | CJUE | N°C-42/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 14 novembre 1990., Procédure pénale contre Jean-Claude Bellon., 14/11/1990, C-42/90


Avis juridique important

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61990C0042

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 14 novembre 1990. - Procédure pénale contre Jean-Claude Bellon. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Marseille - France. - Libre circulation des marchandises - Dérogations - Protection de la s

anté publique - Réglementation relative à l'utilisation d'agents conservat...

Avis juridique important

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61990C0042

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 14 novembre 1990. - Procédure pénale contre Jean-Claude Bellon. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Marseille - France. - Libre circulation des marchandises - Dérogations - Protection de la santé publique - Réglementation relative à l'utilisation d'agents conservateurs et d'additifs alimentaires. - Affaire C-42/90.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-04863

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le défendeur au principal est poursuivi devant le tribunal de grande instance de Marseille en sa qualité de gérant d' une société qui a procédé en 1982 à la vente en France de pâtisseries du type "Panettone" en provenance d' Italie, contenant un agent conservateur, l' acide sorbique, dont l' utilisation est autorisée en Italie, mais pas, pour ce genre de denrée, en France .

2 . La juridiction de renvoi nous pose donc la question préjudicielle suivante :

"Est-il conforme au droit communautaire de refuser l' entrée en France d' une denrée alimentaire légalement produite et commercialisée par un État membre au motif qu' elle contient de l' acide sorbique, agent conservateur admis par la directive 64/54/CEE, du 5 novembre 1963, complétée et modifiée par la directive 67/427/CEE, du 27 juin 1967, par la directive 71/160/CEE, du 30 mars 1971, et par la directive 74/62/CEE, du 17 décembre 1973, substance dont l' utilisation n' est autorisée par la
réglementation française que pour certaines denrées limitativement énumérées sans que ne soit marquée une raison impérieuse?"

3 . Nous estimons tout d' abord qu' il importe de préciser, comme le fait à juste titre la Commission, que le droit communautaire applicable est constitué pour l' essentiel par les articles 30 et 36 du traité CEE .

4 . Il est certes exact que la directive 64/54/CEE du Conseil ( 1 ), à laquelle fait référence le juge national, mentionne, sans imposer de conditions d' emploi, l' acide sorbique parmi les agents conservateurs dont les États membres peuvent autoriser l' utilisation . Mais elle ne leur impose pas de le faire . En effet, constituant le premier stade du rapprochement des législations des États membres en la matière, elle se borne, par son article 1er, à interdire à ces derniers d' autoriser des
additifs autres que ceux figurant à son annexe, mais ne leur impose pas d' autoriser tous ceux qui s' y trouvent .

5 . Cette interprétation de l' article 1er est confirmée par la jurisprudence . Dans l' arrêt Grunert ( 2 ), la Cour a en effet conclu son analyse de l' article 1er de la directive 64/54 en énonçant que :

"Au stade actuel du rapprochement des législations nationales dans le domaine des agents conservateurs et des agents antioxygènes, les États membres ne sont donc pas obligés d' autoriser l' emploi dans les denrées alimentaires de toutes les substances considérées comme utilisables par les deux directives ."

6 . La conclusion s' impose par conséquent que, étant donné le stade d' évolution du rapprochement des législations en 1982, les États membres pouvaient interdire l' utilisation d' un agent conservateur même si celui-ci figurait à l' annexe de la directive 64/54 .

7 . Ils étaient cependant soumis à deux restrictions .

8 . Ils ne pouvaient tout d' abord le faire qu' en respectant l' article 2, paragraphe 2, de la directive, tel que modifié par la directive du 27 juin 1967 ( 3 ), auquel la partie défenderesse et la Commission consacrent quelques développements .

9 . Cette disposition stipule que :

"Toutefois, la législation d' un État membre ne peut exclure totalement l' emploi de l' un des agents conservateurs énumérés à l' annexe que dans le cas où il n' y a pas de nécessité technologique d' emploi de celui-ci dans les denrées alimentaires produites et consommées sur son propre territoire ."

