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27/03/1990 | CJUE | N°C-118/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 27 mars 1990., Firma Otto Lingenfelser contre République fédérale d'Allemagne., 27/03/1990, C-118/89


Avis juridique important

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61989C0118

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 27 mars 1990. - Firma Otto Lingenfelser contre République fédérale d'Allemagne.. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Frankfurt am Main - Allemagne. - Agriculture - Distillation du vin - Réglementation -

Délai - Validité -. - Affaire C-118/89.
Recueil de jurisprudence 1990 p...

Avis juridique important

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61989C0118

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 27 mars 1990. - Firma Otto Lingenfelser contre République fédérale d'Allemagne.. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Frankfurt am Main - Allemagne. - Agriculture - Distillation du vin - Réglementation - Délai - Validité -. - Affaire C-118/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-02637

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main ( République fédérale d' Allemagne ) vous a, par ordonnance du 16 mars 1989, posé une question préjudicielle relative au point de savoir si l' article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement ( CEE ) n° 2499/82 de la Commission, du 15 septembre 1982 ( 1 ), est valide en ce qu' il prévoit la récupération totale de l' aide versée au distillateur lorsque celui-ci n' a pas payé au producteur de vin, dans un délai de 90 jours, le prix minimal d' achat
déterminé par ledit règlement .

2 . Cette question a surgi à propos du différend opposant la firma Otto Lingenfelser ( ci-après "firme Lingenfelser "), petite entreprise de distillation établie à Achern-Grossweier, au Bundesamt fuer Ernaehrung und Forstwirtschaft, organisme d' intervention compétent en République fédérale d' Allemagne dans le cadre du règlement précité . La firme Lingenfelser ayant réglé au groupement de production de vin "Deutsches Weintor" le prix minimal d' achat correspondant à trois lots de vin plus de 90
jours après la livraison de chacun d' eux, l' organisme d' intervention a exigé la restitution de l' aide octroyée pour les trois lots en cause . C' est le recours formé devant le Verwaltungsgericht contre la récupération de l' aide qui constitue le litige au principal .

3 . Le règlement n° 2499/82 a fixé, pour la campagne viticole 1982/1983, les dispositions relatives au régime de distillation préventive dont le principe a été prévu par le règlement ( CEE ) n° 337/79 du Conseil, du 5 février 1979 ( 2 ), modifié par le règlement ( CEE ) n° 2144/82 du Conseil, du 27 juillet 1982 ( 3 ). Ces dispositions mettent en place un système selon lequel, dans le cadre de contrats, agréés par l' organisme d' intervention compétent, entre producteurs de vin et distillateurs, le
producteur livre au distillateur la quantité de vin contractuellement prévue, moyennant un prix minimal d' achat, fixé par l' article 5 du règlement n° 2499/82 . Le distillateur doit, suivant le paragraphe 1 de l' article 9 de ce règlement, payer ce prix au plus tard 90 jours après l' entrée du vin dans la distillerie . Il perçoit une aide de l' organisme d' intervention au plus tard 90 jours après la présentation de la preuve de la distillation, conformément au paragraphe 2, premier alinéa, de l'
article 9 du même règlement . Enfin, le troisième alinéa de ce paragraphe prévoit que le distillateur est tenu de fournir à l' organisme d' intervention la preuve qu' il a payé le prix minimal d' achat dans le délai de 90 jours à compter de la livraison effective du vin, et précise que, si cette preuve n' est pas fournie dans les 120 jours suivant la date de présentation de la preuve de la distillation, "les montants versés sont récupérés par l' organisme d' intervention ".

4 . En l' espèce, la firme Lingenfelser a versé, pour les trois lots de vin, le prix minimal d' achat respectivement 92, 93 et 91 jours après la livraison effective du vin . Ainsi que cela vous a été indiqué à l' audience, ces retards d' assez faible ampleur sont dus à une confusion de la firme quant au point de départ du délai de 90 jours . Celle-ci a cru, en effet, que le délai courait, comme c' est, semble-t-il, l' usage dans les transactions commerciales en République fédérale d' Allemagne, à
compter de la réception de la facture du producteur, et non à compter de la livraison effective .

