La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/07/1990 | CJUE | N°C-231/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 3 juillet 1990., Krystyna Gmurzynska-Bscher contre Oberfinanzdirektion Köln., 03/07/1990, C-231/89


Avis juridique important

|

61989C0231

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 3 juillet 1990. - Krystyna Gmurzynska-Bscher contre Oberfinanzdirektion Köln. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Renvoi d'une législation

nationale à des dispositions communautaires - Tarif douanier commun - Posit...

Avis juridique important

|

61989C0231

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 3 juillet 1990. - Krystyna Gmurzynska-Bscher contre Oberfinanzdirektion Köln. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Renvoi d'une législation nationale à des dispositions communautaires - Tarif douanier commun - Positions tarifaires 83.06, 97.01 et 97.03 - Classement d'une oeuvre d'art. - Affaire C-231/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-04003

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La question d' interprétation du tarif douanier commun que vous adresse le Bundesfinanzhof va vous conduire à vous prononcer sur une difficulté identique à celle que comporte l' affaire Dzodzi ( 1 ), à savoir dans quelle mesure votre Cour est compétente pour interpréter une disposition communautaire afin de permettre au juge a quo d' appliquer le seul droit national opérant un renvoi à celle-ci .

2 . En l' espèce, la difficulté est la suivante : avant d' importer des Pays-Bas en République fédérale d' Allemagne une oeuvre artistique, Mme Gmurzynska a sollicité un avis de classement tarifaire destiné à l' application du droit fiscal allemand en matière de taxes sur le chiffre d' affaires à l' importation; en effet, le droit national renvoie, pour l' octroi d' exemptions ou de déductions en la matière, à la nomenclature du tarif douanier commun .

3 . Le problème n' apparaît d' ailleurs pas entièrement nouveau devant votre Cour puisque votre arrêt Thomasduenger ( 2 ) était précisément relatif à l' interprétation du TDC pour les besoins de l' application du droit national . Votre avocat général avait alors très fermement conclu à votre incompétence, mais vous aviez accepté de répondre au juge a quo en exprimant le très net souci de respecter les prérogatives du juge national dans le cadre du mécanisme préjudiciel .

4 . Cependant, cette décision ne résout pas, à notre avis, la difficulté de principe qui vous est soumise . Bien évidemment, la répartition des compétences entre le juge national, seul juge de la pertinence des questions et de leur nécessité, et votre Cour vous interdit de vous livrer à un réexamen des appréciations de ce dernier à cet égard . Mais vous êtes, en revanche, contraints d' examiner si votre propre compétence vous permet de répondre à la question qui vous est adressée .

5 . Il convient ici de rappeler la fonction du mécanisme préjudiciel :

"Essentiel à la préservation du caractère communautaire du droit institué par le traité, l' article 177 a pour but d' assurer en toutes circonstances à ce droit le même effet dans tous les États de la Communauté" ( 3 ).

Par nature, cette finalité de la procédure préjudicielle, assurer l' uniformité des effets du droit communautaire, ne concerne évidemment que le champ d' application de ce dernier tel que par lui-même et par lui seul défini .

6 . Or, le renvoi auquel procède une législation nationale ne saurait étendre la portée ratione materiae et ratione personae du droit communautaire . Il s' agit d' une opération unilatérale et autonome qui, pour se référer à telle ou telle disposition matérielle d' origine communautaire, n' emporte aucune incidence quant au champ d' application du droit communautaire en tant que tel .

7 . En pareil cas, l' interprétation du droit communautaire ne serait en aucune manière destinée à assurer un même effet à ce droit, c' est-à-dire un contenu uniforme dans son champ d' application . Il s' agirait d' une opération "sui generis" visant à apporter une aide au juge national pour la mise en oeuvre du seul droit national, hors du champ d' application du droit communautaire .

8 . Soulignons-le, l' unité de l' ordre juridique communautaire est indifférente aux situations extérieures à son champ d' application, quel que soit le contenu matériel des normes qui les régissent . Il n' est pas de droit communautaire hors de son champ d' application : ce qui importe donc à sa correcte application, c' est son unité dans le cadre personnel et matériel par lui défini . Que les notions qu' il retient dans ce cadre puissent être utilisées unilatéralement pour régir tel ou tel aspect
d' une réglementation nationale n' est pas de nature à étendre le champ d' application du droit communautaire et, en conséquence, la compétence de votre Cour .