10 . Il est clair que cet article ne saurait avoir d' incidence en l' espèce, puisque nous avons affaire à des denrées produites en dehors de la France . Le juge de renvoi nous précise d' ailleurs que la législation française applicable en l' espèce permet l' emploi de l' acide sorbique dans certains cas .

11 . Mais les États membres devaient également respecter les dispositions des articles 30 et 36 du traité . Il est en effet de jurisprudence constante que,

"d' une part, l' existence de directives d' harmonisation n' exclut pas l' application de l' article 30 du traité et que, d' autre part, ce n' est que lorsque des règles communautaires prévoient l' harmonisation complète de toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection de la santé et aménagent des procédures communautaires de contrôle de leur observation que le recours à l' article 36 cesse d' être justifié" ( 4 ).

12 . La mesure nationale en cause, à savoir l' interdiction de commercialisation d' une denrée alimentaire, entrave manifestement les importations de celle-ci et constitue donc indubitablement une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l' article 30, que la Cour a interprété ( 5 ) comme s' appliquant à toute mesure susceptible d' affecter directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire .

13 . Cette interdiction ne pourrait dès lors être justifiée que par une raison tenant à la protection de la santé publique, en vertu de l' article 36 du traité, le recours à cette disposition demeurant en effet possible, au vu des arrêts précités .

14 . La jurisprudence de la Cour impose cependant à cet égard des conditions précises, énumérées par exemple dans l' arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne ( 6 ), dit "arrêt bière", où on peut lire ce qui suit :

"44 Il faut rappeler, en premier lieu, que dans ses arrêts Sandoz, Motte et Muller précités, la Cour a déduit du principe de proportionnalité, qui est à la base de la dernière phrase de l' article 36 du traité, que les interdictions de commercialiser des produits contenant des additifs autorisés dans l' État membre de production, mais interdits dans l' État membre d' importation doivent être limitées à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique . La Cour en a
également conclu que l' utilisation d' un additif déterminé, admis dans un autre État membre, doit être autorisée dans le cas d' un produit importé de cet État membre, dès lors que, compte tenu, d' une part, des résultats de la recherche scientifique internationale, et spécialement des travaux du comité scientifique communautaire de l' alimentation humaine et de la commission du Codex alimentarius de la FAO et de l' Organisation mondiale de la santé, et, d' autre part, des habitudes alimentaires
dans l' État membre d' importation, cet additif ne présente pas un danger pour la santé publique et qu' il répond à un besoin réel, notamment d' ordre technologique .

45 Il convient de rappeler, en second lieu, que, ainsi que la Cour l' a constaté dans son arrêt du 6 mai 1986, Muller ( précité ), le principe de proportionnalité exige également que les opérateurs économiques soient en mesure de demander, par une procédure qui leur soit aisément accessible et qui puisse être menée à terme dans des délais raisonnables, que soit autorisé par un acte de portée générale l' emploi d' additifs déterminés .

46 Il y a lieu de préciser qu' une absence injustifiée d' autorisation doit pouvoir être mise en cause par les opérateurs économiques dans le cadre d' un recours juridictionnel ..."

15 . Pour ce qui est de l' application de ces conditions au cas présent, nous partageons pour l' essentiel l' analyse de la Commission .

16 . Celle-ci expose tout d' abord que la quantité d' additif dans le produit en cause n' excède pas les limites imposées par la législation italienne . Il s' agit donc bien d' un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un État membre .

17 . En outre, l' acide sorbique se trouve sur la liste des agents conservateurs retenus par la directive 64/54, sans conditions particulières d' utilisation, justement parce qu' il ne présente pas en principe de risque sérieux pour la santé des personnes . L' inscription par le législateur communautaire d' un additif sur une telle liste est en effet précédée d' une recherche sur les risques éventuels pour la santé des personnes présentés par la substance en cause . Ce n' est dès lors que du fait de
circonstances particulières à l' État membre considéré, comme les habitudes alimentaires de sa population, qu' il serait possible d' établir que la santé pourrait se trouver menacée .