5 . Mentionnons immédiatement, à ce propos, que l' argument de caractère textuel brièvement avancé par la firme Lingenfelser, au sujet d' une contradiction entre la version allemande et les versions française et anglaise du règlement n° 2499/82, paraît dépourvu de pertinence . Les mots "Innerhalb von 90 Tagen nach Eingang bei der Brennerei" ne peuvent pas être interprétés comme concernant l' arrivée de la facture à la distillerie . Ils visent bien l' "entrée dans la distillerie" du vin, telle que
visée dans la version française .

6 . La question du Verwaltungsgericht porte sur la validité du règlement n° 2499/82 en tant qu' il prévoit la perte totale de l' aide, en cas de dépassement du délai de 90 jours pour le paiement du prix minimal d' achat . Une première difficulté se présente, à cet égard, quant à la localisation de la disposition prévoyant cette perte totale . Le juge a quo a visé expressément l' article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement n° 2499/82 . Si l' on se reporte à cette disposition, on observe
qu' en réalité elle ne prévoit formellement la récupération, par l' organisme d' intervention, des montants versés que si le distillateur ne fournit pas, dans les 120 jours de la présentation de la preuve de la distillation, la preuve qu' il a payé le prix minimal dans le délai de 90 jours après la livraison du vin . Aussi, on peut se demander s' il existe, dans le règlement n° 2499/82, une base textuelle à la récupération totale de l' aide par l' organisme d' intervention en cas de paiement du prix
minimal plus de 90 jours après la livraison du vin . Faut-il considérer qu' une telle récupération serait fondée implicitement sur l' article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, précité? Pour sa part, la Commission a indiqué, à l' audience, que l' organisme d' intervention peut récupérer totalement l' aide dès lors que les conditions auxquelles son attribution était subordonnée ne sont pas remplies, sans qu' il soit besoin qu' une disposition du règlement le prévoie expressément . L' agent de la
Commission a parlé, en réponse à une question de votre Cour, d' un droit à la récupération totale résultant de principes juridiques généraux .

7 . Notons, à ce stade de la discussion, que la thèse de la Commission, tout en n' étant pas juridiquement inexacte, n' est pas dépourvue de tout inconvénient . Dès lors qu' un règlement agricole relatif à un régime d' aide prend la peine de spécifier certains cas pouvant donner lieu à la récupération totale de l' aide par l' organisme d' intervention, on facilite, nous semble-t-il, des erreurs d' interprétation de la part des opérateurs en ne spécifiant pas tous les cas assortis d' une telle
sanction . Dans le cadre d' une réglementation pouvant comporter des conséquences graves à l' égard des opérateurs, il nous semble que la conception selon laquelle certaines de ces conséquences sont expressément définies et d' autres doivent être présumées n' est pas très heureuse . En outre, elle n' est certainement pas de nature à faciliter le contrôle que vous pouvez être amenés à exercer, comme l' illustre la présente espèce, sur le terrain de la validité d' une récupération totale d' aide . Il
peut, en effet, s' avérer malaisé d' apprécier le respect de la légalité communautaire, et notamment du principe de proportionnalité, par une disposition implicite d' un règlement . Il faut espérer que la Commission veillera à ne pas s' installer dans le confort de "principes juridiques généraux", surtout s' agissant de dispositifs destinés à sanctionner l' inexécution, par les opérateurs, d' obligations leur incombant . Pour notre part, nous préférons, dans la présente espèce, considérer que la
sanction de la perte totale de l' aide en cas de paiement au-delà des 90 jours se déduit implicitement de l' article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement n° 2499/82, qui prévoit cette sanction lorsque n' est pas rapportée, dans un certain délai, la preuve que le prix minimal d' achat a été payé dans les 90 jours .

8 . La firme Lingenfelser a, dans le cadre du litige au principal, mis en doute sous deux aspects la validité de la récupération totale de l' aide en cas de dépassement du délai de 90 jours . Le premier, développé davantage à l' audience que dans les observations écrites, concerne les limites de l' habilitation donnée à la Commission par le règlement n° 337/79 du Conseil, précité . Le second se rapporte au principe de proportionnalité .