9 . Nous souhaitons, au demeurant, évoquer brièvement quelques-unes des interrogations que susciterait en l' espèce une extension de la fonction du mécanisme préjudiciel :

- Serait-il concevable que les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours soient soumises à une obligation de renvoi s' agissant d' hypothèses analogues au cas d' espèce?

- De la même manière, pourrait-on envisager le principe même d' un recours en appréciation de validité à propos de dispositions communautaires auxquelles le droit national aurait renvoyé de manière unilatérale et autonome?

- Enfin, et surtout, quelle serait l' autorité de votre arrêt? A cet égard, indépendamment de l' attitude que tel juge a quo adopterait de manière prévisible après vous avoir interrogés, pure circonstance de fait, le juge national serait-il juridiquement lié par les termes de votre arrêt dès lors qu' il lui incombe de mettre en oeuvre le droit national et seulement ce dernier?

Ces sérieuses interrogations laissent entrevoir les graves inconvénients que comporterait la perspective pour votre Cour de s' engager dans une collaboration aux contours indéfinis, affranchie du cadre et des objectifs précis du mécanisme préjudiciel . En d' autres termes, votre rôle consisterait alors à délivrer des avis ou des consultations du type de ceux qu' un jurisconsulte qualifié est parfois amené à fournir au juge du for lorsque celui-ci doit appliquer la loi étrangère . Telle n' est pas la
mission de votre Cour dans le cadre préjudiciel ( 4 ).

10 . Vous pourriez, certes, hésiter à adopter cette analyse pour des motifs purement pratiques, mis en avant par la Commission, qui a cependant admis à l' audience que "des raisons théoriques pouvaient militer contre votre compétence ".

11 . Notre proposition, nous en sommes conscient, aboutit à un résultat à première vue surprenant : le juge national ne pourrait avoir recours à votre interprétation dans le cas d' espèce, alors qu' il le pourrait s' il s' agissait pour lui d' appliquer le même texte, mais cette fois au titre du tarif douanier commun . Une telle solution ne comporterait-elle pas, au surplus, des dangers au regard de l' uniformité d' application du droit communautaire?

12 . Nous avons longuement réfléchi à cet aspect, et nous sommes convaincu qu' il s' agit là d' un faux problème générateur d' une fausse solution . En effet, notre proposition se borne à reconnaître que le juge national est le seul interprète des normes qu' il doit appliquer au titre du droit national . Et la circonstance que celles-ci emprunteraient leur contenu au droit communautaire ne recèle certainement pas plus de virtualités menaçantes pour l' unité de ce dernier que n' en comporte le
système judiciaire communautaire lui-même, qui permet au juge national, hors les hypothèses où il statue en dernier ressort, d' interpréter directement le droit communautaire .

13 . Une dernière observation propre au cas d' espèce : votre interprétation du tarif douanier commun, destinée à la résolution d' un litige né à l' occasion de l' importation d' un bien dans un État membre à partir d' un autre État membre, même s' il s' agit, en l' occurrence, d' appliquer le droit fiscal et non des droits de douane, ne serait-elle pas insolite vingt ans après la réalisation de l' union douanière?

14 . En conséquence, nous vous invitons à indiquer au Bundesfinanzhof que la Cour de justice n' est pas compétente pour répondre aux questions figurant dans son ordonnance du 6 juin 1989 .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Dans laquelle nous présentons également aujourd' hui nos conclusions .

( 2 ) Arrêt du 26 septembre 1985, Rec . p . 3001 .

( 3 ) Arrêt du 16 janvier 1974, Rheinmuehlen-Duesseldorf, point 2 ( 166/73, Rec . p . 33 ), souligné par nous .

( 4 ) "L' innovation vraiment originale des traités de Rome a été d' établir, pour l' application du droit communautaire, une relation directe entre pouvoirs judiciaires sous la forme d' un rapport qui est beaucoup plus qu' une simple consultation : un rapport sur le plan des compétences et des pouvoirs", dans Pescatore, P .: Le droit de l' intégration, 1972, A . W . Sijthoff-Leiden, Institut universitaire des hautes études internationales, Genève, souligné par nous .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-231/89
Date de la décision : 03/07/1990
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne.

Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Renvoi d'une législation nationale à des dispositions communautaires - Tarif douanier commun - Positions tarifaires 83.06, 97.01 et 97.03 - Classement d'une oeuvre d'art.

Union douanière

Libre circulation des marchandises

Tarif douanier commun


Parties
Demandeurs : Krystyna Gmurzynska-Bscher
Défendeurs : Oberfinanzdirektion Köln.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:276

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award