18 . Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre de la procédure nationale d' autorisation, la charge de cette preuve incombe aux autorités nationales ( 7 ).

19 . Quelles conclusions convient-il de tirer de ces principes généraux en vue de la solution du cas d' espèce? Le tribunal de grande instance de Marseille se demande très explicitement s' il est conforme au droit communautaire de refuser l' entrée en France de la denrée en question "sans que soit marquée une raison impérieuse", c' est-à-dire sans que les autorités compétentes de la République française n' aient dûment motivé l' interdiction de vente, qui frappe cette denrée précise ( légalement
fabriquée et commercialisée dans son pays d' origine ), par des nécessités de protection de la santé publique propres à la France?

20 . Si, comme cela semble être le cas en l' espèce, une telle motivation fait manifestement défaut, le juge national doit-il :

- écarter d' office l' interdiction résultant de son droit national comme incompatible avec le droit communautaire;

- offrir la possibilité au ministère public de démontrer d' une manière convaincante la nocivité des "panettoni à l' acide sorbique", compte tenu des habitudes alimentaires de la population française;

- constater que, puisque la législation française prévoit la possibilité de dérogations cas par cas et qu' aucune dérogation n' a été accordée pour le produit en question, soit à l' initiative des autorités publiques, soit à la demande de M . Bellon, il y a lieu de s' en tenir à la règle générale et condamner le prévenu?

21 . Nous estimons, avec une réserve que nous exposerons plus loin, que c' est la dernière hypothèse qui est la bonne .

22 . Il résulte en effet de la jurisprudence de la Cour qu' en son état actuel le droit communautaire permet aux États membres d' interdire en principe l' utilisation de certains additifs . Au point 42 de l' arrêt "bière" ( 8 ), on peut en effet lire que

"le droit communautaire ne s' oppose pas à ce que les États membres mettent en place une législation qui soumet l' utilisation d' additifs à une autorisation préalable accordée par un acte de portée générale pour des additifs déterminés, soit pour tous les produits, soit pour certains d' entre eux seulement, soit en vue de certains emplois . Une législation de ce type correspond à un objectif légitime de politique sanitaire qui est de restreindre la consommation incontrôlée d' additifs alimentaires
".

La Cour précise ensuite, au point suivant de l' arrêt, que

"l' application aux produits importés des interdictions de commercialiser des produits contenant des additifs autorisés dans l' État membre de production, mais interdits dans l' État membre d' importation n' est toutefois admissible que pour autant qu' elle soit conforme aux exigences de l' article 36 du traité tel qu' il a été interprété par la Cour ".

23 . Aux points 44 à 46 du même arrêt, précités, la Cour indique quelles sont les exigences qui découlent, en ce qui concerne de tels produits, de l' article 36 du traité . Dans chacun de ces trois points, on retrouve les expressions "autorisation" ou "autorisé ".

24 . Il est donc clair qu' en l' absence d' une autorisation d' utiliser l' acide sorbique dans les "panettoni" un juge français est en droit d' appliquer l' interdiction générale résultant de la législation de son pays et de condamner un prévenu qui y a contrevenu .