9 . Disons-le d' emblée, les arguments de la firme Lingenfelser tendant à vous voir analyser comme un "excès de réglementation inutile", non couvert par l' habilitation du règlement n° 337/79, l' institution d' un délai maximal de 90 jours pour le paiement du prix minimal d' achat au producteur ne nous ont pas plus convaincu que la Commission ou l' organisme d' intervention .

10 . Examinons ce premier point . Le règlement n° 337/79 a eu pour objet de parvenir, dans le secteur viti-vinicole, à "la stabilisation des marchés et l' assurance d' un niveau de vie équitable à la population agricole intéressée" ( 4 ). Dans cette perspective, il a prévu de "permettre, dans certaines conditions, la distillation préventive à un prix d' achat qui ne constitue pas un encouragement à une production de vin d' une qualité insuffisante" ( 5 ). Aussi, l' article 11 du règlement n° 337/79
définit-il le cadre général de la distillation préventive en déterminant les vins qu' elle peut concerner ainsi que le prix d' achat auquel le prix payé par le distillateur ne peut être inférieur . Le paragraphe 5 de cet article prévoit que "la décision de procéder à la distillation ... ainsi que les modalités d' application du présent article sont arrêtées selon la procédure prévue à l' article 67 ". Cette procédure permet à la Commission d' arrêter des mesures moyennant la consultation d' un
"comité de gestion ". C' est dans ce cadre que la Commission a édicté le règlement n° 2499/82 et prévu un délai maximal de 90 jours pour le paiement, par le distillateur, du prix d' achat au producteur .

11 . La firme Lingenfelser se fonde, pour estimer qu' il y a eu "excès réglementaire" de la Commission, donc dépassement des termes de son habilitation, sur le caractère inutile que revêtirait l' institution du délai de 90 jours . Il nous paraît exclu qu' une discussion puisse s' engager devant vous sur le degré d' utilité des différents délais prévus par l' article 9 du règlement n° 2499/82, afin de déterminer si la Commission a respecté les limites de l' habilitation résultant du règlement n°
337/79 . Semblable débat méconnaîtrait le large pouvoir d' appréciation qui a été, en la circonstance, laissé à la Commission dans un domaine qui se situe au coeur de la politique agricole commune . C' est dire que le contrôle de validité qui doit s' exercer dans un tel cas ne peut évidemment pas consister en une vérification du bien-fondé de chacune des mesures . Il ne peut s' attacher qu' à la censure de dépassements manifestes des limites du pouvoir d' appréciation laissé à la Commission . Or, il
ne nous semble pas qu' en impartissant un délai déterminé au distillateur pour verser au producteur le prix minimal d' achat celle-ci ait prévu une modalité d' application manifestement étrangère au régime de distillation préventive dont le Conseil a fixé le cadre général . Dans le cadre d' une politique reposant sur l' incitation des producteurs à retirer leurs vins du marché pour les livrer à la distillation, la détermination d' un délai dans lequel le producteur a l' assurance de recevoir, de la
part du distillateur, le prix minimal prévu par le règlement n° 337/79 ne paraît pas en soi étrangère aux objectifs poursuivis .

12 . Ajoutons, à cet égard, et pour autant que cela présente ici quelque pertinence, que les autres délais mentionnés à l' article 9 du règlement n° 2499/82 ne paraissent nullement faire double emploi, a priori, avec le délai litigieux de 90 jours . Le délai maximal de 90 jours à compter de la présentation de la preuve de la distillation, à l' intérieur duquel l' organisme d' intervention doit verser l' aide au distillateur, ne comporte par lui-même aucune garantie quant au délai dans lequel le
producteur aura perçu le prix minimal d' achat . Quant au délai de 120 jours à compter de la même présentation de preuve, nous ne sommes pas frappé par l' évidence de l' équivalence de garanties qu' il pourrait, à première vue, présenter, pour le producteur, par comparaison avec un délai de 90 jours à compter de la livraison du vin par ce dernier .

13 . Aussi, du point de vue de la censure des dépassements manifestes, qui est la seule à devoir être envisagée sur le terrain du contrôle du respect, par la Commission, de l' habilitation donnée par le Conseil, nous estimons que n' a été mis en évidence aucun élément de nature à mettre en cause la validité de l' institution d' un délai maximal de paiement au producteur .

14 . Il convient, maintenant, d' aborder la question de la proportionnalité d' une récupération totale de l' aide versée au distillateur quand celui-ci n' a pas payé au producteur le prix minimal d' achat dans le délai de 90 jours .

15 . Il ne paraît pas inutile de rappeler les principes dégagés par votre jurisprudence en la matière . Ainsi, vous avez considéré, en présence d' une sanction telle qu' une non-libération de caution pour non-respect d' un délai de présentation de preuves, qu' il y avait lieu d' examiner si elle

"dépasse les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché" ( 6 ).

A l' égard d' une non-libération de caution en raison de ce que l' opérateur n' avait pas apporté la preuve que certaines quantités de beurre avait été transformées dans le délai prescrit par la réglementation communautaire, vous avez indiqué que le contrôle de conformité au principe de proportionnalité d' une disposition de droit communautaire conduisait à

"vérifier, en premier lieu, si les moyens qu' elle met en oeuvre pour réaliser l' objectif qu' elle vise s' accordent avec l' importance de celui-ci et, en second lieu, s' ils sont nécessaires pour l' atteindre" ( 7 ).

Dans votre arrêt du 24 septembre 1985, Man/IBAP, après avoir rappelé la formule relative à la nécessité de vérifier si les moyens mis en oeuvre "sont appropriés et nécessaires pour atteindre le but recherché", vous avez indiqué qu' à cet égard,

"lorsqu' une réglementation communautaire établit une distinction entre une obligation principale, dont l' accomplissement est nécessaire pour atteindre l' objectif visé, et une obligation secondaire, à caractère essentiellement administratif, elle ne peut, sans méconnaître le principe de proportionnalité, sanctionner aussi sévèrement la méconnaissance de l' obligation secondaire et celle de l' obligation principale" ( 8 ).

16 . Par rapport aux principes ainsi formulés, votre arrêt du 27 novembre 1986, Maas, a introduit, nous semble-t-il, une précision . Il indique, en effet, qu' afin de répondre à une question relative au respect du principe de proportionnalité, dans un cas de dépassement du délai réglementaire d' embarquement de lots de céréales et de riz destinés à l' aide alimentaire, il y a lieu de vérifier,

"conformément à une jurisprudence constante, si les obligations en cause ... doivent être considérées comme des obligations principales dont le respect est d' importance fondamentale pour le bon fonctionnement d' un système communautaire et dont la violation peut être sanctionnée par la perte totale de la caution, sans que cela entraîne une violation du principe de proportionnalité, ou bien des obligations secondaires, dont la violation ne devrait pas être sanctionnée avec la même rigueur que le
non-respect d' une obligation principale" ( 9 ).

17 . La précision nous paraît consister, ici, en une certaine systématisation de la distinction entre obligation principale et obligation secondaire . Dans la jurisprudence antérieure, la mise en oeuvre du principe de proportionnalité avait, certes, conduit en certains cas à évoquer cette distinction, mais sans associer aussi étroitement que le fait l' arrêt Maas l' obligation principale à la sanction de la perte totale de la caution, par exemple . L' arrêt Man/IBAP, précité, indiquait que le
respect du principe de proportionnalité imposait que l' on ne puisse sanctionner aussi sévèrement la méconnaissance de l' obligation secondaire et de l' obligation principale . L' arrêt Maas suggère, semble-t-il, l' idée que la violation d' une obligation principale puisse, a priori, être sanctionnée d' une façon déterminée et grave, en l' espèce la perte totale d' une caution . Votre plus récente jurisprudence paraît ainsi, en quelque sorte, poser la présomption que la perte totale d' une caution
ou d' une aide est proportionnée au non-respect d' une obligation principale . Mais une telle présomption ne peut-elle être combattue? Notons, à ce propos, que vos arrêts antérieurs témoignent d' un certain relativisme en indiquant que la sanction d' une obligation accessoire ne peut être aussi sévère que celle d' une obligation principale sans pour autant consacrer formellement une proportionnalité de principe des pertes totales - d' aide ou de caution - en tant que sanctions des obligations
principales .