25 . La seule réserve qu' il convient de faire par rapport à cette règle est celle de l' existence d' une procédure appropriée permettant aux importateurs d' obtenir le cas échéant une dérogation à l' interdiction . Les conditions auxquelles doit satisfaire cette procédure sont rappelées dans les passages cités ci-dessus de l' arrêt "bière ". Or, le point 46 de cet arrêt comporte dans sa deuxième phrase une précision importante . Il est rédigé comme suit :

"Il y a lieu de préciser qu' une absence injustifiée d' autorisation doit pouvoir être mise en cause par les opérateurs économiques dans le cadre d' un recours juridictionnel . Sans préjudice de la faculté qu' elles ont de demander aux opérateurs économiques les données dont ceux-ci disposent et qui peuvent être utiles à l' appréciation des faits, c' est, ainsi qu' il a déjà été jugé dans l' arrêt du 6 mai 1986, Muller ( précité ), aux autorités nationales compétentes de l' État membre d'
importation qu' il incombe de démontrer que l' interdiction est justifiée par des raisons de protection de la santé de leur population ."

26 . Au cas où l' autorisation demandée est refusée, la preuve du caractère nocif de l' adjonction de l' additif doit donc être apportée par l' autorité nationale compétente .

27 . Comme la Cour de justice des Communautés européennes ne saurait se prononcer, dans le cadre d' un recours préjudiciel, sur la compatibilité d' une réglementation nationale avec le droit communautaire, il appartient au tribunal de grande instance de Marseille d' apprécier si la procédure instaurée en France par une loi du 1er août 1905, un décret du 15 avril 1912, modifié par un décret du 12 février 1973, et par une circulaire du 8 août 1980 ( JORF du 25.9.1980, p . 8544 ), à laquelle a fait
allusion l' agent du gouvernement français, répond ou non à l' exigence susmentionnée . Si le tribunal parvenait à la conclusion que tel n' est pas le cas, il devrait à notre avis en déduire que la procédure en elle-même n' est pas conforme au droit communautaire et acquitter le prévenu .

28 . Sur la base de tous les développements qui précèdent, nous vous proposons de répondre comme suit à la question posée :

"Les articles 30 à 36 du traité ne s' opposent pas à ce qu' un État membre interdise la commercialisation d' une denrée alimentaire, importée d' un autre État membre où elle a été légalement produite et commercialisée, à laquelle une des substances énumérées à l' annexe I de la directive 64/54/CEE du Conseil, du 5 novembre 1963, a été ajoutée, pourvu que, dans le premier État membre, une demande tendant à l' autorisation de la commercialisation de ce genre de denrée puisse être présentée et ne
puisse être rejetée que dans le cadre d' une procédure en tous points conforme aux critères établis par la Cour dans son arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne ( 178/84, Rec . p . 1227 )."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Directive du Conseil du 5 novembre 1963 relative au rapprochement des législations des États membres concernant les agents conservateurs pouvant être employés dans les denrées destinées à l' alimentation humaine ( JO 1964, 12, p . 161 ).

( 2 ) Arrêt du 12 mai 1980, Grunert, point 8 ( 88/79, Rec . p . 1827, 1836 ).

( 3 ) Directive du Conseil du 27 juin 1967 relative à l' emploi de certains agents conservateurs pour le traitement en surface des agrumes ainsi qu' aux mesures de contrôle pour la recherche et le dosage des agents conservateurs dans et sur les agrumes ( JO 148, p . 1 ).

( 4 ) Voir par exemple l' arrêt du 10 décembre 1985, Motte, point 16 ( 247/84, Rec . p . 3887 ), et l' arrêt du 6 mai 1986, Muller, point 14 ( 304/84, Rec . p . 1511 ).

( 5 ) Voir l' arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville ( 8/74, Rec . p . 837 ).

( 6 ) Arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne ( 178/84, Rec . p . 1227, 1262 ).

( 7 ) Voir par exemple l' arrêt Muller, précité .

( 8 ) Voir note 6 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-42/90
Date de la décision : 14/11/1990
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Marseille - France.

Libre circulation des marchandises - Dérogations - Protection de la santé publique - Réglementation relative à l'utilisation d'agents conservateurs et d'additifs alimentaires.

Mesures d'effet équivalent

Agriculture et Pêche

Rapprochement des législations

Denrées alimentaires

Restrictions quantitatives

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Jean-Claude Bellon.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mischo
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:408

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