18 . On peut observer que, dans les affaires où vous avez veillé à ce que les sanctions d' obligations accessoires ne soient pas aussi sévères que celles d' obligations principales, les secondes consistaient, le plus souvent, dans des pertes totales . Mais dire, dans plusieurs arrêts, que la sanction de la perte totale, prévue par un règlement à l' égard d' une obligation principale, est disproportionnée lorsqu' elle sanctionne, dans le même règlement, une obligation accessoire à la première ne
revient pas nécessairement, selon nous, à déclarer que la violation d' une obligation principale peut, par principe, entraîner la perte totale . De même, en admettant la proportionnalité de la perte totale d' une aide ou d' une caution dans le cas du non-respect d' une obligation dont le caractère essentiel ou principal est expressément attaché au risque de détournement du produit concerné par l' aide, comme dans votre arrêt du 2 décembre 1982, RU-MI/FORMA ( 10 ), ou à celui de spéculations, comme
dans votre arrêt Fromançais, précité, il ne nous semble pas que vous ayez consacré la proportionnalité de principe des pertes totales d' aide ou de caution pour la moindre violation de toute obligation principale, quelle qu' elle soit .

19 . L' arrêt Maas, lui-même, n' est pas sans enseignements à cet égard . Après y avoir relevé que la qualification d' obligation principale ne saurait être contestée en ce qui concerne l' obligation d' embarquer la marchandise au cours d' une période déterminée, vous avez cependant indiqué que,

"en matière de transport maritime, un retard de quelques jours dans l' embarquement de la marchandise et dans le départ du navire ne peut être considéré comme une violation de cette obligation" ( 11 ).

Aussi, en considérant qu' en l' espèce le respect de la date d' arrivée du navire au port de destination n' était pas contesté et en concluant, dès lors, "qu' un léger dépassement du délai d' embarquement" ne justifiait pas la perte de la caution lorsqu' il n' affectait pas le "bon fonctionnement du système de l' aide alimentaire", vous avez apporté un correctif à une proportionnalité de principe des pertes totales comme sanctions d' obligations principales . Ce correctif se place, notons-le, sur le
terrain de l' appréciation de la violation de l' obligation . Il consiste à dire que, si la violation d' une obligation principale peut, a priori, être sanctionnée par une perte totale, toute méconnaissance d' une telle obligation ne constitue pas forcément une violation entraînant cette sanction .

20 . Il semble donc que vous reconnaissiez qu' un tempérament puisse être apporté en ce qui concerne l' application, à la violation d' une obligation principale, d' une sanction telle que la perte totale . En vérité, vous permettez ainsi au principe de proportionnalité de continuer à produire effet dans le domaine de la violation d' obligations principales, malgré la proportionnalité de principe auparavant évoquée, s' agissant des pertes totales . Dès lors, si l' on admet, comme vous le faites, que
toute exigence de proportionnalité n' a pas disparu dans le domaine de la violation d' obligations principales, ne serait-il pas approprié de mettre l' accent sur les formulations utilisées dans les arrêts antérieurs à l' arrêt Maas? Votre jurisprudence comporte, on l' a vu, l' énoncé de deux formulations qui se complètent . La première est celle selon laquelle le respect du principe de proportionnalité conduit à vérifier, en premier lieu, si la disposition de droit communautaire concernée met en
oeuvre des moyens s' accordant avec l' importance de l' objectif qu' elle vise, en second lieu, s' ils sont nécessaires pour l' atteindre . La seconde consiste à rappeler qu' une réglementation communautaire ne peut sanctionner aussi sévèrement la méconnaissance de l' obligation secondaire et celle de l' obligation principale . Ces formulations nous paraissent suffisamment répondre aux finalités qui sont celles de votre contrôle de proportionnalité . Nous pensons, en effet, que votre jurisprudence
s' inspire surtout de la préoccupation de n' exclure aucune activité de l' exigence de proportionnalité et qu' à cet égard la souplesse ménagée par les deux formulations énoncées ci-dessus sert mieux ce dessein qu' une association trop étroite de la notion d' obligation principale avec un type déterminé de sanction . Pour notre part, c' est à cette conception souple, plus clairement favorable à une efficacité optimale du principe de proportionnalité, que nous entendons nous référer dans la suite de
la discussion .

21 . Pour vérifier, dans la présente espèce, si le principe de proportionnalité a été respecté, il convient d' abord de déterminer les objectifs au service desquels l' obligation litigieuse a été prescrite . S' agissant précisément du délai de 90 jours, il doit être examiné au regard du onzième considérant du règlement n° 2499/82 . Celui-ci indique qu' "il convient de prévoir que le prix minimal assuré aux producteurs leur soit versé, en règle générale, dans des délais leur permettant de tirer un
bénéfice comparable à celui qu' ils obtiendraient s' il s' agissait d' une vente commerciale" ( 12 ). Rapporté à la finalité générale du régime de distillation préventive des vins, il apparaît, a priori, important d' inciter de nombreux producteurs à ne pas écouler sur le marché leurs vins de qualité insuffisante en leur proposant de les vendre à des distillateurs . A cet égard, la vente en vue de la distillation doit être attractive pour les producteurs . Un élément de cet attrait réside dans la
détermination du prix minimal d' achat qui sera payé par les distillateurs aux producteurs . Un autre élément est lié au délai de paiement de ce prix d' achat, en ce sens qu' il est important que, dans le cadre des ventes en vue de la distillation, les producteurs ne soient pas payés plus tard que cela ne serait le cas dans une vente commerciale normale . C' est ce dernier point que met en valeur le onzième considérant, précité . Sur ce plan, l' exigence d' un paiement dans des délais comparables à
ceux pratiqués dans le commerce peut être considérée comme essentielle pour le bon fonctionnement du régime de distillation préventive .

22 . Au vu de cette importance, est-il nécessaire de prévoir un délai impératif de 90 jours dont le moindre dépassement, de la part du distillateur, entraîne la perte totale de l' aide? Pour répondre positivement, il faudrait admettre, d' une certaine façon, que l' existence du dépassement le plus minime, même d' un seul jour, aboutirait à ce que les vins ne soient pas payés, dans le cadre de la distillation préventive, suivant des conditions comparables à celles des transactions normales, et que la
moindre tolérance à cet égard dissuaderait les producteurs de vendre aux distillateurs . Aucun élément du dossier ne nous a semblé de nature à accréditer l' idée qu' un léger dépassement du délai de 90 jours aurait une telle portée . Au contraire, on peut même se demander si le régime du délai de paiement ainsi conçu ne va pas un peu au-delà de l' exigence de "bénéfice comparable" formulée dans le onzième considérant . En effet, rapporté aux usages commerciaux de la viticulture en République
fédérale d' Allemagne, tels qu' ils ont été évoqués devant vous dans la présente espèce, il semble que le délai prévu par le règlement n° 2499/82, qui court à compter de l' arrivée du vin dans la distillerie, serait raccourci par rapport à celui du commerce, qui courrait à partir de la réception de la facture par le distillateur . Ainsi, dans un tel contexte, il apparaît pour le moins difficile d' affirmer qu' un dépassement, aussi minime soit-il, placerait le producteur dans une situation où il
pourrait se considérer comme moins bien traité que lors d' une vente normale . Il est même vraisemblable qu' un paiement dépassant de quelques jours le délai réglementaire interviendrait encore à l' intérieur du délai habituellement pratiqué dans le commerce en République fédérale d' Allemagne .

23 . Aussi, bien que l' on doive tenir compte de la marge d' appréciation qui appartient à la Commission pour fixer les modalités d' application de la réglementation dans le cadre d' une organisation commune de marchés, il paraît déjà à première vue discutable que la sanction de perte totale de l' aide soit absolument nécessaire, dans le cas d' un dépassement de quelques jours, pour garantir le bon fonctionnement du régime de distillation préventive et, au sein de celui-ci, le versement du prix au
producteur dans des conditions comparables à celles du commerce .

24 . Le caractère nécessaire de la perte totale de l' aide en tant que sanction du moindre dépassement des 90 jours prête à discussion à un autre titre . En effet, en admettant qu' un paiement dans un délai comparable à celui des usages commerciaux soit indispensable au bon fonctionnement du système, il n' apparaît nullement évident qu' une diminution de l' aide en fonction de l' importance du dépassement n' aurait pas permis d' apporter la garantie souhaitée . Dans le cadre du régime mis en place
par le règlement n° 2499/82, c' est la certitude du versement de l' aide qui permet au distillateur de payer au producteur le prix minimal d' achat . L' agent de la Commission a particulièrement souligné ce point à l' audience . Aussi, toute réduction de l' aide est de nature à affecter le bénéfice que le distillateur attend de l' opération . Dans ces conditions, on peut estimer que la perspective d' une diminution significative, mais partielle, constituerait par elle-même une incitation suffisante,
pour le distillateur, à respecter le délai fixé .

25 . Enfin, certaines réflexions viennent à l' esprit en présence des dispositions de l' article 12 du règlement n° 2499/82 relatives à l' hypothèse où la distillation a porté sur une quantité de vin différente de celle prévue au contrat . Il est, en effet, prévu que l' organisme d' intervention verse l' aide pour la quantité de vin qui a été effectivement distillée pourvu que la différence avec celle prévue au contrat demeure dans la limite d' une tolérance de 10 %. On doit supposer, suivant un
raisonnement a contrario, qu' au-delà de 10 % de différence l' aide n' est plus du tout versée . Il est parfaitement compréhensible que la réglementation communautaire tienne compte de circonstances, indépendantes de la volonté des opérateurs concernés, qui aboutiraient à une diminution de la quantité de vin effectivement distillée . Mais on doit quand même relever que, s' agissant d' un régime de distillation préventive qui a pour but de soustraire du marché, afin de le maintenir stable, le maximum
de vins de qualité insuffisante, le règlement n° 2499/82 admet de façon forfaitaire une variation quantitative de 10 % sans autre conséquence que le versement proportionnel de l' aide . Pourtant, le retrait des vins du marché est l' objectif premier du régime de distillation préventive . Les différents mécanismes prévus dans le règlement n° 2499/82 tendent à servir cet objectif . La Commission a estimé, cependant, qu' une variation quantitative dans la limite de 10 %, sans que les causes en soient
vérifiées, était compatible avec un versement partiel de l' aide, alors que la perte totale de l' aide sanctionne le dépassement, même minime, d' un délai relatif non pas à l' objectif primordial du régime de distillation préventive, mais à une des obligations contribuant à ce que cet objectif soit atteint .

26 . Cela nous conduit à penser que, s' il était possible, selon la Commission, d' admettre que l' aide soit versée proportionnellement dans le cas d' une diminution de la quantité distillée pouvant atteindre 10 %, sans que les objectifs essentiels de la campagne de distillation préventive soient menacés, il est difficile d' admettre qu' un régime de perte totale de l' aide pour le moindre dépassement du délai de paiement assigné au distillateur soit absolument indispensable à la sauvegarde de ces
objectifs essentiels . Il ne s' agit pas, selon nous, de savoir si les erreurs d' inattention humaines sont moins excusables que les processus chimiques tels que l' évaporation, comme le suggère la Commission . Ce que l' on doit considérer, c' est l' impact du non-respect de telle ou de telle obligation sur la réalisation de ces objectifs . Or, nous n' avons pas décelé, dans ce dossier, d' éléments nous permettant d' affirmer qu' un dépassement de quelques jours du délai de paiement constituait une
menace telle qu' il y ait lieu d' y attacher des conséquences sensiblement plus sévères que lorsqu' est constatée une diminution de la quantité de vin effectivement retirée du marché .

27 . Parvenu au terme de ces observations, nous voudrions faire une dernière remarque au sujet de la cohérence du règlement n° 2499/82 . On ne peut manquer d' être perplexe face à ce curieux mélange de sanctions expressément prévues et de sanctions au régime implicite, et à ce voisinage d' obligations principales et accessoires sanctionnées aussi sévèrement par la perte totale de l' aide, en méconnaissance de la jurisprudence que la Commission a elle-même rappelée . L' article 9, paragraphe 2,
troisième alinéa, est doublement topique, à cet égard, puisqu' il prévoit formellement la perte totale de l' aide lorsque la preuve de l' exécution d' une obligation accessoire n' a pas été fournie dans un certain délai, et implicitement la même sanction lorsque l' obligation elle-même n' a pas été exécutée . Relevons, enfin, que le point de savoir si le régime mis en oeuvre par le règlement n° 2499/82 vise à empêcher le distillateur de percevoir l' aide avant d' avoir payé le prix minimal au
producteur, ou au contraire à le lui permettre, est loin d' être éclairci après la lecture du dossier et les explications données à l' audience . Le règlement ménage les deux possibilités, suivant la trésorerie et le bon vouloir de l' organisme d' intervention . Cela ne contribue évidemment pas à mettre en valeur la logique interne de ce régime, ni à cerner avec une précision optimale la portée réelle du délai litigieux et de son éventuel dépassement . A ce titre également, il est difficile d'
établir que la perte totale de l' aide est imposée par la nécessité .

28 . En résumé, nous estimons que si l' exigence d' un délai de paiement comparable à celui pratiqué dans les relations commerciales normales était essentielle pour le régime de distillation préventive organisé par le règlement n° 2499/82, et s' il appartenait à la Commission de déterminer la durée du délai, il n' a pas été établi qu' un dépassement, aussi minime soit-il, du délai fixé affectait les objectifs essentiels de ce régime dans des conditions telles qu' il devait être sanctionné, dans tous
les cas, par la perte absolue de l' aide . Aussi, le principe de proportionnalité nous paraît, dans cette mesure, avoir été méconnu .

29 . Nous concluons donc à ce que vous disiez pour droit :

"L' article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement ( CEE ) n° 2499/82 est invalide en tant qu' il sanctionne, par la perte totale de l' aide, tout dépassement du délai imparti au distillateur pour le paiement du prix minimal d' achat au producteur ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Établissant les dispositions relatives à la distillation préventive pour la campagne viticole 1982/1983 ( JO L 267 du 16.9.1982, p . 16 ).

( 2 ) Portant organisation commune du marché viti-vinicole ( JO L 54 du 5.3.1979, p . 1 ).

( 3 ) Modifiant le règlement ( CEE ) n° 337/79 portant organisation commune du marché viti-vinicole ( JO L 227 du 3.8.1982, p . 1 ).

( 4 ) Troisième considérant du règlement n° 337/79 .

( 5 ) Neuvième considérant du règlement n° 337/79 .

( 6 ) Arrêt du 20 février 1979, Buitoni/FORMA, point 16 ( 122/78, Rec . p . 677 ); formule identique dans l' arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, point 25 ( 15/83, Rec . p . 2171 ).

( 7 ) Arrêt du 23 février 1983, Fromançais/FORMA, point 8 ( 66/82, Rec . p . 395 ); formule identique dans l' arrêt du 1er octobre 1985, OBEA/Corman, point 36 ( 125/83, Rec . p . 3039 ).

( 8 ) 181/84, Rec . 1985, p . 2889, point 20 .

( 9 ) 21/85, Rec . 1986, p . 3537, point 15 .

( 10 ) 272/81, Rec . 1982, p . 4167 .

( 11 ) 21/85, précité, point 17 .

( 12 ) Première phrase .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-118/89
Date de la décision : 27/03/1990
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Frankfurt am Main - Allemagne.

Agriculture - Distillation du vin - Réglementation - Délai - Validité.

Agriculture et Pêche

Vin


Parties
Demandeurs : Firma Otto Lingenfelser
Défendeurs : République fédérale d'Allemagne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Schockweiler

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:143

Source

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